12 | Arzhel

Règne d'Aran Val'endyr,

— Il faut que tu ailles le chercher, souffla Nokomis.

Elle tremblait et semblait pleurer aussi. Je restai sans bouger, incapable de penser à quoi que ce soit d'autre.

Rivqa était morte.

Toutes, elles étaient mortes.

Elles ne reviendraient pas.

Et notre race s'éteindrait faute d'aide des Earhjas.

Comment allions-nous faire sans elles ? Sans leur savoir ? Sans leur aide ?

— ARZHEL ! cria la Princesse.

Ses mains se refermèrent sur mes bras et elle me secoua, le visage à moitié recouvert de suie. Je clignai des yeux.

— Il faut que tu ailles chercher Lothar ! On ne peut pas le laisser là-bas dans cet état !

Nous avions été relégués dans les quartiers de la Princesse par la Garde qui ne disait plus un mot. Après avoir massacré un nombre de femmes et de jeunes filles aussi nombreuses, moi non plus je n'aurais pas voulu parler.

Je savais qu'il fallait que je cherche quelque chose d'autre derrière tout ce brouillard qui m'empêchait de vraiment réfléchir, mais je ne savais pas quoi.

— Je ne...

Nokomis se rua sur sa porte et la frappa de ses deux mains. On nous y avait enfermés. Je tirai sur mes cheveux un instant et pris une longue inspiration.

Je regardai autour de moi et vis plusieurs habits qui n'étaient pas à Nokomis, mais bien à Tamsyn. Ma gorge se serra avant que je ne comprenne. Tamsyn n'avait pas été là-bas. Elle n'avait pas été brûlée.

Marcellus avait-il... su ?

— Noko, murmurai-je.

— LAISSEZ-NOUS SORTIR ! criait-elle.

Je m'approchai d'elle et posai mes mains sur ses épaules pour la faire pivoter. Elle écarquilla ses yeux, sûrement pour arrêter de pleurer. Mais ça coulait.

— Rivqa est morte, Zhel, chuchota-t-elle. Je ne pourrais plus jamais lui parler. On ne pourra plus jamais être ensemble. Je ne la reverrais plus jamais. Je ne la tiendrais plus jamais dans mes bras...

Son sanglot déchira l'air et je sentis mon cœur se serrer un peu plus face à toute sa détresse. La seule chose qui me permettait de rester stable était de la savoir en vie.

Elle était en vie.

Aran ne comptait pas la tuer.

Il allait garder sa fille.

— Noko, elles n'étaient pas toutes là, soufflai-je, mon front contre le sien.

Ses mains s'agrippèrent à mes poignets.

— Qu... Quoi ?

— Je n'ai pas vu Tamsyn. Ni Shady. Tu les as vues toi ?

Nokomis ouvrit la bouche avant de secouer la tête. Elle enroula ses bras autour de son ventre avant de se laisser aller contre moi. Je la serrai contre mon torse.

— Elles sont vivantes ? Elles sont bien vivantes ?

Un déclic à la porte nous poussa à nous redresser. Nokomis se jeta dessus et quand nous ouvrîmes, nous y découvrîmes Ashelia. Elle semblait vraiment à cran. Rasler apparut à son tour.

— Un Chevalier est arrivé, murmura-t-il.

Nokomis retint son souffle à côté de moi.

— Un quoi ? soufflai-je.

— Lothar a fait envoyer une missive lors de la mort de Sakari, murmura Ashelia. Aslander devrait l'avoir reçue et il devrait être en chemin.

— Il l'est, acquiesça Rasler. Le chevalier en question est un éclaireur. Nous ne l'avons pas fait rentrer dans le Deity. Il se cache avec...

Rasler jeta un coup d'œil à Nokomis.

— Dis-lui, souffla Ashelia.

— Le chevalier se cache avec les Earhjas qui ont survécu. Marcellus les a cachées, mais Rivqa était avec Lothar et toi au moment de l'extraction.

Nokomis haleta et posa une main sur sa bouche.

— Elle aurait dû être avec les autres c'est ça ? conclut-elle avec un nouveau sanglot.

Je la pressai contre mon torse avec force et posai ma bouche contre son oreille.

— Ce n'est la faute de personne, ne mets pas ce poids sur tes épaules je t'en supplie, soufflai-je.

Elle cacha son visage contre mon torse pour éviter les deux regards de Rasler et d'Ashelia.

— Le Chevalier en question dit s'appeler Gauvain, ajouta Rasler. Nous lui avons demandé d'attendre et de ne pas se faire annoncer pour l'instant. Il est d'accord face à la situation actuelle.

— Aslander revient, murmurai-je. Il revient.

Je caressai les cheveux de Nokomis et elle me regarda.

— Il revient. Tout ira bien.

J'aurais aimé pouvoir faire plus, mais j'avais trop peur qu'Aran ne fasse quelque chose de regrettable une bonne fois pour toutes.

— Sentez-vous Lothar ? murmurai-je.

Rasler grimaça, mais hocha la tête. Ashelia détourna le regard.

— Est-il encore blessé ?

— Nous avons tout fait pour qu'il puisse se soigner, même si ce n'est qu'en surface, rétorqua Ashelia.

Je hochai la tête. C'était une première étape.

Une nuit entière passa sans que nous ayons des nouvelles de Lothar, ou d'Aslander qui semblait être en chemin. Les cris d'Aran résonnaient parfois dans tout le Deity. Nokomis commençait à s'impatienter quand la Garde vint nous chercher. Nokomis voulut dire quelque chose, mais déjà une main l'embarquait. Il y eut de mouvement quand mon lycan n'aima pas ça et un des Gardes se retrouva bloqué contre la pierre du Deity. Une de mes lames contre sa gorge.

— Je ne suis pas encore mort et tant que je respire, tu ne toucheras pas la Princesse de cette façon, crachai-je.

— Zhel, souffla Nokomis.

Deux autres épées étaient pointées sur moi. J'aurais pu tous les tuer. Tous. Les uns après les autres.

— Vous irez tous en enfer pour l'avoir aidé à tuer toutes ces femmes, chuchotai-je à l'oreille du Garde.

Il voulut se défendre, mais se figea quand ma lame frôla sa joue et y laissa une perle de sang.

— Donne-nous ton arme, Arzhel, ordonna un Garde plus haut gradé que celui que je venais de pousser contre le mur.

— N'y pense même pas.

— Avec ou sans, il te tuerait, rétorqua Lothar à quelques mètres de nous.

Nokomis repoussa les Gardes pour l'atteindre. Il semblait pâle et il portait encore ses vêtements tachés de sang. Lentement, et d'une main tremblante, il repoussa Nokomis sans un regard pour elle.

— L'empereur attend, dit-il simplement d'une voix enrouée.

Je fis un geste en avant vers le Garde et il recula de peur. Mon lycan ricana avant de nous faire avancer. Il surveilla les arrières de Nokomis jusqu'à notre entrée dans la salle du trône.

Nous nous figeâmes là où nous étions.

Aslander se tenait au milieu, vêtu d'un épais manteau de fourrure. Il avait changé. Physiquement. Il était plus vieux, plus musclé et surtout plus conscient de son environnement proche. La vie avec Arthur Pendragon n'avait pas été qu'un simple repos.

Le roi d'Angleterre était debout à ses côtés, entouré d'une dizaine d'hommes, tous plus armés les uns que les autres. Les Chevaliers.

Je n'avais jamais vu Arthur Pendragon en chair et en os. C'était la première fois. Et il y avait tellement de prestance en lui que j'avais dû mal à rester debout. J'aurais voulu m'agenouiller pour lui rendre grâce et le féliciter de gouverner avec tant de stratégies, de tacts et d'humilité. Tout ce que je voulais atteindre un jour dans ma vie, si Aslander me permettait encore de le faire, malgré ce qu'il venait de se dérouler.

— Ani, souffla Nokomis.

Je la retins un instant avant qu'elle ne coure vers lui. Tous les regards des Chevaliers se posèrent sur nous. Nokomis n'était pas bien coiffée et nous avions tous les deux des tenus qui sentaient encore la suie et le feu. Nos visages devaient porter les traces de notre nuit sans sommeil.

— Je veux parler avec mon fils ! cria Aran. Seul !

Lothar resta sans bouger à côté du trône, immobile et presque sans vie. Aslander voyait que quelque chose n'allait pas. Il avait dû voir les bûchers à son arrivée. Mais nous ne pouvions lui expliquer ni lui parler. Tant qu'Aran ne nous en donnerait pas le droit.

Et nous ne nous étions pas vus depuis trop longtemps pour que j'arrive à lui faire passer un message clair et concis sans aucune parole.

— Nous vous laisserons ce temps si c'est votre volonté, annonça Arthur d'une voix claire. J'attends de vos nouvelles rapidement, Kaizer.

Aran ne semblait intéressé que par Ani. Il le dévorait du regard. Tout mon être voulait embarquer Aslander loin des mains de son père.

Très loin.

Mais je savais aussi, à l'expression qui se dessinait sur le visage d'Aslander, qu'il avait déjà pris une décision.

Sur la suite.

Sur son prochain mouvement.

Il savait qu'Arthur ne l'avait pas ramené ici pour simplement regarder son père devenir fou.

Je forçai Nokomis à me suivre, même si elle luttait.

Le sentait-elle ?

Sentait-elle que c'était la dernière fois qu'elle voyait son père vivant ?

Sentait-elle que c'était une entrevue pour la prise de pouvoir ?

Aslander savait tout ce dont était coupable son père.

Mon regard sur Lothar, qui semblait à deux doigts de vomir.

Aslander qui semblait plus déterminé que jamais quand la main d'Arthur pressa son épaule.

Les Chevaliers bougèrent d'un seul et même mouvement autour de leur Roi et j'enviais cette harmonie et cette symbiose qui se dégageaient d'eux.

Quand les portes de la salle du trône se refermèrent, Nokomis me regarda enfin.

— Il va le faire, n'est-ce pas ? murmura-t-elle.

— Noko, soufflai-je.

— Il va le tuer ?

Un chuchotis. Rien que pour mes oreilles.

Et celles de la dizaine d'hommes d'Arthur Pendragon autour de nous.

Je posai mon regard sur lui, épuisé par tout ce que nous avions vécu.

— Le pouvoir ne doit pas être source de peur, énonça le Roi Arthur. Et un souverain ne doit jamais tuer sans connaître la valeur de la vie. De chaque vie.

À mes yeux, ce ne fut pas long.

Je le sentis.

Ce moment de coupure, presque nette, pourtant remplacer immédiatement parce quelque chose de chaud.

De profond.

Qui s'enroula autour de mon être comme jamais auparavant.

Nokomis tenait ma main et sentit le changement dans la chaleur de mon corps. Elle me laissa la prendre dans mes bras.

Aran était mort.

Et Aslander venait de prendre le contrôle du peuple des lycans d'Australie.

Longue vie à l'Empereur. 

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