18.1 Aslander
Un anniversaire en retard : des bisous à HerbeBleu et un anniversaire dans les temps !!! ckkkrr 🎉🎊🎁🎈
— Elle ne survivra pas à un déplacement, souffla Bryn, dans un murmure qui ne se voulait audible que pour moi.
Derrière nous, Elisia piaillait dans tous les sens, créant un bruit de fond légèrement agaçant. Elle n'arrêtait pas de demander pourquoi il fallait partir. Je me concentrai sur Bryn, qui me faisait face, une moue inquiète au visage et les sourcils froncés. Elle portait la tunique des Earhja, d'une couleur très claire, le tout rehaussé de fines lignes d'or. Le col remontait un peu au niveau du cou et les manches lui enserrait les poignets. Épuré, pratique, mais qui dénotait une appartenance équivoque à la caste la plus respectée du pays. Tout le monde respectait les Earhja, et à raison.
— Si nous choisissons de l'envoyer avec les autres, elle ne survivra pas au trajet.
La main de Bryn se posa sur la jambe recouverte d'une couverture d'Hester. Cette dernière, allongée dans un lit médicalisé avec toute l'armada nécessaire autour d'elle, ne pouvait plus se passer du masque à oxygène qui mangeait une partie de son visage. Le fait que ses poumons aient décliné si vite était une preuve irréfutable de sa fin imminente. Enfant-esprit de naissance, elle rejoindrait bientôt tous les autres, après une vie trop courte, ponctuée de bien plus de souffrances physiques que de joie.
Ses constantes n'étaient pas bonnes, loin de là. Son visage, de craie, était presque aussi pâle que celui d'un mort. Sa poitrine se soulevait dans un soubresaut et à chaque fois, ses traits se crispaient, preuve de la douleur qui l'accompagnait à chaque inspiration.
— Je ne peux pas la laisser ici, répondis-je.
Dehors, non loin du complexe où j'étais, un éclair frappa le sol, déversant sa lumière blanchâtre par les fenêtres. La pluie en martelant les vitres, donnait un aperçu de ce qui approchait. Cette fois, ce n'était plus une question de jours, mais d'heures.
La menace qui arrivait sur nous – sur moi –, me poussait à agir en conséquence. Il me fallait être rapide et ne pas tergiverser pendant le peu de temps qui m'était échu. Nous en manquions cruellement. Mais prendre de telles décisions dans la précipitation n'apporterait rien de bon non plus. Stupidement, j'en vins à me demander ce qu'Arzhel m'aurait conseillé. C'était dans des cas pareils qu'on se rendait compte à quel point la présence de certaines personnes pouvait manquer. Avais-je été trop prompt à les envoyer loin de moi ? Avais-je réagi avec le cœur plutôt qu'avec ma tête ? Pour une fois, j'avais laissé de côté le titre pour ne garder que les sentiments liés à l'homme que j'étais. Un Empereur ne devait pas se laisser dicter sa conduite par ses sentiments. Mon père en était la preuve irréfutable.
— Je crains que tu n'aies guère le choix, Ani.
Oui. Bryn avait raison. Avec un soupir las, je la contournai pour m'approcher d'Hester. Cette dernière ouvrit les yeux et chercha mon regard. Ma main trouva la sienne et je serrai ses doigts chétifs contre ma paume. Sa peau était glaciale. Passerait-elle cette journée ? J'avais été si occupé ces derniers temps que je n'étais pas venu la voir une seule fois. Et je le regrettais amèrement. Je me sentais honteux ; comme si mes problèmes devaient être mis au-dessus des leurs. Leur vie était si courte ! Si précieuse, à la façon de la chenille brisant sa chrysalide pour s'envoler.
Hester leva le bras et retira son masque. Tout de suite sa respiration sifflante me heurta, rappel constant de sa condition. Un nœud se forma dans ma gorge et mes yeux me picotèrent. Je me sentais à fleur de peau, comme si chaque coup porté risquait de me mettre à terre. Était-ce le cas ?
Cette fragilité, qui avait toujours été en latence, était exacerbée depuis l'arrivée de Siobhane dans ma vie. Je me rappelais alors que je n'étais qu'un homme, que je n'avais été qu'un Enfant-esprit, appelé moi aussi à mourir, mais sauvé par l'amour d'un très jeune Dieu. J'aurais aimé être capable d'aider chacun des enfants présents. J'aurais aimé croire que ma condition me permettrait de faire plus. Pour eux. Mais je comprenais qu'il y avait un ordre à toutes choses. Qu'il y avait une volonté derrière chaque acte, chaque fatalité, chaque coup du sort.
— Tu es... venu p... pour... me f... fai...
Parler lui était tout aussi douloureux que simplement respirer. Je la forçai à remettre le masque à oxygène et me penchai pour déposer un baiser sur son front. Je restai ainsi quelques secondes, profitant de cette pseudo accalmie et de ce moment de tendresse pour chercher une sorte d'apaisement en moi-même. Juste ce qu'il me fallait pour faire face à ce qui arrivait. Le choc promettait d'être rude.
Lorsque je me redressai et me retournai, Todd, le premier Asters du Contingent, se tenait à l'entrée de la pièce, les mains dans le dos, la tête bien haute.
— Les véhicules sont prêts, Sire, dit-il.
Je hochai la tête :
— Vous pouvez commencer.
Les enfants furent soulevés et emportés à l'extérieur. Bryn me serra dans ses bras et disparut à son tour ; elle accompagnerait les enfants jusqu'à un endroit sûr le temps que la tempête passe et que tout rentre dans l'ordre. Si tant est que ça se passe si facilement. Les autorités humaines étaient elles aussi sur le pied de guerre et les sirènes qui avaient sonné dans tout le pays avaient permis d'alerter les habitants, qu'ils soient dans les plus grandes villes ou dans les coins les plus reculés. Puisque j'étais dans l'incapacité de savoir clairement ce que nous allions nous prendre sur le coin de la figure, j'avais préféré ne pas ménager mes efforts et le Premier Ministre avait suivi. Éviter les pertes humaines, voilà notre seul et unique objectif pour les jours à venir. Une grande partie du Contingent avait été déployée là où il y en avait le plus besoin, surtout à proximité des poches de résistance les plus récalcitrantes. Certains pourraient avoir la bonne idée de fomenter un coup d'État alors que nous étions déjà attaqués d'un côté. Il fallait donc garder un œil un peu partout, pour ne pas se faire bêtement surprendre.
Chacun de mes Konings était en attente sur son propre territoire. Lutter contre une Divinité n'avait rien de commun. Il n'y avait pas eu de précédents, peut-être parce qu'en général elle ne faisait qu'observer. Mais après tout, Mamaragan avait été Déchu et exilé loin du Panthéon il y avait des millénaires, faisant de lui un paria. Faisant de lui une entité bien plus dangereuse que quiconque l'aurait cru, moi le premier. La plupart des Déchus avaient choisi le Sommeil dans leur exil. Préférant se couper du monde et être oubliés. Tout simplement. Et pour une raison que je ne m'expliquais pas encore, Mamaragan avait choisi l'éveil. Et le monde. Qu'est-ce qui le poussait à venir aujourd'hui ? Avait-il été réveillé ? Et si c'était bien le cas, que lui avait-on murmuré à l'oreille pour le mettre dans une telle colère ?
Cartaphilus ? Ou Evekelis ? Car si je comprenais bien les paroles de Daramulum, il y avait bel et bien deux entités dans un même corps. Et il me semblait alors important de faire la distinction. Il y avait l'être qui cherchait à mourir depuis des siècles et des siècles et il y avait mon jumeau. Mais à quel point Cartaphilus avait-il pris le pas sur Evekelis ? Je me doutais bien que ça n'avait rien à voir avec porter un lycan en soi. Evekelis était-il né lycan d'ailleurs ? Et si ça avait été le cas, que restait-il de l'animal ? Comment Nokomis l'avait-elle appris ? Et pourquoi elle aussi avait gardé le silence ? Le mutisme de mes proches me hantait dorénavant, comme une chape de plomb coulée à même mon corps. Je me sentais lourd. Suspicieux. Rien de pire quand on savait que l'unité faisait la force. Pourtant, je m'étais délesté de mon meilleur atout. Quelle trahison me pesait le plus ? Celle d'Arzhel ? Ou celle de Lothar ?
Je me sentais plus seul que jamais, bien trop conscient de ce que leur présence dans ma vie impliquait. J'observai les dernières voitures s'éloigner, emportant tous les enfants loin du Deity. Le ciel au-dessus de la ville était terrifiant, recouvert de nuages d'un noir opaque, annonciateurs d'un danger imminent. La nature était l'arme la plus puissante des Divinités. Les arbres gémissaient, leurs troncs malmenés dans tous les sens et les branches claquaient comme l'auraient fait des fouets. Le pays gémissait à travers la terre. Tout allait si vite. Je ne pouvais pas dire que jamais je n'avais été devant un tel danger, après tout, les Seekers avaient été des ennemis redoutables. Aran le Fou comptait aussi. Mais à chaque fois, j'avais su me positionner face à tout ça. Là ? J'étais perdu. En moi aussi il y avait plusieurs entités. Mon frère lycan, Shakra et moi-même. Lequel étais-je supposé être ? Y avait-il seulement une réponse ? Une seule possibilité ? Mamaragan ne venait pas pour moi, Kaizer. Ce n'était pas moi qu'il cherchait, n'est-ce pas ?
Il s'agissait d'Indra. Tout me ramenait à lui. Qu'importe les siècles. Je ne nierais sous aucun prétexte que je lui devais mon existence tout entière, même s'il n'aurait pas aimé que je pense ainsi. Une vie pour une vie. Quand une Divinité offrait son Essence, il n'y avait pas de retour en arrière possible. Elle disparaissait. Ne laissant qu'un résidu, qu'une trace de son passage.
Indra n'était plus. Et venir chercher sa marque ne changerait rien à ça. Pourtant, Mamaragan semblait le croire. Pensait-il sérieusement qu'en me prenant la marque d'Indra, ce dernier reviendrait ? Si ça avait été possible, je me la serais moi-même arrachée.
L'abnégation. L'amour. Voilà qui j'étais.
Les nuages cachèrent le soleil et soudain, ce fut comme s'il faisait nuit, comme si nous étions déjà plongés dans l'obscurité. Le vent hurlait à mes oreilles et des lycans hurlèrent sur le domaine, juste avant qu'un gros fracas ne se fasse entendre. Un arbre venait de tomber, en entraînant d'autres dans son sillage.
Une fois bien au chaud au Deity et après avoir veillé à ce qu'Hester soit bien entourée, je cherchais Siobhane et la trouvais sans surprise dans l'immense bibliothèque, bien vide et délaissée lorsqu'Arzhel manquait à l'appel. Puisque l'électricité semblait avoir sauté, des centaines et des centaines de bougies avaient été allumées et une lumière tremblotante aspergeait les murs et les rangées de livres. Le vieux tourne-disque, dans un coin de la pièce, déversait une musique d'un autre temps, pas encore totalement surannée néanmoins. Je n'étais pas un mélomane, pas plus qu'Arzhel, mais nous aimions parfois inonder le Deity de musique, mêlant les époques et les genres.
La jeune femme était perchée sur une échelle montée sur des patins, qu'on pouvait déplacer le long des rayonnages ; bien pratique pour attraper les ouvrages les plus en hauteur. Il y avait tant de titres différents en ce lieu que beaucoup me semblaient alors bien abscons. Bon, j'avouais que je ne faisais pas grand effort non plus. Lire rapport sur rapport avait le don de m'assommer. Et me vacciner de toute autre lecture.
— Il y a tant de livres ici ! s'exclama Siobhane, enthousiaste au possible, un joli sourire éclairant son visage et apportant un peu de douceur en ces heures sombres.
— Et ce n'est qu'une partie, avouai-je.
— Vraiment ?! Ceux qui s'occupent de tout ce patrimoine doivent avoir du travail par-dessus la tête.
Elle n'avait pas tort. Mais ils adoraient tellement ça qu'ils n'auraient changé de métier pour rien au monde.
— Je te présenterais Torne à l'occasion. Il est le scribe en chef.
Et il faisait partie de la famille, par son affiliation.
Siobhane attrapa un gros volume relié de cuir et ne prit pas la peine d'utiliser les barreaux pour redescendre. Elle atterrit souplement au sol et se tourna vers moi.
— Je crains qu'il soit impossible de trouver autre chose ici, dit-elle en haussant les épaules.
La bibliothèque était trop vaste pour espérer mettre la main sur une information laissée par ma chère sœur.
— Il y a peut-être un autre endroit, soufflai-je, me disant que s'il existait effectivement des notes laissées par Nokomis, elles devaient être dans ses appartements, à sa seule portée.
Du moins ça avait été vrai à l'époque. Je tendis ma main à Siobhane et elle n'hésita pas. Déposant le livre au passage, nous traversâmes nombre de corridors, nous enfonçant un peu plus dans le Deity. Les appartements de Nokomis se trouvaient dans une des ailes les plus éloignées de tout le reste. Aran l'y avait installée dès qu'il avait compris ce qu'elle était et même après sa mort, elle n'avait pas voulu quitter ses quartiers, s'y sentant bien. Les couloirs ici étaient froids, presque lugubres. Certes les rondes des Soldats les amenaient ici, mais les lieux restaient sans vie la plupart du temps. J'avais rarement à cœur de revenir ici, y sentant encore trop fortement la présence de Nokomis. Les jardins suffisaient. Pourtant, ce soir, les vieux candélabres avaient tous été allumés, comme si quelqu'un avait su que nous finirions par venir.
Nous passâmes devant plusieurs portes, avant de nous arrêter devant un double battant. J'actionnai la poignée et m'effaçai pour laisser passer Siobhane. Le boudoir de ma sœur était tel que dans mon souvenir. Personne n'avait touché à rien, se faisant je pouvais presque imaginer Nokomis passant par-là, laissant traîner par-ci par-là quelques babioles inutiles.
Siobhane dû comprendre sans mal où nous nous trouvions, car elle fit presque volte-face.
— Nous ne sommes pas obligés, tu sais.
Je lui souris, pour la rassurer et lui montrer que ça allait. Que ça irait. Ce n'était qu'un lieu parmi tant d'autres, porteur de souvenirs encore vivaces. La présence de Nokomis était partout, tel un murmure, un écho se répercutant contre les pierres. Quand je repousserais les épais rideaux menant à sa chambre, la trouverais-je devant la fenêtre, observant le déchaînement de la nature ?
Les doigts de Siobhane sur ma joue me firent sursauter.
— Tu penses à elle ?
Ma paume recouvrit sa main et je m'appuyai contre son toucher.
— Je me dis que le Deity sans elle est bien vide.
Main dans la main, je tirai Siobhane à ma suite et la chambre, immense, s'ouvrit à nous. Des pans entiers du mur étaient recouverts de livres, preuve que ma sœur avait été une grande lectrice. De nombreuses œuvres d'art en tout genre étaient parsemées un peu partout, allant de célèbres toiles à des reliques anciennes, inestimables. Les âges se côtoyaient dans un fatras qui n'avait eu de sens que pour Nokomis. Tout ça, c'était tellement elle. Les souvenirs que j'avais d'elle me semblaient bien dérisoires par rapport au manque que j'éprouvais à chaque fois que je me la remémorais.
Siobhane s'avança vers l'imposant bureau, où une plume attendait d'être trempée dans un peu d'encre pour reprendre vie. En fait, tout était figé ici. En attente du retour de la maîtresse des lieux. Je me demandais par quel miracle les Sevaes arrivaient à garder les appartements propres sans pour autant déplacer quoi que ce soit. Un mystère qu'il me faudrait éclaircir.
Avec une infinie précaution, Siobhane attrapa un vieux carnet et l'ouvrit. Les pages craquèrent et se détachèrent pour finir aux pieds de la jeune femme. Elle commença à se baisser pour tout ramasser, mais se figea dans son geste, concentré.
— Peut-être... peut-être que ta sœur à découvert l'existence d'Evekelis sans le vouloir, souffla-t-elle, ses traits tirés par la concentration.
À quelle vitesse les idées fusaient dans son esprit ?
— Comment ?
— Réfléchis Aslander ; ta sœur était une Seeker.
Elle brandit le carnet éventré et le secoua :
— Nous ne trouverons rien, hormis quelques dessins.
— Tu penses qu'elle a... pris cette information dans l'esprit de quelqu'un ?
Si c'était ça, alors je comprenais son silence, bien plus que celui des autres. Nokomis n'avait pas eu honte de son affiliation ni de ce qu'elle était, mais utiliser son pouvoir sur les autres avait toujours été une épreuve terrible pour elle. Parce qu'elle amputait un autre être humain de qui il était, aspirant jusqu'à sa personnalité.
— Je ne vois pas d'autres explications.
Je passais non loin de Siobhane pour me retrouver devant les portes-fenêtres donnant sur la terrasse. Le vent s'engouffrait partout où il pouvait, emportant avec lui des murmures qui étaient pareils à ceux des morts. Nous nous serions crus dans un tombeau.
Voulais-je que ce soit la bonne réponse ? Pour croire que Nokomis avait gardé le secret pour une bonne raison ? Le prix de sa honte. Comme j'aurais souhaité qu'elle soit là, pour la confronter d'une certaine façon. Pourquoi la solitude m'étreignait-elle avec tant de forces ? Je me sentais oppressé de toute part, ne sachant plus à qui faire confiance. Ne sachant plus à qui me fier. Voilà à quoi j'en étais réduit ? À guetter derrière moi dorénavant ? Si j'avais laissé le temps à Arzhel, Lothar et Dogan de s'expliquer, qu'auraient-ils avancé ? De quoi se seraient-ils justifiés ?
— Comment est-elle morte ? souffla Siobhane soudain et malgré l'intempérie dehors, je perçus la note cristalline de sa voix.
À quoi me raccrocherais-je lorsque Siobhane ne serait plus de ce monde ? Et si Cartaphilus, dans sa folie, avait raison ? Et si j'étais capable de la sauver ? Comment le savoir ?
Je me tournai à demi vers celle qui s'était frayé un chemin jusqu'à mon cœur, y laissant une marque qui ne partirait plus.
— Morte ? Nokomis n'est pas–
Mon cœur cogna contre ma cage thoracique avec une telle force que je crus chanceler. Mon souffle se bloqua dans ma gorge et je fis volte-face au moment où les portes-fenêtres s'ouvrirent en grand et claquèrent contre le mur. Les vitres se brisèrent et les éclats se figèrent en l'air, se mettant à flotter autour de nous.
Le temps venait de s'arrêter, figé dans une bulle englobant le Deity. La pression de l'air était insoutenable et mon corps me sembla peser des tonnes.
— Il est ici.
Plus aucun bruit. Nous étions dans l'œil du cyclone, coupé de tout. Les branches ne bruissaient plus, la pluie ne martelait plus.
Le silence.
Un éclair zébra l'obscurité et là, devant moi, apparut Mamaragan. Il se tenait à plusieurs mètres, ses longs cheveux se soulevant en volutes, donnant une impression quasi psychédélique à l'instant. De son faciès, je ne distinguais que ses yeux, qui avaient la couleur des éclairs ; un or indéfinissable et saisissant. La puissance qui se dégageait de lui était telle que j'avais cette sensation d'être repoussé en arrière, luttant contre un mur invisible. L'atmosphère était lourde de sa présence.
Sire !
L'aigle fut figé dans le ciel avant de chuter lourdement au sol. Sa douleur se répercuta à travers notre lien, me faisant frissonner.
— Je ne souhaite tuer personne, Empereur.
Le tonnerre. Qui grondait. Qui enflait.
— Tu es ici chez moi, Mamaragan. Pourquoi ta venue ?
Je détendis mes doigts et avisai le halo qui venait de m'envelopper, drapant sur moi son emprise. Il s'agissait de mon pouvoir. De cette part divine en moi, qui se réveillait au contact d'une énergie similaire. C'était incroyable, cette sensation, au creux de mon corps, qui cherchait à s'étendre, à jaillir. J'usais rarement du don qui m'avait été fait. Ne m'en sentant pas légitime. Mais cette force en moi, qui avait sommeillé jusque-là me semblait faire partie intégrante de moi. Intrinsèquement.
Je la respirais.
Je la goûtais avec ma langue et ma peau. Elle me transcendait. Elle m'élevait.
Je comprenais enfin ce qui faisait de moi Shakra. Cette part que j'avais sciemment mise de côté, préférant l'ignorer. L'oublier.
Voilà donc ce que m'avait offert Salil. Non. Indra.
Pouvais-je sauver Siobhane avec ça ? Était-ce la réponse ?
Qu'avait dit Daramulum ? Que Cartaphilus voulait ma marque ? Et Mamaragan surgissait à ce moment précis.
— Il n'est plus, dis-je. En me donnant sa marque, il a disparu.
Lui dire que j'aurais aimé qu'il en soit autrement n'aurait servi à rien. La douleur de la perte d'Indra pour Mamaragan était-elle la même que pour moi ?
— C'est à moi d'en juger, Empereur.
Peut-être aurais-je dû agir, ou du moins lutter. Ne pas seulement le regarder venir. Si mon corps voulut bouger, une voix dans ma tête résonna. Un écho familier.
Je compris qu'aller contre les prochains événements ne servirait à rien. Est-ce que j'abandonnais avant même de me battre ?
Était-ce un lâcher-prise ? Tout était-il perdu d'avance ?
— ANI !
Le hurlement de Siobhane me vrilla les tympans. J'avais cru que me faire retirer la marque d'Indra serait douloureux. Que j'aurais l'impression qu'on m'écartèlerait, mais il n'y eut rien de tout ça.
En fait, ce fut indolore. Et doux. Une brise lors d'un été trop chaud.
Un vide éclata en moi. La main de Siobhane, qui avait agrippé mon bras ne fut plus qu'une sensation disparate. Je me tenais debout, seul, face à une Divinité Déchue.
— Si le revoir avait été si simple, ne crois-tu pas que je me serais moi-même arraché cette marque ?
Le doute dans son regard. Il recula et je crachai du sang. Ça jaillit de ma gorge, à la façon d'un geyser, aspergeant mes vêtements et se mêlant au sol mouillé.
Mon corps craqua. Et ça me revint.
La souffrance de ma jeunesse. Celle-là même qui avait rongé mes os, me dévorant de l'intérieur.
J'avais oublié. J'avais oublié qu'avant d'être un Empereur j'étais un Enfant-esprit.
Mon corps, un nœud de douleur, chuta en avant et ma joue heurta le sol. Je suffoquai.
— Ani. Ani. Oh... ANI !
Siobhane criait. Elle paniquait.
— ASLANDER !
C'était logique en fait. J'étais redevenu un lycan malade. J'allais emporter avec moi mon frère. J'étais un enfant dans le corps d'un homme.
J'allais mourir.
Tout bougeait. Il y avait des voix, des cris. Des pleurs.
— Fais quelque chose. Je t'en supplie !
— Je... je ne peux rien pour lui. Je...
— TU NE COMPRENDS PAS ! C'était à moi... à moi de le sauver. Mes visions... s'il meurt, à quoi bon ? S'il meurt, je ne...
Respirer était un calvaire.
Je me souvenais des bras de ma mère. Je me souvenais des hurlements d'Aran le Fou. Et des corps calcinés des Earhja. De Tamsyn, effondrée.
De Salil. Notre première rencontre. D'Arthur et notre quête.
— J'ai échoué. J'ai échoué.
Il ne fallait pas que j'emporte mon peuple avec moi.
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Coucou vous ! ☺️👋 On enchaîne un PDV d'Aslander ; et si on faisait un point dessus ? 😀
Déjà, il semblerait que Nokomis ne soit pas morte ! Alors quoi, où est-elle ? Des avis ? Des pistes ? 😱
Et Mamaragan est arrivé et ça y est, il a prit la Marque d'Ani, faisant de nouveau de notre Empereur un enfant-esprit... ça ne promet rien de bon pour la suite ! Siobhane va-t-elle trouver une solution ? Et tous les autres alors ? Les paris sont ouverts ! 😣
Le prochain chapitre sera encore du PDV d'Ani, donc tenez-vous prête 😏
Sinon vous avez dû remarquer que Our Anchor avait été republié après un moment passé dans mes brouillons ; vu qu'on approche à grand pas de la fin de ce tome, les corrections vont pouvoir commencer sur Our Anchor et après, on pourra penser à publier chapitre après chapitre. 😮😌
A très vite et bonne fin de week-end à vous. Des bisous 😘
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