La naissance d'un Roi
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A R T H U R P E N D R A G O N
— Uther est mort.
Le Chevalier, main sur la garde de son épée, observait avec attention l'héritier de la lignée. Sa lourde armure reflétait la danse des flammes et, bien que cette dernière fasse deux fois le poids d'un homme d'âge mûr, Gauvain d'Orcanie ne semblait point en éprouver de difficulté. Il se tenait là, fier et sûr de lui, forgé par les arts de la guerre depuis son arrivée à Caamelot, bien longtemps auparavant.
Il se chuchotait que son allégeance n'avait jamais été pour Uther Pendragon, Roi de Grande-Bretagne, mais pour son fils. Il m'aurait été difficile de l'ignorer ou de ne pas prêter attention à ses bruits de coursive.
Dans ce pays, la loyauté se voulait plus importante que la filiation naturelle. Les alliances primaient sur l'amour familial et la capacité des uns et des autres à accomplir de grands actes valait plus que n'importe quelles paroles.
Être utile.
Pour autant, j'avais été aimé par mon père et élevé loin des jeux politiques. Du moins, c'est ce que j'avais cru jusqu'à très récemment.
La confiance s'acquérait au prix du sang et de la souffrance. Mes mains en étaient recouvertes et l'odeur de la chair fraiche venait empoisonner mon existence. Le corps de mon père n'avait pas encore eu le temps de refroidir que tout le monde furetait déjà, non content des changements à venir.
Je n'étais pas prêt.
Je me détournai et ma main s'écrasa sur le bord de la lucarne avant que mon corps ne chute entièrement, preuve de ma faiblesse.
Une faiblesse de cœur et d'esprit.
« Un jour tu devras être prêt, fils. Tu empoigneras la couronne à deux mains et tu ne la lâcheras plus. »
Drape-toi dans une cape de fierté et arme-toi de métal. Tu es un heaume, un bouclier et une lance.
Tu es un chef dragon.
— Sire.
Je fermai les yeux, la colonne vertébrale courbée sous le poids d'une souffrance intolérable. J'étais prisonnier du joug barbare de mes sentiments. Je sentais mon organe attiser ma faiblesse, injectant dans mes veines une douleur si peu familière.
Elle me tétanisait, comprimant mes poumons et me rendant si... faible ! Je fixais mes mains, n'y vis rien d'autre que de la chair recouvrant des os.
Nulle trace de sang.
Nulle trace de guerre.
— J'ai entendu, Chevalier, soufflai-je.
Ma voix avait-elle failli ?
Ressemblais-je à un enfant pleurant son unique parent ?
Respirer faisait mal.
— Je l'ai senti, ajoutai-je tristement, espérant que mon père trouverait la voie de ses aïeux sur le dos de la Belle Yseria, mère des dragons.
Je priais ardemment pour qu'il ne se soit pas perdu, attraper par quelques fallacieuses magies d'un Seigneur Sombre.
L'armure émit un léger bruit lorsque Gauvain s'avança dans mon dos et posa sa main sur mon épaule.
Je ne pris pas ombrage de sa familiarité, non pas car j'étais sonné, comme après une dure bataille, mais parce que son amitié comptait. Non, sa loyauté n'était plus à prouver. Gauvain marchait non pas dans mon ombre, mais à mes côtés.
Il était mon chef de bataille. L'Ameraudur.
Un frère d'arme et de cœur dans la froideur d'un château amené a traversé les époques. Lorsqu'il ne resterait plus rien qu'un nom de lignée, les pierres de l'édifice resteraient intactes.
— Ce n'est pas être faible, Arthur, souffla Gauvain. C'est être humain.
Sa poigne était puissante, galvanisante et salvatrice. Il me maintenait à flot, m'empêchant de couler pour rejoindre mon père et toute ma lignée.
J'étais le dernier de tous. Et l'Histoire ne se souviendrait que de moi. Ironique, n'est-ce pas ? Je n'étais pas fait pour être Roi, mais c'était un devoir inscrit en moi. Il martelait ma chair comme le sang martelait mes tempes.
Je relevai la tête, cessant de fixer bêtement mes phalanges. Il ne fallait pas que je reste inerte, que je laisse la perte l'emporter sur mon devoir.
La mémoire de mon père serait honorée. Et il rejoindrait la dernière demeure des Pendragon.
Quelle cruauté que je fusse le dernier encore debout ! Emporterais-je mon nom à ma mort ? Ou peut-être y aurait-il un nouvel héritier pour porter un fardeau transmis à maintes reprises ? L'histoire se répétait, fallait-il y voir un signe ? Un message des Dieux eux-mêmes ? Ici, nous n'en avions pas. Il y avait le Tout-Puissant et Sa Volonté. Il y avait le Paradis et l'Enfer.
Treize cercles pavés de bonnes intentions ?
— Où est Lancelot ?
Ma voix mourut presque entre mes lèvres. Je vis mon reflet dans les carreaux de la lucarne, ainsi que le regard de Gauvain, pesant sur moi. Il était mon bouclier, mon heaume et ma lance. Je ne pouvais pas me détourner de mon rôle lorsque les autres me le rappelaient de par leur simple présence. Gauvain n'y était pour rien. Il comprenait à sa façon, mais personne ne le pouvait mieux que Lancelot. Soudain sa présence me semblait vitale, nécessaire à mon bien-être. Je devais le voir.
— Avec la dépouille d'Uther, répondit Gauvain.
Bien sûr. J'aurais dû y penser moi-même. Je hochai la tête et essuyai mes joues, me rendant seulement compte des larmes. Une peine silencieuse à l'image d'un attachement retenu. J'aurais aimé pouvoir dire que mon père avait été affectueux avec moi, mais son amour était gravé dans la pierre froide.
Les actes comptent. Pas les mots.
J'inspirai, sentant mes poumons se déployer, se gorger d'air et empêcher cette impression de suffoquer.
Vivant. Je l'étais. Pas mon père. Une réalité avec laquelle j'allais apprendre à composer à partir de ce funeste jour.
Un Roi était mort et un Royaume attendait, n'ayant aucunement le temps de le pleurer. Déjà, Uther Pendragon ne comptait plus. Les regards tournés vers moi me faisaient tourner la tête.
Respire. Respire.
Gauvain s'écarta pour me laisser passer et il m'emboita le pas, à deux enjambées de distance. Nous traversâmes nombre de coursives, ne rencontrant personne, pas même les domestiques. Tout était silencieux et teinté de tristesse.
Le Roi est mort.
Mon père est mort.
Le crépitement des flambeaux résonnait dans l'air, ne couvrant pas la rumeur de nos pas. Cette aile du château aurait dû grouiller de vie, mais il n'y avait pas âme qui vive. Rien ni personne. Je crus discerner un sanglot lointain, me demandant qui donc pouvait ainsi pleurer le souvenir de mon défunt père. Qui donc osait faire étalage de ces sentiments ? Je ne le pouvais pas. Même en cet instant. Parce que quelque part, quelqu'un guettait. Devant nous, une vieille femme aux mains burinées refermait les grandes portes, courbée et chétive. Ses longs cheveux d'un gris tirant sur le blanc formant un voile autour de son visage ridé et marqué par la vie.
— Tria, soufflai-je.
Elle se tourna vers moi et je vis les larmes au coin de ses yeux.
— C'est arrivé si vite, Votre Grâce. C'est arrivé si... vite.
Elle s'étouffa dans un sanglot incontrôlé et ses jambes ne purent supporter tout ce poids, toute cette détresse.
Elle finit à genoux et je me laissai tomber devant elle, mes doigts saisissant les siens. Froids. Si froids...
— Je suis désolée, oh, je suis si...
Je ramenai son visage contre ma poitrine, étouffant sa peine comme je voulais étouffer la mienne. N'en faire qu'un souvenir.
Elle avait chéri mon père, l'avait aimé comme son propre fils, l'ayant choyé et bercé toute son enfance durant. Et voilà que l'enfant partait avant le parent.
— Ce n'est point ta faute, Tria, murmurai-je. Tu n'es pas responsable de son trépas, m'entends-tu ?
Mais elle était sourde et chacune de mes tentatives serait vaine. Je voulais la réconforter, mais ne pouvait y parvenir.
— Je m'en occupe, Sire.
Gauvain aida la vieille femme à se relever et fit office de soutien physique alors qu'ils s'éloignaient tous deux. Je restai un instant sans bouger, fixant les portes, sentant un tremblement familier au niveau de mes mains. Voulais-je voir mon père dans la mort ?
Appuyant mes paumes sur le double battant, j'opérai une puissante poussée et les gonds rugirent face à ma tentative.
D'abord, l'odeur d'encens, une note florale piquetée d'une pointe plus désagréable. Partout des bougies et des ombres mouvantes. Des esprits farceurs. Venu tout droit d'un pays où les Faes régnaient depuis la nuit des temps. Puis une puissante carrure agenouillée devant un autel, là où reposait mon père. Des cheveux sombres et des épaules carrées. L'aura qui se dégageait de ce lycan m'impressionnerait sûrement toute ma très longue vie. Dos vouté, le Chevalier murmurait une prière dans une langue venue d'une contrée lointaine, là où on parlait aux Divinités et où il était question d'Enfants-esprit.
Sentant ma présence, Lancelot se redressa et me fit face, ne cherchant pas à cacher sa peine, ni même à se soustraire à ma vue. Et cette vision, cette vulnérabilité offerte à mes sens me coupa le souffle. Je fus incapable de bouger, de respirer.
De me détourner.
Doucement, le Chevalier descendit les quelques marches et marcha vers moi. Et à chacun de ses pas, mes barrières s'effritèrent pour n'être plus qu'un amas de poussière.
Les larmes roulèrent sur mes joues et ce fut trop. Je sentais cette plainte au fond de ma gorge, qui voulait s'extirper et éclater. Mais je ne pouvais pas. Je. Ne. Pouvais. Pas.
Une main sur le sommet de mon crâne, qui glissa jusque ma nuque et l'empoigna. Solide et ferme.
Je suis un chef dragon.
Mes épaules s'affaissèrent. Ma tête s'abaissa. Et comme un enfant privé trop tôt de son unique parent, je pleurais.
Plus rien ne pouvait contenir ma perte.
Plus rien ne pouvait endiguer le cri de mon âme.
Lancelot se tenait devant moi, ne me lâchant pas, faisant office de roc. S'il me lâchait, je sombrerais.
S'il me lâchait, je...
Bientôt, je me retrouvai devant la dépouille de mon père, mains nouées, sa couronne reposant sur ses phalanges. Il paraissait dormir ; un sommeil profond, sans rêve ni obligation.
Un sommeil paisible.
— Tu étais là ? demandai-je.
— En effet, répondit mon ami.
— Comment était... comment était-il ?
Je me penchai sur le visage de mon père et osai enfin caresser sa joue. Lui ressemblai-je d'une quelconque façon ? Ou tenais-je plus d'Ygraine ? Où était la vérité ? Les mensonges ? Les secrets ?
— Serein. Et prêt.
Je fermai les yeux et hochai la tête, soulagé au-delà du possible.
— Il savait que tu ferais un bon Souverain. Il savait que tu étais prêt. Mais nous ne le sommes jamais vraiment, n'est-ce pas ?
Dans sa voix, une fêlure que je saisissais mieux. Son père vivait encore, mais avec l'esprit d'un fou. Et peut-être que c'était pire.
— Je ne me sens pas capable d'être un Pendragon, avouai-je. Je ne me sens pas capable de porter la couronne. Je suis un destin. Je suis des attentes. Et je me perds en tant que personne. On se souvient d'un roi, mais pas de l'homme.
Je me laissai tomber sur les marches, la tête basse.
— Nous sommes un destin, approuva Lancelot. Et c'est une fatalité avec laquelle nous sommes nés.
— On ne se détourne pas, ajoutai-je.
— Nous le pourrions, mais il s'agit de notre âme, Arthur. C'est ce que nous sommes.
— Et ça ne te dérange pas ?
Il vint s'installer à mes côtés, plus grand et plus fier que moi. Je voyais en lui plus qu'il n'était en réalité, mais ça ne semblait pas le déranger.
— Tant que nous avançons dans la même direction, je peux accepter de vivre ainsi. Tu vas être Roi, Arthur. Tu vas être un symbole de croyances, de paix et d'amour. Ta peur est humaine, parce que tu es un être de chair et de sang. Ne te détourne jamais de toi-même.
J'inspirai difficilement et tournai mon visage vers le sien.
— Merci.
Il inclina son visage. Nous passâmes la nuit à veiller la dépouille de mon père et à l'aube, il fut temps pour moi d'attraper mon destin en plein vol.
Les servantes s'écartèrent et jetèrent un coup d'œil à ma tenue. Elles hochèrent conjointement la tête avant de disparaître dans un corridor, me laissant seul dans cette vaste pièce. Je lissai les pans de mon vêtement et une fois encore, restais bêtement à fixer les lignes de mes paumes. Y cherchai-je un quelconque signe ? Une parole divine ? Il n'y avait rien de tout ça. J'étais seul.
Ou presque.
Pieds nus, la femme qui venait d'entrer ne faisait aucun bruit. Sa longue robe drapait son corps, enserrant sa poitrine à l'aide d'un corsage bien serré. Il était rare de la voir ainsi vêtue, de la voir si femme. Je m'attardais trop longuement sur sa silhouette, sur son visage fin et ses pommettes saillantes. Longs cheveux noirs, teint blafard.
Une beauté consommée. Une beauté empoisonnée.
Mon sang chanta à mes oreilles, une douce mélodie. Une mélopée saisissante.
— Où étais-tu ? demandai-je, curieux.
— Ici et là, mon Roi, répondit-elle, espiègle.
— Je ne suis pas–
Dans sa main, je la vis. Elle la tenait négligemment, comme s'il ne s'était s'agit que d'un objet sans importance. Et non pas d'une couronne finement ouvragée.
Son sourire étira sa bouche et elle leva son bras. Son bracelet tinta.
— Il n'est plus temps de douter, Arthur, souffla Myrddin. Tout un pays t'attend.
Je hochai la tête. Elle me regarda de longues secondes avant que les portes ne s'ouvrent, dévoilant Gauvain, Lancelot et Bedivere. Tous s'inclinèrent et attendirent que je m'avance. Nous traversâmes une partie du palais pour arriver dans l'immense salle du trône. Là, les portes donnant sur l'extérieur avaient été repoussées et le murmure de mon peuple me parvint. Si Gauvain et Bedivere s'éloignèrent, je retins Lancelot.
— Sire ?
Nous faisions la même taille, mais nous n'étions pas faits du même bois.
— Tant que nous avançons dans la même direction, je peux accepter de vivre ainsi, répétai-je. Un jour, tu seras Empereur, Ani. Tu seras un symbole de croyances, de paix et d'amour. Tes doutes sont humains, parce que tu es un être de chair, de sang et de magie. Ne te détourne jamais de toi-même.
Sa surprise. Je serrai ses doigts, très fort.
— Ne me lâche pas, chuchotai-je.
— Jamais.
Myrddin nous attendait, tenant la couronne, cette dernière scintillant sous les quelques rayons d'un soleil timide.
Je fermai les yeux et respirai.
Aujourd'hui, j'étais bien plus qu'Arthur Pendragon. Aujourd'hui, j'allais devenir Roi.
Si j'avais peur ? J'étais terrorisé.
Mais ils étaient tous là, m'attendant.
Lancelot.
Gauvain.
Mes autres Chevaliers.
Et Myrddin. Elle. Merlin.
Je n'étais pas seul.
J'étais Arthur Pendragon, le chef dragon. Et mon Destin voulait que je fasse de grandes choses.
Un jour, le monde entier connaîtrait mon nom.
J'étais Arthur Pendragon.
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