16 | Nokomis


— Pas de folie, souffla Aslander, la mine sombre.

— Tu veux dire comme se retrouver devant la Prima sans renfort ? répliquai-je, mi-sérieuse mi-moqueuse.

Nous ignorions quand ce moment viendrait, mais ça arriverait. Forcément. Et quelque part, nous devions nous y préparer du mieux que nous le pouvions.

— Tu ne m'aides pas à relativiser, gronda-t-il.

— Je sais bien, mais tu dois rester ici pour préparer le possible sommeil de tout le monde.

Une ombre passa dans son regard.

— Tu sais que j'aimerais éviter cela. Dis-moi que tu le sais.

— C'était mon choix, Ani. Le mien ; ma peine, pas la vôtre.

Et pourtant.

— J'aurais juste aimé ne pas entraîner Arthur dans tout ça.

Ni Yvain. Et maintenant, nous attendions tous leur réveil. S'ils se réveillaient... d'après Merlin, ils le feraient. Elle n'aurait pas laissé son Roi faire si elle avait su qu'il en mourrait. N'est-ce pas ?

— Sois prudente, s'il te plaît.

— Je ne peux pas te le promettre, avouai-je.

Il me serra contre lui, un long moment, avant d'enfin me relâcher. Lorsque je me tournai, Rivqa et Erzes apparurent accompagnées de deux Earhjas. Ce n'était ni Ashika, ni Ansara. Une prochaine fois peut-être. Tamsyn ne se montra pas. Je savais à quel point elle abhorrait l'idée de laisser sortir les guérisseuses. Je comprenais sa peur, mais les temps changeaient et nous ne pouvions plus nous reposer sur nos acquis. Pas alors qu'une guerre arrivait.

Nous devions pouvoir compter sur tout le monde. Absolument tout le monde.

— Suivez les ordres, leur dit Aslander, inquiet. Vous ne sortez pas un pied si on ne vous l'ordonne pas, je suis bien clair ?

Je vis Arzhel arriver, vêtu sobrement, mais avec les distinctions évidentes de sa position et de l'Empereur qu'il servait et qu'il servirait toute sa vie. Mes yeux glissèrent sur ses hanches et je vis une épée glissée dans un fourreau. Un pommeau que je connaissais par cœur.

L'épée d'Edyrm.

Imriel le talonnait. De très, très près.

— Je veux venir ! tonna-t-elle. Je suis prête.

— Non, dit-il, tu ne l'es pas. Pas encore.

Ils dévalèrent les marches, Imriel mécontente de la réponse d'Arzhel. Forcément. Je n'interviendrai pas dans leur querelle : c'était Arzhel qu'elle était allée voir, pas moi. Qu'elle que ce soit sa décision, je me rangerai de son côté.

Il fit volteface et Imriel faillit se cogner contre lui.

— Tu te penses prête, mais ce n'est pas encore le cas, Imriel.

— C'est injuste.

— Je serais le père le plus fier lorsque tu te battras à mes côtés, petite fille, mais pas encore.

Pas encore.

Il l'embrassa sur le front et s'éloigna. Imriel croisa ses bras sur son ventre, le visage baissé. Arzhel et Ani échangèrent quelques mots dans un chuchotis rapide et dehors, je découvris une partie de ma Garde ainsi que quelques hommes et femmes du Deity. Nous partions bien escorter en tout cas.

Shady, Achilles et Amset se trouvaient déjà du côté de chez Acelin, préparant le terrain pour notre venue. Je sentais les miens un peu stresser à l'idée de se rapprocher autant du territoire de Thatcher. Mais rester ici n'était pas une option. D'ici quelques jours, Aslander et le Prime annonceraient le sommeil de tous ceux qui ne pourraient se battre. En attendant, Arzhel et moi partions au front.

Je montai dans la voiture, Evy avec moi. Arzhel ne tarda pas à se glisser sur la banquette avec nous, silencieux et contemplatif.

— Elijah et les siens nous rejoindront si besoin, dit-il.

Je hochai la tête et les voitures démarrèrent pour prendre la direction de l'aéroport où nous attendait notre avion pour rejoindre plus rapidement Acelin.

— Qui sont les Asashins d'Hedda ? m'enquis-je alors.

Ce fut Evy qui répondit avant Arzhel.

— Des espions. Ils sont moins repérables que les Godar. Des lycans entraîner à collecter des informations et à tuer si nécessaire.

— Ils sont très doués dans leur domaine, ajouta Arzhel. Hedda aime les avoir auprès d'elle d'habitude.

— Est-ce qu'elle... va bien ? soufflai-je.

— Elle devient doucement, mais sûrement comme Evy.

Oh.

Une lycan sans humaine. N'était-ce pas risqué de la garder à son rang de Koning ?

— Comment est-ce arrivé ?

— Certains lycans s'étiolent avec le temps, répondit Arzhel. Le déclin d'Hedda a commencé il y a presque une décennie. Depuis, son second interagit avec nous. S'il s'avérait qu'Hedda ne puisse plus occuper son poste, il deviendrait Koning à sa place. Mais nous n'espérons pas en arriver là. Hedda est une bonne Reine et sa loyauté à ton frère lui a toujours été acquise.

Je jetai un coup d'œil à Evy. Un animal dans un corps humain. Un potentiel et des limites. Mais Evy ne gouvernait pas. Alors il n'y avait rien de comparable avec Hedda.

Perdre une partie de soi... Evy était trop jeune pour s'en souvenir lorsque c'était arrivé, mais la Koning ? Quelles douleurs éprouvait-elle au juste ?

Quel degré de folie expérimentait-elle ?

— Tu crois que c'est douloureux ?

Arzhel me regarda et sembla réfléchir.

— Je pense que... tu dois ressentir un grand vide lorsque ça arrive. Le pire de tous.

Pire que l'absence de son Anchor ?

Nous arrivâmes à l'aéroport et tout le monde prit place à l'intérieur. Les armes furent déposées dans un coin pour ne pas gêner les mouvements et le trajet ne fut pas aussi long qu'attendu.

Chez Acelin, nous fûmes accueillis par ses gens et amenés dans sa demeure. Il régnait, dans cette partie de l'Australie, une drôle d'ambiance. Acelin et Lothar avaient travaillé d'arrache-pied pour suivre les ordres de leur Empereur et du Conseiller.

Humainement, cela avait dû représenter un travail titanesque, mais Acelin semblait aussi compétent que je le pensais, quand bien même je le connaissais peu. Son Krig avait déployé une partie de son Contingent et des siens sur le territoire pour prévenir une quelconque amorce d'attaque. Nous ne devions pas être pris par surprise.

D'où cette tension que l'on sentait chez tout le monde. Je ne fus pas surprise, mais contente au contraire, de découvrir que le compagnon de Rivqa se trouvait chez Acelin. Seddik Soto. Il n'allait pas la laisser loin de ses yeux, surtout pas en cette période si trouble et dangereuse.

Acelin me salua avec chaleur et réserve. Oui, il était jeune et avait encore cette fougue propre à son âge. Mais il restait d'une maturité surprenante et je comprenais mieux le choix de mon frère.

Sa demeure était simple, loin d'un château ou d'une villa à la Lothar. Ses gens le respectaient et l'aimaient. N'était-ce pas l'apanage d'un bon souverain ?

Le Krig d'Acelin se trouvait là, ainsi qu'une partie des Asashins envoyer par Hedda. L'autre moitié se trouvait chez Lothar.

Tous portaient la même marque sur le front et une tenue identique. Ils me mirent mal à l'aise. Arzhel et les autres parlèrent tactiques et stratégies une bonne partie de la journée et je pus me rendre là où les Seekers qui voulaient se battre se trouvaient.

J'en connaissais certains. Je fus contente de découvrir leur visage, de sentir leur férocité à l'égard de celle qui n'était plus capable d'être leur Prima. Erzes et une des jeunes Earhjas nous accompagnèrent ainsi que ma Garde, qui se déploya comme elle savait si bien le faire.

Le soir, je retrouvai Arzhel dans la chambre octroyée par Acelin. Nous restâmes un long moment allongé à ne rien faire, à ne rien dire.

Juste à nous effleurer.

Juste à profiter du temps qui nous était imparti.

Je ne lui demandais pas pourquoi il avait choisi l'épée d'Edyrm.

Parce qu'au fond de moi, je le savais.

Le lendemain, il partit avec Acelin, ainsi qu'un cortège bien fourni. Pour ma part, je retournai voir les Seekers, pris en charge par des soldats du Contingent ainsi que Piers, l'un des Neuf d'Aslander. Ce dernier avait placé les siens avec soin, partout en Australie. Achilles fut celui qui resta à mes côtés quand les autres disparurent à la vue de tous.

Beaucoup des miens savaient se battre. Ils avaient été entraînés, ou ils avaient usé de leur pouvoir pour ça.

Qu'importait le prix à payer.

La relative tranquillité de l'endroit explosa soudain sous une vague de magie.

Puissante.

Elle nous percuta.

Presque sans prévenir. Mais cela ne voulait pas dire que nous n'étions pas prêts. Quelque part, Arzhel avait su que ce moment viendrait.

Tout comme moi.

Et là, sous nos yeux, la Prima accompagnée de deux Aclayris. Certainement les pires.

Artesidas et Morrow.

Ainsi que d'autres Seekers et des lycans. Ceux de Thatcher. Ceux de Kairos.

Le Contingent se mit en branle sans attendre, ces hommes et ces femmes entraînés pour ça une partie de leur vie.

— NOKOMIS !

Le hurlement de la Prima. Les Aclayris se mirent en mouvement et sans surprise, visèrent ma Garde.

— Vas-y, soufflai-je à Achilles.

Il me regarda un instant. Et finit par s'éloigner. Ma génitrice marcha tranquillement à mon niveau, sans se presser.

— Ce qui est puissant doit être dévoré, dit-il. C'est une règle naturelle chez nous, Seeker.

— Le Sommeil t'a affaibli.

— Les miens me nourrissent, ma fille.

— Pourquoi m'as-tu laissé à Aran au lieu de me prendre avec toi ? demandai-je.

— Une erreur. Une regrettable erreur. Tu t'es trop attachée à un peuple qui n'est pas le tien. Et à cause de ça, jamais je ne pourrais te laisser ma place.

— Je n'en veux pas.

Je la sentis essayer d'entrer en moi.

Essayer de me voler.

— Il doit toujours y avoir une Prima, petite Princesse.

Je n'eus aucun mal à la repousser. Je soufflai sur elle comme un fétu de paille.

Il y eut une explosion non loin de moi et cela détourna un instant mon attention. Ses ongles s'enfoncèrent dans mes joues. Jusqu'au sang.

— Je t'utiliserai pour les faire ramper. Tous, jusqu'au dernier.

— Jamais.

Yeux dans les yeux.

Pouvoir contre pouvoir.

— Nous sommes la magie, le pouvoir, nous existons pour équilibrer.

Équilibrer quoi ?

— Je sais ce qui te retient, ce qui t'empêche d'embrasser ton pouvoir. Un lycan.

Dans le ciel, un aigle.

Cashel. Il piqua vers le sol avant de redevenir homme, deux lames dans les mains.

— Tu n'as pas choisi le bon endroit pour attaquer, Prima, dit-il.

— Je suis exactement là où je veux être.

Je sentis Arzhel. Comme je le sentais toujours.

Je sentis Acelin et les siens.

L'odeur du sang et de la mort.

Elle voulait frapper fort.

Son sourire. Elle me repoussa comme si je ne valaissoudain plus rien à ses yeux et se tourna vers Arzhel qui dégainait l'épéed'Edyrm. 

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