15.1 | Arzhel


Australie,

Les Raids Sombres,


La pluie ne cessait de tomber et d'assombrir un peu plus nos pensées. Cela faisait déjà plusieurs mois que les Raids Sombres nous laissaient sans répit. Nous tuions pour protéger. Nous tuions pour éliminer toutes les menaces qui pesaient sur notre nation.

Malgré ça, malgré toutes nos bonnes intentions, nous continuions de tuer des enfants et des femmes. Des hommes qui n'étaient pas des soldats. Qui n'avait rien demandé.

Gauvain frissonna à mes côtés et grommela, le visage presque dans le feu pour se réchauffer. Même nous lycans, nous finissions par avoir froid. Du moins, le manque de nourriture et notre éloignement avec Aslander ne nous aidaient pas à garder une chaleur corporelle importante.

— J'en ai marre de cette bouillasse, grommela Bohort. Quand est-ce qu'on rentre au Deity ?

— Bientôt, soufflai-je.

La cape que je portais était lourde et trempée. Mais elle me donnait un semblant de protection. Assez pour que je puisse passer au-delà de la sensation de froid que je connaissais rarement en tant que lycan.

— Des nouvelles du Lord ? demanda Arthur.

Depuis deux longs jours, nous tentions de rallier la position de Lord Edyrm, qui avait pris une vague d'attaque d'une grosse force de Seekers sur le flanc Est de son territoire. Même si mon envie de faire demi-tour était puissante, j'étais la main droite d'Aslander depuis trop d'années maintenant. Je devais faire mon devoir. Et cela faisait cinq solstices que les jumeaux fussent nés de leur union, à Nokomis et lui. Alors, je ne pouvais plus prétendre à quoi que ce soit. Je devais faire ma propre route.

— Non. Aucun éclaireur que nous avons envoyé n'est revenu, chuchota Bedivere comme une très mauvaise nouvelle.

C'était de mauvais augure, je ne pouvais le nier. Mais la pluie nous avait ralentis. Il n'y aurait eu que moi, nous serions déjà sur le territoire du Lord, mais les hommes étaient épuisés et tentaient difficilement de rattraper leur sommeil.

— Il faut partir à l'aube, annonçai-je. Nous ne pouvons les laisser sans aide une journée de plus.

Arthur hocha la tête, tout comme les autres Chevaliers présents. Ils n'étaient pas tous là. Nous avions des fronts différents à tenir et cela n'était pas simple du tout. Je me trouvais avec Arthur, Gauvain, Bohort et Bedivere. Les autres étaient placés côté ouest du royaume. Les attaques des Seekers étaient vicieuses et ils n'hésitaient pas à décimer des villages entiers de lycans sans défense. Parfois, ils laissaient les Seekers vivre. Parfois, ils tuaient même les leurs. Nous ne pouvions laisser la Prima faire plus de dégâts qu'elle n'en avait déjà fait.

Quand le soleil apparut à l'horizon, nous entendions des cris au loin. Des cris d'agonie. Des fumées s'élevaient au-dessus des champs en flammes. Tout brûlait.

Nous nous arrêtâmes devant cette vision d'horreur.

Le village entier était en flammes.

Je savais que la demeure d'Edyrm n'abritait plus la Princesse depuis les débuts d'affrontement, mais les autres nuages de fumée au loin m'apprirent qu'elle ne devait plus exister.

— Trouver le Lord ! hurlai-je.

Arthur lança l'attaque quand je talonnai mon cheval pour qu'il élimine la dernière distance. La peur commençait à s'enrouler autour de mon torse. Edyrm ne devait pas mourir.

Il ne devait pas laisser Nokomis et les jumeaux seuls.

Nos chevaux heurtèrent les premiers Seekers qui tuaient des villageois sous nos yeux. Je tranchai la tête d'un homme et sautai à bas de ma monture. Je me jetai dans le champ de bataille qu'était devenu le territoire du Lord.

— Edyrm ! criai-je, désespéré de voir son visage.

Si j'avais pensé désirer voir le visage de cet homme une fois dans ma vie, je n'y aurais pas cru. J'aperçus un de ses soldats à quelques maisons de moi, mais déjà, une lame trancha la tête du malheureux. Les yeux rivés au sol, je laissai mes oreilles faire le reste.

Nous ne nous battions pas les yeux dans ceux des Seekers. Selon leur niveau de puissance, ils pouvaient nous arracher une partie de notre vie et je n'étais pas prêt à oublier certaines personnes ni certains moments de mon existence.

Des cris me firent pivoter. Arthur m'appela pour que je n'y aille pas seul, mais je fonçai à travers les cadavres et débouchai sur une petite place qui avait dû être l'endroit où les villageois se réunissaient.

L'Aclayri se battait contre Edyrm.

La Prima avait su que l'époux de Nokomis se trouvait ici. Et elle avait fait envoyer un de ses Généraux !

— Edyrm ! hurlai-je de nouveau.

Son attention ne dériva pas des pieds de son ennemi. Je dus tuer deux Seekers de plus avant de les atteindre.

— J'ai droit à deux personnes royales ! s'écria l'Aclayri avec un rire tonitruant.

Edyrm était assez loin de lui pour jeter un coup d'œil dans ma direction.

— Comment se porte la Princesse Nokomis ? A-t-elle reçu la visite de la Prima ? Et les jumeaux, Lord, sont-ils des petits Seekers ? Vont-ils rejoindre nos rangs ?

— Jamais ! hurla Edyrm.

Je lui lançai au dernier moment une dague qu'il agrippa pour la planter dans la jambe de l'Aclayri. Toujours mettre à terre ce genre de Seekers. Et enfoncer son crâne dans le sol. Je bondis à mon tour, mais un fouet se referma sur mes chevilles et je heurtai le sol durement.

Je pivotai, mais déjà un Seeker se jeta sur moi, la lame bien en ligne avec mon crâne.

— Arzhel ! cria Edyrm.

Je hurlai de rage avant de réussir à déloger l'enfoiré. En quelques mouvements, je le tuai. Ni plus ni moins.

Un gargouillis me parvint soudain et je me redressai.

Le visage d'Edyrm s'affaissa.

La lame plantée dans son torse brilla.

Et l'Aclayri murmura à son oreille avant de balancer le corps sur le côté.

— NON !

Mon cri déchira l'air, mais déjà je sentis la puissance du Seeker s'infiltrer dans mon crâne quand je croisais son regard violet brillant. Je détournai le mien et laissai mon lycan élever toutes les barrières mentales qu'on avait pour qu'il ne puisse rien voir, rien prendre.

— Tu es fort petit Conseiller. Fort à quel point ? C'est la Princesse qui t'a appris à te protéger comme ça ?

Je regardai le corps d'Edyrm qui tremblait, son sang qui coulait sur le côté. Je vis ses doigts s'agripper à la lame que je lui avais lancée.

Je pris une profonde inspiration et hochai la tête.

L'Aclayri ne comprit que trop tard ma manœuvre.

Je lui fonçai dessus, tête la première.

Edyrm utilisa ses dernières forces pour m'envoyer la dague.

Je heurtai l'Aclayri si fort qu'il bascula en arrière.

Dans un même mouvement, je lui enfonçai la lame dans le crâne.

Le pommeau heurta l'os de sa tempe et la vibration me fit lâcher l'arme. De mes poings, je lui défonçai le visage. Je lui brisai les orbites et je lui arrachai ses yeux.

Le souffle court, le corps douloureux, le cœur brisé, je pivotai pour voir Edyrm lutter contre le trou béant dans sa poitrine.

Je me laissai tomber à côté de lui.

Il agrippa mon poignet. Du sang coulait de son nez et de sa bouche. Le bruit de ses poumons était atroce. Il n'arriverait bientôt plus à respirer.

— Sois un lycan jusqu'au bout, Arzhel, cracha-t-il. Bats-toi pour autre chose que ta culpabilité.

— On va te soigner, grognai-je. Ne meurs pas.

— Idiot, gargouilla Edyrm. Tu seras toujours celle qu'elle aime. Alors, bats-toi pour elle.

Il toussa et du sang gicla sur mon visage.

— Prends... prends soin d'elle... et des jumeaux...

Son dernier souffle balaya mes joues.

Je restai immobile, conscient des derniers cris autour de moi.

Quand une main se posa sur mon épaule, j'agrippai le bras qui allait avec et fus prêt à trancher la gorge au bout de ce bras.

Gauvain murmura mon prénom.

Il regarda le corps de l'Aclayri, puis celui d'Edyrm.

Je m'accrochai au cuir plein de sang d'Edyrm et hurlai ma rage.

Je savais que je perdais du temps.

Que je perdais du temps pour sauver des enfants et des femmes qui se faisaient décimer. Mais je devais lui ramener son époux.

Je devais lui ramener l'homme qu'elle aimait, même si ce n'était pas moi.

Je devais le lui ramener pour qu'elle soit consciente qu'elle était seule de nouveau.

À cause de moi.

À cause de tout ce que je ne faisais pas.

Ne pas protéger Edyrm.

Ne pas la laisser faire sa vie.

Ne pas...

Mon cheval s'immobilisa dans la cour du Deity. Gauvain descendit de la charrette pour aider à bouger le corps d'Edyrm.

Je glissai de ma monture et mes jambes flanchèrent un peu. Ce fut Lothar qui courut jusqu'à moi pour me retenir. Je le repoussai, l'épée d'Edyrm contre mon torse.

Lothar émit un bruit quand il vit le cadavre.

Je relevai mon regard pour voir Nokomis, le visage pâle et émacié. Sa robe volait autour d'elle, ses cheveux n'étaient pas attachés et il masquait une partie de son visage.

Mais pas assez pour que je ne voie pas l'horreur qui s'y peignait.

J'avançais laborieusement jusqu'à elle.

Des larmes roulaient sur ses joues.

— Je... je n'ai pas réussi à le sauver, chuchotai-je. Pardonne-moi.

Par réflexe, elle prit l'épée que je lui tendis avant de la lâcher.

Le bruit du fer sur la pierre émit un son strident.

Le silence étouffa bientôt la petite cour.

Puis les sanglots de Nokomis éclatèrent.

Je voulus la toucher, mais elle me contourna et s'approcha du cadavre d'Edyrm. Les jours passés n'aidaient pas à le maintenir dans un état saint et elle se retrouva à reculer à cause de l'odeur.

Shady accourut à son tour et prit Nokomis dans ses bras.

Les larmes de la Princesse n'étaient que d'autres cicatrices sur mon corps.

J'échouai.

Encore et encore. 

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