16 | Arzhel


Nous étions un petit groupe dans un coin du Deity où j'allais parfois méditer. Tout comme la roseraie de la Princesse, il y avait un petit coin d'eau. Le son qui s'écoulait lentement me donnait toujours une impression de paix intérieure.

Je glissai mes mains dans mes poches de pantalon et repoussai légèrement la longue veste que je portais qui frôlait mes chevilles. Merlin avait glissé ses pieds dans l'eau et jouait doucement avec. Siobhane était assise non loin de la Mage. Elles se tenaient al main discrètement, mais j'avais bien vu que Siobhane tentait de soutenir son amie.

Devant moi, debout, fier, se trouvait Aloysius. Le frère de Siobhane. Le père d'Elijah.

Celui-Qui-Brûle.

— Vous êtes sûrs de ça ? marmonnai-je.

Aslander qui faisait les cent pas à côté de moi n'osait même pas regarder Aloysius. Ce dernier hocha la tête.

— Merlin est assez puissante pour tenir la distance. Donc oui, nous pouvons endormir tout le monde. Ton petit Marcheur de rêve peut leur offrir une aventure ou une prairie pour qu'ils ne se sentent pas abandonner dans le vide.

Je posai mon regard sur le dos de Merlin. N'aurait-elle pas pu offrir ça aux Seekers ? Je déglutis pour éviter à ma culpabilité de me donner des envies de meurtre. Ce n'était pas le moment.

— Ler en est capable ? soufflai-je.

— Demandons à l'intéressé, rétorqua Ani.

Ler apparut rapidement. L'empereur avait dû l'appeler. Il s'inclina quand il aperçut Aloysius qui lui fit un petit sourire aguicheur. Je fis la moue.

— Voir ma famille réunie me rend magnanime, m'expliqua-t-il, une main sur mon épaule.

Je m'écartai d'un pas. Nokomis creva la surface du petit lac et poussa un soupir. Elijah, lui aussi à moitié immergé, l'aida à reprendre conscience de son monde.

— Ça t'a fait du bien ? lui demanda-t-il d'une voix douce.

— Je crois oui, répondit mon anchor.

— L'eau est froide. Ne restez pas trop longtemps, répéta Siobhane pour la troisième fois.

Visiblement, l'eau faisait du bien à Nokomis. Même si c'était plus une exposition à un ancien traumatisme qui lui permettait de survivre au choc post-traumatique qu'elle expérimentait. Comme si le fait d'être dans l'eau, immergée, lui rappelait assez la Prison pour que ça la rassure.

Je récupérai le peignoir de bain épais et l'ouvris pour permettre à Nokomis de s'y réfugier. Elle ne portait qu'un maillot de bain une pièce d'un beige très doux. Elijah disait que la pression de l'eau sur le cerveau de Nokomis lui ferait du bien. Même si pour moi ça la confortait dans la position qu'elle avait eu dans la Prison. Je refermai le peignoir sur ses seins et lui frottais le dos pour la réchauffer. Elle grelotta un peu, mais éventuellement ses lèvres reprirent un peu de couleur.

— Nous pourrions même étendre la protection aux enveloppes physiques, ajouta Merlin, un peu ailleurs.

Aloysius m'observa un instant avant de hocher la tête.

— Ils seraient protégés corps et esprit de la guerre, souffla le Mage.

Je pris une longue inspiration et souris quand le nez froid de Nokomis se pressa contre mon cou.

— Ils ne seraient pas coincés dans le Vide n'est-ce pas ? demanda Nokomis.

Elle ne cessait de nous le demander pour s'en assurer.

Ce fut Merlin qui se redressa, la main de Siobhane toujours dans la sienne.

— Non, Princesse. Ils ne seraient pas coincés dans le Vide.

Ma main sur la nuque de Nokomis, mon regard sur Merlin, je laissais transparaître ma colère. Merlin ne cessait de descendre dans mon estime et elle remonterait difficilement. D'abord les jumeaux, et maintenant cette idée que Nokomis aurait pu avoir autre chose que le vide autour d'elle.

Sa main sur ma joue me poussa à la regarder.

— Tout va bien, murmura-t-elle.

Je sentis ma prise sur sa nuque qui était un peu plus forte que je l'aurais voulu. Je relâchais lentement mes doigts. Le regard de Nokomis brillait. Mon pouce frôla sa bouche.

— Il serait sage de ne pas agacer le Conseiller, Myrddin, ricana Aloysius.

Merlin secoua la tête avant de se détourner.

— Rentrons avant que tu n'attrapes froid, dis-je.

J'embrassai sa joue avec tendresse et sentis le regard des autres. Nokomis enroula son bras autour de ma taille et me laissa la guider.

Je surveillerais Merlin. À chaque mouvement.

À chaque respiration.

Je n'avais plus confiance.

Elle nous cachait tellement de choses.

Cela faisait plus de quatre jours que nous n'avions rien qui nous venait du Palais de Thatcher. Personne ne bougeait ou ne respirait là-bas. De notre côté cependant, nous préparions la suite des évènements. Le sommeil de la population. Humaine et Lycans. Et même Seeker pour ceux qui supportait l'idée de retourner dans un sommeil imposé.

Nous étions dans la salle du trône avec Nokomis, Siobhane et Aslander quand Rivqa débarqua d'un pas sûr au bras de Raad. Je fus surpris de voir qu'à sa suite, il y avait d'autres Earhjas. Visiblement, c'était une discussion à tenir à plusieurs.

Je jetai un coup d'œil interrogateur à Ani qui haussa ses épaules, curieux lui aussi.

— Riv, je t'ai déjà dit que le sujet était clos ! s'écria Tamsyn. Nous n'avons pas besoin de poser la question.

— Tam, je t'aime, et je te respecte, mais j'aimerais rouvrir ce débat.

Ashika me jeta un coup d'œil excité. Elle trépignait sur place, à peine retenue par Ansara et Amicia. Je haussai un sourcil et m'approchai de Rivqa.

— Faut-il que nous ouvrions une requête ? demandai-je.

— Pas besoin, trancha Tamsyn.

— Si besoin, rétorqua Rivqa au même moment.

— L'une après l'autre, annonça Aslander.

Je regardai Shady et Erzes qui discutaient à voix basse, visiblement dans un débat elle aussi. D'autres Earhjas plus vieilles s'invitèrent au fur et à mesure. Nous nous retrouvâmes avec les trois quarts de nos effectifs d'Earhjas présents dans la salle du trône.

— Tout ce monde est-il nécessaire ? m'enquis-je.

J'observai le regard agacé de Tamsyn sur Rivqa. Rivqa haussa ses épaules. Elle sentait qu'il y avait du monde, mais cela lui importait peu.

— Au moins, nous aurons l'avis général.

— Je suis la Cheffe, je suis censée prendre les meilleures décisions pour vous, remarqua Tamsyn.

Raad me jeta un coup d'œil l'air de dire, ça n'a pas bougé depuis quelques heures.

— Nous approchons d'une période de guerre. Sans compter les dégâts du Sommeil sur les Seekers qui semblent avoir de vrais dégâts psychiques, il va sûrement y avoir des besoins en termes de soins physiques si des affrontements ont lieu.

Je regardai Ani et penchai la tête vers Nokomis qui écoutait attentivement Rivqa. Nokomis avait toujours eu un œil de loin sur les Earhjas. C'était aussi pour cette raison que la perte avait été aussi difficile à accepter.

— Exprime tes désirs sans retenue, Rivqa, la rassura Aslander.

— Je pense qu'il est temps d'envoyer les Earhjas sur le front s'il y en a le besoin. Et je suis sûre que nous serons utiles avec les soldats. Vous ne pouvez pas garder nos pouvoirs ici, au Deity. Cela empêcherait de soigner les soldats sur place, ou d'aider les Seekers qui ont choisi de se battre à vos côtés.

— Je ne suis pas d'accord, contra Tamsyn. Pour toutes les raisons qui sont en tête de liste depuis des années.

— Il est peut-être temps de réfléchir à d'autres solutions, Tam, répondit Nokomis. Les Earhjas sont des personnes très utiles pour la population lycan et Seeker.

Mon regard fut attiré par un mouvement incessant sur ma droite. C'était Hachi qui gigotait sur place. Elle avait ses deux mains l'une contre l'autre pour me supplier de dire oui. J'eus énormément de mal à retenir mon sourire.

— Les Earhjas sont vulnérables et n'ont pas de conditions physiques pour se battre, s'emporta Tamsyn.

— J'en ai moi ! s'écria Rivqa.

— Moi aussi ! ajouta Ashika.

Elle s'approcha de Rivqa qui tendit sa main pour tapoter sa tête. La jeune Earhja, qui était comme une fille à mes yeux, haussa ses épaules.

— Si nous faisons des équipes avec des membres de la Garde sur place ou des membres de Fief qui ont reçu un entraînement adapté, nous ne serions jamais sans sécurité sur le terrain.

— Joshua est-il au courant de cette demande ? m'enquis-je.

Elle pinça ses lèvres et retint un sourire.

— Peut-être, admit-elle.

Tamsyn la fusilla du regard et soupira.

— Il faut que ce soit sur la base du volontariat, ajouta la Cheffe. On ne peut forcer personne.

Shady haussa un sourcil. Tamsyn était un peu de mauvaise foi sur ce plan-là vu qu'on forçait les Earhjas d'une certaine façon à rester ici. Je pivotai vers l'attroupement d'Earhjas.

— Faisons un rapide sondage. Qui d'entre vous seraient prêtes à aller sur les premières lignes pour aider des soldats ou des Seekers ?

La plupart des mains se levèrent, sauf chez les toutes jeunes qui ne connaissaient que le Deity et qui n'étaient pas forcément prêtes à quitter la sécurité de nos murs.

Tamsyn pivota pour voir les réponses et se décomposa.

Je pivotai vers Nokomis.

— Princesse, dis-je, voudriez-vous aider Rivqa à contacter les Krigs pour savoir quel serait leur besoin en accompagnement médical sur le terrain ?

— Avec plaisir, Conseiller, répondit Nokomis.

Je pivotai vers Tamsyn.

— Il est peut-être temps de voir les choses autrement, soufflai-je.

Juste avant l'annonce de l'Empereur et du Prime, il y eut comme un étrange silence sur le pays. Comme si tout le monde retenait son souffle pour voir ce qui allait se passer. Tout le monde écouta les arguments de chacun. Le Prime nous contacta très rapidement à la suite de cette annonce, car il avait reçu beaucoup de messages dès forces de l'ordre humaines, qui se joignaient au combat.

Je marchai dans les longs couloirs du Deity pour rejoindre Nokomis quand soudain, deux voix qui me parurent familières attirèrent mon attention. J'avais encore les mots du Prime et du Kaizer en tête qui annonçait une potentielle guerre, ou du moins des affrontements. Rien n'était caché au peuple. L'annonce d'un quelconque moyen qui pouvait protéger les familles était étrangement bien reçue. Comme si les gens attendaient de nous à ce que nous ayons une solution pour les protéger de ce qui allait arriver.

Je me dirigeai vers les deux personnes qui discutaient tranquillement dans la salle d'armes. Je pris le temps de bien voir de qui il s'agissait.

Liam. Et Dogan.

Une étrange paire.

— Tu penses vraiment pouvoir entourer l'Australie entière ? grogna Dogan.

— Je pense que tu as raison sur un point. Les dimensions parallèles à notre monde sont multiples. Notre propre dimension, chez les Chasseurs, n'est pas la même que celle du Temps du Rêve dont tu parles. Il y a peut-être quelque chose à en tirer.

— On parle de quoi ? Invisible aux avions ? À toutes traces d'ondes ? Les nouvelles technologies sont une plaie.

— Je parle de tout, grogna Liam. L'Australie entière sera muette. Rien ne filtrera.

— Ce serait une solution, admit Dogan.

Je secouai la tête et continuai mon chemin. Quand ils seraient prêts à me faire part de leurs idées, alors ils viendraient à moi. J'étais presque arrivé à mes quartiers quand Aslander déboula sur mon passage.

— Tout va bien ? m'inquiétai-je.

— Oui. Bien sûr pardon. Aurais-tu quelques minutes à m'accorder ? J'aimerais discuter.

J'acquiesçai et le suivis sur un des nombreux balcons qui entouraient le Deity, souvent cachés aux yeux de tous. La nuit commençait à peine à tomber. Demain, il y aurait sûrement des décisions de prises et bien sûr, nous lancerions certaines choses. Nous devions encore faire quelques agencements et peut-être même permettre aux Earhjas de prendre part à tout ça. C'était un nouveau pas. Acelin et son Krig allaient nous recevoir pour engager une procédure là-dessus demain si tout allait bien. Nokomis avait arrangé ce rendez-vous et j'avais accepté d'y aller avec elle, même si en vrai, elle aurait très bien pu le tenir seule. Elle devait reprendre certaines missions qui lui tenaient à cœur. Cela lui ferait le plus grand bien.

— C'est à propos de Siobhane ? soufflai-je. Quelque chose ne va pas ?

— Non. C'est à propos de Mamaragan.

Je me figeai. Nous avions tous appris à vivre avec ce petit garçon qui nous donnait presque l'image d'un couple royal heureux avec un enfant. Mais ce n'était qu'une façade. Mamaragan n'était pas le petit garçon de Siobhane et Aslander. Et avec la guerre qui arrivait, ce projet ne se lancerait sûrement pas entre eux. Quel dommage. Ils semblaient si compliqués autour de l'éducation de Mamaragan.

— Il va redevenir un Dieu, murmura Aslander.

Je pressai doucement son épaule. Je savais qu'Ani avait développé un instinct... presque paternel pour le jeune garçon.

— Vous l'avez aidé que vous avez pu, dis-je avec tendresse. Il a pu apprendre beaucoup de vous. Je sais que tu tiens à lui, mais c'est aussi une bonne chose qu'il retourne chez lui.

Aslander hocha la tête avant de se redresser et de me regarder.

— Il nous aidera. Si une bataille se lance, il sera à nos côtés.

— Une tempête ou deux sur nos ennemis ne devraient pas être de trop, admis-je avec un sourire.

Aslander eut un petit rire et regarda le ciel qui grondait au loin.

— Vous allez chez Acelin demain donc ? Pour les Earhjas ?

— Les Asashins d'Hedda sont chez Acelin. Du moins une partie. Acelin leur a parlé de ce petit duo qu'on pourrait former entre une Earhja et un Asashins. Vu qu'ils sont plus nombreux que Ash et Rasler. Et que tes Neufs vont être très occupés, je me suis dit que glisser l'idée à la Princesse n'était pas idiot. Deux Asashins se sont portés volontaires.

— Tu envoies Hachi ? ricana Aslander. Elle est plus prête que jamais.

— Je pense qu'Ashika a déjà sa paire qui est prête, remarquai-je avec un clin d'œil. Et Ansara n'ira pas si Ashika reste ici ou bouge sur les premières lignes. Je pensais à Rivqa et Erzes en mentor de deux plus jeunes. Elles savent déjà se battre, donc ce ne serait pas un bon exemple. Je les laisse choisir une Earhja chacune qui est volontaire.

— C'est une bonne idée.

— Ta sœur est d'accord aussi. Merci. L'approbation des Valendyr est toujours quelque chose que je recherche.

Il me donna un petit coup de coude qui me fit rire.

— Elle t'aime énormément, souffla Aslander.

Son regard se perdit encore une fois au loin. Mon cœur se serra pendant un instant. Tant de souvenirs qui remontaient à la surface. Des souvenirs que j'avais enterrés depuis longtemps.

— Si Edyrm avait survécu aux Raids Sombres, tu crois qu'il l'aurait laissé faire ? murmurai-je. Tu crois qu'il aurait accepté qu'elle se mette en danger ?

Aslander se redressa lentement et m'observa avec attention. Je déglutis et sa main me fit pivoter pour que je le regarde à mon tour.

— Nous sommes vivants, ici, à cet instant. Nous ne pouvons changer ce qu'il s'est passé. C'est ainsi et nous devons vivre avec. Nokomis t'aime et tu l'aimes toi aussi. C'est tout ce qui compte. Peu importe votre passé, ce que vous avez fait ou ce que vous n'avez pas fait. L'important c'est que vous vous soyez enfin trouvés.

Je hochai la tête.

Sa main sur ma joue.

— Je te confie ma sœur, Conseiller. Alors, ne me fais pas regretter. C'est bien compris ?

Je ris et l'attirai dans mes bras pour une accolade forcée. Il grogna et me pressa contre son torse.

— Nous survivrons, soufflai-je contre son oreille. Nous l'avons toujours fait.

— Nous avons tant à perdre, murmura Aslander.

— Alors battons-nous encore plus fort.

Je me reculai et pressai mon front contre le sien.

— Jusqu'au bout.

— Et à jamais, termina Ani.

Nous étions une Nation.

Nous étions une meute entière derrière lui.

Jamais il ne tomberait.

Pas tant que je serais vivant.

Pas tant que j'aurais quelqu'un pour qui me battre.

Nous n'abandonnions pas. 

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