15.1 | Nokomis


Deity,

Raids Sombres


Au loin, il n'y avait que de la fumée. Et l'horreur. Des charniers pour brûler les corps et pour que la maladie ne se propage pas trop vite.

Des tas de cadavres.

Des lycans.

Des humains.

Des Seekers.

Surtout des Seekers. Homme, femme et enfant. Aucune distinction. Une boucherie, un carnage. Et moi, autant Seeker que tous les autres, je restais au Deity, protégée, dans des vêtements chauds, dans la quiétude d'un feu.

L'épée d'Edyrm reposait sur mes jambes. Je n'arrivais pas à m'en séparer. Lavé du sang qui la recouvrait lorsqu'Arzhel me l'avait rapportée, j'avais l'impression de lentement dépérir.

J'avais perdu un ami.

J'avais perdu un homme que j'aimais. Et le père de mes enfants. Ces derniers jouaient quelque part dans le Deity, trop conscients de tout ce qui se passait autour d'eux. J'avais été incapable de leur annoncer la nouvelle, mais Arzhel oui.

Droit, fier, abimé.

Si abimé, parce qu'il croyait avoir échoué. Mais échouer à quoi au juste ? À me ramener Edyrm en vie ?

Personne ne l'aurait pu, pas même Aslander en personne.

Pas même moi.

Surtout pas moi. J'étais déjà incapable de protéger mon peuple, alors mon époux ?

Je baissai les yeux sur la lame.

Rivqa.

Père.

Et maintenant Edyrm.

Qui d'autre après ça ? Combien de morts encore avant que tout cela ne s'arrête pour de bon ?

Des bruits de pas attirèrent mon attention et j'avisai Myrddin, vêtue d'une longue cape. Nos yeux se croisèrent et sa voix résonna dans ma tête.

Je détournai les yeux, un haut-le-cœur coincé au fond de ma gorge.

Je pleurais Edyrm. Encore et encore. Je pleurais la quiétude de notre foyer. Et toutes ces années envolées, prises par l'horreur de la guerre.

Notre pays souffrait.

Nos peuples hurlaient.

Agonie.

Douce, douce agonie.

Je ne voulais plus être spectatrice de ma vie. Je ne voulais plus être un simple instrument dans un jeu qui me dépassait.

Je devais agir.

Protéger ceux qui devaient l'être, quitte à...

Quitte à te sacrifier pour cela ?

La voix de Myrddin. Je regardai de nouveau dans sa direction.

— Fais-les revenir, soufflai-je. Tous.

— Il y a un prix à payer, répondit-elle.

— Toute magie réclame un prix. En seras-tu capable ?

Elle ne sourit pas. Il y avait longtemps que plus personne ne souriait ici.

La Grande Purge puis la guerre. Et maintenant, les Raids Sombres.

Un peuple doucement exterminé.

— J'en serais capable, répondit Myrddin.

Je hochai la tête et sa cape claqua lorsqu'elle fit demi-tour et qu'elle quitta la pièce. Je soulevai l'épée d'Edyrm et rejoignit la salle d'armes. Là, j'y laissais l'épée, comme un héritage pour les prochaines générations.

Dont je ne connaitrais rien. Car là était le prix.

Myrddin ne mit pas longtemps à rassembler tout le monde.

Aslander et les siens.

Arthur et ses Chevaliers.

Arzhel et mes enfants.

— Nous n'avons pas le temps de rester là et de bavasser ! grommela Aslander, aussi épuisé que tous les autres.

Je sentais ses limites presque atteintes et sa douleur face à chaque mort.

Sa détresse.

Debout les bras serrés autour de mon ventre, j'écoutai sans comprendre.

— Nokomis ?

La voix d'Arzhel me tira de mes pensées.

Je le regardai et je crois qu'il comprit que quelque chose se tramait. Quelque chose qui pour une fois, il ne pouvait contrôler.

C'était au-delà de sa volonté.

— Il y a eu assez de morts, soufflai-je. Trop d'innocents sont en train de périr pour une guerre qui n'a aucun sens.

Tous les regards convergèrent vers moi. J'avais un poids dans ma poitrine.

Depuis la mort d'Edyrm, je ne parvenais plus à reprendre mon souffle. Il était mort et rien, absolument rien ne me le ramènerait.

— Merlin peut empêcher ça, murmurai-je. Et je veux l'y aider.

Les yeux d'Arzhel s'écarquillèrent et je sentis l'exact moment où il paniqua. Cette fois, il ne s'agissait pas de me marier et de m'envoyer loin de ses yeux. Non, cette fois... cette fois je ne reviendrais pas.

— Que comptes-tu faire ?

— Les endormir, tous. Jusqu'aux derniers Seekers. Les envoyer dans une prison.

— NON ! hurla Arzhel. Je t'interdis de...

— DE QUOI ? crachai-je. De protéger les miens jusqu'au bout ?

— Noko, s'il te plaît, écoute-moi. Tout ça... tout ça te dépasse et...

— J'ai pris ma décision. Je dois le faire.

— Tu as des enfants ! Tu ne peux pas...

— Tu ne peux pas t'attendre à ce que je t'obéisse toute ma vie, Zhel. C'est...trop tard.

Il y eut d'autres cris. Qui appelèrent mes larmes. Arzhel avait peur. Et moi, j'étais terrifiée. Mais quel choix nous restait-il ?

— Noko... Noko...

Il se tenait devant moi, sans me toucher. Parce qu'il se retenait encore.

Qu'il se retiendrait toute sa vie.

— Tu n'y arriveras pas toute seule, souffla alors Arthur.

Chaque Chevalier sembla comprendre, comme Aslander. Il leva une main pour taire les protestations de ses hommes.

— Si Nokomis se sacrifie, alors je ne peux que l'aider.

Ce n'était pas son peuple, et pourtant... à quel point un homme pouvait-il être à ce point honorable ?

Arthur Pendragon l'était.

Aslander tituba jusqu'à son ami.

— Je préfère partir ainsi, mon frère, lui dit Arthur. Sauver ton peuple sera mon dernier accomplissement.

Et il souriait.

Il souriait.

Des cris. Des larmes. Des supplications.

Lothar semblait perdu, hagard.

Imriel et Kalén se serraient contre moi et je leur parlais. M'écoutaient-ils ? Je l'ignorais. Arzhel tenait la main d'Imriel dans la sienne.

Je respirais à peine.

Arthur et Merlin chuchotaient, Aslander, pâle comme un mort, était sur le point de vomir.

Enfermer tous les Seekers.

— J'ai une condition, dis-je alors.

— Non, siffla Merlin.

— Tu n'as pas le choix, gronda Aslander.

Arthur tenta d'apaiser tout le monde, mais comment le pouvait-il ?

— Si je dois les enfermer tous, il n'y aura pas de choix.

La peur, plus présente que jamais. Je serrai Kalén contre moi, incapable de le lâcher.

— Épargne-les, je t'en supplie.

Ce n'était que des enfants.

Merlin m'observa et finit par secouer la tête. Elle cria alors aux Chevaliers de sortir, mais personne ne sembla prêt à l'écouter. Arthur n'eut qu'un mot à dire. Un seul. Yvain fut le seul à rester.

Aslander se retrouva devant moi.

— Je ne veux pas que tu fasses cela.

— Je sais, murmurai-je, mais c'est ma décision.

— Il y a forcément une autre solution.

— Tu crois ?

Imriel se mit à pleurer. Kalén aussi.

— J'aurais aimé passer plus de temps avec toi.

— Tu es l'Empereur, Ani, tu dois penser aux autres avant tout.

Chacun avait à cœur ses intérêts.

Aslander.

Arzhel.

Arthur.

Merlin.

Arthur tira Excalibur de son fourreau et je sursautai. Aslander attrapa ma main. Il me sourit. Et je marchai vers Arzhel pour lui laisser Kalén qui tenta de rester avec moi.

Nous n'échangeâmes aucun mot.

Nos yeux disaient tout.

Je t'aime.

Je t'aime.

Et je t'aimerais toujours.

— Allongez-vous.

Je regardais Arthur et sa façon de se tenir. Il me sourit. Chaleureux, réconfortant.

Aslander m'attira dans ses bras.

— J'aurais voulu être un meilleur frère.

Je me retrouvai au sol avec Arthur. Yvain se trouvait de l'autre côté, incapable d'abandonner son Roi.

— Est-ce que ça va faire mal ? demandai-je dans un souffle.

— Tout ira bien, Princesse, murmura Arthur.

— Je t'envoie dans une prison, Princesse, le corrigea Merlin. Ça fera mal. Pour toujours.

Je déglutis.

Fière et droite.

Droite et fière.

— Ça sauvera notre peuple, dis-je. Ça le sauvera.

Aslander pleura, ma main dans la sienne. Il la ramena contre sa joue. Je n'avais pas la force de le regarder.

Ma Garde m'en voudrait-elle ?

Et Evy ? Oh, Evy...

— Allons-y, ordonna Merlin.

J'inspirai et hochai la tête.

Aslander refusa de prendre Excalibur lorsque Merlin la lui tendit. Ils parlèrent, mais je n'écoutai pas. Merlin s'installa au niveau de la tête d'Arthur. La magie grandit autour de nous, jusqu'à remplir tout l'espace.

Le froid se glissa sous ma peau.

Un froid étrange.

Je le fais pour mon peuple.

Je le fais pour sauver tout le monde.

Un instant, je voulus voir Arzhel, plonger dans son regard.

Mais la seconde suivante, un hurlement mourut à l'orée de mes lèvres.

J'entendis un hurlement. Celui de mon Anchor.

Je me retrouvais... ailleurs.

Un lieu désert, Excalibur fiché dans le sol, Arthur face à moi. Aucune trace d'Yvain.

— C'est pour le mieux, n'est-ce pas ? soufflai-je.

Arthur eut un drôle de sourire.

— Sois forte.

Et c'est là que tout commença.

Pour ne jamais s'arrêter. 

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