1 | Arzhel
Deity,
Je regardai les différents rapports devant moi. Ma concentration semblait s'effilocher à chaque nouveau bandeau d'informations qui s'affichaient à la télévision, sous mes yeux. La gestion de crise était devenue ma spécialité au fur et à mesure des années. Mon travail, ma raison de vivre se trouvait uniquement dans ce poste.
Alors pourquoi mon regard se posait-il à chaque fois sur cette télévision ?
Cinq jours.
Cinq jours étaient passés depuis le retour de Lothar et Ashelia.
Depuis que j'avais vu leur visage inquiet.
Depuis que j'avais lu dans le regard de Lothar un espoir qui n'aurait jamais dû arriver à se forger un espace dans mon cœur.
Je me levai et posai à plat mes deux mains sur les rapports.
— Concentre-toi, grognai-je contre moi-même.
Je contournai mon bureau pour me rendre dans une immense pièce attenante à la salle du trône qui se trouvait aussi être notre centre de commande en cas de crise, mais aussi pour la gestion quotidienne du pays. Il y avait deux fois plus de personnes présentes quand une crise débarquait, comme actuellement.
— Andrea, grondai-je.
Ma seconde ici dans cette grande ruche arriva à mes côtés. Elle ne portait qu'un vieux pull de ses années de Fief, ainsi qu'un jogging. Cela faisait cinq jours qu'elle n'était pas rentrée chez elle, tout comme la plupart des lycans présents ici aujourd'hui. Elle faisait partie des très rares humains sélectionnés sur le volet pour participer à la vie du Fief.
— Je n'ai toujours pas de rapport du côté de Thatcher, Conseiller, souffla-t-elle. Il semblerait qu'il recommence à jouer aux abonnés absents.
— Dois-je envoyer les Godar pour qu'ils réagissent enfin ?
— Il leur dirait sûrement que c'est lui le Koning et qu'il est supérieur aux ordres qu'ils ont reçus.
Je me frottai le nez.
— Essentiel à notre survie hein ? soupirai-je.
— À vous de me le dire, Conseiller, grimaça Andrea.
Tout comme Lothar, elle ne supportait plus Thatcher à différents niveaux. Par exemple, quand il retenait volontairement des informations dont nous avions besoin. Comme la fois où Ashelia et Rasler avaient frôlé la mort dans un camp de Terra qui se trouvaient sur son territoire. Comme la fois où je lui avais demandé les déplacements de Kairos sur son territoire et qu'il avait simplement prétendu ne pas avoir la main-d'œuvre nécessaire pour le savoir.
J'étais celui qui pourvoyait la main d'œuvre, alors je savais très bien qu'il la possédait. C'était juste qu'il ne voulait pas s'embarrasser de tout ça.
Ou pire. Que ça lui convenait de cacher les mouvements d'une personne qui était connue de tous pour être contre la couronne, mais ne faisait jamais les choses lui-même pour ne pas être arrêté. Oh, Lothar savait que je voulais mettre la main sur Kairos à présent.
Il avait été dans cette grotte.
Il avait été prêt à tuer toutes les personnes présentes qui iraient contre Vortigern. Une autre très longue histoire à gérer parmi tout ce qui nous tombait dessus. Aslander semblait profondément inquiet de savoir qu'une si vieille entité telle que Vortigern se montre ainsi. Avec de tels plans, libérer les Seekers.
Ce qui était visiblement chose faite.
Vortigern, placé en ennemi de Merlin et d'Arthur, avait joint ses forces à celle de Cartaphilus pour ouvrir la prison des Seekers. Si tous nous avions cru que la Prison de Merlin n'avait été qu'un piège fumeux pour tuer tout un peuple, nos mentalités prenaient un autre virage depuis cinq jours.
Les questions ne cessaient de s'enchaîner depuis.
La Princesse Nokomis avait-elle survécu ? Était-elle dans ce monde ? Était-elle restée bloquée ?
Tout cela s'appliquait aussi à la Prima des Seekers.
Kairos avait participé à tout ça pour une seule et même raison : libérer cette femme afin de reprendre le contrôle de l'Australie à la place d'Aslander.
Je déglutis et pivotai vers les écrans qui surplombaient la ruche.
Toujours aucune trace.
Ni de Nokomis.
Ni de Vyara.
Je me frottai la poitrine. Mon lycan me faisait mal aux côtes. Il tournait et tournait encore en moi, comme s'il voulait s'échapper. Il voulait se cacher, car il ne sentait rien.
Voilà ce qui nous maintenait éveillés depuis que Lothar avait trouvé les Seekers, qui dérivaient jusqu'à nos plages.
Voilà ce que Thatcher essayait de faire n'est-ce pas ?
On m'avait toujours dit de me méfier de lui et je n'avais réussi à convaincre Aslander de mettre quelqu'un d'autre à la place de cet homme. Ani avait toujours pensé que cela rassurerait une partie plus vieille de la population qui aurait souhaité qu'Aran reste vivant. Qu'il continue son règne et qu'Aslander ne soit Empereur.
Même si cette partie de la population n'était pas importante, j'y pensais. J'y pensais à chaque fois qu'Aslander sortait de ce palais.
À chaque fois qu'il disparaissait de ma vue.
À chaque fois que je ne le trouvais pas quand je me tournais.
Une main se posa sur mon épaule.
— Calme ta respiration, murmura Rivqa. Tu me donnes des palpitations rien que d'y penser.
Je pivotai vers elle et glissai ma main sur sa nuque. Elle me tendit sa bouche que je frôlais de mes lèvres. J'avais encore du mal à croire qu'elle était là, vivante et en bonne santé.
Vivante et pleine d'un pouvoir que jamais nous ne pourrions vraiment contrôler.
Il nous fallait composer avec pour le reste de nos vies.
— Rivqa, soufflai-je.
— Ton lycan papillonne vers tous les membres de la Garde de Nokomis, m'avoua l'Earhja. Shady te maudit de la garder éveiller, Achilles n'arrête pas de ronchonner sur ton cerveau trop encombré et il semblerait que même Mera et Amset t'en veuillent.
Mera et Amset étaient arrivé après la disparition de Rivqa. Ils ne la connaissaient pas aussi bien que nous, mais s'attachaient à elle plus vite que prévu. Comme si la Garde Nokomis était bien plus qu'une simple Garde. C'était une famille. Et dans une famille, on prenait soin de tout le monde.
— Evy ? murmurai-je.
— Elle ne dort pas plus que toi d'après mes sources, admit Rivqa. Ce qui ne veut pas dire que c'est une bonne chose.
— Est-elle encore au Fief ?
Rivqa releva son visage vers le mien. Pas pour me regarder, mais pour essayer de sentir ce que je retenais en moi. Des cris, probablement des larmes, et une peur. Une peur qui me dévorait chaque jour qui passait et qui m'empêchait de fermer les yeux.
Parce que si je fermais les yeux et que je ne la voyais pas ? Là quelque part sur ces écrans ? Parmi les tentes mises en place à des points stratégiques pour récupérer les naufragés ?
— Je ne veux pas savoir, ajoutai-je rapidement. J'ai bien trop de choses à penser.
— Justement, c'est peut-être là le problème, Zhel. Tu as trop de choses en tête. Il faut que tu fasses une pause avant de devenir...
— Fou ? l'interrompis-je, avec un sourire crispé. Je le suis déjà, chipie. Et tu le sais mieux que n'importe qui ici.
Son sourire à elle fut plus franc et plus mignon. Elle tira sur le bout de ma natte et enroula son doigt autour.
— Ils apparaissent au fur et à mesure, souffla Rivqa, sa tête contre mon torse. Alors, elle va forcément apparaître.
Je déglutis et caressai ses cheveux avec tendresse. Elle ne voulait pas voir la vérité en face. Si Nokomis avait dû réapparaître, elle l'aurait déjà fait n'est-ce pas ? Elle était puissante. Elle avait toujours su s'accrocher aux valeurs qu'elle avait choisies dans sa vie.
Je fermai les yeux. Je ne pouvais pas penser à elle maintenant. Je ne pouvais pas craquer maintenant. Si je lâchais tout maintenant, je n'étais pas sûr de pouvoir me relever un jour. Ça me tirerait vers le fond aussi furieusement qu'un requin qui réclamait sa proie.
— Il faut avoir confiance, insista Rivqa.
Pour se convaincre elle-même ? Possible.
Je passai les heures suivantes à diriger des équipes de secours aux endroits stratégiques. Je devais faire en sorte que les ressources, les médicaments et tout ce qui pouvait aider nos soldats soient sur place en temps et en heure. Je coordonnai la plupart des équipes qui se trouvaient sur le terrain. La plupart étaient les équipes étendues de gestion des différents Konings. Hormis pour le territoire de Thatcher qui restait silencieux. J'avais fait dépêcher une partie de l'équipe de Lothar pour se rendre là-bas, mais Thatcher ne semblait pas leur ouvrir ses portes.
Ce qui m'exaspérait au possible.
Pour lui, ce n'était pas son affaire et quand le Koning ne souhaitait rien faire, alors il ne faisait rien.
— Une nouvelle vague de Seekers a été retrouvée sur la côte ouest, chez Gann, m'apprit Andrea aux alentours de trois heures du matin.
— Combien ? soufflai-je.
Je repoussai la petite couverture qu'on m'avait déposée sur les jambes. Je me trouvai dans un coin de la ruche pour quelques heures de sommeil, mais cela ne fonctionnait pas vraiment. J'avais des palpitations assez régulièrement et je me demandais si la possible vérité sur la disparition inéluctable de mon Anchor me heurtait enfin.
Je n'osais pas en parler ni avec Aslander qui semblait lui aussi sur des charbons ardents ; ou même Siobhane qui était trop occupée à gérer d'une part Merlin qui était catatonique à côté des Bassins de Gloire et d'autre part Arthur et Yvain qui étaient encore dans le coma.
Quant à Rivqa, elle-même pensait trop à Nokomis pour ne serait-ce que voir la détresse de ma mentalité instable.
Je pris le papier que me tendit Andrea, emmitouflée dans une polaire. Elle aussi n'arrivait pas à dormir confortablement ici.
— Une centaine, me répondit-elle.
Elle se laissa tomber sur le canapé où je me trouvais et soupira. Les analystes s'étaient fait relever par l'équipe de nuit, moins conséquente, mais bien présente. Je regardai le relevé. Certains se souvenaient de leurs identités, d'autres non. D'après les relevés de Gann, il fallait déployer au moins deux nouvelles équipes de support pour les aider.
— On a encore des hommes ? grognai-je.
— Alaric peut encore envoyer des hommes du contingent. Pour les soignants, tout le monde est réquisitionné au niveau du territoire. Il faut juste déployer une équipe plus chevronnée.
Je lui jetai un coup d'œil.
— Il faut vraiment commencer à y penser, je crois, Arzhel, souffla-t-elle sur le ton de la confidence.
— Non, rétorquai-je. Nous ne pouvons pas envoyer des Earhjas sur les premières lignes.
— J'ai dit y penser, pas le faire.
— Nous en reparlerons plus tard, grognai-je.
Je me redressai et m'étirai. Il me fallait une douche, des vêtements propres et de la nourriture. Je devais continuer de fonctionner. Je m'approchai de l'analyse en charge du territoire de Gann.
— Harrison, murmurai-je pour ne pas déranger les autres. Je veux que tu contactes Alaric. Annonce-lui un mouvement d'une partie de sa garnison.
— Combien d'hommes, Conseiller ? souffla Harrison, concentré.
— Cinquante, grognai-je. Quarante s'il est en sous-effectif dans le Fief.
Il le nota rapidement sur son ordinateur qui était l'un des points de contact le plus importants pour le contact avec les Konings et leurs équipes.
— Je veux aussi que tu regardes les effectifs des hôpitaux et que tu rediriges au moins trente soignants sans mettre en difficulté les équipes hospitalières. Privilégie les hôpitaux à l'intérieur des terres. Ceux sur le littoral sont déjà saturés.
— Infirmières ? Chirurgiens ? Médecins ?
— Médecins et infirmières. Ils savent faire du triage sur place. Ouvre-moi aussi une ligne avec Katelyne pour savoir où ça en est pour les hébergements d'urgences.
— Maintenant ? me demanda Harrison. Je ne suis pas sûre qu'elle soit debout.
Je soupirai.
— Dans la matinée, concédai-je.
— Ce sera fait, Conseiller, répondit Harrison.
Il s'était déjà mis au travail. Réquisitionner le personnel et le dispatcher. Voilà ce que nous faisions ici. Sans créer des trous et des manques à d'autres endroits. Ce n'était pas le but.
Je filai du centre de commande pour aller dans mes quartiers. Je filai sous la douche, me nettoyai et enfilai des fringues propres. Et toutes noires visiblement d'après le miroir. Je me frottai le menton, une barbe naissante sur le bas de mes joues. J'attachai mes cheveux sur le haut de ma tête et revins dans mes quartiers. Je découvris deux enfants autour de ma table qui me permettait de manger dans mes quartiers et non dans la salle commune.
— Imriel, Kalén, dis-je. Je croyais qu'on avait dit que vous deviez rester avec Dogan.
Les jumeaux de Nokomis se redressèrent en même temps. Quand vous les regardiez comme ça, vous aviez simplement deux jeunes enfants devant vous.
Seulement, ce n'étaient plus des enfants.
Imriel ressemblait trait pour trait à Nokomis, en bien plus jeune. Les portraits d'elles ressemblaient à s'y méprendre à ceux de la Princesse. Kalén tenait plus de son père, même si finalement, je voyais toujours Nokomis en eux.
Je les protégeais.
Depuis le moment où elle avait disparu.
Je les avais faits miens.
Je les avais aimés.
Je les avais élevés comme si j'étais leur père.
Pas parce qu'elle m'avait fait promettre de veiller sur eux à sa place.
Mais parce que j'aimais ces enfants.
Ces adultes dans ces corps d'enfants.
— Arzhel, souffla Kalén de sa petite voix.
— Je vous ai dit de rester avec Dogan, murmurai-je. Je ne sais pas ce qu'il se passe et je ne veux pas prendre le risque de vous perdre tous les deux. Je ne sais pas si le Deity est un endroit sûr. Vous comprenez ?
Imriel se leva et s'approcha de moi.
Je m'agenouillai pour être à sa hauteur.
Toujours.
Kalén suivit sa sœur et ils s'arrêtèrent tous les deux devant moi. Chacun d'eux prit une de mes mains.
Ils les posèrent sur leur cœur.
Leur petit cœur qui battait.
Pour une âme plus vieille qu'il n'y paraissait.
— C'est maman, souffla Imriel.
— Maman est quelque part, Zhel, ajouta Kalén avec la même intonation.
— On la sent, m'annoncèrent-ils d'une seule et même voix.
Nokomis.
Nokomis.
Où es-tu ?
* * *
Un peu d'avance mais voilà, je suis de retour et j'ai hâte de vous dévoiler cette histoire 🙈 Arzhel et Nokomis n'attendent que vous 😍 vous avez passé de bonnes vacances ? Nous ça y est c'est officiel : nous nous sommes marié avec ada 💒 c'était quelque chose 😃
Une nouvelle histoire sera postée sur le compte d'Ada : ce sera sombre et... Chaud 😱 0 côté surnaturel donc vous voilà prévenu 😲
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