19.2 Siobhane
Siadhal grogna sur ma monture pour lui faire prendre un autre chemin. Ce qu'elle fit sans trop rechigner. Gabrok avançait lentement devant nous, conscient des cris de guerre non loin de là. Lothar m'avait dit de faire le tour du champ de bataille pour passer de l'autre côté du gros des troupes d'Evekelis, et pouvoir rejoindre enfin Mamaragan. Je ferais tout pour ça, pour y arriver. Il faisait à moitié nuit et la tempête grondait. Les nuages s'amoncelaient au-dessus de nos têtes comme pour nous priver de notre lumière, de notre espoir. Je n'aimais vraiment pas cette atmosphère.
Ma monture glissa sur de la boue et je me heurtai à son encolure avant de me redresser, le cœur dans la gorge. Je jetai un coup d'œil autour de nous, ne voyant aucune abomination nous foncer dessus.
Soudain, Siadhal se figea en voyant la pente devant nous. Mon cheval n'arriverait jamais à la monter sans s'enliser dans la boue. La pluie se mit à tomber quand mes pieds touchèrent le sol boueux. Je pris le temps d'attacher ma monture à un arbre, puis rejoignis Siadhal et Gabrok. Le premier attendit que j'aie commencé à grimper avant de me rejoindre.
Gabrok avait atteint une saillie au niveau de la montagne, comme un long chemin qui montait à travers les nuages. Je finis trempée en quelques minutes. L'effort faisait trembler mes bras. Le cliquetis des griffes de Siadhal me poussait à avancer. Ma botte glissa un instant sur la pente la plus ardue à escalader et je criai de rage pour réussir à monter.
Je roulai sur une petite plateforme et regardai un instant en contrebas. Je frémis en voyant le champ de bataille à quelques mètres de nous. Heureusement que nous étions assez hauts. J'aperçus Arzhel et même Lothar au milieu d'un combat dangereux. Je faillis leur crier de faire attention, mais je me retins au dernier moment. Je ne devais pas dévoiler ma présence aussi proche. La pierre était presque trop glissante pour être escaladée. Je réfléchissais encore à un moyen de monter sans me fracasser la tête par terre quand un cri résonna.
Un cri qui me glaça le sang.
Je pivotai et tombai à genoux en voyant Dogan, à moitié embroché par Evekelis.
_ Non ! hurlai-je à pleins poumons.
La pluie ne couvrit pas mon cri et soudain, le regard d'Evekelis se posa sur moi. Son visage se tordit de rage et je le vis bouger.
Je le vis se mouvoir et courir dans ma direction.
Siadhal grogna et se tint prêt à bondir, mais soudain, des raclements de griffes nous firent pivoter tous les trois vers la droite. Un mélange de loup et de chien se tenait à côté de nous, grondant et feulant. Ce ne fut que lorsque son flanc gauche fut visible que je vis les écailles qu'il avait, comme si une part de lui était serpent. Oh bon sang !
Je sortis ma dague de ma ceinture, mais déjà Siadhal bondissait pour me protéger. Gabrok couina et tira sur ma robe pour que je m'écarte, mais une main m'empoignait déjà.
_ Tu es encore là ! hurla Evekelis.
Je vis la lame briller dans sa main. Gabrok poussa un long hurlement à son tour avant de plonger sur nous.
Pendant un instant, je sus ce qui allait se passer.
Je sus exactement comment Gabrok allait m'aider et cela me brisa le cœur.
Une vague de flammes s'étendit sur toute la plateforme, preuve vivante de la puissance même qu'Evekelis possédait. Mes bras prirent l'impact, tout comme la dague s'enfonça dans le thorax de Gabrok. Il hurla de douleur et je fis la même chose, coincée sous son corps tremblant et luttant contre sa blessure.
Mes bras à moitié brûlés étaient atrocement douloureux et je sentis très bien le moment où Evekelis souleva la carcasse du lycan qui avait été mon ami.
Mes propres hurlements écorchaient mes oreilles.
_ GABROK ! NOOOOON !
Le lycan fut jeté sur le côté comme s'il ne valait rien.
Mon ami ! Mon frère !
Je récupérai ma dague et l'enfonçai dans le torse d'Evekelis jusqu'à la garde.
Le jeune homme se figea et m'observa.
Je n'arrivais pas à penser à la mort de Gabrok.
Je n'arrivais pas à penser à Ani.
Juste au fait que ce que je venais de faire n'allait servir à rien.
À rien du tout.
Il faut que tu cours.
Une voix dans ma tête. Indra.
Enfuis-toi Siobhane !
Je repris mon souffle, voulant m'écarter, mais la main d'Evekelis se referma sur ma gorge, ses doigts me coupant le souffle. Lentement, il me souleva de terre.
_ Tu as cru pouvoir me tuer avec une simple dague, murmura-t-il. Ne crois-tu pas que j'ai essayé cela avant toi ?
Je tentai de reprendre mon souffle, mes pieds battant l'air, mais rien n'y faisait.
Sa prise était bien trop forte. Il bougea à peine les doigts et la dague vint à lui. La même qu'il avait utilisée pour transpercer ma jambe, afin d'ouvrir mon scellé.
_ Mamaragan va finir par me donner la marque. Je ne te laisserais pas aller la chercher. Tu comprends ? Je veux qu'Aslander meure. Je veux qu'il saisisse à quel point j'ai souffert toute ma vie. À quel point j'ai été seul. À quel point j'ai perdu tout ce qui était à moi. Et une fois que j'aurais la marque, je serais comme lui. Je prendrai même sa place.
_ Ma...maragan... ne fait ça... Que pour retrouver...Son ami, haletai-je.
_ NON ! cracha Evekelis en me secouant, accentuant la douleur.
Ta main !
L'ordre résonna dans mon crâne. Sentant la magie dans mon poignet, à l'endroit de la marque de la Divinité, je lançai ma main vers la tempe d'Evekelis qui vacilla sous l'impact. Pouvait-on seulement le blesser ?
Il ne me lâcha pas pour autant et me secoua même un peu plus. Je commençai à tourner de l'œil quand quelque chose le percuta, m'envoyant valser à mon tour. Je roulai par terre, toussant et haletant. L'air retourna dans mes poumons et me brûla la gorge.
Je repoussai ma cape et me mis à courir vers l'autre bout de la plateforme, là où Siadhal se battait.
Mais une force invisible s'enroula autour de moi et me ramena entre les bras d'Evekelis, contre son torse.
_ Tu ne pourras pas l'aider. Mamaragan est faible et je tirerai de lui ce que je veux. Tout autant que je vais tirer de toi ce que je souhaite.
Sa main se posa sur ma poitrine et sa puissance se mit à ramper sur ma peau. Je hurlai quand ses doigts creusèrent ma chair, comme si c'était un simple rideau qu'il écartait. Je sentis mon sang couler le long de mes côtes, imbibant mes vêtements, me débattant contre lui, convulsant.
Je suis désolé.
J'aperçus le corps inerte de Gabrok, qui avait réussi à me sauver une seconde fois, sans succès.
Je sentis mes genoux heurter le sol quand Evekelis relâcha ma carcasse. À mon tour, je roulai par terre comme un corps démembré. Mon souffle sifflait entre mes lèvres.
Et soudain, cette puissance qui coulait en moi.
Ma bouche s'ouvrit, mais ce ne fut pas ma voix qui en sortit.
_ Ragan !
Le ciel gronda et Evekelis posa son regard sur moi.
_ Tu es...
Mais il n'eut pas le temps de finir qu'un éclair frappait l'endroit où nous étions.
La pauvre petite plateforme sur laquelle nous nous trouvions explosa.
Les rochers s'effondrèrent.
Ma vision se flouta et mon corps disparut.
Un petit garçon tenait ma main droite dans la sienne, il portait une belle tenue d'apparat. Comme celle que j'avais vu le petit Ani porter. Mais ce n'était pas Ani qui se tenait à côté de moi, c'était Salil. La forme humaine d'Indra.
La personne qui avait soutenu Ani dans son enfance et qui lui avait fait traverser les âges les plus durs.
Je m'agenouillai à ses côtés, consciente de n'être qu'une projection.
La falaise s'était effondrée.
Emportant nos corps avec elle. Je n'étais pas naïve au point de penser qu'Evekelis était mort. Et que j'étais encore vivante, tout comme Gabrok et Siadhal.
Mon frère avait raison, Celui-Qui-Souffre était déjà mort. Nous ne pouvions tuer quelqu'un qui était un cadavre vivant. Il fallait l'emprisonner quelque part. Il fallait l'empêcher de nuire à notre Empereur.
Ani... Oh mon Ani. Mes doigts cherchèrent la petite pierre sous ma robe, mais je n'y trouvais rien.
_ Il faut lui expliquer, murmura Indra. Il est si triste.
_ Que dois-je lui dire ?
_ Je le ferais. Il va arriver.
Je me redressai lentement en sentant le sol trembler sous mes pieds. Comme c'était étrange.
Le songe dans lequel nous étions était à la fois astral, sans temps ni espace et pourtant, une puissance courait ici. Alimentant le sol. Alimentant l'eau de la cascade aux alentours.
Puis devant nous, vint s'élever la forme originelle de Mamaragan.
*
* *
*
Indra se montre une nouvelle fois à Siobhane, cette fois, il attend Mamaragan de pieds fermes ; qu'est-ce que ça va donner à votre avis ? 😱 Que peuvent donc bien se dire deux Divinités séparées depuis trop longtemps ? 😲
Et notre Gabrok ne se relèvera pas cette fois, malheureusement... 😔
On se dit à très vite pour la suite, là, on va pas avoir le temps de souffler ! 😤😖
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