21. Siobhane
La chambre était silencieuse. Vide. Elle portait encore le parfum épicé d'Aslander qui venait de partir. Depuis quelques jours, il se trouvait dans l'obligation de répondre à des questions que tout le monde se posait. Il le faisait d'une certaine façon selon son interlocuteur. C'était un exercice complexe qui demandait une extrême concentration. Et un habile talent pour la manipulation saine.
Je glissai mes pieds par terre, les fesses au bord du matelas. Je n'avais pas quitté cette chambre depuis qu'Aslander m'avait sauvée. D'une certaine façon, nous nous étions rattrapés l'un et l'autre à bout de bras. Littéralement.
Je frottai doucement ma poitrine pour tenter de respirer correctement. Depuis que j'avais repris ma place de Guide, je tentais d'y voir clair parmi cette magnifique voie lactée qui parcourait mon esprit. Toutes ces petites étoiles dans ce ciel n'étaient autres que tous les lycans peuplant cette planète. J'adorais y plonger cœur et âme, mais j'étais encore trop fébrile pour le faire. En avais-je seulement le droit ?
J'agitai mes doigts de pieds avant de les poser sur les doux tapis qui recouvraient le sol en pierre de la chambre d'Ani. J'attrapai mon châle et l'enroulai autour de mes épaules, m'approchant doucement de la fenêtre. Le soleil m'éblouit et le vent frais me tira un frisson. La douleur de mon crâne s'intensifia et je préférais reculer dans le noir plus calme de la chambre. Mon corps était encore faible et c'était aussi la raison pour laquelle Aslander m'avait demandé de me reposer.
J'avais encore du mal à assimiler tout ce qu'il s'était passé en l'espace d'une si petite semaine qui m'avait semblé durer une éternité. Je pris une profonde inspiration et m'allongeai sur le tapis foncé en bout de lit, par terre. Je plaçai ma main devant moi, à quelques centimètres. Soudain, la forme d'un lycan apparut. Je retins un sanglot quand l'esprit de Gabrok frotta son museau contre mon nez. Je fermai mes yeux et plongeai avec lui dans cet espace tout à fait unique qui n'était autre que la Plaine des lycans. L'endroit où ils venaient se reposer pour une éternité qui était à l'image de leur majesté.
Infinie.
L'immense forêt qui s'étendait devant moi abritait de nombreux esprits, tous des lycans venus de par le monde. C'était un sanctuaire que je me devais de garder. Je devais protéger tous ses esprits et les aider à prendre leur retraite. C'était aussi l'équivalent du Temps du Rêve selon certains.
Gabrok, sous sa forme de lycan, bondissait et jappait, heureux de me voir ici. À ses côtés, il y avait l'homme. Les esprits des Humains restaient des esprits, beaux et uniques à leur façon, et si fragiles. Eux aussi démarraient leur voyage dans le Temps du Rêve, à l'abri de toutes les obscurités qui baignaient le monde réel. Certains appelaient ça le monde astral, mais c'était trop réducteur à mes yeux.
L'homme qui était Gabrok s'approcha de moi. Je lui ouvris mes bras et il s'y réfugia en murmurant mon prénom. Je glissai ma main sur sa nuque et la pressai de toutes mes forces, lui promettant de veiller sur son lycan.
_ Prends soin de toi, chuchota-t-il contre mon oreille. Tu as toujours été pleine de lumière, tu ne t'en rendais simplement pas compte.
_ Je ferais de mon mieux. Je te le promets.
_ N'oublie pas qui tu es, Mia, murmura Gabrok. Tu as toujours été notre Guide et tu le resteras, qu'importe les épreuves que tu dois traverser.
_ Du temps lui aura été nécessaire pour en prendre pleinement conscience, énonça la voix d'Aloysius non loin de nous.
Nous relevâmes nos regards sur lui. Il était magnifique ainsi apprêté, tel l'Ancien qu'il était. Quelque chose dans sa présence me fit comprendre qu'il n'était pas si loin que ça. Et qu'il me demandait de venir.
_ Si jamais tu te perds sur le chemin, demande ta voie, souffla Gabrok. Nous serons toujours là pour t'aider.
Le Lycan aboya et se mit à courir partout autour de moi, m'arrachant un rire qui tintinnabula dans ce Rêve. Gabrok sourit et me relâcha, s'écartant doucement de moi.
Je sentis ce qui m'avait toujours relié à lui céder lentement. Au loin, un vieil homme l'attendait, son lycan à ses côtés.
_ Adda, murmurai-je en faisant un pas vers lui.
Aloysius s'empara de ma main et caressa mes cheveux.
Mon Alpha s'inclina lentement face à nous puis quand il se redressa, m'offrit un sourire tendre qui me fit fondre. Il prit la main de Gabrok et ils disparurent dans les confins de la forêt.
En reprenant pied dans la réalité, je sentis un corps chaud contre le mien. Je compris qu'Aloysius était vraiment de retour et qu'il me faisait un câlin. Étrange comme sensation.
Il se recula doucement et m'aida à me lever. Il observa mon visage puis posa sa main sur le centre de ma poitrine, fermant ses yeux et s'immobilisant. Je sentis sa magie prendre connaissance de l'état physique de ma personne. Il sembla satisfait et me conduisit dans le petit espace lecture d'Ani. Il me poussa à m'asseoir sur le canapé et il s'installa juste à côté de moi, assez prêt pour déposer sa tête sur mes cuisses tandis qu'il s'allongeait.
_ Tu es bien là, murmurai-je en caressant sa tempe.
_ Je suis éveillé oui, admit mon frère.
_ As-tu mal ?
Son sourire se flétrit aux bords de ses lèvres et il plongea son regard dans le mien.
_ Certainement pas autant que toi.
Je haussai mes épaules et continuai de caresser ses longs cheveux. Ils étaient doux et ne semblaient jamais avoir de nœuds. Sa main se posa sur mon genou.
_ C'était donc ça ma dernière épreuve ? murmurai-je en reposant ma tête contre le dossier confortable du canapé.
_ Il est des choses qu'on ne peut apprendre à quelqu'un, souffla Aloysius. Tu dois les vivre pour comprendre.
_ Un avertissement n'aurait pas été de trop.
_ Après la mort d'Adda, tu étais pleine de colère et pleine de vengeance. Jamais je n'avais vu l'un des nôtres sombrer si vite dans ce côté si obscur de notre peuple. Entends-moi bien, nous ne sommes pas tous aussi altruistes que nous devrions l'être. Malgré ça, tu as plongé si vite que je n'ai pas réussi à te rattraper.
Je déglutis, refusant de pleurer en repensant à tout ça. J'avais brisé tous mes vœux, j'avais tué tant de loups.
_ Quand tu as tué ce petit garçon, souffla Aloysius, j'ai su que tu ne pourrais revenir de toi-même vers la lumière que tu aurais dû porter.
Les larmes coulèrent le long de mes joues. Maudite apesanteur. Je tentai de cligner des paupières pour calmer le flux, mais je revoyais tout. J'entendais tout. Tout.
Les pleurs du garçon. Son dernier cri. La supplique de sa mère. La colère de son père. L'homme qui m'avait pris ma famille et à qui j'avais pris tout ce qu'il lui restait.
Ce petit garçon qui aurait dû devenir le Guide d'un animal.
Ce petit garçon à qui j'avais retiré toutes possibilités de vivre une vie aussi belle qu'il l'aurait souhaitée.
_ Il fallait donc que je te fasse plonger encore plus loin pour que tu puisses revenir de toi-même. Que tu puisses apprendre ce que tout Mage devrait savoir.
_ L'équilibre, murmurai-je.
_ L'équilibre, acquiesça Aloysius.
J'essuyai mes larmes et reniflai, avant de sentir les doigts d'Aloysius sur ma joue humide. Je penchai la tête sur le côté et croisai son regard.
_ Tu savais, n'est-ce pas ? murmurai-je.
_ Tu as toujours su que j'étais plus qu'un Ancien, mais tu n'as jamais posé la question.
_ Tu es un Guide, c'est ça ? Tu l'as toujours été et c'est pour ça que tu m'as appris cette leçon.
_ Tu étais si jeune à l'époque, murmura Aloysius comme conscient de ma faiblesse. Et tu aimais tant ces lycans.
_ Tu m'as mise dans cette famille. Tu m'as forcée à les aimer.
_ Tu devais connaître la perte avant de connaître autre chose. Comprendre que tout n'était pas dû dans ce monde et comprendre qu'un Guide ne devait pas aimer certains lycans plus que d'autres.
Je pressai mes paupières, sachant qu'Aloysius avait toujours réussi à avoir une longueur d'avance sur tous mes gestes.
_ Celui-Qui-Brûle existe donc vraiment, soufflai-je en ayant repris ma respiration.
_ Tu connais les dragons, car tu les as étudiés. Tu n'as jamais posé la question sur leur Guide spirituel. Et tu avais sûrement tes raisons. Néanmoins, l'idée même que j'étais leur Guide ne t'aide pas, n'est-ce pas ? Tu avais peur d'être trop faible, trop exigeante avec les tiens. Et je ne pouvais aller plus loin dans ton enseignement sans que tu sois toi-même au cœur de la situation.
_ Tu as tout Vu, m'étranglai-je. Tout ça.
_ J'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour que tu sois celle que tu es aujourd'hui, Siobhane.
_ Que je puisse aider Aslander tu veux dire, reformulai-je.
_ Tu avais autant besoin de lui que lui de toi.
_ Ce n'était qu'un simple verrou ? m'enquis-je soucieuse.
Aloysius se redressa et pivota vers moi. Il souleva lentement le bas de ma robe de nuit pour découvrir ma cuisse nue. Il n'y avait plus de tatouages. Ça n'avait jamais été un vrai scellé.
_ Ani a donc réussi, dit-il en souriant.
_ Tu ne m'as jamais retiré mes pouvoirs, énonçai-je.
_ Tu as dû t'en rendre compte quand Celui-Qui-Souffre a voulu détruire le verrou. Ton pouvoir a toujours été là.
_ Et les visions ?
_ Une simple condition à ton obéissance, admit Aloysius.
_ Et la maladie ?
_ Une motivation pour arriver à Aslander.
_ C'était lui ma dernière épreuve.
_ C'était lui. Tout comme tu as été un maillon important de sa vie, il le sera pour toi à présent.
_ Y a-t-il une raison pour que tu aies poussé Celle-Qui-Hurle et l'Empereur ensemble ? murmurai-je en nouant mes jambes en tailleur.
_ S'il y en avait vraiment une, crois-tu que je te la révèlerais ?
_ Tu n'as jamais changé nos destins, mais tu as fait en sorte que nous les changions nous-mêmes.
_ Je ne peux influencer sur vos vies. Seulement vous poussez à vous rendre compte de certaines choses. Ani avait besoin de prendre conscience de sa nature et tu avais besoin de te rappeler celle que tu étais supposée devenir.
_ Mon apprentissage est fini ? murmurai-je en le regardant, mi-figue mi-raisin.
Aloysius caressa doucement ma joue.
_ Jusqu'à ce qu'un nouvel enfant naisse avec le Lien en lui, ton apprentissage ne cessera d'alimenter ta relation avec ton peuple.
Le Lien. C'était ce qui m'avait liée aux lycans. C'était ce qu'Ani avait réclamé en me choisissant. C'était souvent l'animal le plus puissant du peuple qui réclamait son Guide.
Les Dragons avaient choisi Aloysius pour devenir Celui-Qui-Brûle.
Les Lycans m'avaient choisie pour devenir Celle-Qui-Hurle.
Et bientôt, dans les siècles à venir peut-être, des enfants naîtraient et seraient le nouveau Lien entre les Mages et les Bêtes que nous devions protéger.
Un cycle éternel.
Un cycle qui était amené à se reproduire.
Encore et encore.
Pour suivre un équilibre.
Pour veiller à la balance du monde.
Il y a des leçons qu'on ne peut transmettre.
Il faut les vivre pour les comprendre.
Il faut les vivre pour les apprendre.
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* *
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Que dire ? Je crois que cette conversation est à l'image d'Aloysius, n'est-ce pas ? 🙄 Aheum 🤣 Il reste vague, essayant de faire comprendre à Siobhane que tout ça n'était qu'une épreuve de plus dans sa vie, la liant d'une façon très puissante à l'Empereur des lycans, pour le meilleur et pour le pire ☺️ Dans le prochain chapitre, Aslander aura une conversation avec Karora et nous ferons un petit bon dans le temps, histoire d'amorcer la fin de ce premier tome : il reste deux chapitres plus un épilogue, donc cette fois, c'est vraiment la fin 🙀😭
Comment est-ce que ça va vous, sinon ? 😄 Certaines sont déjà en vacances ? 🌴🙂 Je voulais aussi vous envoyer tout notre amour pour votre réactivité concernant les Chantilly Awards ; vous êtes une communauté juste incroyable et on vous aime pour ça 😍😘
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