2.1 Siobhane

Je me réveillai au son d'un claquement de bec sur ma fenêtre. Je grimaçai en me redressant. Mon corps était atrocement douloureux. Cela faisait deux jours que j'étais revenue de l'hôpital. Je n'y étais restée que quarante-huit heures pour observation et hypothermie. Rien de bien compliqué à diagnostiquer. Killian aurait aimé me garder plus longtemps là-bas, mais j'avais refusé. Je dormais bien mieux ici, chez moi. Les hôpitaux étaient sûrement les pires endroits pour moi. Ils renfermaient tellement de souvenirs, de souffrances et de regrets. Je frissonnai rien que d'y repenser. Killian m'avait récupérée dans un état bien plus critique que ça lors de notre première rencontre. J'avais été dans une période plutôt difficile et je tentais d'échapper à certaines personnes. Certains démons qui m'avaient suivie d'une autre vie. Ce n'était pas toujours facile de devenir humaine avec un passé de sorcière. Surtout mon passé.

Je repoussai ma couette et me levai. Je portai une culotte plutôt simple, n'ayant pas de goût particulier concernant ma lingerie. J'avais aussi un vieux t-shirt que Dean m'avait offert en riant. Le slogan dessus disait qu'il ne fallait pas me parler avant ma première tasse de café. Je le trouvais drôle. Alors, je l'avais gardé. C'était des petits gages d'amitiés comme ça qui me poussaient à rester sous la protection de la meute de Bear Creek Village.

Je pris une longue inspiration et me dirigeai vers les escaliers. Je descendis les marches avec précaution, n'ayant pas encore réussi à me défaire de mon rêve. Toujours le même garçon. Cependant, les situations changeaient au fur et à mesure. Il y avait beaucoup de souffrance chez lui. Je ne savais pas si je pouvais l'aider à terme, mais en tout cas, je devais le trouver. Pour ma santé et ma survie, je devais le trouver et faire quelque chose pour lui. Ce n'était pas encore défini, mais je pouvais y arriver.

Malheureusement pour moi, Dean avait reconnu les dessins que je lui avais présentés. Après avoir fouillé dans sa bibliothèque à mon retour de l'hôpital, il avait trouvé un vieux manuscrit sur les cultures aborigènes. Le serpent que j'avais dessiné représentait chez les Aborigènes, le Temps du Rêve. Une réalité mêlée à un Rêve. Une réalité mêlée à des Esprits qui gardaient le monde des humains. J'avais passé une nuit entière à regarder le manuscrit que Dean m'avait donné. Beaucoup de souvenirs étaient liés à ce livre. J'avais aperçu un visage, j'avais entendu un prénom. Cependant, je n'avais rien dit à Dean.

Il avait lui-même envoyé un message à l'homme concerné. L'homme qui semblait être l'Empereur des loups du territoire de l'Australie. Quand il m'avait dit ça, j'avais disparu dans la seconde, ne voulant pas aller là-bas sous prétexte que j'avais dessiné un serpent étrange.

L'Australie était un territoire très fermé en ce qui concernait le peuple des loups. Si les humains avaient des règles strictes quant à l'immigration, les loups étaient bien pires. Il était rare que des loups étrangers puissent venir en Australie. Tout cela était très bien surveillé. À l'époque où j'étais née, l'homme qui avait eu le pouvoir sur le peuple là-bas avait été respecté, mais aussi craint. Les Empereurs n'étaient pas des personnes sur qui compter et encore moins à qui se confier. Ils avaient bien d'autres choses à faire qu'écouter les paroles d'un pseudo médium dont ils ne savaient rien.

Je penchai ma tête dans ma cuisine et découvris mon corbeau. En regardant la course du soleil qui était voilée par des nuages, je compris qu'il était presque midi. Mes rêves me prenaient beaucoup d'énergie. Littéralement.

Il m'était arrivé de frôler le coma parce que je n'avais pas suivi certaines de mes visions. C'était là ma malédiction.

Pour les horreurs que j'avais commises tout au long de ma vie, je me devais à présent d'aider mon prochain.

Aloysius y avait veillé.

Je me secouai et allai ouvrir à la bête. Je lui donnais rapidement quelques graines avant de me gratter l'épaule. Je poussai un soupir et me dirigeai vers l'entrée de ma maison. Je poussai la porte de ma hanche, n'étant pas particulièrement motivée pour aller m'occuper de ma parcelle de terre.

À peine j'eus ouvert la porte que je poussai un cri d'horreur. Devant ma maison, il y avait un puma.

Un puma réel et vivant.

Qui respirait et qui m'observait.

Un prédateur. Une bête immense et à la fois magnifique.

Elle pencha doucement la tête en bâillant et je pus apercevoir toute la rangée de crocs dans sa gueule.

Ce n'était pas comme dans les documentaires que Killian avait pu me montrer. Ils étaient bien plus gros et impressionnants en vrai.

Mon instinct de survie reprit le dessus bien plus vite que mon corps. Je retournai dans ma maison et claquai la porte. Par acquit de conscience, je bloquai ma poignée avec une chaise. Je courus dans le sens inverse, direction l'étage. Je claquai ma porte, le souffle court et le cœur battant.

Pourquoi l'oiseau ne m'avait pas prévenue ?

Pourquoi était-il venu alors qu'un prédateur se trouvait devant ma porte ?

C'était encore pire qu'avoir un Ours qui se baladait dans votre jardin !

Je me ruai sur le tiroir de ma commode et balançai mes affaires par terre. Je trouvai enfin le portable que Dean m'avait donné. Les mains tremblantes et le cœur dans la gorge, j'appuyai sur les touches pour pouvoir l'appeler.

_ Campbell à l'appareil, gronda la voix de Dean au bout du fil.

_ Dean ! m'écriai-je.

Je fermai un instant les yeux et tentai de maîtriser ma peur.

_ Il... Il y a un puma devant ma porte. Un puma !

_ Un qu... un quoi ? cria Dean.

J'entendis quelque chose tomber de son côté. Il avait sûrement tenu un verre dans sa main. Je l'entendis appeler Killian et Curtis. Curtis était sa Main. Il était un enfant dans un corps d'adulte, d'après moi. D'après sa femme, il n'avait juste pas dépassé sa puberté. Mentalement parlant. Nous avions ri toutes les deux aux dépens de son compagnon.

Ivy, la compagne de Curtis, était peut-être l'une des seules personnes de la meute qui pouvaient réellement comprendre mon problème. Elle était une réincarnation d'un Esprit très puissant. Pas forcément le plus puissant, mais ici, aux États-Unis, selon la croyance des loups, elle était la plus puissante. Elle était simplement la seule qu'ils connaissaient. Mais aller faire entendre ça à un peuple entier.

Je clignai des yeux, ma main toujours accrochée au téléphone, écoutant les ordres que Dean donnait.

_ Tu es sûre que c'est un puma, Siobhane ?

Je grognai et pressai le petit appareil en métal contre mon front.

_ Bien sûr que je sais reconnaître un puma, Dean ! m'écriai-je. Je ne tiens pas à finir en cure-dent pour son prochain repas, s'il te plait. Viens m'aider...

_ Un puma bordel ! maugréa Dean au bout du fil. Reste là, je tiens la communication. On arrive dans deux minutes. Killian et Curtis devraient déjà être chez toi en ce moment !

Je tendis l'oreille, mais n'entendis rien du tout. Je restai sur mon lit, observant tour à tour ma fenêtre et ma porte. Un léger bruit me fit sursauter. Je secouai la tête et me repris. Je lâchai le portable et me levai. Je m'approchai de ma commode et ouvris le dernier tiroir. Je regardai la carabine qui était là pendant quelques secondes. Je n'avais utilisé cette arme qu'une fois. Dean et sa meute étaient très vite arrivés après ça et je n'avais pas eu à me défendre complètement seule, mais là !

Je la pris et l'armai, suivant les instructions de Curtis à la lettre. Il m'avait très vite appris à tirer. Je l'en remerciai silencieusement, espérant qu'ils arriveraient tous les deux au plus vite.

Je descendis les marches et tins le canon du fusil vers le bas. Dans la cuisine, il y eut un raclement, puis un piaillement. Je passai dans ma pièce à vivre et découvris la plus étrange des scènes.

Mon corbeau tendait son bec à l'homme qui se tenait devant lui. Un homme que je ne connaissais absolument pas. Un homme qui était complètement nu, dans ma cuisine. Un homme qui se tenait là, comme s'il était chez lui.

_ Mais qui êtes-vous bordel ? m'écriai-je.

Je redressai ma carabine et le visai avec. Ma porte n'était pas ouverte, mais la fenêtre par là où était passé le corbeau l'était. L'oiseau en question piailla avant de sortir de la maison en battant furieusement des ailes, mécontent de ne pas avoir eu sa nourriture.

L'homme pivota tout son corps vers moi, penchant sa tête. Le même geste que l'animal qui s'était tenu devant chez moi.

Ce puma était-il... un changeur ? Ou plus connu sous le nom de métamorphe ici.

_ Tu es une femme, remarqua-t-il, déçu.

Il se gratta le torse. Il était assez poilu pour en avoir sur tout le corps, y compris sur son torse et semblait-il son dos. Il était brun, mais pas foncé. Il avait presque le même poil que son animal si la bête et lui étaient la même entité.

Son sexe était visible et dépourvu de poils. Soit il se rasait à cet endroit-là, soit il était naturellement peu velu ici. Cette remarque me fit cligner des yeux. Pourquoi est-ce que je regardais ça chez lui bon sang ? Il portait un ou deux tatouages, mais ce n'était pas comme ceux des humains. C'était des lignes de sorts. Je pouvais les reconnaître d'ici. Bordel, mais qui était-il ?

Un métamorphe puma assez vieux pour porter ce genre d'inscriptions sur son corps ne pouvait pas être décemment un voisin que je venais de rencontrer !

_ Sortez de chez moi ! criai-je. Ou je vous jure que je vous colle une balle entre les deux yeux.

L'homme haussa un sourcil avant de lever un doigt. Il pointa l'arme.

_ Premièrement, il faut enlever la sécurité pour pouvoir tirer. Deuxièmement, il faut savoir être poli envers ses invités.

Je clignai des yeux. Sa voix était calme, posée. Il semblait complètement à l'aise, là en face d'une inconnue, à poil et dans une cuisine qu'il ne connaissait ni d'Adam, ni d'Ève.

_ Mais de quoi parlez-vous bon sang ? Vous ne croyez pas être un peu en dehors des règles de politesse ?

Il rit, un son riche en couleur. Mais c'était un son calculé, je le voyais à son regard. Cet homme savait jouer.

J'affermis ma prise sur mon arme et enlevai la sécurité. Il haussa un sourcil.

_ Tu as raison, admit-il. Parfois, j'oublie que les humains sont pudiques. Cela te dérange-t-il que je sois nu ?

_ Cela me dérange que vous soyez dans ma maison, sans mon autorisation, assenai-je, mauvaise.

Son visage était anguleux. Ses yeux étaient un peu en amande, sûrement la preuve d'une quelconque origine asiatique. Il avait de beaux cheveux, qui ressemblaient presque à s'y méprendre à des poils soyeux. Il était musclé et fin. Son corps semblait plus imposant sous sa forme de bête.

Soudain, deux loups surgirent à l'entrée de ma maison. Je vis l'homme lever ses deux mains et les agiter vers les deux arrivants.

_ Salut les gars ! Bien ? sourit-il.

J'abandonnai mon arme et fronçai les sourcils. Il les connaissait ? Je clignai des yeux quand Killian et Curtis reprirent leur forme humaine. C'est-à-dire : nus.

Je fixai le plafond, les entendant se saluer et se donner l'accolade. Franchement, parfois, j'oubliai à quel point les loups n'étaient pas farouches sur la nudité. Cela me rappela ma tenue, mais j'étais la personne la plus habillée dans cette pièce.

_ Siad' ! s'écriait Killian. Ça faisait un bail !

_ Tu as grossi un peu ou quoi ? grogna Curtis.

_ Jamais de la vie ! rétorqua l'homme en frappant Curtis à l'épaule.

_ Alors comme ça on frappe pas aux portes ? Tu sais, les gens sont pas habitués à voir de gros chats ici, ricana Killian.

Il ne se moquait pas forcément de moi, mais plus de la façon dont l'autre s'était présenté. Je déposai la carabine contre un mur, en remettant la sécurité sagement. Je pris une profonde inspiration et observai un instant les trois hommes nus discutés simplement.

Est-ce que quelqu'un allait m'expliquer ?

Je ne croyais même pas au fait de vivre ça en direct.

Que quelqu'un me sauve !

La voiture de Dean et Tessa s'arrêta brusquement devant chez moi et ils en sortirent en courant. Tessa fut la première dans la maison. Elle observa les trois hommes d'un regard moqueur, mais Dean lui posait déjà une main sur ses yeux pour l'empêcher de regarder. Un gloussement féminin lui échappa et Dean grogna.

_ Bonjour les garçons ! fit la voix charmante de Tessa.

Le puma sourit à une Tessa aux yeux bandés.

_ Salut Tessy ! dit-il. Toujours aussi belle !

_ Siadhal, reprit l'Alpha, un peu grognon.

_ P'tit Suisse, comment va ? sourit le puma.

_ J'adore quand il t'appelle comme ça, rit Tessa.

Elle retira les mains de Dean, agita la sienne vers le dénommé Siadhal et vint à ma rencontre.

_ Tout va bien ? souffla-t-elle, sans regarder vers les trois hommes nus.

Je secouai la tête, complètement ailleurs. Étais-je encore en train de rêver ?

_ Siobhane ? Tu m'entends ?

Tessa agita sa main devant mes yeux et je clignai enfin pour la voir elle et non cette scène rocambolesque.

_ Qui est-il et que fait-il chez moi ?

Je secouai la tête et me frottai le visage.

_ Les gars ! Enfiler un truc bordel ! m'écriai-je, à moitié amusée, mais surtout perturbée.

Les rires retentirent avant que Dean tire les hommes dehors pour leur faire enfiler au moins un short. J'entendis le commentaire du puma qui me fit grimacer. Je n'étais pas prude, mais bon sang, j'aimais quand même savoir le prénom de l'homme qui se tenait nu devant moi. Était-ce mal ?

_ Qui est-il ? répétai-je à Tessa.

_ C'est Siadhal, un homme d'Aslander.

Je clignai des yeux. Aslander. L'Empereur des loups. Il avait envoyé quelqu'un ? Mon message n'était pas tombé dans le vide ?

Une lueur d'espoir fleurit en moi. Je l'étouffai lentement, en sachant que ce serait sûrement la dernière mission que je prendrais en charge avant de mourir. Je pris une inspiration plutôt tremblante avant de poser mon regard sur Tessa.

_ Aslander ? Comme dans Aslander le Kaizer d'Australie ? grognai-je. Pourquoi lui ? N'y a-t-il pas quelqu'un d'autre de moins importants à joindre ?

Je n'avais vraiment aucun détail sur ce que je voyais. Déranger ce genre de personnage haut placé pouvait amener à plusieurs problèmes dont je ne voulais même commencer la liste. Ce serait du suicide.

_ Tu ne vas peut-être pas le voir directement lui, admit Tessa en m'apaisant de sa belle voix. Il a sûrement envoyé Siad pour t'accompagner. Il n'est pas si méchant une fois que tu le connais, tu sais ?

Je la regardai avec de grands yeux. J'avais déjà parlé à des hommes importants, mais ce n'était pas dans le cadre de mes pouvoirs psychiques. Je ne voulais surtout pas apparaitre sur le devant de la scène pour ça. La dernière fois que j'avais tenté de faire ça, j'avais perdu Ali Hawkes. Je me frottai le front, tentant de repousser la légère panique qui s'installait en moi.

Tessa posa son regard sur la carabine qui était contre le mur et fronça les sourcils.

_ Tu as une arme ici ? souffla-t-elle.

Je hochai la tête.

_ Tu sais très bien ce qui peut me retrouver, Tessa, murmurai-je. Et vous ne pouvez pas être tout le temps là pour me protéger.

_ Il ne t'arrivera rien sur ce territoire, Siobhane, rétorqua la Dominante de la meute.

Je souris lentement, ne pouvant vraiment la toucher. Malgré ses barrières très efficaces, certaines images filtraient à chaque fois que je la touchais. Et, disons que Tessa n'avait pas le plus facile des passés. J'avais assez de cauchemars sans en rajouter une couche derrière.

Je m'écartai d'elle d'un pas et tentai de me reprendre. Ce fut ce moment que les garçons choisirent pour revenir. Là, j'étais définitivement celle qui était le moins habillée. Je m'excusai et grimpai à l'étage pour me changer.

Quelques minutes plus tard, je redescendis. Les trois hommes et Tessa étaient assis autour de ma petite table. Tessa avait atterri sur les genoux de son compagnon et discutait tranquillement avec le puma. Siadhal. Cet homme serait donc mon guide en terrain aborigène ? Bon sang.

Ils s'étaient tous servis du thé ou des verres d'eau. Je n'avais pas grand-chose ici, encore moins du café ou des boissons sucrées. Curtis me vit en premier et fronça ses sourcils. Ouais, j'étais pas loin de la seconde crise qui allait forcément me faire un peu mal. J'avais laissé traîner cette histoire et cela allait atteindre très vite ma santé. Ce ne serait que des épisodes, mais des épisodes de plus en plus douloureux.

Curtis était un grand bonhomme, comme Killian et Dean. Un peu plus épais que le premier et un peu plus enfant que le second. Pourtant, quand il se battait, il se dégageait de lui une énergie tout aussi meurtrière que celle du Second de la meute, Killian ou de l'Alpha lui-même, Dean. Je repoussai mes cheveux, nerveuse, et allai m'installer sur le tabouret à côté de Siadhal. Le seul qu'il restait.

Killian frotta sa barbe, observant mon cahier. Je grimaçai. Je n'aimais pas trop qu'ils voient tous ce qui se passait dans mes rêves. Ce n'était pas un journal intime certes, mais sous certains aspects on pouvait le voir comme tel. Le cahier était affublé d'une vieille couverture toute usée, avec de magnifiques enjolivures. Le cuir était souple, car utilisé. Je rajoutai moi-même les pages de papier pour pouvoir y annoter ce que je voyais.

_ Alors, tu es un médium, commença Siadhal.

Je grimaçai et haussai mes épaules.

_ Il paraît, admis-je du bout des lèvres. Au fait, je m'appelle Siobhane. Enchantée de faire ta rencontre, maintenant que tu es habillé et le bienvenu ici.

_ Elle a de la répartie, j'aime assez, remarqua le puma à Dean qui se trouvait à côté de lui.

J'étais entre Killian et Siadhal. Je me sentais un peu petite entre les deux, mais je ne pouvais pas faire grand-chose pour ça. Je portai un vieux pantalon en lin noir, ainsi qu'un débardeur de la même couleur. Mes petits seins faisaient que je pouvais me balader sans soutien-gorge. Étant donné la vitesse à laquelle je m'étais habillée, je n'avais pas pris le temps de correctement le faire.

_ Je suis juste à côté, grondai-je.

_ Et mauvaise en plus ? ricana le puma.

_ Tu es méchant pour un gros chat qui est censé ronronner, remarquai-je.

Le regard qu'il posa sur moi fut soudain plus sérieux. Je vis un de ses vrais visages. Pas celui qu'il offrait à la meute qu'il avait en face de lui.

_ Je mords et je griffe aussi. Ne t'inquiète pas, je te laisse choisir l'endroit, sourit-il férocement.

Je secouai la tête. Mon guide était un petit malin qui savait quoi rétorquer aux humains trop indiscrets. Visiblement, il m'avait mise dans la case fragile et inoffensive à partir du moment où je n'avais pas enlevé cette maudite sécurité de flingue.

J'avais arrêté depuis longtemps de présenter le visage que j'avais eu pendant des siècles. Si ma nature de sorcière m'avait dirigée vers le mal, j'en avais aussi joué. Énormément. J'avais fait des choses horribles. J'avais tué des gens. J'en avais torturé d'autres. Je m'étais jouée d'eux et pour ça, j'en payais le prix. Être une sorcière était avant tout une histoire de balance. Le mal de ce monde était évincé par le bien qui en résultait. La méchanceté des personnes était contre balancée par ceux qui faisaient le bien. C'était dans l'ordre des choses.

Pour les sorciers aussi vieux que je l'étais, c'est-à-dire les Mages, nous avions une philosophie de vie bien différente. Nous étions ici pour veiller sur la nature, sur les animaux qu'elle y déposait. A chaque animal se rapportait un esprit, à chaque esprit se rapportait un protecteur. J'avais été pendant longtemps Celle-qui-Hurlait. J'avais contrôlé beaucoup de loups. J'en avais tué aussi. J'en avais blessé. J'avais oublié à quel point être en harmonie avec l'esprit que vous protégiez était une sensation inimitable.

Les Mages avaient protégé de nombreux animaux afin que la nature puisse se développer. Nous avions tenté de vivre en harmonie avec les humains à une époque aussi, mais bien vite l'attrait du pouvoir avait été plus fort que notre entente. Si certains Mages s'étaient reclus, je m'étais défendue. Puis, j'avais sombré là où jamais je n'aurais dû.

Il y avait de ces moments décisifs pour votre vie.

J'avais pris les mauvaises décisions et voilà où je me retrouvais.

Tenter d'aider un enfant qui se trouvait sûrement au beau milieu d'une tribu aborigène.

Je n'avais aucun moyen de savoir où il était, comment il s'appelait, ce qu'il faisait là.

Mais je savais que je devais l'aider.

Voilà ce que mes visions voulaient de moi.

Voilà ce qu'Aloysius avait tenté de me faire comprendre.

Chaque don était présent pour une certaine mission.

La mienne n'avait jamais été de faire tout ce mal à toutes ces personnes.

Surtout pas à l'esprit que je devais protéger.

Tout ça pour me rappeler à quel point j'étais faible, sous cette forme, sans mes pouvoirs. Le puma avait sûrement raison après tout de me considérer comme telle. Et au final, pourquoi me battre encore contre quelqu'un qui ne me croyait pas ? Je soupirai et tentai le tout pour le tout.

Je pivotai légèrement sur mon tabouret pour regarder le puma en face.

_ Tu veux vraiment savoir si j'ai dessiné ça n'est-ce pas ? Tu te demandes si j'ai vraiment quelque chose en moi pour te dire de m'emmener chez ton Empereur juste pour un enfant ?

_ Attention à ce que tu dis, humaine, souffla le puma. Les dessins que tu as produits représentent quelque chose de sacré sur notre territoire. Je ne peux te permettre de faire l'innocente et de porter blasphème à cette croyance.

Son ton avait été plus glacial.

Les loups présents se figèrent, tout comme la sorcière qu'était Tessa. Elle tendit le bras pour toucher le puma. Ce contact sembla à la fois le consterner et l'apaiser. C'était l'effet Tessa.

_ Elle ne visait pas à mal, mais tu dois lui faire confiance. Si elle doit vous aider à sauver cet enfant, elle le fera. À vous de la laisser faire.

_ Tessy, souffla le puma, qui me dit qu'elle n'est pas une usurpatrice ? Qui me dit qu'elle n'a pas été fouillée dans un vieux livre pour recopier ce dessin ?

Je soupirai. Il allait falloir que je tente le tout pour le tout ? Que je lui fasse une petite démonstration n'est-ce pas ? C'était toujours comme ça. Pourquoi me battre alors que je proposai simplement mon aide ? Franchement, c'était agaçant au final.

_ Tu devrais la croire sur parole, frissonna Curtis.

Je secouai la tête et levai ma main à hauteur de son visage. Le puma se figea et observa mes doigts. Il n'était vraiment pas amical en fait. Il jouait simplement la comédie et il la jouait très bien. Seulement, quand le danger s'approchait, il n'était plus question de jouer.

_ Si je te montre, tu me croiras ? soufflai-je.

_ Que veux-tu faire ? Tu es une humaine, tu ne peux pas.

Je posai simplement mes doigts sur sa pommette. Le contact fut largement suffisant pour que toute sa vie se déroule dans ma tête, lentement et avec beaucoup beaucoup d'images.

Il y avait cet homme, qui était toujours avec lui.

Il y avait ces ombres, qui se tenaient non loin.

Il y avait ce serment.

Il y avait ces blessures, ces peines.

Cette sérénité qui venait de lui.

De cet homme.

De cet Empereur.

Son visage était carré, sa barbe présente dans ce souvenir. Il tenait la main du puma dans la sienne, lui murmurant que quoiqu'il arrive il serait toujours là pour lui.

Dans la vie. Dans la mort.

À jamais.

Il y avait cette proie.

Il y avait ce loup.

Il y avait cet aigle.

Il y avait cette femme.

Il y avait cet enfant.

Il y avait cette sorcière.

Il y avait ce sang, cette douleur.

Cette perte.

Cette vie.

La prise du puma se referma sur mon poignet et il écarta ma main. Il n'avait rien sentit, hormis mes doigts effleurer sa peau. Je le regardai d'un autre œil soudain. Il était très vieux. Il avait foulé les anciennes terres. Il avait connu les Mages. Il portait la marque de son Mage sur son corps. C'était rare que les Mages marquent leurs esprits. Cela pouvait être soit une marque de respect, pour lui donner du pouvoir. Soit, c'était une marque de possessivité, pour l'enfermer dans son pouvoir. Le garder sous son contrôle.

_ Il faut demander la permission avant de toucher, souffla Siadhal.

Je sentis mon visage se détendre lentement. Ce puma avait rencontré son Mage. Une personne en qui il avait eu confiance, avant de se faire emprisonner par le sort qui courrait sur sa peau.

_ Aslander a tué celui qui t'a fait ça, murmurai-je en frôlant le torse du puma.

De nouveau, ses doigts se refermèrent sur mon poignet. Je frissonnai quand la douleur de mon os se répercuta dans mon corps. Mes doigts avaient frôlé le sort qui avait fait de Siadhal un esclave. Je pouvais comprendre que je dépassai une limite.

_ Tais-toi, souffla le puma. Tu n'avais pas le droit de me toucher sans ma permission, Aviela.

Je frémis quand je reconnus l'appellation. Je n'étais pas une vraie voyante, mais effectivement, je pouvais être une voleuse de vie. Je prenais la vie des gens et je l'utilisais contre eux.

_ Je ne suis pas une Aviela, soufflai-je.

_ Tu n'es pas un Mage, gronda le puma. Je le sentirais sur ta peau. Je le sentirais dans mon corps. Alors qu'es-tu, si tu n'es pas une Aviela ?

_ Je ne suis qu'une humaine, murmurai-je.

_ Lâche la Siadhal, tu lui fais mal, grogna Curtis.

Tessa était figée sur les genoux d'un Dean observateur. Savait-il ce qu'était une Aviela ? Tessa savait. Elle n'en avait peut-être jamais vu, mais elle savait.

La prise se retira de mon poignet et je poussai un long soupir de douleur.

_ Je suis désolée d'avoir fait cela sans ta permission, murmurai-je. Mais tu dois me croire. L'enfant que je vois a besoin de mon aide. Je ne veux pas me battre pour que tu l'acceptes, je veux simplement avoir le droit de le chercher.

Lentement, Siadhal sourit. De ce sourire un peu mauvais que les gens ont quand ils savent quelque chose, mais qu'ils ne vous le diront pas.

_ Je vais t'amener à celui qui peut te donner un droit de passage. Tu lui expliqueras ta situation, souffla Siadhal. Peut-être qu'il t'écoutera. Peut-être qu'il acceptera. Ou pas. Ensuite et seulement ensuite, tu pourras peut-être commencer à chercher.

Il se pencha lentement sur moi et je sentis Killian gigoter mal à l'aise. Il voulait me défendre et en même temps, ne pas devoir faire du mal à son ami.

_ Ne me retouche plus ou je te ferais mal, souffla le puma.

Je hochai la tête avant de ranger mes mains dans mon giron. Je ne voulais faire de mal à personne. Surtout pas à présent que le temps me manquait. Seulement, je devais aider cet enfant.

Quel qu'il soit.

Où qu'il soit.


*

*      *

*


Première partie du PDV de Siobhane ! C'est dans la suite qu'elle va rencontrer notre cher Kaizer ! A votre avis, comment va-t-il être avec elle ? :O 

Et Siadhal alors, vous en pensez quoi ? C'est un personnage secondaire avec une très grande place dans l'histoire ; vous le verrez très souvent ! Donc j'espère qu'il envoie du lourd quand même XD 

On commence tout doucement à en apprendre davantage sur les Mages et sur Siobhane, même si son passé et son histoire reste un mystère ! 


La suite... bientôt :P

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