16. Siobhane
De nouveau, j'ouvris mes paupières sur l'obscurité de l'immense grotte dans laquelle Evekelis entreposait ceux qui lui servaient d'expérience. Le froid poussa mon corps à trembler et je dus serrer les dents pour ne pas que mes mâchoires claquent l'une contre l'autre.
Un souffle court me parvenait, mais ce n'était ni moi, ni Evekelis qui retira enfin son masque. Je frémis en découvrant une partie de son visage ravagé par le temps. Se décomposait-il ? Était-ce pour ça qu'il avait besoin de nourrir son corps ?
Deux fois qu'il me kidnappait. Deux fois que je le laissais faire. Ça ne pouvait pas arriver une troisième fois. Du moins, pas avant que mon frère ne soit mis au courant de sa présence ici et de son intérêt pour Aslander. Je préférai qu'il soit ici avec moi plutôt qu'à attaquer Ani. Je pris une longue inspiration et m'agenouillai.
Mon regard se posa sur un corps humain tremblant et haletant sur la table d'autopsie. Les cheveux de la jeune femme me rappelèrent ce moment à la fête, quand Lothar l'avait fait valser. Son rire éclatant, à la fois enfantin et innocent.
Kara. C'était Kara. Il avait kidnappé une Divinité.
Les odeurs qui me parvenaient ne me disaient rien qui vaille. Des odeurs de sangs, d'urine et d'excréments. Je frottai mes mains sur ma robe pour tenter de garder mon calme. Le mouvement de foule qu'il avait créé et qui lui avait permis de me kidnapper une première fois, il avait aussi réussi à séquestrer Kara. Personne n'avait dû faire attention à sa disparition avec tous les problèmes qui s'étaient enchainés.
_ Tu sais qui je suis maintenant, souffla la voix d'Evekelis.
Il était caché dans l'ombre d'une de ses machines étranges qui contenaient des corps et des animaux différents.
_ Nous n'étions pas censés vivre, murmura-t-il. Nous étions censés mourir pour elles...
Son regard se posa sur l'enveloppe humaine de Kara. Cette dernière eut un léger sanglot, tentant sûrement de s'agiter, sans y parvenir à cause des liens serrés qui la maintenaient contre la table.
_ Evekelis, soufflai-je.
Il eut un léger rire avant de s'approcher de moi en sautillant. Lentement, très lentement, il s'agenouilla pour être à mon niveau. Son doigt caressa la courbe de mon nez, appuyant sur la fin pour me faire baisser la tête.
Je poussai un cri de douleur quand il agrippa mes cheveux avec force pour me tirer derrière lui, me traînant au sol. Il me souleva, son autre bras enserrant ma taille et me jeta sur le même modèle de table d'autopsie que Kara. Ma joue heurta le métal avec fracas et je fus sonnée un instant. Le crâne pulsant de douleur, je le sentis me retourner et m'attacher. Je tentai de bouger, mais sa main me gifla m'envoyant de nouveau dans le noir.
Sa main sur ma cuisse me réveilla en sursaut. A l'endroit de mon premier scellé, il suivait du doigt les lignes de ma malédiction, soufflant les mots à voix haute, me retournant l'estomac.
_ Non ! hurlai-je.
Il se redressa et m'observa.
_ J'ai essayé de lui tirer des renseignements à elle, mais elle n'a rien voulu me dire.
Je basculai ma tête pour voir le visage de Kara. Elle avait des coupures partout sur le corps. Elle ne portait plus que ses sous-vêtements et même eux semblaient souillés. Le regard qu'elle tourna vers moi était vide et sa bouche était ouverte sur un cri bien trop silencieux à mon goût. Je devais la sauver avant qu'il ne la tue pour de bon. C'était une divinité bon sang ! Elle n'avait pas à subir ça ! Pas sous mes yeux en tout cas, je me le promis.
_ Te souviens-tu de ce qu'on a dit ? dis-je en agitant mes doigts pour que le sang continue de circuler.
Les liens étaient vraiment très serrés. Celui sur mon ventre meurtrissait ma peau à travers le tissu léger de ma robe.
_ Entre amis, il faut qu'on s'écoute. Tu veux bien m'écouter Evekelis ?
Son regard observa mon ventre se soulever au rythme haché de ma respiration. De sa ceinture, il tira une lame en argent. Je déglutis. C'était sûrement celle qu'il avait utilisée pour torturer Kara. Je ne pouvais pas le laisser me blesser. Je n'étais pas ici pour mourir sous sa main. Loin de là. Mais comment calmer une personne aussi instable que lui franchement ? Il pouvait rire avec vous pendant une seconde et vous égorgez la suivante. J'avais connu des loups bipolaires, mais même eux n'arrivaient pas à la cheville d'Evekelis.
_ Je voulais simplement survivre, murmura sa voix soudain triste et tremblante.
_ On a tous envie de vivre, soufflai-je. Moi aussi, si je pouvais, je voudrais vivre encore longtemps.
_ Pourquoi ? Pourquoi je n'avais pas le droit de vivre ?
_ Tu en avais le droit, Evekelis. Tu en as le droit. Mais tu ne peux pas continuer à faire du mal aux autres.
_ Je ne fais pas de mal. Je te le jure. Je... je cherche juste. Je veux juste savoir pourquoi lui, il a le droit d'exister.
_ Laisse Kara partir, soufflai-je. C'est une amie à moi et je ne veux pas qu'elle soit blessée. Laisse-la Evekelis. Elle ne –
Mon cri déchira l'air quand son couteau se planta dans ma cuisse droite, juste sur mon scellé. Un souffle balaya toute la grotte et mon corps vibra si fort que je crus qu'il allait se démembrer. La douleur pulsa là, à l'endroit où l'arme était plantée.
Mes hurlements résonnèrent dans ma tête tandis que le pouvoir gonflait à l'endroit même de la dague. Je pouvais le sentir trembler contre ma peau, juste là, à la surface, prêt à basculer.
Comme ça faisait longtemps que je n'avais pas senti ma propre puissance.
Comme j'aimais savoir qu'au fond, Aloysius ne m'avait pas complètement vidée de mon essence.
Mais en aucun cas je ne voulais que ce monstre l'utilise contre moi. Qui sait ce qu'il pourrait faire avec mes dons de Guide ? Si j'étais encore capable d'appeler les lycans.?
Magie. Il y avait de la magie, car mon sang ne coulait pas, du moins pas aussi vite qu'il aurait dû pour une blessure comme celle-là. Les soubresauts qui m'agitaient se calmèrent après plusieurs secondes où ma voix finit elle aussi par lâcher.
_ Il ne s'est pas brisé, soupira l'adolescent.
Évidemment que non. Il n'allait pas se briser avec un simple couteau et une petite magie. Aloysius était un Ancien. Il savait parfaitement ce qu'il avait fait. Je tentai de respirer normalement, mais ma jambe tremblait trop, envoyant des vagues de souffrance dans tout mon être.
_ Kara est innocente, s'il te plaît, Evekelis.
Lentement, l'adolescent se pencha vers mon visage. Je sentis une goutte de sueur sur ma tempe. Il la vit et d'un coup de langue, l'effaça. Je retins un long frémissement. J'étais habituée à pire de la part de certains hommes.
_ Pourquoi la protèges-tu ? Tu ne la connais pas.
_ Tu ne peux t'attaquer à une divinité. Même toi, tu pourrais être puni, soufflai-je.
_ Elle ne veut pas me dire ce qui sauve Aslander.
_ Tu veux dire qu'elle ne veut pas te donner ce qu'il a reçu comme un cadeau, rétorquai-je, un peu mauvaise. On ne peut pas voler une telle chose.
_ Lui le peut, gronda Evekelis en posant sa main sur le pommeau de la dague.
Je criai de nouveau quand il enfonça l'arme un peu plus loin dans ma cuisse. Evekelis relâcha sa prise et me contourna pour se pencher sur Kara. Cette dernière émit un long sanglot quand il lui caressa la joue et lui murmura quelque chose à l'oreille. Je regardai rapidement autour de moi et sentis la petite pierre de Dogan entre mes seins. Je tentai de ralentir ma respiration pour ne pas qu'elle tombe sur ma gorge et qu'Evekelis ne la voit.
Mon regard se porta sur la main de notre ravisseur. Il tenait un long couteau contre sa jambe.
_ Alors, qu'est-ce que je vais trouver à l'intérieur de ton corps qui pourrait m'aider à survivre ?
Le regard de Kara s'écarquilla quand il leva bien haut la lame. J'amorçai un mouvement et la pierre de Dogan glissa lentement, luisant contre ma poitrine. Immédiatement, Evekelis la vit. Son visage se tordit de colère et la peur s'enroula autour de ma gorge.
Je tentai de m'écarter de sa main, mais elle s'abattit quand même sur mon visage et je basculai sur le côté, le couteau planté dans ma cuisse pour seul maintien. Je sentis mon muscle se déchirer sous l'effet de mon poids, mais j'étais trop sonnée.
Evekelis agrippa mon épaule et me rebascula sur la table. Je tentai de m'accrocher à la pierre, mais déjà il me l'arrachait. Je m'affaissai sur la table, des larmes brûlantes sur mes joues.
_ Tu es si importante pour lui qu'il laisse ce shaman poser des pièges sur toi ? cracha le jeune homme.
_ S'il te plaît, murmurai-je d'une voix faible et tremblante. S'il te plaît, essaye de comprendre. Tu ne peux pas –
Un bref mouvement à sa droite le figea un instant. Un loup gronda dans l'ombre et soudain, Evekelis cria de rage. Il commença à tirer sur ses cheveux et à hurler des paroles incompréhensibles.
Le loup s'avança un peu plus, accentuant son grognement et prenant une position clairement offensive. Je reconnus immédiatement le loup d'Aslander.
_ Ani, murmurai-je.
Un autre long grognement. J'observai ses déplacements qui étaient lents et pleins de précautions. Comme s'il s'attendait à une attaque vicieuse à n'importe quel moment. Comme je pouvais le comprendre.
_ Je ne peux pas, soufflait Evekelis en reculant dans l'ombre tandis qu'Aslander en sortait. Je ne peux pas ! JE NE PEUX PAS !
Il hurla une dernière fois avant de disparaître.
Je poussai un cri de soulagement quand Aslander reprit sa forme humaine. Il regarda le couteau dans ma cuisse, mais j'agitai mes mains vers Kara. Le visage d'Ani se fit bien plus sombre quand il se pencha lentement vers la divinité. Cette dernière poussa un gémissement en le voyant et lui tendit ses bras en se mettant à pleurer encore et encore.
_ Il faut partir, murmura Aslander. Je ne sais pas s'il va revenir.
_ Je sais, soufflai-je. Je sais bien.
Je m'assis en jurant et refermai ma main sur le pommeau de la dague. Mon pouvoir frémit semblable à la magie que l'arme renfermait, mais pas assez pour me faire peur. Ani réussit à détacher Kara et la souleva contre son torse, la pressant comme si c'était une enfant.
_ Mia, insista l'Empereur d'une voix douce, mais hâtive.
Je hochai la tête plusieurs fois d'affilée. Je ne savais pas si ça allait libérer quoi que ce soit. Je n'étais pas sûre de vouloir le savoir. Je comptai jusqu'à cinq et tirai sur le manche. La dague ne bougea pas. Mes bras n'étaient pas très forts, ni ma prise. J'étais épuisée et à bout de nerfs. Je tentai d'essuyer mes mains glissantes, jusqu'à comprendre que je pleurais. Ce ne fut que quand Aslander frotta son nez contre ma joue que je me rendis compte que je sanglotais très fort.
_ Pardon, m'excusai-je. Pardon. Je n'y arrive pas.
Aslander observa Kara contre son torse et cette dernière cligna des yeux. Ils échangèrent un regard avant qu'elle ne pose un pied par terre pour se mettre debout, me tendant une main en même temps. Je m'accrochai à elle et elle à moi. Aslander se pencha sur ma cuisse et observa là où était plantée la lame.
_ Elle ne touche aucune artère vitale, haletai-je dans les cheveux de Kara.
_ Pourquoi perds-tu si peu de sang ?
_ Car cette lame n'était pas là pour ça, répondis-je laconiquement.
Ani ne s'embarrassa pas de détails et retira la lame d'un geste sec et précis. Ce fut comme si on me claquait une porte au nez. D'un seul coup, le courant d'air que formait mon pouvoir disparut, ne laissant qu'un léger embrun derrière lui.
Kara tentait de me parler pour me réconforter, mais elle était aussi instable que moi et ce fut Ani qui agrippa mon visage de ses deux immenses mains. Sa chaleur me fit du bien et je clignai rapidement des paupières pour apercevoir son visage.
_ Je suis là. Tout va bien. Tu m'entends Mia ? Tout ira bien, je suis là maintenant. Tu peux respirer.
Ani, nu comme un vers, arracha un pan de ma robe pour l'enrouler autour de ma cuisse ensanglantée. À présent que la dague ne retenait plus le sang, je commençai lentement à me vider par ce trou impressionnant. Kara se pressa contre mon flanc pour me soutenir et m'aider à avancer. Ani fouilla un peu autour de nous, observa les créatures qui avaient été démembrées et revint vers nous. Il fit enfiler un pull à Kara et enfila lui-même un pantalon qu'il avait dû trouver là. Kara avait beau me toucher, je ne sentais pas grand-chose venant d'elle. Si c'était une divinité, c'était normal.
_ Je suis désolé si le transfert vous fait mal, mais je ne suis pas très doué.
_ Tu vas très bien t'en sortir, dis-je dans un souffle tremblant.
Kara lui sourit doucement, n'ouvrant pas la bouche pour autant. J'espérai vraiment qu'Evekelis n'avait pas eu le temps de lui faire trop mal. Ce serait terrible pour elle, pour son expérience ici-bas. Ce n'était pas ce que nous voulions montrer à des divinités.
Ani prit ma main libre dans la sienne, puis celle de Kara. Il ferma ses yeux et son visage se crispa. Ses tatouages s'illuminèrent brièvement et bientôt, sa magie nous étouffa. Pour mieux nous faire réapparaître dans le même endroit qu'à chaque fois : le jardin de Nokomis, sa petite sœur.
J'eus à peine le temps de sentir Ani me rattraper que déjà la douleur pris le pas sur tout le reste.
Je savais que ce rêve n'était pas tout à fait de ma volonté. Je savais qu'Aloysius ne se tenait pas vraiment à mes côtés, sur le bord de cette immense falaise qu'il m'avait fait connaître il y a de cela des siècles et des siècles.
_ Tu aurais pu me prévenir, soupirai-je.
_ Je ne suis pas celui qui dicte l'avenir. Et je n'ai en aucun cas le droit d'intervenir sur vos destins.
_ Et pourtant, c'est bien ce que tu fais, mon frère.
Son sourire en coin me fit secouer la tête. Aloysius dans toute sa splendeur.
_ Qui est le vrai ennemi ? murmurai-je.
_ Aslander lui-même, admit le Mage à mes côtés.
Je hochai la tête. À vouloir protéger les siens, il allait s'oublier lui. C'était sans compter son cercle rapproché qui ferait tout pour le garder en vie.
_ Comment peut-on tuer Celui-Qui-Souffre ?
_ On ne peut pas tuer quelqu'un qui est déjà mort, murmura Aloysius. N'est-ce pas ma sœur ?
Je soupirai et fus surprise de sentir Aloysius se pencher, jusqu'à ce que sa joue repose contre mon épaule. Le soleil se couchait devant nous, au loin, baignant l'horizon de sa couleur sanglante.
_ Reste à ses côtés. Il va avoir besoin de toi. Plus qu'il ne l'imagine.
Je sentais une main chaude sur mon front, qui caressait mes cheveux. Une douce voix murmurait des mots doux à mon oreille. Je me pressai contre cette bouche, voulant encore et encore Aslander.
_ Reste avec moi, murmura-t-il une nouvelle fois.
Mon bras fourmilla d'être resté dans la même position, mais je réussis à le lever pour l'enrouler autour de la nuque d'Aslander. De ce que je pouvais sentir, il était appuyé contre le lit où j'étais, ses grandes épaules pratiquement au-dessus de moi. Son nez se faufila contre ma nuque et il respira mon odeur.
_ Ne t'éloigne pas, insista-t-il.
_ Tant que je pourrais te protéger, je le ferais Ani.
Mon chuchotis le poussa à se presser contre mes lèvres. Je caressai ses cheveux à mon tour, respirant son odeur, me nourrissant de sa chaleur.
_ C'est à moi de te protéger à partir de maintenant, gronda le lycan contre la peau tendre de mon cou.
_ Pourquoi n'es-tu pas arrivé plus tôt dans ma vie, Ani, murmurai-je, à fleur de peau.
Il frotta son nez contre ma joue et se mit à fredonner une mélodie. Pas l'humain. Mais bien le lycan. Comme s'il voulait me rassurer à sa façon. Prendre soin de moi à sa façon.
Et cela brisa quelque chose en moi.
Il était venu me sauver.
Il était venu lui-même me chercher. Je n'avais aucune idée de la manière dont il s'y était pris, mais il m'avait trouvée. Et il m'avait ramenée.
Je ne voulais pas le quitter.
Et pour la première fois depuis qu'Aloysius avait fait tomber le couperet sur ma vie, je voulais trouver une solution.
Une solution pour rester auprès de cet homme.
Une solution pour rester auprès de ce lycan que je commençais à désirer plus que toute autre chose dans ce monde.
Une solution pour rester auprès de ce lycan que j'aimais.
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A quelques heures de la nouvelle année, la suite de notre couple qui vient d'atteindre les 100K !!!! ✌️🎂😁 Vous êtes vraiment incroyables et je suis contente de voir que cette histoire vous passionne autant !!!! 😀 De notre côté, ça y est elle est bouclée, nous avons mis le point final dessus hier dans la journée et ça nous a fait un petit quelque chose quand même 😢 Mais bon ! Ce n'est pas comme si nous n'allions pas les revoir, donc 😏
Evekelis est toujours aussi fou et incontrôlable, mais cette fois, c'est notre chère Kara qui en a fait les frais 😕 Que nous réserve donc la suite ?! Ils restent encore quelques PDV pour clore tout ça et un épilogue qui devrait vous surprendre, je l'espère... 😏☺️
Sinon, vous avez été gâtées ?! ⛄
On se dit à l'année prochaine... je sais, c'est nul, mais j'avais envie ! 😎😋 DES BISOUS 💋😘
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