13 | Arzhel

Je débarquai dans le poste de contrôle au pas de course. L'opérateur qui se trouvait là à cette heure-ci me tendit immédiatement un téléphone pour parler avec Acelin. Ce dernier hurlait des insultes au bout de la ligne, habité par une rage sans précédent. Je l'entendis d'abord donner plusieurs ordres à des soldats, je crois bien, avant qu'il ne se concentre sur moi.

— Ils sont tous en train de fuir, Arzhel ! J'ai un camp entier de Seekers qui vient de passer ma frontière. Ils sont tous mal en point, ils ont faim et ils disent tous qu'ils ne veulent pas subir le règne de la Prima ! Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?

— Ton Krig t'aide ? soufflai-je.

L'inquiétude m'empêchait de reprendre mon souffle. Qu'avait fait Thatcher ? Et Kairos ? La Prima était là-bas et nous la laissions voguer. Avait-elle attaqué des Seekers ?

— Rashan était déjà sur le littoral pour s'occuper des refuges. Il a envoyé une escouade pour nous aider à ralentir le flux de réfugiés, mais ils sont nombreux. Ils disent tous venir d'un refuge qui hébergeait un Aclayri. Qu'il donnait déjà des ordres, des ordres qui lui venaient de la Prima. J'ai aussi un groupe de lycans qui les aident, mais qui ne veulent pas rester sur le territoire de Thatcher. Des rumeurs courent et ils ne veulent pas rester là-bas.

— Conseiller, m'annonça l'opérateur d'une voix basse, j'ai le Koning Naburia sur une autre ligne d'urgence. Il rapporte d'autres mouvements de Seekers et de lycans au sud de l'Australie-Occidentale qui se dirigerait vers son territoire.

Je pris une profonde inspiration.

— Acelin, récupère ceux que tu peux. Ne renvoie personne là-bas. Demande à Rashan de t'envoyer d'autres renforts. Dis-lui que l'ordre vient de moi. Je veux un rapport et un nombre d'ici cinq heures.

Je l'entendis jurer, mais je raccrochai déjà et pris Lothar sur la seconde ligne.

— Ash, où tu vas ? Non. Je te veux ici. Arzhel ?

— Dis-moi, grognai-je.

— Rasler ! cria Lothar. Envoie-les à Takashi. Non. Il est plus au sud. Oui oui ça ira.

Je pressai mon nez de mes deux doigts pour tenter de rester le plus calme possible. Il n'était plus question d'une dizaine de Seekers. Non. Il y avait actuellement une fuite massive de lycans et de Seekers. Que s'était-il passé ? Une autre attaque ? Ou simplement les Généraux de la Prima qui commençait à recruter ?

— Arzhel ! Ils sont plus d'une centaine sous mes yeux. J'ai encore quatre groupes qui arrivent plus au nord du territoire. Je peux les accueillir, mais il me faut du temps pour mettre en place les refuges. J'ai des familles entières avec moi. Je ne peux pas laisser les enfants à la rue !

Je déglutis et appuyai sur plusieurs boutons de la console de l'opérateur. Il comprit ce que je voulais voir et pris la relève. Il me montra plusieurs images à la suite des unes des autres et je compris que nous avions un autre problème. Il y avait eu un mouvement de foule à Perth. La ville de Thatcher. Il me fallait Gaius au téléphone.

— Appelez Gaius, ordonnai-je à l'opérateur.

Il se mit en mouvement.

— Lothar, grognai-je. Fais ce que tu peux pour héberger toutes les familles. Utilisez les gymnases comme sur la côte. Agis comme si tu faisais face à une catastrophe naturelle et que tu devais héberger tout le monde.

— Compris.

— Je veux un rapport et des nombres dans cinq heures, grognai-je.

Il accepta et je raccrochai. L'opérateur ne réussit pas à me mettre en relation avec Gaius, le Krig de l'Australie-Occidentale et je me fis la réflexion que de toute façon, il devait être en train de gérer toute cette merde.

Aslander me rejoignit une heure plus tard dans mon bureau. Je lui fis un débrief complet de la situation et il sembla encore plus inquiet. Nous discutâmes des différentes solutions qui s'offraient à nous et je fis transmettre les ordres très rapidement. Je pensais qu'il allait prendre congé à la suite de notre discussion et vu tout le travail que j'allais avoir, mais non, il resta devant mon bureau.

— Je peux faire autre chose pour toi ? m'enquis-je.

— Oui, répondit-il, immédiatement.

Je me redressai, à l'écoute.

— Que comptes-tu faire concernant ma sœur ? remarqua-t-il.

Je haussai un sourcil à son encontre et retins une moue. De quoi parlait-il bon sang ?

— Ani ? m'inquiétai-je.

Il grogna et se laissa tomber dans le fauteuil en face de mon bureau.

— Je sais, je sais que ce n'est pas le moment ni le sujet. Mais je veux que ce soit clair entre nous : vous pouvez faire ce que bon vous semble, Nokomis et toi. Je ne veux pas que tu penses que vous n'avez pas le droit d'être ensemble ou je ne sais quoi d'autre.

Mon sourcil dut se lever encore plus haut.

— Il y aura toujours un incident, ou des épreuves, ou des gens dans le besoin à partir de maintenant, je le sais, gronda Aslander. J'en ai conscience. J'ai aussi conscience que j'ai peut-être participer au fait que tu n'aies jamais pu te marier avec elle. Une partie de moi souhaite que tu sois celui qui se tienne aux côtés de la Princesse Valendyr, Arzhel.

Je clignai des yeux. Ah. Nous en étions à ce sujet.

— Tu veux que j'épouse ta sœur c'est bien ça ? remarquai-je.

Aslander grogna.

— Présenter comme ça, forcément, ça semble arrangé.

— Je ne pense pas que ta sœur pense à ça en ce moment.

— Je n'ai rien dit pour Pejat.

J'en avais bien conscience.

— Je veux que tu prennes position, Arzhel. Je ne veux pas que tu te perdes de temps à le faire sous prétexte qu'il y a une affaire à gérer. Tu auras toujours des affaires à gérer.

Je me levai et m'approchai de lui. Il se leva et se mit face à moi.

— La Princesse n'est pas encore prête à se marier. Elle revient à peine de la Prison et de son Sommeil. Je n'ai pas l'intention de la bousculer.

— Justement, c'est à ça que je sers. À te bousculer, vieille bique.

Je ne pus retenir un rire, mais Aslander resta sérieux.

— Je sais que si je ne vous pousse pas, vous ne ferez rien. Sous prétexte d'être occupés ou de ne pas vouloir me faire du tort. Mais rien de tout ça n'est une excuse correcte. Tu m'as poussé à me marier avec Siobhane et nous vivions notre histoire comme nous le voulons maintenant. Je ne peux rester sur le côté à te regarder perdre encore du temps. Personne ne sait de quoi demain sera fait. Alors, ne perds plus de temps, mon frère.

Il me pressa contre lui et partit. Je restai surpris de cette discussion, mais elle ne tomba pas à côté de la plaque. Je voulus rejoindre Nokomis et les enfants à la suite de ça, quand Warren me contacta. Une tentative d'acte terroriste avait été avortée non loin de Sydney, il y avait à peine une heure. Des Terras qui profitaient de l'agitation ? Des Seekers envoyés par la Prima ? Ils étaient bien trop proches de nous à mon goût pour se permettre ce genre de choses.

Je réussis enfin à rejoindre ma famille quelques heures plus tard. Ils m'avaient attendu pour manger. Evy se trouvait là elle aussi, avec Shady et Rivqa. Encore une fois, mes quartiers avaient été changés en grand pique-nique.

Imriel s'approcha de moi pour me prendre dans ses bras et j'embrassai sa joue.

— Comment vas-tu ? soufflai-je.

— C'est à toi qu'il faut demander ça. Tu as une tête à faire peur, dit-elle, sérieuse.

Je frôlai sa joue de mon pouce.

— Ne t'en fais pas. Je vais m'en sortir. Comme toujours, n'est-ce pas ?

Nokomis vint réclamer un baiser et serra sa fille contre elle avant de nous tirer vers le repas. Evy semblait ailleurs et regardait beaucoup Nokomis bouger, à gauche, à droite. Je la surveillai du coin de l'œil tout le long du repas.

Imriel, pencha sur moi, sa tête contre mon épaule. J'embrassai sa tête et elle ronchonna. Elle n'avait pas beaucoup mangé et jouai avec sa nourriture.

— Que se passe-t-il ? Pourquoi ronchonnes-tu ? maugréai-je contre son front.

Elle soupira. J'observai rapidement Nokomis et Shady qui discutaient des bienfaits des herbes pour le sommeil. Rivqa tentait de dérider un peu Evy, mais ça ne fonctionnait pas beaucoup. Kalén était plongé dans un livre que je reconnus. Un vieux livre de la bibliothèque.

— Je me suis entraînée avec Ambrose aujourd'hui, dit-elle d'une voix ténue.

Je retins mon commentaire. Je savais qu'Imriel était attirée par le Capitaine de la Garde. Je savais aussi que depuis qu'elle avait retrouvée son corps d'adulte, elle continuait de s'entraîner avec bien plus d'acharnement. Imriel et Kalén n'avaient pas connu que moi au cours de ces derniers siècles. Il y avait eu du monde dans leur vie, comme Dogan, ou encore Raad et Shady qui étaient revenus très souvent les voir. Achilles et Mera n'avaient jamais été aussi proches des enfants que les autres, mais ils avaient tenu à venir régulièrement les voir. Pour ne pas oublier. Jamais.

Dogan avait toujours aidé les enfants, même à leur taille et à leur physique, à se défendre. Mais maintenant, je voulais que l'activité devienne un vrai exercice. Ils ne rencontreraient pas que de belles âmes sur cette terre. Et il était de mon devoir de leur donner les outils pour se défendre au minimum. À mon grand plaisir, Imriel s'avérait très bonne aux arts martiaux. Quant à Kalén, son arme serait son cerveau. Un stratège en devenir.

— J'ai essayé de l'embrasser, admit Imriel après un silence gêné.

Je retins mon sourire, surtout quand je la vis grimacer. Visiblement, ça ne s'était pas passé comme prévu.

— Il a reculé, ajouta-t-elle. Il a dit que j'étais trop jeune. Qu'il n'était pas attiré. Il sait que je suis plus vieille que lui dans les faits ?

— À ses yeux, tu es malheureusement l'enfant qu'il a toujours vu, répondis-je avec une pointe de regret dans la voix.

— Je crois que je suis amoureuse de lui, Zhel, soupira-t-elle. Comment je fais s'il ne veut pas de moi ? Alors que moi, je veux de lui ?

— Avant de te jeter encore une fois sur sa bouche pulpeuse, maugréai-je, apprends à le connaître. Force-le à voir qui tu es vraiment. Une femme belle, accomplie, capable de beaucoup. Et s'il reste indifférent, c'est que tu dois mettre ton énergie ailleurs.

Je pris une minute pour réfléchir à mon discours et grimaçai.

— Je n'aime pas savoir que tu fais tout ça pour un homme. J'aimerais que tu le fasses pour toi, Imriel. Tu es une femme accomplie et si un homme refuse de le voir, alors c'est qu'il n'en a pas envie ou qu'il n'est pas digne de tes sentiments.

Elle grimaça, mais éventuellement, accepta mon discours. Oh, je savais que cela ne l'arrêterait pas. Elle allait retourner voir Ambrose et tenter une autre chance. Elle était aussi têtue que sa mère sur ce point-là.

Je me levai et rejoignis Rivqa et Evy. L'Earhja me fit un câlin avant de filer vers Shady et Nokomis.

Evy me regarda, désemparée, avant d'observer sa Princesse. La lycan semblait vraiment mal à l'aise.

— Que se passe-t-il petite fille ? As-tu fait une bêtise dont je devrais savoir l'existence ?

Evy détourna le regard avec une petite moue. Je pris sa main dans la mienne et la tirai derrière moi pour aller sur le grand balcon. Il y avait un petit vent frais, mais ça irait pour nous. Evy s'installa assise sur le bord du balcon et je me postai en face d'elle.

— Dis-moi, insistai-je.

— Elle ne veut pas de moi, souffla Evy.

Je fronçai les sourcils.

— Tu parles de ta Maîtresse, lycan ? grognai-je.

Elle haussa ses épaules.

— À quoi je sers si elle ne veut pas de moi ? J'ai mis trop de temps à la sauver.

Je tirai sur son menton et elle m'observa attentivement. Rien d'humain dans son regard, seulement de la réaction à l'action qui se déroulait. Elle reculait face à Nokomis, car elle pensait que la Princesse ne voulait pas d'elle.

Encore une fois, une histoire de reconnexion entre Nokomis et sa garde. Tout le monde se heurtait à des murs invisibles qui se nommaient : des siècles.

— Tu veux toujours la protéger ? murmurai-je.

Evy hocha la tête. Sa main se leva et elle joua avec le bout de ma natte. Je tirai une nouvelle fois sur son menton et elle m'observa, son attention peinait à se focaliser.

— Tu veux toujours être le rempart entre elle et le danger ?

— Tu le sais, rétorqua-t-elle.

— Alors, fais-le. Ne t'a-t-elle pas manqué ? As-tu oublié à quel point tu aimais le son de sa voix ? Les histoires qu'elle te racontait ?

Evy posa son regard de nouveau sur ma natte. Elle joua un instant avec, son menton toujours entre mes doigts.

— Lui as-tu dit à quel point elle t'avait manqué ? chuchotai-je.

— Et toi ?

— Je lui ai tout dit, petite fille. Elle a besoin de savoir. Qu'elle n'a pas été oubliée. Qu'elle a sa place parmi nous. Qu'elle n'a pas besoin de trouver sa place, car nous n'avons jamais enlevé celle qu'elle avait.

— Abel, murmura Evy.

— Est un grand garçon et sait très bien se défendre non ?

— Idiot, ajouta-t-elle. Râleur.

Je ris et pinçai son nez. Elle fit la moue.

— Il sait que tu aimes Nokomis autant que tu aimes Ashika. Nokomis fait partie de la meute. Nous devons l'aider et la protéger.

— Distante, murmura Evy.

— Elle a peur de trop vous demander. Elle a peur que tu ... t'occupes moins d'Ashika et d'Abel, si tu es avec elle. Elle se demande si c'est nécessaire que tu la surveilles. C'est vrai.

Je me penchai doucement pour rencontrer ses yeux magnifiques.

— Mais sur qui je vais compter, petite fille, si tu n'es pas mes yeux et mes oreilles autour de la Princesse ?

Evy posa sa main sur mon torse, à l'emplacement de mon cœur.

— Anchor.

Je hochai la tête et pressai sa main.

— J'ai besoin de ton aide, petite fille. J'ai besoin que tu la surveilles quand je ne suis pas là.

Elle glissa de la rambarde pour venir se presser contre mon torse. Je frottai mon nez contre sa chevelure et murmurai quelques paroles en maori. Ce qui sembla la rassurer.

— Elle a besoin de toi, de la Garde, ajoutai-je. Même si elle ne s'en rend pas encore compte. Elle a besoin de vous. Vous êtes sa famille, sa meute.

— Meute, insista Evy.

— Retiens-la, murmurai-je contre son oreille. Retiens-la comme tu as retenu Warren. Comme Hachi. Retiens-la. Ne la laisse pas se perdre.

Evy représentait une personne importante pour moi.

Très importante.

Elle était l'ombre de Nokomis quand je n'étais pas là.

Et pour ça, elle devait continuer de l'être.

C'était ça que d'être un membre de la Garde. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top