12.1 | Arzhel
La colère, la rage, la haine.
Toutes ces émotions que j'avais appris à maîtriser s'éveiller en moi comme des milliers d'étincelles embrasaient une forêt à une vitesse inimaginable.
Nokomis devait presque courir derrière moi pour tenir le rythme que j'imposais à notre marche. Je savais que je ne lui faisais pas mal. Je ne lui aurais jamais fait de mal. Je ne lui ferais jamais de mal.
J'étais celui qui la protégerait.
J'étais celui qui donnerait sa vie pour elle.
Même si je n'en avais pas le droit.
Même si je devais abandonner Aslander pour ça.
Il pouvait vivre sans moi à présent. Siobhane était là pour lui.
Moi, je ne pouvais plus vivre sans Nokomis.
Je n'avais pas sacrifié toutes ces années en son honneur pour la laisser se faire utiliser pour des affaires politiques.
Je ne le supporterais pas.
— Zhel, je t'en prie, calme-toi, haleta-t-elle quand elle trébucha.
Nous étions en plein milieu d'un couloir du Deity. Dans le quartier du Phoenix. Personne ne viendrait nous embêter ici. Je la poussai contre le mur et plantai mon regard dans le sien. Elle me regarda pendant quelques secondes sans rien faire avant de toucher mon visage.
— Il ne m'a rien fait, chuchota-t-elle.
— Inutile, grogna mon lycan. Aucune information de sa part.
— Tu es fâché, comprit Nokomis. Que se passe-t-il ? Dis-moi.
Je secouai la tête, balloté par toutes ces vagues qui réduisaient à néant des années de contrôle, de maîtrise et de paix.
Mais une paix en était-elle vraiment en une lorsqu'elle était imposée ? Je n'en étais plus si sûr.
— Pourquoi as-tu tué cet Aclayri, Arzhel ? chuchota Nokomis, ses mains sur mes joues, plus appuyées.
Je pressai mon front contre le sien et ce fut mon lycan qui répondit. Car lui ne pouvait plus se retenir. J'avais trop demandé de sa personne. J'avais demandé trop de sacrifices et il les avait tous acceptés.
— Personne ne te touchera de cette façon tant que je serais vivant, souffla-t-il.
Le regard de Nokomis se fit légèrement triste. Peut-être était-ce l'émotion. Peut-être était-ce ses regrets qui remontaient à la surface.
Mon lycan ne voulait plus la perdre.
Pour quelques raisons que ce soit.
Et pourtant, nous étions tous les deux, extrêmement conscients de la valeur de son existence.
Et des dangers qui la poursuivaient.
Elle. Nous. Le peuple des lycans tout entier.
Je me forçai à me redresser et repris son poignet entre mes doigts pour la mener à mes quartiers. Elle ne dit rien quand je la fis entrer et que je fermai la porte à clé derrière moi.
Je la contournai et me mis à faire les cent pas.
— C'est toi le stratège, remarqua Nokomis. Tu prends les décisions, mais est-ce que tuer notre informateur de cette façon sans que j'aie réussi à lui tirer les renseignements nécessaires était la meilleure... attaque ?
Je savais que mon geste ne gênait pas Nokomis.
Oh, il gênerait sûrement Aslander. Mais je n'en avais cure pour l'instant.
Je ne pouvais laisser personne faire un seul faux pas en ce qui la concernait. Et je me fis la réflexion qu'elle ne le comprenait peut-être pas encore à sa juste valeur.
Je pivotai vers elle, le torse qui se soulevait à cause de ma respiration à peine contrôlée.
— Tu ne comprends pas n'est-ce pas ? soufflai-je. Tu ne comprends pas l'étendue de la folie qui se cache derrière moi ? Derrière ce corps et cette maîtrise ?
Nokomis pencha doucement la tête sur le côté. Elle ne dit rien. Elle attendait de comprendre. De voir ce qui se cachait derrière mes bonnes volontés.
Ma loyauté.
Ma folie.
— Je t'ai attendu si longtemps, Noko. Crois-tu que je n'ai pas trouvé des stratagèmes pour éviter de devenir fou ?
— Je t'ai déjà vu tuer, Arzhel, remarqua-t-elle. Tu ne me fais pas peur.
En quelques pas je fus sur elle. Elle ne bougeait pas. Son regard resta planté dans le mien.
— Pourquoi ? Pourquoi n'as-tu pas peur ?
— Parce que tu es plus que ton père, rétorqua-t-elle. J'ai raison n'est-ce pas ?
Je serrai les dents. Elle était la seule, avec Aslander et Lothar à savoir ce détail de ma généalogie. Ashelia et Rasler aussi, sûrement. Tamsyn avait toujours su qui était ma vraie mère, mais pas mon géniteur.
— Marcellus est venu ? Il t'a parlé ? Qu'a-t-il dit ?
J'allais pivoter, mais ses mains se refermèrent sur mon haut et elle me força à la regarder. Ses yeux cachaient à peine sa peur de me perdre par sa faute à lui.
— Il ne t'enlèvera pas à moi, Arzhel. Tu m'entends ?
J'enroulai ma main sur sa gorge et pressai mon nez contre le sien.
— Tu comprends maintenant ? murmurai-je. Tu comprends qu'en me prenant, tu acceptes une partie de lui ? Une partie qu'il a forgée et qu'il a laissée là ?
— Tu n'es pas comme lui, murmura Nokomis.
— En es-tu si sûre ? soufflai-je à la Princesse. Je serais prêt à faire beaucoup de choses pour toi. Des choses qu'Aslander ne voudrait pas. Des choses que tu ne souhaiterais pas non plus. Je le sais. Tuez ce Seeker m'a procuré du plaisir. Car je suis le seul à avoir le droit de te toucher.
— Seulement parce que je te donne ce droit, rétorqua-t-elle.
Je relâchai ma prise avec un petit sourire.
Évidemment. Évidemment que c'était elle qui se donnait à moi. Elle était déjà partie une fois. Elle m'avait prouvé qu'elle savait prendre des décisions, peu importe ce que cela nous coûtait. Dans quel but ? Pour me prouver qu'on se retrouverait un jour ?
C'était le cas. Peu importe le temps ou la douleur.
La peine. La souffrance.
Elle était là.
Et je ne pouvais pas la perdre.
Que cet homme l'ait touché ne faisait que me montrer le peu de contrôle que j'avais sur tout ça.
Marcellus avait peut-être raison.
Nokomis serait ma perte.
D'une manière ou d'une autre.
— Si tu veux vraiment de moi, soufflai-je, tu auras tout. Le bon comme le mauvais.
Ses bras s'enroulèrent sur mon torse et elle se pressa contre mon dos.
— Je t'aime, Zhel. Ne l'oublie jamais.
Son amour était ma seule sécurité à présent.
Je sentis le bâton heurter le bras de Kalén. Sa grimace n'en fut que plus grande. Aslander n'était pas venu me voir à la suite du meurtre de Pejat. Il acceptait peut-être simplement la réalité de la situation. Tous ceux qui mettraient Nokomis en danger passeraient sous mon couperet. Qu'il le veuille ou non. Lui qui me poussait toujours plus vers sa sœur, mon anchor, comprenait-il vraiment jusqu'à ce quel point je pouvais aller ? Encore plus loin que pour lui.
— Attention à ton bras, dis-je.
Kalén transpirait énormément et son souffle devenait laborieux. Il n'aimait pas se battre, je le savais et je le voyais de plus en plus maintenant qu'il prenait le contrôle sur son corps d'adulte.
— Je n'aime pas ça, grogna-t-il.
Je remuai mes épaules et levai de nouveau mon bâton.
— Tu n'as pas besoin d'aimer ça, le rassurai-je. Je veux que tu sois capable de te défendre.
— Et de me battre, visiblement, rétorqua-t-il.
Je secouai la tête et l'attaquai. Il para mon coup et s'éloigna juste assez loin pour éviter un retour de bâton dans les jambes.
— Non, assenai-je. Se battre et se défendre sont deux choses différentes. Tu n'y mets pas la force et encore moins la même intention. Dans tes gestes, dans ton souffle, dans ta posture. Tout est différent.
Je tapotai sa tempe du bout de mon doigt.
— Là aussi c'est différent.
— Admets-le, Zhel. Je ne suis pas fait pour ça.
Je souris et tapotai sa joue.
— Personne n'est fait pour ça, Kal, tu dois juste accepter le fait que tu es important. Et que tu fais partie de ma vie. Alors, tu dois savoir te battre.
— Tu entraînais maman ? me demanda-t-il soudain.
Je me figeai un instant. Nokomis et Rivqa arrivèrent à ce moment-là.
— Non, ce n'était pas lui qui m'entraînait.
— Il ne valait mieux pas, ricana Rivqa.
Je haussai un sourcil, mais déjà Nokomis me tendit la serviette pour que je puisse essuyer mon visage et mes épaules. J'avais passé toute ma matinée à suivre les mouvements de Thatcher et tout ce qu'il faisait m'inquiétait. Tout. Et surtout, ce qu'il ne faisait pas. Nokomis n'avait pas encore dormi cette nuit et cela semblait commencer à tirer sur son humeur, tout comme sur la mienne. L'inquiétude était une force toute particulière.
— Raad était celui qui m'apprenait, s'expliqua Nokomis envers son fils. Arzhel n'avait pas le temps, à l'époque.
Je fis la moue et embrassai sa tempe. Elle émit un petit rire. La réalité en était toute autre, mais je ne voulais pas que Kalén le sache. Du moins, je voulais qu'il commence à avoir une image positive du couple que nous formions sa mère et moi. Nous n'étions pas qu'une seule et même représentation de nos sacrifices. Nous étions plus que ça.
Je n'entraînais pas Nokomis dans sa jeunesse, car je n'étais pas autorisé à passer du temps avec elle. Du moins, pas autant que sa propre garde. Et Raad avait été un très bon maître pour la Princesse.
— L'entraînement physique ne m'intéresse pas, soupira Kalén en réponse à une question de sa mère.
Rivqa semblait attentive.
— Je te le répète, Kal, soufflai-je. L'important pour moi est que tu puisses et défendre. Tant que tu sais te défendre, alors, j'accepte que tu passes plus de temps dans la bibliothèque royale.
Il ricana.
— Surtout en sachant qu'il commence à y passer beaucoup plus de temps que toi, marmonna Nokomis.
Je voulus lui mordre l'oreille, mais elle s'écarta juste à temps. Elle finit par embarquer Kalén avec elle pour qu'il puisse se doucher après cet effort. Rivqa frôlait les armes rangées sur le côté de la salle. Il y en avait quelques-unes. De toutes sortes, pour que l'entraînement soit varié.
— Tout va bien ? m'enquis-je.
Je pouvais sentir son énergie contre ma peau. Vivante, perturbée. Rivqa écouta si Nokomis était encore là, mais mon anchor était partie et je crus bon de le préciser à l'Earhja.
— Dis-moi tout, insistai-je quand je la vis grimacer.
— Nokomis ne me fait plus confiance, souffla-t-elle. Enfin, je crois.
— Pourquoi penses-tu ça ?
J'étais surpris et à la fois, je me doutais de tout ça. La Garde me faisait part quotidiennement de leur désir et leur peur en ce qui concernait Nokomis. Cela faisait partie de leur rapport qu'ils devaient me faire, mais aussi la constante surveillance que nous avions envers elle. Pour avoir de longues conversations avec Nokomis elle-même sur tout ça, je savais que le sentiment d'être à l'écart des autres était réciproque. La Garde avait dû mal à nouer un nouveau lien avec leur Princesse, même s'ils en avaient tous envie. Quant à la Princesse, elle avait dû mal à les remettre à la place qui était la leur, car les agendas de tout le monde changeaient. Et même si Shady et Raad, ainsi que Rivqa, faisaient tout pour passer du temps avec elle. Evy, Achilles et Mera rencontraient quelques difficultés à le faire de par leurs autres responsabilités. Je tentais de les réduire pour qu'ils puissent rester avec Nokomis, mais ce n'était pas aussi simple que ça. Et Aslander supportait à peine la présence d'Evy ici, alors, c'était un jeu long et éreintant. Et peut-être que ça influait sur leur interaction à chacun.
— J'ai l'impression que nous n'osons pas aborder certains sujets, admit-elle.
— Comme le fait que tu aies découvert ton anchor ? Et que tu aies vécu toutes ces choses sans elle ?
Rivqa haussa ses épaules et joua un instant avec sa robe avant de revenir vers moi. Sa main se tendit et rencontra mes doigts qu'elle agrippa.
— Il vous faut du temps à tous, murmurai-je.
— Est-ce que tout se passe bien pour vous deux ? chuchota Rivqa. Est-ce que vous acceptez enfin ce qui vous lie ?
— C'est plus compliqué qu'il n'y parait, admis-je. J'ai encore beaucoup de ressentis face à tous les sacrifices que nous avons accepté de faire. Les miens, comme les siens. Mais nous savons tous les deux que nous avons assez perdu de temps.
La main de Rivqa caressa ma joue et elle hocha la tête.
— Tout comme c'est le cas pour toi plus que n'importe lequel membre de la Garde de la Princesse, Rivqa, ajoutai-je avec sincérité. Elle t'a cru morte toutes ces années avant les Raids Sombres. Elle a vécu avec ce fardeau et cette culpabilité. Pour elle, tu aurais toujours dû être avec Tamsyn et les autres. Tu aurais dû survivre. Si elle n'avait pas dû s'occuper de toi...
— Personne n'avait prévu ce qu'Aran serait capable de faire. Personne n'était prêt à subir tout ça.
Un silence, puis Rivqa qui plongea son regard vide dans le mien. Je ne me détournai pas. Pas face à elle. Jamais. Ses doigts frôlèrent mon front, mon nez et les coins de ma bouche.
— Il t'avait menacé ? murmura-t-elle. Ce jour-là ? Il savait pour Nokomis et toi ?
Je déglutis et pris les poignets de Rivqa entre mes mains. Je n'écartai pas sa prise, je souhaitais qu'elle sache mes sentiments et mes émotions.
— Ce n'est pas moi qu'il a menacé le plus, soufflai-je. C'est Nokomis. Elle est mon anchor, mais elle n'est pas une lycan. Je sais que cela la gêne et que ça l'empêche de ressentir certaines... de mes émotions. Mais il savait que Nokomis tenait à moi. Alors, il a joué sur ça. Il n'avait pas d'autres leviers, ni sur elle ni sur moi.
— Sakari le savait aussi.
— Oui. Elle le savait aussi. C'est elle qui nous a interdit de nous lier. Ou de ne serait-ce nous regarder. Je suis heureux que Nokomis puisse compter sur toi à l'époque. Ca a été un déchirement pour elle de te perdre. Elle n'a jamais été la même après ça. Jamais.
— J'aimerais que ce soit comme avant, murmura Rivqa.
Elle se mordit la lèvre.
— Je sais, compris-je. Je sais bien. Mais vous n'êtes plus les mêmes. Et vous n'avez plus à être les mêmes. Parlez-vous, demandez-vous ce dont vous avez besoin aujourd'hui. Toutes les deux. Seulement pour vous deux. Construisez votre relation comme vous le souhaitez, et non pas comme on a pu vous l'imposer à l'époque où Sakari t'a demandé de faire attention à la Princesse. Nokomis a besoin de son amie avant d'avoir besoin d'une Earhja à ses côtés, Riv. Sois son amie.
Rivqa m'enlaça et je lui rendis son étreinte avec tendresse.
Tout le monde marchait sur un fil tendu pour reprendre contact avec Nokomis. Elle-même ne savait pas où donner de la tête ni quoi demander à sa Garde.
Pourtant, pour leur bien-être à tous, ils devaient trouver un nouvel équilibre.
Car ils tenaient les uns et aux autres. Et ils formaient une équipe.
Et surtout, j'avais confiance en eux pour protéger la Princesse à ma place.
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