2 | Nokomis

Je me rappelais les paroles de Sakari, celle qui avait été une mère pour chaque Earhja du Royaume. Je me rappelais ce qu'elle disait du monde et des changements.

Le temps, cette entité qui ne dépendait d'aucune Divinité, passait et ne s'arrêtait pour personne. Encore moins pour ceux envoyés dans la Prison. Les lycans composaient avec le temps et donc, inexorablement, ils changeaient.

À quel point verrais-je cette différence ? Notre Royaume comptait nombre de lycans et durant notre Sommeil, ils avaient tous continuer à exister.

Qui... qui se rappelait de nous ?

Qui parlait encore des Seekers ?

Mes pieds nus glissèrent sur un rocher et je tombai. Ma robe se déchira et l'espace d'un instant, je ne bougeai plus. Je reconnus l'océan. Et le ciel. Je reconnus l'air sur ma peau et le bruit sauvage des vagues. Mais au loin, cette clameur que je percevais, j'ignorais tout d'elle. Et la peur s'invitait, parce que je craignais de découvrir qu'une époque entière était passée, nous avalant pour forcer tout le monde à nous oublier.

Nous oublier.

Nous effacer.

D'un pays.

De son histoire.

De ses travers. De ses vérités.

De ses horreurs surtout.

Je butai sur les mots aussi sûrement que sur ce terrain. Et je revenais toujours à l'océan. Et à l'eau. Tout ce que je connaissais.

Familier et terrifiant.

Je ne voyais que lui.

Où se trouvait le Deity ?

Où se trouvait l'Empereur, mon frère ?

V... vivait-il encore ?

Combien... combien d'années étaient passé ?

Combien de temps avions-nous été rayé de la carte ?

Qui, qui se souvenait de Nokomis Val'endyr ? Qui se souvenait de la Princesse de ce pays ?

Moi. Moi.

Peut-être avais-je Sommeillé des millénaires.

Et alors, il ne restait plus rien de ce que j'avais connu.

Mes enfants.

Mon frère.

Lothar.

Ma Garde.

Arzhel.

Je tournai le dos à l'océan et avançai. Je marchai. J'ignorai la douleur. Et les doutes. Jusqu'à ce que mes pieds se retrouvent sur une surface plane, d'un noir profond. Humide, mais chaude.

Un bruit étrange. Qui se rapprochait. Jusqu'à ce que mon cœur s'emballe face à...

Ça bougeait.

Non. Ça... roulait. Je restai figée, incapable de comprendre, incapable de savoir.

— Qu'est-ce que vous faites au beau milieu d'la route ?

L'homme qui n'était pas un lycan m'offrit un sourire édenté, jaunâtre. Mes yeux plongèrent dans les siens et avant d'inspirer, je lui volais un peu de son essence.

Un peu de sa personne.

Les mots se heurtèrent dans mon esprit, ainsi qu'un million d'images de ce siècle.

Voiture. Ville. Bourgade. Route. Goudron. Lycan. Humain. Earhja. Empereur. Godar. Koning. Administration. Supérette. Tuer. Manger. Tueur. Sang. Roue. Technologie. Téléphone. Numéro. Avion. Bateau. Meurtre. Assoiffé. Douleur. Maison. Appartement. Rue. Métropole. Monde. Continent. Pays. Histoire. Sauvagerie. Président. Communauté. Climat. Accident. Tuer. Tuer. Tuer. Europe. Amérique. Travail. Boulot. Ferme. Fief. Australie-Occidentale. Kalbarri. Tueur en série. Faim dévorante. Planète. Sphère. Colonisation. Conquête. Guerre. Peine. Tribunaux. Instances. Jugement. Police. Localité. Mode. Vêtement. Jean. Chaussures. Lumière. Alarme. Temps de chien. Voler. Violer. Tuer. Pharmacie. Médicament. Soin. Hôpitaux. Caserne. Pompier. Médecin. Infirmier. Mort. École. Université. Études.

Des mots.

Des mots.

Par centaine. Trop de mots.

Trop de notions.

Une voiture. Grise. Un volant. Un homme. Qui tuait. Ou qui voulait tuer. Je clignai des yeux.

Australie. Australie.

Empereur.

Il existait toujours un Empereur des lycans. Ani ?

Mon souffle siffla dans mes oreilles. Il m'écorcha la gorge.

Australie.

Toujours des lycans.

Un autre siècle. Trop de décennies.

Je laissai l'homme derrière le volant hébété et pris la direction d'où venait la voiture.

Une ville. Des immeubles. Des maisons. Des portes et des couloirs. Des fenêtres et du chauffage. De la lumière. Des routes goudronnées. Des chemins pour se déplacer dans tout le pays. Plus rien ne se ressemblait.

Tout avait changé.

Mais il restait un Empereur.

Et des Godar.

Et les Fiefs. Ainsi que les Konings.

Vestige de mon époque.

De ma lignée. Val'endyr. Val'endyr.

Ani ?

Sa cape. Sa couronne. Des Chevaliers. Arthur.

Arzhel.

Arzhel.

Et je n'avais qu'à tendre la main pour toucher le pelage d'Evy.

Où... où était Evy ? Et le reste de ma Garde ?

Achilles.

Raad.

Shady.

Mera.

Amset.

Evy. Evy.

Et mes deux enfants ? Ma douce Imriel et mon beau Kalén ?

La ville m'avala.

Et je sus.

Que plus rien ne serait pareil.

Que tout était différent.

Et que j'avais Sommeillé des siècles durant.

Plus rien

Ne

Me parlait.

Ces grandes tours.

Ces petites maisons.

Ces voitures.

Ce monde.

Je tournai sur moi-même. Et paniquai. Je ne savais pas où j'étais. Je ne connaissais rien de cette Australie. Je n'étais pas même une lycan.

Juste une Seeker.

Une Seeker dans un monde qui ne voulait pas de nous.

Un rire me parvint et je me tournai, prête à voir mon père. Prête à ce qu'il me soulève dans ses bras.

« — Si l'un de vous deux bougent, je tuerai ton Anchor, ma fille. »

Mes mains sur ma gorge. Mes doigts qui lacéraient ma chair.

— Hé.

Tout se figea.

Moi. Je baissai les yeux pour voir une fillette. Je ne la regardais pas dans les yeux. Pas plus grande que ça. Mais si belle.

Je me vis en elle. À cet âge. Et je me rappelais alors la colère de Kyrianna.

La douce, la monstrueuse Kyrianna Val'endyr.

— Tu es perdue ? me demanda-t-elle.

Per... due ?

— Tu as l'air perdue.

Elle attrapa ma main et je sentis sa peau. Son contact.

Le tout premier depuis l'océan. Et tout me chamboula, me chambarda.

Des larmes coulèrent sur mes joues.

— Je ne sais pas où je suis, dis-je.

Et je tremblai. Parce que je ne connaissais pas ce monde. Et que je n'étais pas sûre qu'il veuille de moi.

— Tu t'appelles comment ? Moi, c'est Zoya.

Zoya. Zoya. Je le répétais dans ma tête.

— Nokomis.

— Tu as le prénom d'une princesse.

J'étais une princesse. J'étais la Princesse.

— Tu as perdu tes parents ?

L'amour de ma vie.

— Qui... qui est l'Empereur ?

Je la vis redresser les épaules. Je la sentis inspirer. Mais...

— Zoya !

Je voulais savoir.

Je voulais savoir.

Où se trouvait le Deity. Et il me faudrait combien de temps pour savoir.

La petite fille tira sur mon bras. Son souffle chatouilla ma joue.

— Il parle à la télé.

Et elle s'enfuit.

La télé ? Un bruit résonna. Le mot se forma dans mon esprit. Klaxon.

Je reculai, me pris les pieds dans les pans de ma robe et je tombai. Ma poitrine se comprima, se compressa. Et l'air se bloqua.

Mes yeux me picotèrent.

Trop de bruits.

Trop de sons.

Partout.

Partout.

Trop. Trop.

Quelqu'un devant moi me parlait. Mais je n'entendais pas.

Je me souvenais de la Prison et du Silence. De la présence d'Arthur. Mais aucun autre Seeker. Juste moi. Avant que tout ne vole en éclat.

Je voulais rentrer.

Je voulais savoir.

Où j'étais.

Et pourquoi. Pourquoi, pourquoi, pourquoi.

Une main sur moi.

Et je hurlai.

Je ne voulais pas qu'on me touche.

Je ne voulais pas qu'on me regarde.

Mais la femme plongea en moi.

Elle

Plongea

Et

Et

Et

Je

La

Brisai

D'un simple

Battement de

Cils.

Je me faufilai

Et l'aspirai.

Je vis son histoire

Et la dévorait

Je devins

Elle

Et puis moi à

Nouveau.

Elle s'effondra sur le sol et je cessai de hurler.

Je cessai de pleurer.

Monstre. Monstre.

Monstre.

TU N'ES QU'UN MONSTRE, IMMONDE PETITE FILLE ! 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top