11. Siobhane

Son corps n'avait pas changé. Il avait perdu de la masse musculaire depuis notre dernière rencontre, il y avait de ça presque quarante ans maintenant. Quand Aloysius m'avait maudite, j'avais perdu la trace de Gabrok. Je l'avais perdue, comme j'avais perdu une partie si importante de ma propre personne que je n'avais pas réussi à reprendre le dessus.

Dean avait-il croisé mon chemin ? Ou Aloysius l'avait-il poussé vers moi ? Je n'en savais toujours rien, mais Dean m'avait sauvé ce jour-là. Il m'avait sauvée de moi. Il m'avait sauvée de Gabrok. Du moins, d'un lycan qui ressemblait exactement à mon vieux compagnon et qui aurait pu profiter de ma vulnérabilité à ce moment-là.

Mes doigts s'accrochèrent à son pelage et ma panique m'empêcha de retenir mes larmes, si bien que je finis les joues toutes mouillées. Il n'y avait que peu de souvenirs qui filtraient jusqu'à moi. Comme si Gabrok était bien trop animal maintenant pour me renvoyer des images concrètes, des sentiments précis. Je ne savais pas quoi en penser et je ne voulais pas trop réfléchir à sa venue.

Il y eut du mouvement autour de moi, puis des bras puissants s'enroulèrent autour de ma poitrine. Je me réfugiai contre le torse d'Aslander, sanglotant comme une idiote. Je ne comprenais rien. Ni ce qu'il faisait ici, ni ce que Gabrok faisait là. Pourquoi en même temps ? Était-ce une coïncidence ? J'avais beaucoup de mal à croire à ça.

Mason et Killian se baissèrent pour agripper le loup de Gabrok.

_ Ne lui faites pas de mal, s'il vous plaît, les suppliai-je en m'accrochant à la taille d'Aslander.

Il pressa doucement ma nuque et frotta sa joue contre la mienne, me forçant à ne pas garder. Je ne réussis pas à me calmer, continuant de pleurer. Comme si les dernières semaines m'avaient bien trop épuisée, comme si je voyais le bout du tunnel, mais que je n'arrivais pas à l'atteindre.

_ Siobhane, souffla la voix rauque d'Aslander. Respire.

Sa main caressait mes cheveux lentement. Il continua de me murmurer des mots pour que je me calme. Je respirai quand il me disait de le faire et je tentai d'arrêter de pleurer. Ce qui s'avéra compliqué.

Me soulevant dans ses bras, Aslander me ramena à l'intérieur de ma toute petite maison. Je ne vis pas quel regard il posa dessus, mais j'entendis Dean lui donner quelques indications. Je clignai des yeux quand le visage de Lothar apparut derrière Aslander. Qu'est-ce que... pourquoi avais-je rêvé des deux et qu'ils étaient là maintenant ? Oh bon sang.

_ Tout ira bien, bhediya, articula Lothar en suivant Aslander à l'intérieur.

Comme j'aurais aimé lui tendre la main pour le remercier. Mais je ne pouvais pas. Je ne supportai plus tout ça. Tous ses souvenirs. Alors, je m'accrochai un peu plus à Aslander qui resserra sa prise sur mon corps. Il s'assit dans mon canapé et recula doucement mon visage pour observer mes yeux avec une grande attention. Je tentai de détourner mon regard, mais il me rattrapa en pivotant mon menton.

_ Regarde-moi, m'ordonna-t-il. Tu es en sécurité ici.

_ Gabrok ne m'aurait pas tuée, soufflai-je.

_ Je n'avais pas cette impression, grogna Lothar en faisant le tour du propriétaire.

_ Ne les laisse pas le blesser, dis-je à Dean qui entrait. C'est mon ami.

_ Ce loup t'a presque tué la dernière fois que tu as croisé sa route, Siobhane. Je ne referai pas l'erreur une seconde fois, gronda l'Alpha.

Le corps d'Aslander se crispa sous le mien. Mince. Pourquoi j'étais collée à lui déjà ? Je voulus m'écarter, mais la main et le bras de l'Empereur me retinrent. Je pris une longue inspiration et me laissai aller.

_ Il n'était pas lui-même, le défendis-je, car c'est ce que j'avais fait toute ma vie.

Killian entra à son tour dans ma petite maison. Il y avait quatre lycans dominants autour de moi dans un espace restreint. Leur puissance était accablante, surtout qu'ils étaient presque tous nerveux. Pour moi ? C'était bien trop d'attention que je ne pouvais en supporter.

_ Est-ce que quelqu'un m'explique pourquoi un Kaizer et un Koning se trouvent sur notre territoire ? gronda le Second. Dois-je prévenir Arzhel ?

_ Pitié non, gémit Lothar en s'installant par terre, juste en face d'Aslander et moi.

_ Nous ne sommes plus à ça près, remarqua Aslander.

_ Arzhel n'est pas au courant ? m'inquiétai-je.

_ C'est une longue histoire, admit Aslander en grimaçant. Mais avant, j'aimerais savoir comment un loup renégat pénètre votre territoire comme ça ?

Je posai ma main sur son torse, à côté de sa blessure et tentai de l'apaiser en lui expliquant simplement que la chasse avait démarré un peu plus tôt et que son arrivée n'avait pas été prévue. Il m'écouta, mais finit quand même par poser de nouveau la même question à Dean.

L'Alpha dut comprendre le sous-entendu de cette question, car il répondit sur un autre sujet qui me perturba.

_ Siobhane est ici chez elle. Nous la protégeons. Ne doute pas de notre capacité à le faire, Kaizer.

_ Nous verrons ça, maugréa Aslander du bout des lèvres.

_ Ne sois pas impoli, grommelai-je en appuyant à côté de sa blessure.

Il grimaça et me lança un regard mi-figue mi-raisin. Avais-je une sale tête ? Je ne devais pas être à mon avantage. Et être ainsi sur ses genoux n'était franchement pas une tenue n'est-ce pas ? Je voulus me tortiller pour me lever, mais la main d'Aslander se crispa sur ma cuisse et je me figeai, consciente d'un élément dont j'étais sûrement la seule à me rendre compte.

_ Reste sage, murmura Aslander contre mon oreille.

Je tentai de ne pas rougir, mais dus échouer, car un rire nous échappa à l'un et à l'autre. Je poussai un soupir d'aise et redressai mes épaules. Ce petit interlude ayant permis à notre Empereur de se calmer, il put me déposer à ses côtés, sur le canapé.

Je pris le temps de regarder sa blessure avant de juger qu'il aurait juste à attendre quelques minutes pour que ça se referme. Lothar n'aimait pas ça vu sa tête, mais c'était ça ou demander à Allyson de le soigner, ce qui n'était pas nécessaire visiblement.

Je me levai et attrapai mon portable. J'appuyai sur le raccourci qui me permettait de joindre Arzhel.

_ Siobhane, dis-moi que mon Empereur est avec toi et que je n'ai pas une crise sur les bras, soupira-t-il d'une voix rauque.

Il semblait las et fatigué. Ce n'était pas étonnant avec un Empereur pareil.

_ Je suis vivant ! dit Aslander d'une voix forte.

_ Bon sang, grogna Arzhel. Et moi qui me disais que Lothar était un empaffé incapable de protéger son Empereur.

_ Eh ! s'exclama Lothar.

Aslander lui fit signe de se taire et je secouai la tête en voyant ces deux enfants. Comment faisaient-ils pour survivre ?

_ Comme tu peux l'entendre, Aslander et Lothar sont là tous les deux même si je ne comprends pas comment ils sont arrivés là aussi vite.

Aslander m'observa attentivement à ce moment-là, ses yeux brillant de la présence de son animal. Je déglutis lentement. Aloysius ? Était-ce lui ? Il semblait pousser Aslander dans ma direction, mais pour quelles raisons bon sang ?

Je clignai des yeux et m'excusai auprès d'Arzhel qui m'appelait sûrement pour la seconde fois.

_ Pardon Arzhel. J'étais ailleurs.

_ Pas de problème. Fais juste savoir à mon Empereur que la prochaine fois qu'il disparait pendant deux jours, que j'aimerais qu'il me contacte le plus vite possible.

Je jetai un coup d'œil à Aslander qui regardait le plafond en sifflotant. Un enfant.

_ Je lui ferais comprendre que la politesse veut qu'on dise aux gens qu'on aime qu'on est vivant au moins une fois par jour, traduisis-je en souriant.

_ Merci infiniment. Je vous rappellerai plus tard.

_ À très vite.

Et il raccrocha.

Je m'approchai lentement de Dean et nouai mes mains devant moi, comme une prière, même si c'était plus une demande.

_ Laisse-moi le voir. Laisse-moi lui parler, tenter de comprendre.

_ Il ne peut pas se transformer en humain, donc tu ne t'approches pas de lui.

_ N'avez-vous pas un endroit où l'attacher ? s'enquit Lothar.

_ Si nous sommes autour, nous pouvons le maîtriser, remarqua Aslander.

Je secouai la tête.

_ Je veux être seule avec lui.

_ Hors de question, trancha Dean.

_ Mais–

_ Si j'ai bien compris, me coupa Aslander, il t'a attaqué la dernière fois et c'était vraisemblablement ce qu'il allait faire. Tu ne peux pas être seule avec lui.

_ Vous ne comprenez pas.

_ Il est dangereux, Siobhane, argua Dean. Tu ne peux pas être seule avec lui.

Dean savait l'histoire de Gabrok. Il connaissait certains détails de ma relation avec lui, mais pas tout. Je ne m'étais pas résolue à tout lui raconter. C'était trop, même pour moi. Et il en avait bien trop vu pour ne serait-ce que penser le contraire.

_ On peut l'attacher, reprit Killian.

Je sentis mon corps frémir et je serrai le portable entre mes mains. Je m'écartai des quatre hommes et tentai de reprendre mes esprits. Tout ceci n'avait aucun sens.

Un couinement me parvint de dehors. Je pressai mes paupières de la paume de mes mains, tentant de ne pas y faire attention. Pourquoi Gabrok couinait-il ? Voulait-il me dire quelque chose ?

Je m'élançai avant que les garçons ne réagissent. J'entendis plusieurs jurons, mais l'un d'eux fut le plus rapide. J'allais poser mon pied sur l'herbe quand des bras me ceinturèrent.

_ Lâchez-la ! hurla Dean.

Je compris que j'étais pressée contre la poitrine d'une femme avec une seconde de retard.

_ Ashe, souffla Lothar.

_ Calmez-vous, murmura la voix dans mon dos.

Une joue contre la mienne. L'odeur d'une louve. Ses bras compressaient ma poitrine, m'empêchant de bouger. Elle se plia en deux pour m'empêcher de me débattre.

_ Calmez-vous, insista-t-elle d'une voix rauque.

Mon corps se détendit au son de son ordre. Elle était forte.

_ Qui est elle ? gronda Dean.

_ Elle est avec nous, le tempéra Lothar.

Aslander apparut devant nous et poussa la femme dans mon dos à me relâcher lentement. Je pivotai pour voir son visage, mais elle s'était déjà détournée, ses cheveux m'empêchant de voir qui elle était.

Je voulus lui dire deux mots, mais mon regard se posa sur le corps tremblant du loup de Gabrok. Je tombai à genoux devant Aslander, mes bras serrés autour de ma poitrine.

_ Ils vont devoir l'attacher de toute façon, Siobhane, murmura-t-il en s'accroupissant devant moi.

Dean s'approcha à son tour et demanda à Aslander de s'écarter. J'aurais aimé lui dire que ce n'était pas nécessaire, qu'au point où j'en étais, Aslander pouvait tout entendre, mais c'était faux. Je ne le souhaitai pas. Pas pour toute cette histoire. Personne n'avait besoin de la savoir.

Dean s'agenouilla lentement devant moi, mais ne me toucha pas. Nous étions trop conditionnés à nous éviter. J'avais vu des morceaux de sa vie que j'aurais souhaité éviter. Et j'étais persuadée qu'il aurait aimé la même chose.

_ Tu m'as donné la permission de te protéger, Siobhane.

_ Pas contre mon gré, soufflai-je.

_ Souhaites-tu que je te remette dans la position où je vous ai trouvé tous les deux ? gronda l'Alpha.

Je frémis et frottai mes bras en secouant la tête. Dean était l'un des seuls à savoir. Killian aussi se doutait. Mais Dean était le seul témoin de ma tentative de suicide, avortée par sa venue, mais aussi par celle de Gabrok à l'époque où il était utilisé contre moi dans le but de me tuer.

Comme aujourd'hui.

_ Pardonne-moi, chuchota Dean. Je ne voulais pas aller aussi loin.

_ J'ai besoin de lui dire adieu. J'ai besoin de lui dire certaines choses que je ne peux pas vous révéler. Je veux pouvoir lui demander pardon, Dean. Je t'en prie.

Il soupira et pivota vers Killian. Je les regardai échanger à voix basse pendant que Lothar parlait avec la femme qui m'avait retenue. Elle s'éclipsa après un dernier échange et disparut derrière ma maison. Aslander m'observait attentivement, impuissant et sûrement désolé.

Je me relevai maladroitement et il m'aida sur la fin. Je m'écartai de son torse contre lequel j'avais envie de me lover. Ce n'était pas le moment de réclamer des câlins.

_ Si je peux faire quoi que ce soit pour t'aider, Siobhane, souffla-t-il.

Je secouai la tête.

_ Tu ne devrais même pas être ici, Aslander, rétorquai-je. Vous devriez retourner en Australie. Il n'y a rien pour vous ici.

Il pencha doucement la tête et s'approcha brusquement de moi. Je ne luttai pas contre son étreinte.

Sa bouche contre mon oreille.

_ Laisse-moi t'aider, laisse-moi être là pour cette épreuve.

Je poussai un soupir tremblant avant de caresser son dos. Sa chaleur était la bienvenue et il m'était impossible de la repousser. De le repousser lui tout entier. C'était trop me demander. Il m'avait bien plus manquée que je ne me l'imaginais.

Il fut décidé d'enchainer Gabrok dans la pièce qui avait été conçue pour les loups difficiles. Sous-entendu, ceux qui entraient dans une rage folle, une frénésie, les empêchant de reprendre le contrôle. Cet endroit était souvent utilisé pour les jeunes qui ne savaient pas encore se contrôler ou les renégats instables. Pour notre sécurité à tous, Dean nous poussa à venir vivre chez lui le temps que cette histoire soit réglée. Je dus faire un petit bagage et Aslander m'aida à le mettre dans une voiture. Le chemin ne fut pas long jusqu'à chez Dean et Killian qui habitaient à quelques mètres l'un de l'autre.

Allyson et Tessa me récupérèrent avec de mauvaises mines. Je lus sur leur visage leur envie de me prendre dans leurs bras et au moment où je pensais ça, Aslander entourait déjà mes épaules du sien, me faisant rougir. Allyson et Tessa, elles, minaudèrent pendant quelques minutes pour m'embêter.

Une fois que tout le monde fut présenté, Dean m'apprit que je pouvais descendre voir Gabrok. Lothar murmura quelque chose à Aslander qui le fit frémir et le poussa à me retenir un instant.

_ Puis-je te parler en privé ? murmura-t-il.

Tessa nous indiqua la terrasse et Aslander la remercia. Il me tira derrière lui. J'eus à peine le temps de fusiller Lothar du regard que j'étais déjà dehors, un instant éblouie par le soleil qui tentait de se frayer un chemin à travers les nuages.

Aslander avait reçu un t-shirt, mais il l'avait simplement accroché à la ceinture de son nouveau jean. Il semblait avoir chaud, mais il m'avait aussi confirmé que sa blessure se refermait et qu'il ne voulait pas flinguer des vêtements pour rien. Eh oui, le sang, ça tachait et ça vous ruinait votre meilleur t-shirt. Vu qu'Aslander et Lothar étaient arrivés de nulle part, ils en avaient un stock limité.

_ Gabrok est-il un éclaireur ? remarqua Aslander.

Je compris que Lothar avait tenté de savoir si le vrai ennemi arrivait ou si c'était simplement Gabrok, l'ennemi. Je déglutis, ne sachant pas trop quoi répondre à ça.

_ Siobhane ? insista Aslander.

Je grimaçai et finis par hocher la tête. Il grogna et se frotta la nuque.

_ Dean le sait ?

_ Probablement.

Un nouveau grognement et une agitation soudaine que je n'aimais pas. Je voulais juste parler à Gabrok, maintenant qu'il avait réussi à m'atteindre je voulais prendre le temps de lui dire certains secrets, certaines vérités.

_ Ne comprends-tu pas ? souffla Aslander, mécontent. Si ce n'est qu'un éclaireur, les autres vont arriver.

_ Dean le sait. Il peut faire ce qu'il veut de cette information.

Aslander se pencha et renifla le devant de mon visage. Et merde.

_ Tu mens et en plus tu nous caches des informations.

_ Tu ne fais pas partie de ma vie depuis assez longtemps pour avoir ne serait-ce qu'une opinion là-dessus. Tu as un pays à gouverner. Je t'en prie, retourne t'occuper de tes affaires.

Il ouvrit la bouche pour répliquer, mais je pivotai pour entrer dans la maison. Killian m'ouvrit la porte du sous-sol et j'y descendis avec un nœud au creux du ventre.

Il y avait une odeur désagréable ici, comme si le fait que le soleil n'entrait pas ne permettait aucune aération correcte. Je secouai ma tête, ne voulant pas faire attention à ce genre de détails. Killian m'attendait en haut des escaliers, peu sûr de vouloir me laisse aller là seule. Je hochai la tête et lui fis un petit signe de main. Il soupira et s'écarta du seuil, mais ne referma pas la porte.

Je descendis les dernières marches. Une petite lumière permettait d'éclairer la petite pièce qui était différente du vrai sous-sol de la maison. Ici les murs étaient beaucoup plus épais, renforcés pour arrêter un loup en frénésie. Je déglutis et posai mon pied sur le sol en béton. La cage se trouvait à ma droite et j'eus du mal à la regarder en face.

Je le fis éventuellement. Pour bien comprendre tout ce qu'il y avait devant moi.

Un compagnon d'armes.

Un ami.

Un confident.

Une personne loyale.

Un loup déchu.

Il se dressa dans sa cage quand j'apparus et commença à gronder. Au-dessus de moi, j'entendis des éclats de voix, mais je n'y prêtai pas attention.

_ Gabrok, soufflai-je.

Le loup se mit à faire le tour de la cage, cognant ses flancs contre les barreaux. Killian m'avait dit qu'il y avait une légère dose d'argent dans le fer pour que celui-ci ne se brise pas sous l'assaut des loups en frénésie. Tout simplement, car les loups n'aimaient pas l'argent, donc ils étaient moins pressés de se jeter contre les barreaux.

Je fis un pas de plus et le loup cessa de tourner sur lui-même. Il m'observa et dans son regard, je compris que c'était lui. C'était bien lui et pas un sorcier qui le contrôlait à ses fins.

_ Tu es vivant.

Un couinement de sa part et il aboya. Je posai mon doigt sur sa bouche, le priant de ne pas faire descendre les autres.

_ Pourquoi es-tu ici ? murmurai-je en faisant un pas de plus.

Il tenta de passer son museau entre les barreaux, mais ne réussit pas et couina à cause de l'argent. Je fis les derniers pas qui me séparaient de lui et tombai à genoux à côté de la cage. Ma main passa entre les barreaux et il y frotta son museau, sa joue, il lécha même ma peau plusieurs fois pour me marquer de son odeur. Je passai le deuxième bras et agrippai son pelage, repoussant le peu d'images qui me venaient, n'y faisant même pas attention.

_ Tu m'as tellement manqué, chuchotai-je.

À travers mes nouveaux sanglots, je sentis la langue de Gabrok contre ma bouche, toute proche des barreaux. Il s'écarta, ne pouvant rester en contact avec la cage trop longtemps et couina de nouveau.

_ Je ne... Je ne peux pas t'entendre, Gab, soufflai-je. Tu n'es plus dans ma tête.

Un nouveau couinement, plus triste cette fois. Il me serra le cœur, m'empêchant presque de respirer.

_ Tu es venu me prévenir ? le questionnai-je.

Il aboya et poussa son museau contre mon bras.

_ Tu veux que je me batte ? Mais je n'ai plus de pouvoirs. Et je n'ai plus l'envie de me battre, Gab. Il faut accepter nos erreurs. Je dois les laisser faire.

Il aboya encore une fois, mais celui-là n'était pas content.

_ Je dois payer ma dette.

Gabrok grogna et posa ses canines sur mon bras, pressant doucement. Il ne voulait pas que je paye ma dette. Il était venu me prévenir. Il était venu me dire qu'ils arrivaient. Que pouvais-je faire contre ça ? Rien du tout. Hormis attendre et leur donner ce qu'il voulait.

Ma vie. Elle ne valait plus grand-chose de toute façon, alors à quoi bon se battre ?

Après quelques minutes de conversation avec Gabrok, je montai à l'étage et découvris que Lothar avait disparu avec Killian. Dean et Aslander discutaient dans la cuisine. Tessa s'approcha doucement, son sourire un peu timide.

_ Viens manger, me proposa Tessy.

Je secouai la tête.

_ Je n'ai pas faim, soupirai-je.

_ Qu'a-t-il dit ?

_ Nous ne pouvons plus communiquer par la pensée, comme avant. Mais j'ai pu comprendre quelques points.

_ Tu devrais le dire à Dean.

Elle me fit signe d'avancer et nous entrâmes dans la cuisine en silence. Les garçons pivotèrent l'un après l'autre vers nous. Deux mâles dominants qui avaient vraiment conscience de leur pouvoir.

_ C'est ce qu'on pense ? devina Dean.

Je détournai le regard, pris une grande inspiration et affrontai l'Alpha.

_ Tu sais aussi bien que moi qu'il ne me reste que quelques mois, Dean.

J'aperçus le regard légèrement choqué d'Aslander. Il pensait sûrement que j'avais plus de temps, mais ce n'était pas le cas. Il fit un pas vers moi, mais Tessa le retint un instant.

_ Si j'étais une louve, je me sacrifierais pour ma meute afin de ne pas la mettre en danger. Et tu serais obligé d'accepter ce sacrifice pour le bien commun.

_ Tu n'es pas une lycan, contra Aslander. Tu n'as donc pas les mêmes prérogatives.

_ Peut-être que–

Dean se frotta le menton et m'observa rapidement, haussant un sourcil. Il venait d'avoir une idée.

Tout le monde était allé se coucher, Dean néanmoins restait sur ses gardes pour la protection de son territoire. Il n'y avait qu'Aslander et moi dans le salon. Il tapait du pied, assez rapidement pour me faire comprendre qu'il n'aimait pas ça. Qu'il n'aimait pas attendre. C'était un homme d'action, je pouvais le comprendre.

Assise à la petite table qui donnait sur le jardin magnifique de Tessa, je fis signe à Aslander de s'approcher. Je tapotai la place devant moi et il me rejoignit en grommelant.

_ La nuit est calme, remarquai-je.

_ Le calme avant la tempête, gronda Aslander.

_ Lothar et Killian ne reviendront pas cette nuit, n'est-ce pas ? soufflai-je en regardant le noir de la forêt.

Aslander haussa ses épaules.

_ Lothar sait qu'il y a un danger qui rôde. Il t'apprécie, ce qui fait qu'il ne peut pas te laisser sans protection. Tout comme moi.

_ Tu m'apprécies ? minaudai-je.

_ Cesse de jouer, Siobhane. Tu sembles croire que je ne te considère pas comme quelqu'un que je protègerais s'il le fallait.

Je posai mes mains sur les siennes et il se figea. Sa peau était brûlante, preuve de la présence de son animal, juste là sous la surface.

_ Je m'excuse. Pour ce que je t'ai dit plus tôt. Tu es un ami et tu t'inquiètes. Je devrais avoir plus de déférence face à tes sentiments.

Aslander fit la moue et je ris doucement.

_ Tu es une amie, c'est vrai, admit l'Empereur. Tout comme tu sembles être un membre de cette meute. Tu es protégée, je le conçois. C'est pour ça que je ne comprends pas l'idée de Dean.

_ Il est pragmatique, tout comme tu dois l'être quand il ne s'agit pas d'un de tes amis.

Aslander eut un haussement d'épaules qui voulait tout dire et ne rien dire à la fois. Je pressai ses doigts et il me rendit mon geste en posant son front sur nos mains liées.

_ J'ai perdu bien trop de personnes dans une guerre que je n'avais pas lancée. Les dommages collatéraux je les connais, Siobhane. Tout comme toi. Tu sais que l'appât n'est jamais le bon pion dans la partie.

_ Mais il est souvent le plus utile, remarquai-je.

Ce qui arracha un long soupir à Aslander. Il se redressa, relâchant mes mains. Je pliai et dépliai mes doigts, sentant un vide de plus en plus immense à chaque fois qu'il cessait de me toucher. C'était étrange.

_ Je rêve d'Indra, confessai-je en regardant mes mains vides.

Aslander se figea de l'autre côté de la table. Quand j'eus assez de force pour affronter sa colère, je ne fis face qu'à une incompréhension et une inquiétude qui ne cessait de grandir.

_ Chaque nuit depuis que je suis rentrée, il m'apparaît dans mes rêves. Il se présente puis disparaît.

_ Qu'est-ce que ça veut dire ?

Le ton d'Aslander était inquiet, très inquiet. Et j'aurais pu parier que c'était une pointe de doute que j'entendais derrière.

_ Je l'ignore, admis-je d'une petite voix. Quel est le lien entre Indra et Salil ?

Aslander détourna son regard et pinça sa bouche. Il se frotta la nuque pendant quelques instants, jusqu'à ce que je craque. Je me levai et allai m'installer sur ses genoux. Surpris, il mit quelques secondes à enrouler son bras autour de ma taille, mais il finit par le faire.

_ Quand j'aide les personnes que je dois sauver, murmurai-je, mes rêves cessent une fois que cela est fait. Pourquoi est-ce que je continue de rêver de toi ? De Salil et même d'Indra ?

_ C'est Aloysius qui t'a fait ça, n'est-ce pas ? souffla-t-il.

_ Oui, admis-je. Il m'a poussée à aider les personnes qui en avaient le plus besoin. Ce qui aurait dû être ma première mission en tant que Guide.

_ Et la contrepartie ?

_ Il n'y en a pas, avouai-je.

Aslander sembla réfléchir plusieurs secondes.

_ Je ne peux pas changer ce que j'ai fait, Aslander. Je n'en éprouve pas le besoin et encore moins l'envie. Ce que j'ai fait devait être fait. Tout comme tu as sauvé Siadhal. Tout comme tu as sauvé ton peuple. J'ai sauvé le mien d'une certaine façon. Nous sommes de vieux personnages, nous n'avons pas à nous voiler la face derrière de faux semblants.

L'Empereur pressa ma hanche, mais hocha finalement la tête.

_ Si tu rêves encore d'Indra, murmura-t-il, c'est qu'il y a autre chose à trouver ?

_ Peut-être, admis-je sur un ton prudent.

_ Tu dois revenir en Australie, alors, décréta-t-il.

Je ne pus retenir mon rire.

_ Je t'ai manqué ?

Son sourire me tira un rougissement et il frotta son nez contre ma joue. Je me pressai contre lui, mon visage dans son cou, savourant de pouvoir être réconfortée par sa présence.

_ À peine, répondit-il en repoussant mes cheveux.

Il caressa ma joue et poussa un long soupir qui me fit frémir doucement. J'aurais voulu lui dire que lui m'avait manqué, mais je n'osai pas. Il me redressa et m'observa.

_ Si tu joues le rôle de l'appât, tu dois suivre à la lettre ce qu'on te demande.

_ Allyson et Tessa sont très puissantes, Aslander, le rassurai-je. Une fois que l'ennemi sera à l'intérieur de leur cercle, je ne suis pas sûre qu'il survive.

_ Tant mieux, grogna l'Empereur, c'est le but.

Je ne pus retenir un bâillement et Aslander me poussa à aller me laver et à dormir. J'obéis, ce qui fut très surprenant de ma part. Je devais être plus fatiguée que je ne le pensais. J'aurais aimé parler à Gabrok, mais Aslander refusa et j'écoutai une fois de plus, trop épuisée pour me battre.

À la sortie de ma douche, je retournai dans ma chambre. Sur mon lit, je découvris un spécimen tout à fait charmant, allongé torse nu sur ma couette. Il ne portait qu'un short lâche, sûrement ce qui faisait office d'un pyjama. Je ne pensais pas qu'Aslander dormait habillé en général, mais je fus heureuse de voir qu'il n'attendait rien de particulier de moi. D'ailleurs, même s'il avait été nu, mon corps était bien trop fatigué pour faire des galipettes. Mon regard glissa sur les hanches d'Aslander et soudain, je me demandais si la fatigue n'était pas seulement un état d'esprit. Je choisis de cacher mon embarras derrière de la bêtise.

_ Tu as si bien dormi avec moi la dernière fois qu'il faut que tu retentes l'expérience avoue, me moquai-je.

Je déposai mes affaires de toilettes sur la petite commode et fis bien attention à ne pas montrer mes fesses à Aslander en me glissant sous la couette. Il tendit son bras et je me pressai contre son flanc, posant ma joue contre son torse. Cela faisait si longtemps que je n'avais apprécié le corps d'une autre personne contre le mien que j'aurais pu gémir de plaisir. Encore et encore, à chaque fois que je me pressai contre lui.

_ À peine, répondit-il avec un petit sourire malicieux.

Je ris et tentai de trouver la bonne position pour dormir à moitié sur lui. C'était plus compliqué qu'on ne le pensait de réussir à dormir avec quelqu'un, mais de dormir sur lui ? Encore pire. Pourtant, mon corps trouva la position parfaite, utilisant le corps d'Aslander comme un immense coussin.

_ Merci, murmurai-je.

L'Empereur éteignit la lumière, nous laissant seulement éclairer par le quart de lune qui se trouvait dehors. Je pris une profonde inspiration.

_ Qui est Gabrok pour toi ? souffla Aslander.

_ Il est mon Lothar, répondis-je sans mentir.

Aslander se figea et poussa un long soupir avec un petit juron que j'entendis à peine.

_ Important donc.

_ Très.

_ Tu ne veux pas m'en dire plus ?

Mon cœur se serra. Voulais-je être honnête avec Aslander ? Voulais-je qu'il sache une partie de la vérité sur mon histoire ? Je n'en étais pas sûre. J'avais fait des choses horribles, qui pourraient dégoûter Aslander. Avais-je envie qu'il soit repoussé par ma personne ? Égoïstement, non. Je voulais qu'il reste contre moi ce soir. Au moins, ce soir.

_ Tu sais déjà que j'aurais dû être une Guide, murmurai-je. Tu sais que j'étais une Mage.

_ Être un Mage ne veut pas forcément dire que tu dois être un Guide, c'est ça ?

_ Absolument pas. Aloysius n'est pas un Guide. Il n'en sera jamais un. Mais c'est un Ancien et tu dois te douter que si c'est lui qui m'a rendue humaine, j'ai dû agir d'une manière impardonnable.

Curieusement, je pensais qu'avec cette phrase, il se reculerait, mais sa main continuait de caresser mon bras nu, ses doigts jouant avec la bretelle de ma nuisette.

_ Il n'a pas fait que te rendre humaine si j'ai bien compris. Il a fait en sorte que tu ne puisses plus avoir aucun contact sans le payer d'un certain prix.

Je n'osai le regarder dans les yeux pour voir l'émotion qu'il ressentait face à ça. L'une m'aurait donné l'impression qu'il ressentait de la pitié, l'autre m'aurait poussée à m'écarter, car ça aurait traduit une haine toute particulière contre mes actes.

_ Sache juste ceci, murmurai-je, c'est que je n'ai pas payé mes dettes chez certains de mes débiteurs. Et j'avais beaucoup de gros engagements. Et non, je ne parle pas d'argent. C'est sûrement l'un d'eux qui vient de me retrouver.

Le corps d'Aslander se crispa légèrement avant de se détendre de nouveau contre ma chaleur. Il pressa doucement mon bras et je sentis ses lèvres déposer un baiser sur le haut de ma tête.

_ Tu as payé pour tes crimes, Aloysius s'est chargé de ça, souffla Aslander. À toi de te battre pour pouvoir vivre ce que tu veux à présent.

Je me redressai à l'aide de mon coude et observai son visage presque serein. Un léger doute l'habitait, mais il n'en laissait rien paraître.

_ Tu le penses vraiment, compris-je.

Aslander sembla pensif pendant un moment. Une expression furtive passa sur son visage avant qu'il ne redevienne neutre. Il avait pensé à un souvenir qui n'était pas reluisant, je le sentais. Je n'étais pas assez curieuse pour demander cependant.

_ Je pense qu'on peut se repentir, murmura-t-il.

Je dus réfléchir à mon tour. Repentir ? Était-ce vraiment ce que je cherchais à faire ? J'avais plus l'impression de subir une peine de prison dont je ne verrais jamais la fin, hormis quand mon corps lâcherait des effets secondaires de cette sentence. Je reposai ma joue contre le torse d'Aslander.

_ Tu te souviens de notre conversation sur le temps qui passe ? Les épreuves qu'ont subies ? demandai-je.

Son cœur battait lentement dans sa poitrine, me donnant une douce chanson à écouter.

_ Oui.

Une réponse simple. Précise. Directe. Comme lui.

_ Je n'ai pas de famille, Aslander, chuchotai-je comme si c'était un secret. Je n'ai rien à quoi me raccrocher après tous ces siècles. Alors, à quoi cela me servirait-il de me repentir ?

_ Le Paradis ce n'est pas pour nous, hein, murmura-t-il.

_ Tu parles du Temps du Rêve ? compris-je.

Un léger silence, puis un soupir. Son doigt caressa ma joue, puis sa bouche pressa une seconde fois mes cheveux sur le haut de ma tête.

_ Dors. Une longue journée t'attend demain.

Tant qu'il était là, j'étais sûre de pouvoir m'en sortir.

Était-ce si mal que ça ? Je n'en avais pas l'impression.

Et pourtant, les cauchemars revinrent.

Tout comme Indra. 

*

*         *

*


Un long PDV de Siobhane ! 😇 On voit un peu le vestige de sa relation avec Gabrok, mais rien de très conséquent, après tout leurs chemins se sont séparés il y a plus de quatre décennies ! 😟

Siobhane a du mal à faire confiance à notre Ani, ou tout du moins à s'ouvrir à lui, du coup ça donne quelques remarques bien cinglantes de sa part ! AHA 🙄

Et sinon, vous, avec autant de mâles dominants autour de vous, vous seriez comment ? 🤤

Préparez-vous pour la suite, il y aura quelques révélations 😤

Sinon, comment vous allez ? Bien j'espère 😌

DES Bisous ! 😜😍

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