2 | Arzhel
Ce fut soudain.
Ce fut improbable.
Incontrôlé.
Effrayant.
L'équipe de jour des analystes était revenue et avait pris la suite de leurs collègues de nuit. À cinq heures trente du matin. Comme tous les jours depuis six jours maintenant.
Cela arriva sans un son.
Mais avec un torrent de pluie.
Les inondations que ça créa lancèrent le protocole d'alerte sur tous les territoires.
Des images nous parvinrent en direct.
Des centaines et des centaines de Seekers furent éjectés par l'océan.
Nous fûmes tous témoins de ces plages recouvertes de corps frissonnant.
Des esprits encore sonnés.
Un long silence s'étendit dans le centre de commande tandis que nous, simples témoins, nous observions cette scène.
Puis, le silence fut brisé par un premier coup de téléphone.
Puis un second.
Et un autre.
La ruche fut assaillie d'appels.
L'alarme qui sonnait pour le protocole d'alerte ressemblait à l'alarme des casernes de pompiers, en deux fois plus fort.
Je restai un instant subjugué par tout ça.
Nous n'avions subi qu'une première vague d'apparitions.
Là, nous récupérions tout le monde.
Tous les Seekers qui avaient été enfermés se trouvaient quelque part sur le littoral de notre pays.
Bon sang.
Andrea donna une volée d'ordres à tous les analystes qui appelèrent les équipes sur place.
— Déploie les Godar, soufflai-je.
Je tentai de reprendre mes esprits. Il fallait agir. Il fallait pouvoir héberger tout le monde.
Nourrir. Et Soigner.
Il fallait que les ressources soient envoyées de façon équilibrée et ne pas créer de ruptures de stock.
Andrea posa sa tablette et regarda les trombes d'eau qui recouvraient le pays.
Je pivotai et sortis du centre de commande qui ne possédait aucune fenêtre. Je me mis à courir vers l'une des immenses fenêtres de la salle du trône.
Mes deux mains contre le carreau froid.
— Que se passe-t-il ? murmurai-je.
Je fermai les yeux et pensai très fort à Siobhane. Elle apparut la seconde suivante, une main sur mon épaule.
— La prison n'existe plus, souffla l'Impératrice. Ils sont tous là.
Je retins mon souffle. Tous ?
Je ne sentais rien.
Je ne sentais pas Nokomis.
Les jumeaux l'avaient senti, mais moi je ne sentais rien.
Ce n'était pas possible.
Je devais la sentir.
Je devais savoir qu'elle était vivante.
Et si elle était perdue ? Et si elle avait échoué sur un bord de mer tranchant ? Et qu'elle était seule ? Pire que la Prima était avec elle ?
Je déglutis.
— Puis-je te demander une faveur, Impératrice ? soufflai-je, le cœur dans la gorge.
Elle me regarda de longues secondes sans un mot, puis finit par hocher la tête. Et elle disparut.
J'eus à peine le temps de régler quatre problèmes différents autour des secours que nous devions apporter aux Seekers, quand Siobhane apparut à mes côtés. Je lui tendis ma main et elle me tira à sa suite pour se diriger vers la roseraie. Je savais qu'Evy connaissait les labyrinthes sous le Deity. Des sombres couloirs qui ressemblaient plus à des virages sans fin.
Rivqa et Evy se trouvaient sur le petit banc. Shady arriva en même temps que nous et elle se pressa contre mon flanc. Shady, à la suite de Rivqa, avait pris soin de Nokomis. Sans vraiment remplacer notre Earhja aveugle à l'époque. Elle était devenue une autre soigneuse à l'égard de notre Princesse.
Evy se leva et je vis Raad et Achilles s'approcher à leur tour.
Je pris une profonde inspiration et Evy, du moins sa lycan, se pressa contre mon torse. Sa joue contre mon cœur.
Si j'étais encore vivant, alors peut être que Nokomis aussi.
Je sentis, tour à tour, les jumeaux s'accrocher à mes cuisses. Je tapotai leur tête et caressai leurs cheveux. Evy s'agenouilla pour qu'ils viennent se presser contre elle. Kalén le fit sans souci, mais Imriel revint s'accrocher à moi, le visage blafard.
— Elle est vivante, chuchota la jeune fille.
— Nous pensons qu'elle est vivante, annonçai-je à la Garde de la Princesse.
Je déglutis et fermai un instant les yeux avant de les rouvrir. Amset se tenait à présent derrière Evy. Mera ne pouvait pas sortir du Fief comme ça, même si je me doutais qu'elle finirait par le faire une fois qu'elle aurait les instructions d'Evy.
— Votre Princesse est en danger, grognai-je. Elle est probablement seule et perdue. Elle ne sait pas ce qui doit lui arriver comme la plupart des retours que nous avons des Seekers qui se réveillent.
Je posai ma main sur la tête d'Imriel.
— Vous êtes sa Garde.
Tous se tendirent et m'observèrent.
Ils étaient prêts. Tous.
— Trouvez votre Princesse, ordonnai-je. Trouvez-la et ramenez-la-moi. Car c'est là votre seule raison de vivre.
Evy embrassa Kalén puis me tendit sa main. J'embrassai sa paume et mon lycan regarda la sienne.
— Ramène-moi mon Anchor, Garde, grognai-je.
— Toujours, souffla-t-elle.
Shady et Raad m'enlacèrent et suivirent Evy. Achilles me jeta un coup d'œil avant de lever lentement la manche de son pull. Je hochai la tête. Amset crapahuta sur ses jambes jusqu'à Kalén et Imriel.
— Une idée ? souffla-t-il.
C'était le seul à avoir poser la question.
Et je le reconnaissais bien là.
Il leva son regard sur moi.
— Une idée d'où elle peut être ?
Je ne sentais rien.
Je n'avais aucune sensation de ce côté-là.
Quand elle était partie, quand elle avait été emprisonnée, notre lien était presque complètement ouvert. Il n'aurait tenu qu'à moi de le laisser glisser entre nous comme de la soie. Mais j'avais toujours eu peur.
De ne plus pouvoir m'arrêter.
De la revendiquer.
Encore et encore.
D'en oublier mon poste et ma loyauté.
— Il n'y a qu'un littoral que je ne peux voir, admis-je.
— Thatcher, grogna Amset.
Imriel se détacha de moi et posa sa main sur la joue du lycan. Il ferma les yeux et frémit.
— Je vois la plage, dit-il.
— Toutes les plages se ressemblent là-bas, murmurai-je. Soyez rapide. Courez aussi vite que possible le long de la mer. Faites confiance à votre instinct.
Amset lécha la bouche des jumeaux tour à tour. Aucun des deux ne protesta. Ils avaient été élevés parmi des lycans, sans en être. Ils avaient tout fait pour me rendre fier, moi qui n'étais pas leur père.
Amset disparut.
Je regardai là où Evy et les autres avaient disparu.
Si une personne pouvait retrouver Nokomis à ma place, alors c'était Evy.
Et la Garde de la Princesse au complet.
Je m'agenouillai et pris les jumeaux entre mes bras. Kalén pressa sa joue contre la mienne.
— Je la sens, répéta-t-il plusieurs fois.
Ce à quoi sa sœur fit écho.
S'ils la sentaient, pourquoi moi je n'arrivais pas à la percevoir ?
À peine une heure plus tard, je me trouvais dans la salle de réunion avec différents hologrammes qui représentaient les différents Konings et Krigs de ce pays. Aslander se trouvait derrière moi, son pied battait la mesure sous sa chaise. Il ne cessait de se frotter les mains, inquiet.
Vu la situation, tous les Konings se trouvaient chez eux. Même Thatcher nous faisait l'honneur d'être présent. Il fermait au moins sa bouche pour l'instant. Garder un profil bas était sûrement une bonne tactique pour que je ne vienne pas moi-même le remettre à sa place.
— Nous pensons que tous les Seekers qui se trouvaient dans la Prison sont enfin apparus, annonçai-je. Vous avez reçu des ordres de ma part et je vous prierais de vous y plier de façon drastique. Je ne veux pas d'interférence dans la gestion de cette crise. Nous parlons de vie humaine. Nous parlons de personnes, d'hommes, de femmes, d'enfants effrayés et perdus. Nous ne pouvons agir sans penser aux conséquences que nos agissements. Que ce soit envers ce peuple ou le nôtre.
Plusieurs Konings hochèrent la tête.
Les Krigs écoutaient avec insistance. Ils voulaient déployer leur force, ils savaient qu'ils en avaient la possibilité. Je le savais aussi, mais je ne voulais surtout pas que ce genre d'évènement de crise nous pousse à dévoiler toute notre force.
Personne ne devait être au courant en dehors de notre cercle du nombre de soldats que nous avions. Une information secrète qui ne devait surtout pas atterrir entre les mains de nos ennemis.
— Comment pouvons-nous trier ceux qui doivent être sauvés et ceux qui étaient contre la couronne ? lâcha Acelin. Nous ne savons pas ce genre d'informations.
— Eux-mêmes ne doivent pas forcément s'en rappeler, admit Aslander. Vous sauvez tous ceux qui peuvent être sauvés. Pour l'instant, ils sont fragiles. Et nous avons certaines personnes importantes à trouver avant de nous inquiéter du reste.
— Que vos hommes trouvent les Généraux des Seekers, ordonnai-je d'une voix tendue. Certaines images sont encore disponibles. Je vous ferais parvenir des portraits.
— Tu penses que ce sera suffisant ? s'inquiéta Shiel.
Je ne dis rien pendant quelques secondes.
— Je pense que nous devons agir par ordre de priorité.
— Sait-on si la Princesse est réapparue ? reformula Shiel, histoire de remuer le couteau dans la plaie.
Je déglutis et Aslander vint à mon secours.
— Nous sommes à la recherche des membres éminents qui auraient pu être enfermés à l'époque de la...
— Vous avez trouvé la Prima ? releva Thatcher.
Ani et moi nous figeâmes en même temps.
— Thatcher, reprit Aslander. Content de voir que tu t'inquiètes enfin d'avoir un ennemi de la couronne sur ton territoire.
— Les Godar sont partis aider, se défendit-il.
Je serrai mes poings et les cachai dans mon dos.
Je ne devais pas m'énerver maintenant.
Ça ne servirait à rien.
— Les premiers retours que j'ai de l'état mental des Seekers sont encore mitigés, annonça Gann. La plupart d'entre eux sont encore à moitié endormis, d'autres ont des maux de tête qui leur donnent des crises d'épilepsie. La majorité ne se souvient même pas de leur nom ou de leur prénom. J'ai des enfants qui ne reconnaissent pas leurs parents. Donc impossible de les identifier non plus.
— Il nous faut des registres. Quelque chose sur quoi s'appuyer, insista Shiel.
— Nous pouvons tenter de vous fournir une liste partielle, mais il n'y a pas de photos, répondit Aslander.
Et je doutais même de réussir à sortir des noms de famille des anciens registres dans la bibliothèque. Je me pinçai le nez.
— Et si nous trouvons la Prima ? Ou les Généraux ? Que sommes-nous censés faire ? releva Thatcher.
— Il me semble évident que vous devez agir avec précaution pour capturer ces personnes, repris-je d'une voix forte. Ils ne seront pas faibles, ils ne seront pas sans ressources. Les Généraux, malgré leur possible faiblesse passagère, tueront dès qu'ils le pourront et s'échapperont pour se retrouver.
Un sifflement s'imprégna dans mon oreille et je pivotai pour voir si quelque chose me suivait. Les Divinités avaient tendance à me donner mal à la tête. Pas mal aux oreilles.
Comme si la pression de l'eau me faisait mal.
Je clignai des yeux. De l'eau ?
Je secouai la tête et observai Aslander, inquiet. Il dut voir mon trouble, car il donna plusieurs ordres à tout le monde. Il garda seulement Thatcher en ligne.
— Je veux que tes hommes patrouillent dès maintenant, Thatcher. Ne me force pas à me répéter. C'est clair ?
— Très clair, Kaizer.
Et il raccrocha. Ani s'approcha de moi immédiatement et posa sa main sur mon épaule. Il l'enleva et plia ses doigts plusieurs fois.
— Ton lycan est instable, souffla-t-il.
— Je sais, admis-je.
J'avais même sûrement un peu de fièvre, mais ce n'était pas la première fois. Ni la dernière, j'en étais un peu près persuadé. Et mon lycan tournait tellement dans ma cage thoracique que mon aura devenait piquante. C'était la raison pour laquelle Aslander avait retiré sa main de mon bras d'ailleurs.
— Arzhel, commença-t-il.
Je secouai la tête et posai mes mains sur mes hanches.
— Thatcher nous cache quelque chose, repris-je. Et je n'aime pas ça. Il faut le surveiller. S'il venait à mettre la main sur la Prima, je ne suis pas qu'il...
— Tu crois qu'il va nous trahir ? murmura Aslander.
Je frottai ma légère barbe et poussai un soupir.
— C'est une possibilité, Empereur, répondis-je, dépitée.
— Qu'as-tu fait de la Garde de Nokomis ? me demanda-t-il de façon abrupte, mais honnête.
Je haussai mes épaules.
— Ils sont sa Garde, Ani. Si quelqu'un doit la retrouver, alors ils sont les meilleurs placés.
— Et toi ?
Il fut à quelques centimètres de moi.
— Moi ? relevai-je, sans chercher plus loin.
— Ton lycan rampe sous ta peau comme un serpent à la surface de l'eau. Prêt à mordre sa proie à la première occasion.
— Je ne vais mordre personne, soufflai-je. Hormis Thatcher lui-même s'il continue à me courir sur le haricot. Cinq jours sans un seul rapport et il n'envoie ses hommes que maintenant. Des hommes qui t'appartiennent. Il ne fait aucun effort et n'obéit même plus. Je ne peux pas laisser passer ça une fois de plus sans réagir, Ani.
Aslander continua de m'observer comme si je venais de vomir sur ses chaussures.
— Vraiment, insistai-je, les dents serrées.
— Je ne parlais pas de ça, remarqua-t-il.
Je regardai les écrans de télévisions à gauche de mon bureau, accrochés au mur.
Toujours aucune nouvelle.
— Arzhel, insista Aslander.
— Et si elle ne se souvient plus de rien ? murmura mon lycan, sans me prévenir.
Un silence. Aslander à nos côtés.
— Et si elle ne se souvient plus des jumeaux ? De toi ? De nous ?
— Nous ne savons pas les dégâts sur leur psyché. Nous devons attendre.
Je déglutis.
Et si elle ne se souvenait de rien ?
Pas même de son propre nom ?
De ses propres enfants ?
Et si elle ne se souvenait pas que nous étions son Anchor ?
Nokomis.
Nokomis...
Noko... mis...
Noko...
Reviens.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top