12 | Nokomis

Deity,

Règne d'Aslander Val'endyr

Je relevai les jupons de ma robe, prête à en découdre avec n'importe qui ; Aslander, Arthur en personne ou même Arzhel. Surtout Arzhel pour tout avouer. Je savais cet accès de colère futile, tout autant que les autres, mais parfois, je ne pouvais rien y faire. Ça venait par vague, me lécher et m'incendier et il ne restait rien de ma fierté habituelle. Depuis la mort de père, des mois plus tôt, je me sentais à la dérive. Une dérive que personne ne pouvait comprendre, parce que tout le monde ne retenait plus qu'une seule chose du règne d'Aran, le Roi Fou. Mais dans ma tête et mon cœur, malgré les atrocités, malgré Rivqa, malgré... tout, il restait mon père. Et ça me faisait me sentir encore plus mal, si seulement c'était possible. Parce que penser à père, c'était penser à Rivqa, penser à toutes les Earhjas parties en fumée.

En cendres.

Il ne restait qu'une liste de nom. Une simple liste.

Je pinçai mes lèvres et pressai mon pas. Je détestais être la dernière au courant de ce qui se passait au Deity. Je savais bien qu'Ani ne pensait pas à mal : il devait s'occuper d'un pays tout entier, alors sa petite sœur ? Aucun intérêt. Je le savais. Je le savais, mais ça ne m'empêchait pas d'éprouver un fort ressenti face à tout ça.

Je tournai au coin d'un couloir et heurtai quelqu'un.

Au sens propre.

Une main agrippa mon coude pour que je ne tombe pas les quatre fers en l'air et je croisai un regard sombre, pailleté de lumière. Et cette intensité dans toute cette obscurité me coupa le souffle un instant.

— Je suis désolée, soufflai-je, j'étais trop empressée et je...

Il rit et le son me sembla à la fois tranchant et musical.

— Ne vous excusez pas, Princesse, c'est entièrement ma faute. Je crains m'être perdu. Le Deity est... immense.

Il me relâcha et recula de quelques pas avant de m'offrir une courbette distinguée et pleine de respect. Je ne me souvenais pas d'avoir déjà vu cet homme à la cour. Père l'avait-il déjà invité ? Il était plus vieux que moi de nombreuses années, mais le temps semblait l'embellir plutôt que peser sur lui.

— Je suis embêtée, dis-je alors. Vous semblez me connaître, mais je ne peux en dire autant.

Son sourire aurait pu me plaire si mon cœur n'avait pas été entièrement tourné vers un autre homme. Qui s'échinait à m'éloigner de lui, encore et encore.

Toujours. Comme si son devoir résidait dans cette action.

Même si ça nous faisait du mal. À tous les deux.

— Je suis Lord Edyrm, au service de Sa Majesté Aslander Val'Endyr.

— Je ne crois pas vous avoir déjà vu au Deity, messire.

— C'est peut-être la deuxième fois que je viens, Princesse. Mon père... mon père était un fervent défenseur des intérêts du vôtre.

Oh. Je ne sus trop quoi répondre à cela.

— Puis-je vous aider à retrouver votre chemin ?

Pour réponse, il m'offrit son bras. Que j'acceptai avec plaisir. Je savais Evy non loin derrière moi. Comme mon ombre, elle ne me quittait qu'à de rares moments. Edyrm conversa. Il semblait à l'aise. Il semblait d'une gentillesse qui manquait par les temps qui courrait. J'observai son profil et m'interrogeai sur sa présence ici. Aslander devait trouver un moyen de rallier les riches seigneurs à sa cause. Après père, ce n'était pas une mince affaire, même si beaucoup déjà lui avait offert leur loyauté indéfectible. Certains attendaient quelque chose en retour. La politique d'un royaume se jouait le plus souvent dans l'ombre et au petit matin, des décisions étaient prises. Arthur semblait être excellent à ce jeu-là, après tout, il était le Roi d'Angleterre. Parti aider un pays qui deviendrait un allié de taille à long terme. Ainsi, des Chevaliers se trouvaient parmi nous et Arthur passait beaucoup de temps dans la salle du trône avec Ani, Arzhel et Lothar.

Là où se jouait le destin d'un empire. Là où se scellaient des alliances pour la prospérité de notre peuple.

Nous nous arrêtâmes devant la salle du conseil.

— J'espère vous revoir très bientôt, Princesse, dit Edyrm avec un sourire sincère.

— Ce serait avec plaisir, Lord.

Je savais pourquoi Aslander souhaitait me voir. Je savais de quoi il retournait. Merci Evy. Avoir ses yeux et ses oreilles partout dans le Deity m'aidait.

Mon mariage.

Avec un seigneur.

Pour le Royaume.

Je savais qu'Aslander ne m'obligerait à rien.

Je savais que l'idée ne venait même pas de lui.

Bien sûr.



Je dévalai les quelques marches du terrain d'entrainement et les yeux d'Arzhel me harponnèrent. Ma main fendit l'air et claqua sa joue si fort que sa peau imprima la marque. Le silence se fit, juste avant que tout le monde autour de nous ne décide qu'il était temps d'aller vaquer à d'autres occupations. Les commérages commenceraient bien assez tôt.

Je vibrais d'une colère sans nom.

— C'est donc ce que tu veux ? soufflai-je, haletante. Que j'épouse un autre homme pour qu'enfin nous soyons libres l'un de l'autre ?!

Je ne hurlai pas, je ne criai pas. Je n'en avais pas la force.

— Tu me pousses dans les bras d'un autre pour ta bonne conscience, Conseiller ?

Il ne me regarda pas un seul instant. Il ne pipa mot.

— Ne t'inquiète pas, je serais une alliée pour mon frère et un atout pour cet empire. Et si cela signifie épouser un autre lycan, alors qu'il en soit ainsi. J'épouserai cet homme. J'épouserai cet homme en sachant que c'est toi que j'aime et que j'aimerais toute ma vie. J'étais peut-être une enfant lorsque je t'ai dit ça, mais les années n'ont rien changé à cette vérité.

Il serra les poings, jusqu'à faire blanchir ses jointures.

— Je ferais mon devoir, Conseiller. Quoiqu'il nous en coûte.

Même si ça me détruisait à l'intérieur. Même si mon cœur souffrait par avance.

Je ne pouvais pas aller contre la volonté d'Arzhel. Plus il me poussait loin de lui, plus un fossé se créait et un jour, nous serions séparés par un gouffre infranchissable.

Quelqu'un se racla la gorge et Arzhel jeta un coup d'œil dans mon dos avant de ramasser son haut et de partir, sans un mot. Sans un regard.

— Je suis désolé, je ne voulais pas... interrompre quoi que ce soit.

Je fus surprise de découvrir Lord Edyrm, que je n'avais pas revu depuis plusieurs semaines. Il portait une tunique qui lui seyait à merveille. Son épée, glissée dans son fourreau, reposait à sa ceinture.

Je compris alors.

Comme ça, sans avoir demandé de réponses.

Que c'était lui. Sa richesse, sa force militaire.

C'était lui qu'Arzhel souhaitait me voir épouser.

Lord Edyrm.

Alors je ris, je ris, avant de pleurer. Parce que personne ne m'écoutait, pas même l'homme que j'aimais plus que tout.

— Princesse, souffla Edyrm et il fut devant moi.

Il osa me toucher. Il osa attraper mes doigts entre les siens.

— Je souhaite voir votre frère devenir un grand empereur. Le plus grand de tous. Et je veux l'aider dans sa quête. Je souhaite l'aider du mieux que je peux et si cela signifie vous prendre pour femme, j'en serais honoré.

— Vous ne savez rien de moi, crachai-je. Je ne suis ni lycan, ni rien du tout.

Si même ma propre Anchor ne voulait pas de moi...

— Nous pourrions apprendre à nous connaître. Nous pourrions être... amis avant même d'être des époux.

Je le regardais, surprise. Surprise qu'il puisse penser ainsi dans un monde où le mariage revêtait une importance étrange.

Me marier revenait à quitter le Deity. Et à arpenter les terres de Lord Edyrm.

Loin d'Arzhel.

Loin du souvenir de père. Et de celui de Kyrianna.

— Je suis un homme de parole, Princesse. Et je vous jure sur mon honneur que si vous souhaitez que je ne sois qu'une oreille attentive pour vous, alors je le serais.

Je vis la vérité dans son regard. Une sorte de promesse qu'il me faisait déjà, alors même que rien ne nous liait encore.

Et je pensais à Arzhel. Parce que je pensais toujours à lui.

— Vous savez ce qui est arrivé à mes autres... prétendants, Lord Edyrm.

Il se gratta la nuque et m'offrit un sourire quelque peu... crispé.

— Je sais ce qui vous suis, Princesse. Ce qui est dans votre ombre. Je ne représente aucune menace. Je souhaite seulement être votre allié.

— Et mon époux.

Ses yeux pétillèrent.

— L'un exclut-il l'autre ?

— Je ne serais pas un ornement, dis-je.

— Bien sûr que non.

— Et je ne resterais pas à vous attendre gentiment, comme une bonne épouse.

Un sourire joua sur ses lèvres. Il semblait amuser.

— J'escomptai votre présence à mes côtés à chaque instant, Princesse.

— Même lors de réunions où les femmes ne sont pas conviées ?

— Vous n'êtes pas qu'une femme, très chère : vous êtes la sœur de notre Empereur. Vous êtes Nokomis Val'endyr et j'aurais tort de vouloir vous enfermer dans une boîte. Vous traitez comme un joyau ne me servirait à rien.

Mon cœur se mit à battre plus vite et plus fort.

— J'espère que ce ne sont pas juste de belles paroles, Lord Edyrm.

Il s'avança d'un pas déterminé et mit un genou à terre. Je me sentis rougir. Je me sentis stupide.

— Finalement, n'est-ce pas moi qui serais votre ornement, Nokomis ?

— Cela vous déplait-il ?

— Pas du tout.

Il prit ma main et la baisa.

Mes tempes battaient sourdement. Plongée dans le regard d'Edyrm, je ne pensais qu'à Arzhel.

Il se tenait aux côtés d'Aslander pour le seconder, pour l'aider. Moi aussi je voulais aider mon frère.

Et si pour cela il fallait que j'épouse Edyrm, qu'il en soit ainsi. 

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