18.2 Aslander
La réalité était étrange. Tout se superposait en un kaléidoscope délirant. Le temps, intransigeant, avait repris tous ses droits sur mon corps et mon esprit, m'amenant aux portes de délires ancestraux, mélangeant les souvenirs en des brumes épaisses. Je voguai en de sombres contrées, ne sachant plus où je me situais. M'ôtant mon nom et mon histoire. La fièvre était là, grignotant ce qu'il me restait de raison. Je gémis. J'avais trop chaud et puis je grelottai. Dès que je bougeai, la douleur explosait, me piquant de ses milliards d'aiguilles, passant sous mon épiderme et attaquant mes muscles.
Combien de temps depuis Mamaragan ?
Combien de temps avant la fin ?
Aurais-je pu lutter contre lui ? Chercher à éviter ça ? Aurais-je pu lui faire face en tant que Shakra ? Je n'étais pas sûr de vouloir mourir. Mais voulais-je vivre pour autant ?
Un étau autour de ma gorge m'empêcha de respirer, me privant quelques secondes d'oxygène. Comment avais-je pu oublier toute cette souffrance ?
Comment avais-je pu regarder les autres enfants et leur dire que ça irait ? L'avais-je fait ? Je ne savais plus. Je ne me rappelais plus de rien.
J'étais un menteur. Je m'en étais sorti jusque-là. Pas eux. Ma voie aurait dû être la même qu'eux. Tout ne tenait qu'à Salil.
Depuis le début.
« C'est l'histoire d'un très jeune Dieu. Il aimait trop. Son cœur était trop humain et sa bienveillance trop naïve. »
Je percevais la souffrance de mon peuple par-dessus la mienne, rappelle de qui j'étais et de la toile qui m'entourait et que j'avais veillée depuis mon intronisation.
Mes enfants. Mon peuple. Des frères et des sœurs. Nous étions tous égaux. Nous étions là pour nous protéger les uns les autres et moi...
Je ne voulais pas qu'ils sombrent avec moi.
Je n'étais qu'un lycan dans une immensité plus importante. Et je savais que même lorsque je ne serais plus là, il y aurait Lothar, Arzhel. Et Siobhane.
J'aurais aimé savoir ce que ça faisait que de se tenir à côté de Celle-Qui-Hurle. Juste une fois.
— Je suis désolé, mere bhaee.
Lothar était arrimé à ma main. Je n'étais plus un phare dans la tempête. J'étais décharné. Au bord du gouffre. Le temps m'avait rattrapé en quelques heures.
Où étaient les autres ? Arzhel ? Siobhane ? Warren ? Mes Konings ? Mes Neuf ? Mes yeux glissèrent sur la main de mon ami. La chaleur qui se dégageait de lui était d'une intensité à couper le souffle !
— Tu ne... devrais pas être... là, réussis-je à articuler, cherchant mon souffle.
— Tu meurs. Tu meurs et... je ne pouvais être nulle part ailleurs.
Son regard était hanté de la pire des façons, me ramenant à cet instant avec Aran le Fou, dans la salle du trône, où gisaient des cadavres. Où attendait la folie de mon père. Qui d'autre aurait pu l'arrêter hormis nous ? Mère avait toujours répété qu'un Empereur n'était pas un homme, pas plus qu'un lycan ; c'était un peuple.
Ses larmes se mélangèrent aux miennes. Je cherchais une raison à tout ça, sans trouver un seul chemin. Je tâtonnai dans le noir, seul. Il y avait forcément une lueur. Quelque part. N'importe où. Une étincelle.
Les hurlements de mes lycans se répercutaient en écho assourdissant dans ma tête. C'était un chant d'agonie. Je ne voulais pas l'entendre. Mais m'y soustraire était impossible. Leur souffrance se mêlait à la mienne.
Avec une lenteur presque exagérée, je réussis à lever mes mains au niveau du visage de Lothar. Mes doigts glissèrent sur ses joues humides. L'homme fort pleurait. Il se lamentait avec les autres.
Il n'y avait aucun précédent à ce que je m'apprêtais à faire. Mais mon lycan, en moi, savait. Il comprenait ce qu'il avait à faire. C'était la seule solution. Cette conviction brûlait en moi, elle m'octroyait des forces insoupçonnées jusque-là.
— Je n'em... porte... rais per... sonne avec moi, murmurai-je.
-- Tu ne mourras pas, clama-t-il. On ne te laissera pas mourir.
Le choix ne leur était pas donné. Cette décision ne leur appartenait pas. Il y avait des forces à l'œuvre qui dépassait l'entendement, qui dépassait toutes lois humaines ou surnaturelles.
Mon sursis m'avait juste fait croire que j'étais aussi immortel que les autres, mais il n'en était rien.
— Je ne suis pas prêt pour ça, Ani. Je ne suis pas fait pour ça, gémit Lothar, paniqué.
Il n'y avait qu'en lui que j'avais confiance pour cette tâche. Et il le savait. Je n'aurais confié mon peuple à personne d'autre. Arzhel ne comptait pas. Sa place était dans l'ombre parce qu'alors il était plus à même de guider. D'être un allié de taille. Là était son rôle. Là était ce qu'il était.
— Tu n'as pas... le choix.
Il fallait un leader. Il fallait une figure d'amour, de confiance. D'autorité.
Un peuple avait besoin d'un guide. D'un protecteur. Je ne pouvais plus l'être. Fermant les yeux, je laissais l'entité en moi prendre les commandes.
Personne avant moi, n'avait jamais pris une telle décision. Mais nous ne naissions pas Empereur. Dans le cas où il venait à m'arriver quoi que ce soit, Arzhel disposait du Droit de Succession ; ça signifiait qu'il était le seul à pouvoir choisir le nouvel Empereur des lycans. Et si j'avais été dans l'incapacité d'agir aujourd'hui, le résultat aurait été le même : Lothar aurait été choisi parmi tous les autres Konings.
La présence de mon lycan gonfla en moi. Il coula dans mon esprit et la toile jaillit ; constellation de consciences.
Ils étaient tous là.
Chacun de mes lycans.
Qu'ils soient enfants ou adultes accomplis.
Qu'ils fassent partie du Contingent ou d'une meute.
Nostalgique et silencieux, mon lycan effleura plusieurs sphères. Celles qui nous comptaient. Celles qui, d'une certaine façon, nous déterminaient. Lui et moi.
Les consciences s'éteignirent les unes après les autres. Petites boules lumineuses, elles convergèrent vers un nouveau centre de gravité. Et à chaque fois, c'était comme m'amputer d'un membre. La douleur dépassait les mots et les sensations. Mon corps était la douleur.
Lothar gémit.
Et l'obscurité inonda mon esprit. Je glissai dans un gouffre silencieux. Je ne sentais ni n'entendais plus rien.
Tout était si sombre. La panique explosa, insidieuse et mauvaise, avant que mon lycan ne m'enveloppe de sa puissance qui se brisait lentement. Son esprit disparaîtrait avec moi. Et cette simple idée me paralysait.
J'aurais aimé qu'il survive, mais nous étions un tout lui et moi. Qu'importe les affres du temps et les ravages.
Nous étions un tout.
Je cherchai mon souffle. Je cherchai une présence, un résidu.
Mais il n'y avait plus rien. Je n'arrivais même plus à voir cette petite toile qui m'avait toujours reliée à Arzhel, Risteard, Lynn, Elhe. À Tamsyn et à Bryn. À d'autres.
Je n'y arrivais pas.
Je ne sentais plus les joues de Lothar sous ma paume.
Je laissais tomber la couronne. Et l'épée. Symboles du souverain et du guerrier.
Ça résonnait dans ma tête. Encore et encore.
Longue vie au nouvel Empereur.
*
* *
*
Lothar s'excuse dans un moment où les deux hommes semblent terriblement fragiles, et à raison, n'est-ce pas ? 😥
Ani prend une décision radicale et octroi les pleins pouvoirs à Lothar, faisant de lui le nouvel Empereur d'Australie. Tout ça ne sent définitivement pas bon, hein ? 😫
Que nous réserve la suite ? Quand est-ce qu'Aloysius va enfin se bouger ?! 😮😒😣
Des bisous 😘
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