10 | Arzhel

On ne se souvenait jamais du début d'un rêve. On y atterrissait. Tout simplement. Sans trop savoir s'il y avait un quelque chose avant, ou si on pensait à une personne en particulier. Je pensais toutes les secondes à une seule âme qui était un bout de la mienne. Je savais donc que le partage serait inévitable.

Que ce soit le partage du bonheur.

Ressentir sa joie.

Que ce soit le partage de la tristesse.

Ressentir sa souffrance.

Que ce soit le partage de la douleur.

Ressentir sa peur.

Je m'étais préparé à vivre des émotions à travers elle.

Des souvenirs de ce qu'elle avait vécu, mais rien d'aussi vif. Tranchant. Et si réel.

Ce qui me permettait de savoir que c'était un rêve était l'absence complète de bruit.

Nous avions nommé le silence pour le caractériser comme une absence de bruit, mais un silence pouvait être assourdissant.

Il créait un vide dans nos oreilles qui étaient normalement conçues pour recevoir des sons, de bruit, peu importait la forme et le volume.

Je caressai la tenue que je portais. Un vieux kimono que je portais quand je devais méditer, loin des yeux, loin des autres individus que je connaissais. Loin des lycans.

Pour me rapprocher d'elle.

Pour ne pas oublier qu'elle m'attendait quelque part.

Que je ne devais jamais, jamais oublier qu'elle était emprisonnée.

Et non pas morte.

Je n'avais jamais cessé de penser à elle, mais mes rêves m'avaient fait défaut au bout de quelques années.

Son souvenir s'était effiloché.

Disparu.

Envolé.

Et cela avait laissé un trou béant dans ma poitrine.

Comme un deuil jamais vraiment commencé ou accepté.

Ma conscience m'avait toujours poussé à trouver des moyens de défense, pour surmonter tout ça.

Même si une partie de moi avait toujours espéré qu'elle était endormie à un certain endroit, je savais de ses récits qu'elle avait été très consciente de sa prison.

Qu'elle avait été éveillée. Et qu'elle avait vécu d'une certaine façon dans ce vide.

Dans cet océan de vide.

Je frôlai la barrière en pierre devant moi. Elle était ouvragée avec un style presque chinois si mes souvenirs étaient bons. C'était étrange de voir ça ici. Comme si mes rêves se mêlaient à la prison de Nokomis.

Comme si ma propre prison se mêlait aux rêves de Nokomis.

Sa prison était la mienne et inversement.

Notre lien ne nous permettrait plus jamais de vivre séparément.

Avec lenteur, je passai par-dessus la barrière et laissai mes pieds s'enfoncer dans le sable qui se trouvait là. Je déglutis quand un étrange brouillard se mit à s'élever autour de moi.

Être conscient d'être dans un rêve ne vous permettait pas en général de vous en échapper. Il fallait une grande maîtrise de son subconscient pour réussir à se réveiller dans un rêve aussi vivace.

Je ne désirais pas le faire pour l'instant, même si je m'en sentais capable. Je me mis à avancer sans trop savoir quoi penser de tout ce vide autour de moi. Il y avait juste du sable dès que je posais mon pied devant moi. Le brouillard m'empêchait de voir au-delà de quelques mètres.

Je tentai de rester calme. Je ne voulais pas influencer ce rêve, car je savais que ce n'était pas le mien à proprement parler. Je voulais surtout trouver Nokomis pour la réveiller et la rassurer.

Je me rappelais vaguement qu'elle s'était endormie après... Je ne m'en souvenais plus. C'était flou.

Je remuai mes épaules quand un froid tangible s'agrippa à mes vêtements. Je fis un tour sur moi-même, mais ne vis rien de plus. Je n'entendais toujours rien.

— Noko ?

Ma voix douce et basse résonna autour de moi. Je déglutis quand un bruit de course me parvint de la gauche. Je suivis le bruit sans courir de mon côté. Je ne faisais que marcher.

— Nokomis ? insistai-je.

La course s'interrompit.

Et des murmures commencèrent.

— Ce n'est qu'un rêve. Ce n'est pas lui. Ce n'est qu'un rêve. Ce n'est pas lui.

Je me figeai quand le brouillard se dissipa lentement.

J'aperçus mon Anchor prostrée sur elle-même, les bras autour de ses genoux, accroupie par terre, le bas de sa robe déchirée dans l'eau.

— Noko ? soufflai-je.

Elle ferma ses yeux et pressa ses paumes contre ses paupières.

— Ce n'est qu'un rêve. Ce n'est qu'un rêve. Tu dois te réveiller. Tu dois te réveiller.

Je voulus m'approcher, mais Nokomis se leva et se mit à courir vers le brouillard. Elle disparut brusquement de mon champ de vision. Les battements de mon cœur s'accélérèrent. Ce n'était pas le moment de paniquer.

Je me remis à marcher.

Encore. Et encore.

Je ne croisai pas Nokomis.

Je ne croisai personne.

Il n'y avait rien ici.

Merlin avait-elle choisi l'endroit où elle les envoyait ?

De quoi était faite cette prison ?

Quand le brouillard se leva, je vis au loin, Excalibur.

Au centre de tout.

Comme Nokomis me l'avait raconté.

Une prison qui vous rendait fou au fur et à mesure des secondes passées ici.

Vous ne vous releviez jamais vraiment d'un endroit comme ça.

— Tu n'es pas vraiment là, n'est-ce pas ? murmura la voix de la Princesse.

Je pivotai pour la voir. Elle tremblait, trempée. Ses dents s'enfoncèrent dans sa lèvre. Sûrement pour se blesser, pour que la douleur la réveille.

— Tu reviens toujours à un moment, chuchota Nokomis. Mais tu ne restes jamais. Tu ne restes jamais. Tu disparais à chaque fois.

— Tu fais un cauchemar, Noko, dis-je sans bouger. Il faut juste que tu te réveilles.

— On ne se réveille pas de cette prison, rétorqua-t-elle d'une voix pleine de colère. ON Y POURRIT !

Elle se mit soudain à crier et à se tirer les cheveux.

Je courus vers elle, mais tout bascula.

Je pris une brusque inspiration, comme si j'avais plongé trop longtemps dans l'eau.

J'ouvris mes yeux sur mes quartiers.

Des sanglots me parvenaient, d'abord lointains, puis plus proches.

Des sanglots qui se transformaient en cris.

Je repoussai les draps et ce fut nu que je m'approchai de la salle d'eau qui se trouvait dans mes quartiers. Je découvris Nokomis recroquevillée dans la douche, de l'eau sur elle, sûrement bien trop froide vu ses lèvres presque bleues. J'enfilai un pantalon et attrapai une serviette.

J'entrai dans la douche et posai mon regard sur le corps tremblant de la Princesse.

— N'a...N'approches pas, souffla Nokomis.

Elle fermait ses yeux comme si elle ne voulait pas me voir. Pas me regarder. Je coupai l'eau, ce qui la fit frissonner. Elle renifla et sanglota, ses mains sur yeux.

— Mon amour, murmurai-je.

— Je t'en prie, n'approche pas, ne me force pas à te faire du mal, cria Nokomis.

Son regard se braqua sur moi.

Le violet prenait presque toute la place, comme s'ils diffusaient une lumière. Une lumière qui venait de l'intérieur de son corps. Je soutins son regard, comme je l'avais toujours fait.

Depuis le début.

Depuis son premier câlin.

Depuis la première fois qu'elle m'avait dit, je t'aime.

Depuis la première fois que son pouvoir avait attaqué quelqu'un sans qu'elle ne le souhaite.

J'étais toujours le premier qu'elle voyait de nouveau.

— Tu ne me feras jamais de mal, murmurai-je.

Elle voulut dire quelque chose, mais je glissai mes mains sous ses aisselles pour la sortir de là. Elle ne portait qu'une simple nuisette qui lui collait au corps à présent. Je la lui retirai avec douceur et attrapai la serviette pour l'enrouler dedans. Je la pressai contre mon torse quand elle se remit à sangloter.

— Tu ne peux pas me faire de mal. Je suis toi et tu es moi. Ton pouvoir ne m'a jamais touché parce qu'il me voit comme ce que je suis.

Je la reculai juste assez pour croiser de nouveau ce regard lavande.

— Une partie de toi.

J'essuyai ses larmes et son nez avec la serviette. Mes gestes étaient calmes et tendres et cela sembla rassurer Nokomis.

— Tu étais dans le rêve ? murmura-t-elle.

— J'y étais, acquiesçai-je.

Mes pouces effacèrent les larmes qui s'entêtaient à couler sur ce beau visage que j'aimais tant. Que j'aimais à en mourir.

— Je comprends le vide, soufflai-je.

— Je te voyais tout le temps, chuchota la Princesse d'une voix tremblante. Je te voyais et tu disparaissais à chaque fois. Les enfants aussi. Aslander aussi. C'était une torture. Je le savais. Je le savais que vous n'étiez pas réels et que j'étais seule. Si seule.

— Tu ne l'es plus, Noko. Tu ne l'es plus. Tu n'as plus à l'être. Je suis là. Pour toi. Rien que pour toi. Tu m'entends ?

Elle renifla et hocha la tête en même temps.

— Je suis là, insistai-je. Je t'aime. Tu le sais ?

Elle pressa son nez contre ma gorge et finit par y presser son visage. Je la soulevai dans mes bras et la ramenai dans le lit. Je séchai son corps et ses cheveux. Puis, je la glissai sous les couvertures de nouveau. Je me pressai contre elle et la réchauffai avec ma propre température corporelle plus élevée que la sienne.

— Je t'aime, murmurai-je. Je ne te laisserai plus jamais seule. Tu ne seras plus jamais seule.

Malgré la fatigue et les larmes, elle me demanda de lui parler, de la garder éveillée le reste de la nuit.

Au petit matin, nous étions tous les deux fatigués. Je tentais de garder le cap, mais Nokomis aurait forcément des jours avec et des jours sans. Il fallait juste savoir s'accrocher de façon raisonnable pour tenir lors des marées plus hautes et plus sauvages.

Quand Ani et Siobhane s'installèrent tous les deux en face de nous pour prendre le petit déjeuner, Nokomis se redressa de mon épaule et renifla discrètement. Elle lâcha ma natte qu'elle avait caressée jusque-là et tenta de sourire à son frère qui n'était pas dupe. Siobhane vit très bien nos cernes, mais elle ne releva pas non plus. De toute façon, tant que la magie de Merlin s'attarderait dans le corps de Nokomis, nous ne pourrions rien y faire. Et le sommeil reviendrait quand elle serait prête. Et vu les contenus de ses rêves, elle n'était pas près de se faire confiance pour dormir.

— Je pensais aller voir Gann sur place, m'annonça Aslander.

Nokomis se redressa, curieuse.

— Pour voir les foyers qui ont été mis en place.

Je sentis l'impatience de la femme à mes côtés. Comme si elle se retenait de dire quelque chose. Je lui jetai un coup d'œil et elle haussa ses épaules.

— Noko ? soufflai-je.

Elle soupira, mais ne se recula pas quand ma main s'enroula sur sa nuque.

— J'aimerais y aller, annonça-t-elle. Je veux sortir du Deity.

Je raffermis ma prise et me penchai pour embrasser sa joue. Elle me regarda, inquiète de ma réponse. Même si je voulais qu'elle soit plus stable avant une apparition aux yeux du peuple, je savais que cela finirait par arriver. Je ne voulais surtout pas l'empêcher de faire ce qu'elle désirait, dans la mesure du possible et du réalisable.

— Je veux voir mon peuple, ajouta Nokomis.

— Je sais. Je sais.

Je tournai mon regard sur Aslander. Il nous regardait avec tendresse.

— Je pense que nous pouvons préparer une apparition officielle. Si vous y êtes tous les deux, alors il nous faut vérifier la sécurité de l'endroit où vous souhaitez vous rendre. Mais je ne vois pas d'inconvénient pour le faire dès demain.

— Après tout, la Garde est disponible, remarqua Siobhane. Nous pouvons nous arranger pour vous déplacer aisément.

— Laissez-moi juste le temps d'organiser tout ça, soufflai-je.

Nokomis et moi pivotâmes en même temps vers l'entrée de la salle commune. L'homme qui entra ressemblait beaucoup à un jeune Ani, ce qui me fit sourire. Derrière lui, une femme avec une longue robe. Imriel resplendissait à côté de son frère. Ils possédaient tous les deux le corps qu'ils auraient dû avoir il y avait toutes ces années. Un vrai prince et une vraie princesse, en âge mentalement et physiquement de participer à la vie de la famille royale dans laquelle ils étaient nés.

Ils s'avancèrent tous les deux vers nous. Kalén se pencha vers moi et déposa un baiser sur ma joue. Je n'avais jamais retenu les enfants d'avoir des gestes affectueux envers moi. Même si je ne me considérais pas comme leur père, j'étais pour eux une figure paternelle non négligeable et je tenais à être leur protecteur autant qu'une aide pour tous les deux. Kalén avait longtemps essayé de m'appeler père, mais j'avais refusé. Je ne voulais pas oublier d'où ils venaient. Je voulais qu'ils le gardent en tête toute leur vie.

— Tout va bien ? leur demanda Nokomis quand Imriel se pencha pour recevoir un baiser.

— Vos corps ne vous donnent pas trop de mal ? m'enquis-je, ma main sur la hanche de Kalén.

Il était si grand à présent !

— Encore quelques jours et je pense que j'arrêterais de tomber dans les escaliers, admit-il.

— Il va falloir que vous preniez des cours de combats et d'autodéfense, remarqua Ani. Tous les deux. Si vous voulez sortir du Deity sans que je ne vous colle mes Tricksters aux fesses.

Imriel qui avait une constitution plus fragile que son frère grimaça, mais ne refuse pas en bloc. Je me doutais que la condition aux cours d'autodéfense relevait de l'entraîneur en question n'est-ce pas ? Ambrose saurait l'aider à y voir plus clair dans ce nouveau corps qu'ils devaient prendre en main.

— Ne les embête pas trop avec ça, maugréa Siobhane.

— Zhel, tu es celui qui donne les autorisations pour la bibliothèque ? s'enquit Kalén.

— Oui. Tu as besoin de quelque chose en particulier ?

— Quelques livres sur un sujet que j'aimerais creuser. On peut voir ça plus tard dans la journée.

Je hochai la tête et continuai de l'observer de haut en bas. Il portait une jolie tenue de la Garde. Celle qui donnait des airs de Chevaliers à n'importe quel garde qui l'enfilait. Ce n'était pas une tenue de combat, au contraire. Et il la portait fièrement.

— Qu'est-ce qu'il a ? souffla Kalén à sa mère.

Je regardai Nokomis, surpris, et elle se mit à rire.

— Il est fier, murmura-t-elle à notre fils. Laisse-lui son moment.

Aslander et Siobhane rigolèrent de moi à leur tour, mais je me fichais de leurs bêtises. Kalén et Imriel pouvaient enfin vivre comme ils le souhaitaient. Sans se cacher. Sans faire constamment attention. Sans se retenir d'aimer et de vivre leurs expériences avec d'autres personnes.

Je ne savais pas comment ils étaient restés aussi sains d'esprit tous les deux.

Grâce à toi.

La voix de Nokomis, chaude et tendre, au creux de mon cœur.

Dans ma tête. Qui glissait. S'amusait.

Et me transcendait.

Ma famille allait bien.

Tous étaient avec moi. Je devais les protéger.

Je devais tout faire pour qu'ils soient en sécurité. 

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