4.1 | Nokomis
Vivants.
Mes deux enfants. Imriel et Kalén. Vivants. Au Deity, avec Arzhel.
Et la litanie reprit. Puissante. Elle couvrit le murmure de l'océan, le chant de l'eau. Je me répétai les mots d'Aslander.
Vivants. Au Deity. Et bientôt, j'y serais moi aussi. Nous étions chez Lothar, Koning de cette partie de l'Australie.
Koning. Parce que tout changeait. Ou tout avait changé, j'essayai encore de comprendre, de savoir. Aslander n'avait rien dit de plus, parce que j'étais perdu et qu'il le savait. Que dans sa propre mesure, il devait le comprendre.
Mon Empereur, mon frère.
Et moi qui revenais.
Le soleil brillait et dans ma chambre, je profitai de la chaleur. Elle n'étouffait pas. Elle caressait mes bras nus et soufflait sur mes joues. Sur le balcon, je profitai de la vue.
Port Augusta.
Une ville. Et si je baissai les yeux, une piscine. Du bleu étrange. Et le calme. Pas le silence, oh non, c'était différent. Et j'aimais ça. En même temps que je me réappropriai mon corps, je composai avec le changement.
De monde.
De siècle.
De tout.
Et ça m'épuisait. Ça m'éreintait. Et mon corps lâchait prise. Je me cramponnai. Je ne voulais plus dormir. Plus jamais. Mais je savais que ce n'était pas possible. Qu'importe l'espèce, nous avions tous besoin de nous régénérer.
Tous. À un moment ou à un autre.
Mais personne, hormis les miens, ne pouvait comprendre ce que ça me coûtait. Cette peur. Cette terreur qui me consumait de la plus terrible des façons.
Oui, je crevais de peur à l'idée de dormir. Et de ne plus me réveiller.
— Elle a l'air elle-même.
J'entendis les voix avant de les voir. Je baissai les yeux pour aviser Aslander et Lothar. Personne d'autre. Et ma Garde ? Je savais bien qu'Evy ne pouvait pas être très loin, tout comme les autres. Pensaient-ils tous qu'il me fallait du temps ? Pour reprendre pied ?
Ma main sur la pierre, je regardai les deux hommes. Changés, mais si semblables. Et ça me remuait. De la plus affreuse des manières.
— D'autres sont dans des états bien pires, répondit Ani.
— C'est une bonne chose, non ? releva Lothar.
De savoir que j'allais bien quand les autres non ? Mon peuple. Les miens.
Encore une fois, mon monde tournoya. Pas comme avant de m'effondrer. Je recomposai avec moi-même.
Recomposer.
Recomposer.
— J'espère. Mais nous ne savons pas... nous ne savons pas ce que le Sommeil a entraîné chez eux. Ce que ça va engendrer sur le long terme.
— Myrddin pourrait nous le dire ?
Merlin.
Merlin était aussi ici ? Logique. Bien sûr. Où serait-elle allée ? Sans Arthur, à quoi servait l'Enchanteur ?
— Elle ne quittera pas les Bassins de Gloire avant un moment et si elle le fait, elle ne nous dira rien, soupira Aslander.
— Et Nokomis ?
— Elle se Réveille seulement. Je ne veux pas la presser. Il faut que je la ramène au Deity.
Chez moi. Chez moi.
— Chaque chose en son temps, dit Lothar. C'est ça ?
— Chaque chose en son temps. Je dois ramener ma sœur au Deity.
— Je sais, mere bhaee. Je sais. Alors fais-le. Siobhane vous ramène ?
— D'après elle, Nokomis ne supportera pas la magie. Alors nous rentrerons en avion.
Siobhane ?
Je sentis mes tempes vibrer. Une douleur presque coutumière depuis mon Réveil. Alors je me reculai, loin de la lumière, pour retourner dans la chambre et refermer mes paupières. Je voulais juste rentrer chez moi. Et retrouver mes enfants.
Et Arzhel.
Revoir Arzhel.
Une truffe tapa dans ma main et Achilles entoura mon ventre de ses bras. Son nez contre ma nuque, Amset à mes pieds, la lycan d'Evy contre moi. Mera qui caressait mes cheveux, Shady qui murmurait et Raad, Raad qui ne me quittait pas du regard.
Rien ne pouvait m'arriver. Parce que ma Garde ne laisserait personne s'approcher. Je me sentais en sécurité, mais pas encore tout à fait entière.
Il me manquait un pan entier.
Une partie de moi. Que personne ne pouvait me rendre.
Hormis mon Anchor.
Et à chaque fois que je pensais à lui, la litanie reprenait.
Incessante.
Suffocante.
Arzhel. Arzhel.
Anchor.
Le même nombre de lettres.
Et quand bien même je n'étais pas lycan, nous étions reliés.
Depuis ma naissance, jusqu'à l'oubli. Le Sommeil. Et le Réveil.
Anchor. Arzhel. Anchor. Arzhel.
En boucle. En boucle. Et ça repoussait le silence.
— J'ai mal à la tête.
Ma voix chevrota.
Achilles sortit quelque chose d'un étui et me glissa des lunettes sur le nez. Tout de suite, la luminosité baissa. Et j'inspirai.
— C'est mieux ?
Je hochai la tête, parce que j'avais du mal à parler. Et à penser.
Ses pouces passèrent sur mes joues en un effleurement très rapide, presque fugace.
— Tu es prête ?
— Redis-moi.
Shady et Raad discutaient plus loin. Une femme magnifique se tenait près d'Aslander.
Siobhane.
Qui était-elle ?
Ses vêtements attestaient d'un rang particulier.
Le plus haut après celui d'Empereur. Parce qu'elle était sienne.
Son Impératrice. Et ça me faisait peur. Parce que la dernière avait souhaité ma mort plus que tout.
Plus
Que
Tout.
— Nous allons grimper dans cet avion et il va nous amener au Deity.
— Ça vole ? Comme... un oiseau ?
— Oui, comme un oiseau. Mais sans les ailes qui bougent.
— Alors comment ?
— Tu verras.
Je n'aimais pas cette réponse, mais déjà, Achilles se détournait de moi pour dire un mot à Mera qui hocha la tête.
— Dis-moi, murmurai-je. Comment on vole dans un avion ?
La lycan à mes pieds gronda doucement et Achilles lui jeta à peine un coup d'œil. Je n'eus pas ma réponse. Aslander vint me chercher et m'offrit son bras. Je ne regardai pas l'Impératrice dans les yeux et suivis juste mon frère. Nous grimpâmes quelques marches pour arriver dans un espace clos, restreint, étrange.
— Tu peux t'installer ici, souffla Aslander.
Et il s'assit avec moi, sa main qui couvrait la mienne. Je voulais lui demander pour l'avion, pour tout, mais la tension grimpa en flèche à l'instant où ma Garde arriva. Je ne relevais pas, mais Aslander se tendit et jeta un coup d'œil à la lycan qui l'ignora. Elle posa sa gueule sur mes cuisses et gronda.
Je rentrais.
Je rentrais.
— Tu rentres.
Le trajet aurait pu durer des heures ou un instant, je ne comptais plus le temps, peut-être parce que je ne le comprenais pas encore.
Quand tout le monde se leva, Aslander m'invita à faire de même et je me cramponnai à lui. Tout m'apparut assez flou. Les contours de mon environnement se mêlaient les uns aux autres et défilaient, continuellement. Alors je me focalisai sur la prise d'Ani et sur rien d'autre.
Jusqu'à ce qu'une pulsation ne grimpe de l'intérieur.
Un boom-boom.
Une sorte de décharge d'énergie. Quelque chose se déploya, à l'intérieur, à l'intérieur.
Boom-boom.
Boom-boom.
Boom
Boom.
— La Roseraie, murmurai-je. Je veux... la Roseraie.
J'eux vaguement conscience des gens autour de moi et du Deity, vestige des temps passés et modernes.
Aslander me lâcha et je l'entendis dire de me laisser.
Alors j'avançai. Parce que cet endroit, je le connaissais et je l'avais arpenté des milliers et des milliers de fois.
Je n'entendais plus la voix de Kyrianna.
Pas plus que la voix bourrue de Père.
La lycan d'Evy passa devant moi, sa queue qui fouettait l'air. Elle me devança un peu. Je crus entendre les rires d'enfants. Je passai devant des Gardes sans m'arrêter, devant des gens sans leur prêter attention.
Parce que le boom-boom prenait tout.
Ma raison
Et
Mon attention.
Le Deity s'offrit à moi. Mes pieds chaussés sur le sol. La pierre et l'air. Je n'entendais plus l'océan, mais plus qu'un boom-boom.
Intense.
Puissant.
J'accélérai. Evy disparut. Ma bouche s'ouvrit. Je voulais lui dire de m'attendre, de m'attendre, mais mes mots m'échappèrent.
Je posai un pied dans la Roseraie.
Et l'odeur des roses chatouilla mes narines. L'endroit n'avait pas changé.
Il n'avait pas changé.
Comme moi. Comme si la Roseraie aussi avait été figée.
Figée dans le temps. Dans l'espace.
Des chuchotements. Un léger, très léger rire.
Et le boom-boom explosa.
Ma voix s'échappa cette fois et j'appelai mes enfants.
J'appelais mes enfants parce que je voulais les voir. Je voulais voir Imriel et Kalén. Voir de mes propres yeux qu'ils allaient bien, qu'ils étaient vivants et que je... que je...
Je vis d'abord mon fils. Qui ressemblait à son père. Mais encore plus à Ani.
Edyrm.
Il se tourna vers moi. Presque au ralenti. Et mon cœur explosa.
Il
Explosa
D'amour
Et de peine.
Je me jetai en avant pour le serrer contre moi. Mon garçon. Mon petit garçon.
Ses bras m'enserrèrent. Si fort. Parce qu'il l'était.
Si fort. Si fort.
— Mama. Mama. Mama.
Une rose heurta le sol. Imriel. Un sécateur à la main. Ses grands et magnifiques yeux violets écarquillés.
— Tu es... là.
Oui. Là. Là.
Elle faillit tomber en courant vers nous et je serrais mes deux enfants.
Ma chair.
Mes amours.
Mes enfants. Mes enfants.
— Imriel ? Où es-tu passée ?
Tout s'arrêta. Dans un instant improbable, comme si le temps ralentissait jusqu'à tout arrêter.
Tout.
Et j'entendis les hurlements.
Des Earhjas.
De toutes celles brûlées vive.
Jetées sur le bûcher.
Toutes, toutes, toutes, toutes.
Toutes.
Et là... là... au détour d'un splendide rosier, un fantôme surgit et j'eus peur, peur que tout ça ne soit qu'un rêve durant le Sommeil et que mes enfants ne soient pas là et que moi-même, je ne le sois pas.
— Riv... qa ?
Comment savoir ?
Comment savoir que j'étais Réveillée si elle se tenait là ?
Comment espérer ?
Non. Non. Je ne pouvais pas... je ne pouvais pas Dormir encore. Non, non, non, non.
Pitié. Pitié.
Pas ça.
Mes enfants, mes enfants, les tenais-je vraiment ?
La panique enfla. Elle explosa et je lâchai Imriel et Kalén. Je les repoussai violemment.
Non. Non. Pas ça.
Rivqa avait brûlé avec les autres. Alors pourquoi... pourquoi ?!
Je ne voulais pas croire que je Rêvai.
Non. Tout, tout, mais pas ça.
Parce que le Silence, je pouvais le supporter, je pouvais m'en contenter, mais ça...
Evy. Ma Garde.
Aslander. Lothar.
Tout ça... tout ça...
Un rêve dans le Rêve ?
Je ne respirai plus. Je ne respirai plus. Incapable de prendre une goulée d'air.
In... ca...pa... ble de... de... de...
Je fis volteface, parce que la souffrance devenait intolérable.
Et mes paumes heurtèrent un torse. Des doigts s'enroulèrent autour de mes poignets.
— Noko.
Noko.
Noko.
Noko.
No
Ko.
— Je pensais que j'étais Réveillée. Que la Prison... que la Prison... que... que tout... tout... était... mais elle est là et... elle a brûlé. Et si elle est là, alors personne, personne n'est réel. Et... et tu... tu ne l'es pas non plus.
Pas non plus. Pas non plus.
Ses paumes sur le dos de mes mains. Et je plongeai mes yeux dans les siens.
— Tu ne peux pas rêver. Sinon, comment pourrais-tu t'interroger sur comment vole un avion ?
Je baissai la tête.
Et je suffoquai.
— Je suis vivante. Je suis vivante, Nokomis. Et tu ne Dors plus.
Rivqa, dans mon dos. Contre moi. Je sentais la pulsation du cœur d'Arzhel contre mes doigts.
Sa chaleur et sa présence.
— Je suis vivante.
— Tu as brûlé.
— Mais je suis vivante. Et tu ne...
— Dors plus, termina Arzhel.
Il se recula d'un pas. Et mes mains restèrent suspendues dans le vide. Rivqa me serra plus fort. Et elle le répéta.
Je suis en vie.
Et tu ne Dors plus.
Je suis en vie.
Et tu ne
Dors plus.
Sur les lèvres d'Arzhel, des mots différents. Aucun son.
Juste des mots.
Je t'aime.
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