4.1 | Arzhel
Deity,
Règne de l'Empereur Aran Val'endyr.
Nous ne revenions pas tout le temps ici. À vrai dire, depuis qu'Aran avait ramené la nouvelle Princesse, je tentais vainement de ne pas revenir trop souvent. Parce que sinon certaines personnes le remarqueraient.
Et je ne voulais pas qu'on le remarque.
Je ne voulais pas non plus qu'Aslander ne le comprenne.
Je ne voulais pas que les autres le sachent, parce que sinon, cela mènerait à d'autres conversations que je ne voulais surtout pas avoir.
Surtout pas avec le Krig du Fief.
Surtout pas avec le Kaizer.
Encore moins avec le Prince qui semblait perturbé par la présence de sa petite sœur à présent bien en âge de nous faire sentir si elle nous aimait ou non.
Je ne souhaitais pas particulièrement savoir si elle m'appréciait ou non, parce qu'éventuellement, la réputation de ce petit bout de femme la précédait.
D'après les quelques visites qu'Aslander avait faites sans moi, Nokomis Val'endyr répondait à son rang.
Même à son jeune âge.
Je déglutis et essayai de ne pas montrer mon malaise au reste des personnes présentes dans la salle du trône. Aran écoutait les demandes de son peuple d'une oreille un peu distraite, attiré par les petits rires d'une enfant qui se trouvait dans la pièce à côté.
Sakari, la Cheffe des Earhjas apparue avec deux jeunes filles au bout de ses bras.
Je fermai un instant mes paupières quand je sentis mon lycan roulé dans mon ventre.
Comme à chaque fois qu'il entendait le gazouillis d'un rire.
Comme à chaque fois qu'il entendait les larmes d'un cri.
Je rouvris mon regard quand la main de Marcellus se referma très lentement sur mon épaule.
Il ne dit rien, mais je sentis son jugement.
Et je m'en voulus d'avoir repris mon souffle à la vision de cette Princesse miniature.
À l'autre bout de bras de la Grande Cheffe des Earhjas se trouvait une nouvelle frimousse que je n'avais pas encore rencontrée. Aslander m'en avait parlé parce que Nokomis adorait le nouveau petit monstre.
Rivqa Kahane, du même âge pratiquement que la Princesse, se tenait contre la cuisse de Sakari et regardait tout le monde de façon prudente. Elle avait de magnifiques yeux bleus, tout comme la Princesse en avait des violets.
— Kaizer, annonça Sakari.
— Nokomis, l'appela Aran avec un immense sourire.
Marcellus pressa sa main sur mon épaule et je me maudis encore une fois. Pour bien me rajouter la pression nécessaire et me rappeler pourquoi je respirais toujours à cet âge.
Pourquoi j'avais survécu jusque-là.
Et pourquoi l'homme derrière moi m'avait offert une famille. Une famille que je ne voyais pratiquement plus.
Une famille à laquelle je n'avais pas pu m'attacher autant que si Marcellus n'avait pas été dans la balance à me répéter quelle chance j'avais.
Et quels devoirs m'incombaient.
— Père ! le salua Nokomis avec joie.
Il la souleva à bout de bras avant de frotter son nez contre le sien. Tout le monde les observa avec tendresse. Je fus surpris de voir Aran s'approcher de Rivqa et Sakari.
Soudain, je croisai le regard de la Princesse pour la première fois depuis qu'elle était si grande. J'avais en sorte de ne pas la croiser depuis plusieurs mois.
Je ne savais pas à quel âge on prenait conscience de la valeur de la vie.
Je ne savais pas à quel âge on se rendait compte que notre vie pouvait reposer sur la simple décision d'une autre personne.
Pourtant, dans le regard de cette petite fille qui m'observait, je crus voir à quel point elle le sentait.
Ce qui allait nous relier pour le reste de nos vies.
Je ne réussis pas à détourner le regard une seule seconde.
Je ne réfléchissais pas à comment ma vie pourrait tourner si je la lui confiais. Elle était bien trop jeune pour ça.
Le sentiment était bien plus profond.
Bien plus intense.
— Attention, souffla simplement Marcellus dans mon oreille.
Je détournai enfin le regard.
J'attendais Aslander dans le jardin qui avait été créé pour la naissance de Nokomis. Il resplendissait, car la saison était douce en ce moment. Le soleil nourrissait les roses qui commençaient à fleurir. Aslander arriva avec dans ses bras une petite Princesse qui adorait cet endroit. Elle y passait tout son temps.
— Il faut aller chercher Rivqa maintenant, lui ordonna Nokomis.
Il me jeta un coup d'œil amusé.
— Je te laisse avec Arzhel alors ? Tu ne lui fais pas peur hein ?
— Pourquoi je lui ferais peur ? s'exclama Nokomis.
Elle poussa son frère à aller chercher Rivqa. Aslander s'excusa et y alla sans attendre. Nokomis attendit puis me rejoignit à côté du puis. Elle se planta devant moi sans cérémonie.
Je m'agenouillai pour être à sa hauteur. Elle posa une main sur ma joue et son contact fit fourmiller tous mes muscles. Cela éveilla mon lycan qui roula en moi et leva notre main à son tour. Il frôla la joue de la Princesse comme s'il n'en avait pas le droit. Comme s'il devait demander la permission à quelqu'un pour le faire.
— Princesse, murmura-t-il d'une voix rauque.
— Je veux te voir plus souvent, dit-elle soudain.
— Pourquoi donc ? Votre frère n'est-il pas assez drôle à votre goût ?
Elle secoua la tête.
— Ce n'est pas ça, remarqua-t-elle d'une voix autoritaire qui me fit sourire.
— Qu'est-ce donc ?
— Parce que quand je te vois, Arzhel, je me sens bien là.
Elle posa sa toute petite main sur son cœur et ferma les yeux. Son sourire si paisible tira un léger grognement à mon lycan. Ce qui fit sursauter la Princesse.
— Pardon Princesse, soufflai-je avec un raclement de gorge.
— C'est ton lycan ? s'intéressa-t-elle.
— Oui. Lui aussi... apprécie votre présence.
Un sourire s'élargit sur son visage et je fus très heureux de cette réaction.
— Arzhel, murmura Nokomis.
Elle fit un pas de plus et toucha ma joue.
— Est-ce que tu peux venir plus souvent me voir ?
— Je peux essayer, soufflai-je. Ça vous ferait plaisir Princesse ?
Elle hocha la tête. Je me figeai quand elle se fraya un chemin contre mon torse, entre mes cuisses. Sa tête se cacha sous mon menton. L'odeur de ses cheveux me hanterait sûrement jusqu'à la fin de ma vie. Il n'y avait rien de sexuel derrière mes pensées. Juste un profond bonheur à la savoir heureuse.
— Est-ce que tu seras toujours là ? Comme Aslander ? Tu viendras toujours quand j'aurai besoin de toi ?
— Si c'est que ce vous souhaitez Princesse, chuchotai-je.
— Père dit qu'il faut faire attention aux gens qu'on aime parce que c'est eux qui nous donne du bonheur.
Elle appuya sa main sur son cœur.
— Le bonheur c'est ça, c'est ce qu'il y a là. Et toi tu es mon bonheur.
Je souris.
— Ne le dis à personne, soufflai-je, mais tu es aussi le mien.
Il y avait tellement plus que l'idée même du bonheur derrière ce mot et cette sensation qu'elle décrivait.
Il y avait tellement plus pour nous qui vivions dans un peuple où les Anchors représentaient une source de vie.
Une source de sécurité.
Une source d'amour.
Je me figeai quand mon regard capta un mouvement derrière la Princesse.
Sakari m'observa d'un regard sombre là, à quelques mètres.
Nokomis se pressa de nouveau contre mon torse.
— Je t'aimerais toute ma vie, chuchota-t-elle.
Je déglutis quand Sakari s'écarta de la trajectoire de Rivqa qui courrait vers nous. Je dus la rattraper pour qu'elle ne s'étale pas et Nokomis la rassura avec de grands gestes. Je me redressai non sans devoir déposer un baiser sur la joue de la Princesse qui me le réclama avec de gros yeux.
Aslander m'attendait à côté de Sakari avec un petit sourire. Expression que la Cheffe des Earhjas ne partageait pas du tout.
— Mon Prince, j'ai une conversation à tenir avec Arzhel, pourriez-vous l'attendre à la salle du trône ?
Aslander me jeta un coup d'œil rapide, puis fila de là. Quand Sakari parlait, il fallait en général obéir. Personne ne voulait contrecarrer la volonté de la Cheffe des Earhjas.
Marcellus avait forcément parlé.
Je ne fus pas surpris de le voir apparaître au bout du couloir.
— Ce n'est pas ta place, souffla Sakari.
Je regardai Marcellus approcher lentement.
— Tu vas servir son frère pour le reste de ton existence, ajouta Sakari. Tu ne dois pas jamais oublier ça. Jamais.
Je retins mon souffle quand Marcellus enroula son bras autour du ventre de Sakari pour renifler son cou.
— Le Futur Empereur a besoin de toi. Nokomis aura une autre vie, une autre raison de vivre. Et tu ne l'es pas. Tu n'es pas sa raison de vivre, Arzhel.
Marcellus eut un petit sourire et il posa sa main sur la gorge de Sakari. Elle lui grogna un peu dessus.
— Nokomis épousera un autre homme. Elle aidera sa patrie. Et tu devrais l'aider toi aussi. Ne crois pas être libre, Arzhel. Nous ne t'avons pas créé pour ça.
Marcellus relâcha Sakari et la contourna pour se poster devant moi.
— Elle n'est pas à toi. Et tu n'es pas à elle. Comprends-le rapidement. Avant que je ne m'occupe du reste.
— Vous ne pouvez pas lui faire du mal, soufflai-je.
La claque de Marcellus me fit pivoter le visage si fort que je me retrouvais à regarder mes bottes.
— À elle non, mon fils. Mais à toi, si. Et je ne t'ai pas créé pour que tu tombes amoureux.
J'essuyai le sang au coin de ma bouche.
— N'oublie jamais ton rang et tes devoirs, Arzhel. Eux ne t'oublieront pas. Ne donne pas de faux espoirs à Nokomis. Elle aussi a une place à tenir.
Je me redressai lentement.
J'observai mes parents biologiques.
Avec une sorte de dégoût que je ne montrais sous aucun prétexte.
Ne jamais avoir quelque chose à soi.
Voilà la première leçon que m'avait apprise Marcellus.
Mon père.
Celui qui m'avait créé.
Avait-il eu raison de le faire ?
Je n'en savais rien. Mais je ne pouvais oublier cette mise en garde. Car mon seul moyen de rester dans la vie de la Princesse sans la perdre complètement était de jouer mon rôle.
Pour Aslander.
Pour elle.
Pour Nokomis, mon Anchor.
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