10.2 Aslander
Je regardai les enfants qui courraient dans tous les sens. Il y en avait de tout âge, des plus jeunes qui ne faisaient encore que babiller, aux plus vieux qui n'avaient plus vraiment à être considérés comme tels.
Certains étaient lycans. Et je n'en connaissais aucun. Leur prénom, qui étaient les parents, quand étaient-ils nés ; tous étaient des fantômes pour moi. Et j'étais sûr de ne pas aimer. J'étais sûr de ne pas pouvoir me satisfaire de cette situation. Mais ici, dans ce camp de Terras, je n'avais aucune voix au chapitre ; je n'étais même pas toléré. Mon père aurait rasé l'endroit sans chercher à comprendre, moi ? Je tentai de vivre avec les convictions et les idéaux de chacun. Même si ça contrevenait à tous mes principes. Et ce n'était pas peu dire.
— Arrête de grogner, lâcha Lothar.
Je croisai mes bras sur mon torse, sans cesser de regarder le jeu des enfants.
Personne ne savait que nous étions là ; que l'Empereur était là. J'aurais reçu des pierres sinon. Non. J'étais un peu extrême. Les Terras ici n'étaient pas du tout de cette trempe et ne le seraient jamais. Tant mieux pour moi.
Il y avait toujours deux faces sur une même pièce ; deux inverses.
— Arrête de te goinfrer, toi, répliquai-je en tournant la tête dans sa direction.
Il était assis, pieds sur la table, une assiette de fruits à portée de main. De doigts, ici. Il n'arrêtait plus de manger depuis que l'autre lycan nous avait amenés dans cette pièce. Aucun de nous deux n'avait hésité une seule seconde, écartant toute possibilité de guet-apens. Nous n'étions pas dans un mauvais film, pas plus que nous n'avions à craindre nos... hôtes ? Le terme était-il le plus approprié ? À méditer.
— Je ne vais pas mourir de faim parce que monsieur est ronchon. Tu es l'Empereur de mon cœur, Ani, mais ne pousses pas ta chance non plus.
J'avais envie de lui tirer la langue. Ou de bouder dans mon coin. Au temps pour moi ; je le faisais déjà. Je n'étais pas sûr que nous fussions au bon endroit pour tenter d'endiguer le flot des extrémistes. Loin de là. Et puis si la solution avait été sous notre nez depuis le début, j'aurais été le premier au courant. J'avais conscience qu'un souverain ne pouvait pas plaire à tout le monde. Que je ne faisais pas l'unanimité de par ma façon de gouverner ou par mes règles imposées. Pour autant, les gens avaient besoin d'un leader. D'un gouvernement. C'était une question de logique. Combien de peuples avaient sombré en pensant pouvoir se suffire à eux-mêmes ? Nous, lycans, en étions le bon exemple. Il fallait un Alpha à la tête d'une meute, sinon ça ne pouvait pas fonctionner.
— Tu ne peux pas tout contrôler. Plus tu auras conscience de ça et plus tu...
Les mots s'envolèrent sans avoir de sens et je sentis une présence à mes côtés.
C'était une sensation pernicieuse, qui ne vous collait pas seulement à la peau ; ça s'insinuait à l'intérieur de vous, passant sous la peau, courant dans les veines, grignotant les vaisseaux.
Il n'y avait pas quelqu'un. Mais quelque chose. Derrière moi. Dans mon dos.
Qu'était-ce ?
Une forme ?
Une impression ?
Une réalité ?
Un songe ?
Tout se brouilla. La porte grinça et l'étau qui venait de m'enserrer disparut. Tout simplement. Comme s'il n'avait jamais été là. Comme si j'avais rêvé ce qui venait de se passer. Mais la question était de comprendre ce qui venait d'arriver. Et là, j'aurais été incapable de le dire. Pas encore du moins.
Les pièces du puzzle s'emboitaient les unes après les autres. Pour le moment, les contours en étaient flous, ainsi que les formes, mais l'échiquier se mettait doucement en place.
Quand est-ce que j'allais comprendre ? Peut-être que Dogan pourrait m'aider. M'éclairer ; lui qui parfois était bien plus dans le secret des Divinités que moi.
— Combien sont-ils ? m'enquis-je, parlant des enfants.
— Tout ce qui se passe ici est en dehors de ta vision, répliqua Messiah.
Je fis la moue. Il adorait me rappeler à quel point je n'étais rien pour lui, pour eux. C'était dans sa façon même de s'adresser à moi, dans sa façon même de tout mettre en œuvre pour me faire comprendre que la portée de mon bras était limitée. Oh, elle l'était, qu'on ne s'y trompe pas, mais j'aimais garder le contrôle de ce qui pouvait être maitrisable. Dans une certaine mesure.
— Que feras-tu lorsque l'un des enfants voudra rejoindre le monde ? On le verra comme un Solitaire.
— Il fera un bon Godi alors, n'est-ce pas ?
Je grommelai. Ouais, il avait réponse à tout. Je finis par me tourner pour lui faire face. Messiah Reed ne transpirait pas la puissance ; en fait, il faisait penser à un homme, humain de surcroît, tout ce qu'il y avait de plus normal. Si c'était une volonté de sa part, alors il y excellait. Dans le cas contraire, c'était un perfide.
Dire qu'on ne s'aimait pas était un euphémisme. Nous laisser seuls dans une même pièce ne pourrait conduire qu'à une seule issue ; heureusement pour nous, ce n'était encore jamais arriver. Même si je n'étais pas sûr de pouvoir compter sur Lothar... Nous aurions pu nous éventrer devant lui qu'il aurait continué à grignoter, l'air de rien. Ces deux ombres ne devaient pas être bien loin, de ça, j'aurais pu en mettre ma main à couper tant ça tenait de l'évidence.
— Je ne dirais pas que c'est un plaisir de te revoir, commençai-je, sourire mauvais.
Le chercher un peu ne ferait de mal à personne ; au contraire, ça allait me faire un bien fou ! Si j'étais puéril ? Bien sûr ! Et alors ? Ici je n'avais pas à être le Kaizer, autant en profiter. Ou tenter de le faire.
— Entendre ton nom dans tout le pays est loin d'être un plaisir.
— Parce que tu sais ce qui se passe en dehors de ta petite secte ?
J'étais mauvais. Ce camp n'était rien de tel. Messiah n'avait rien d'un gourou. Tout dépendait de ce qu'on voulait dire par là. À son échelle, il était un dirigeant lui aussi. Dans une autre vie, si nos idéaux avaient été les mêmes, peut-être aurions –nous pu prendre le même chemin. Qu'est-ce qui aurait été différent alors ?
— Vous n'avez rien à faire là, dit-il, ennuyé.
Il s'avança, gardant tout de même une certaine distance entre nous deux.
Messiah ressemblait plus à un homme de la terre qu'à un homme d'affaires. Chaque jour, il allait labourer les champs avec les siens ; sa sueur était la même que n'importe qui. Les Terras dans ce camp vivaient de leurs terres. Ils produisaient tout ce qu'ils consommaient. Leur contact avec le reste du pays était rare, voire inexistant. Alors oui, pour certaines personnes, ce lieu pouvait ressembler à une secte.
— Tu dis à chaque fois la même chose, souffla Lothar.
Messiah secoua la tête et soupira. Sa barbe lui mangeait le visage et ses cheveux avaient éclairci ; sûrement à cause du soleil. Ici, ça ne pardonnait pas. La chaleur devenait vite étouffante, tant et si bien qu'on était en droit de se demander comment les Terras arrivaient à supporter cette vie. Malgré les matériaux utilisés pour les habitations, il n'en restait pas moins compliqué de seulement survivre dans un désert fait de sable et de... rien. Je pouvais au moins saluer ça.
— Parce que vous avez tendance à croire que tous les gens ici sont pacifistes. C'est loin d'être le cas. Et je n'ai aucune envie que le sang de notre ô combien estimé Kaizer souille nos terres !
Je ricanai.
— Merci de ta sollicitude, Mess.
Il me fusilla du regard.
— Je n'ai cure de ce qu'il peut t'arriver, Aslander, grogna-t-il. Si tu venais à mourir ici, que crois-tu qu'il se passerait ?
Je haussai les épaules.
— Mes hommes viendraient dans la nuit pour raser le tout. Et au petit matin, quelqu'un aurait trouvé une histoire pour passer tout ça sous silence. Je suis entouré de fous, que veux-tu !
Nous nous affrontâmes du regard. Aucun de nous deux n'était prêt à lâcher ne serait-ce qu'une parcelle de terrain. Nous étions peut-être trop fiers pour ça, ou trop stupides. Mais le fait est que ça ne changerait pas, même en y mettant toute la bonne volonté du monde.
— Avant d'en arriver à de pareilles extrémités, si on se calmait un peu ?
Lothar était penché sur sa chaise, les coudes sur ses cuisses, me fixant moi. La situation ne semblait pas tellement l'inquiéter. Pour l'instant.
J'inspirai.
J'étais à cran. Et il ne s'agissait pas juste des attaques des Terras. Quand la Terre et le ciel grondaient à ce point, ce n'était jamais bon.
Ni pour les mortels.
Ni pour les lycans.
Ni pour les Divinités.
— Très bien, abdiquai-je, me tournant vers la raison.
N'était-elle pas mère de sureté après tout ?
— Messiah.
La voix de Lothar claqua dans l'air. Quelques secondes passèrent, trop longues, avant que notre hôte ne daigne suivre la même voie que moi. Messiah n'était pas homme stupide. Du moins, c'est ce que j'aimais à penser en cet instant, pour le reste du temps, il faisait bien ce qu'il voulait.
— Nous ne sommes pas venus pour compter les lycans dans le camp, ni même pour mettre le nez dans vos affaires. L'accord qui vous relie...
— Tacite, je tiens à le rappeler, grommelai-je, la mâchoire crispée.
Lothar soupira :
— Certes ; aucun papier n'a été signé, mais –
— Tu ne veux pas de nous et on ne veut pas de toi, pourquoi avoir recourt à un accord pour une vérité si basique ?
Je plissai mes yeux. Messiah avait autant de venin dans la voix que moi.
— Si je ne voulais pas de vous, il y aurait longtemps que j'aurais réglé le problème, crachai-je.
C'était faux, mais il n'avait pas besoin de le savoir. Je n'avais aucun pouvoir pour juger de la vie ou de la mort de quelqu'un, surtout pas d'une communauté entière.
Je n'étais pas un despote. Peut-être qu'en le répétant suffisamment ça irait. Un peu comme un mantra qui ne me quitterait jamais.
— Tu te crois au-dessus de tout le monde, Aslander, tout ça parce que tu as un titre qui ne veut plus rien dire aujourd'hui ! C'est pathétique.
— Ne rage pas trop, Mess, ça ne te vas pas très bien au teint.
Nous étions penchés, nos visages bien près, soudain. J'avais une terrible envie de lui foutre mon poing dans la gueule. Mais j'étais un homme civilisé.
Je devais vraiment l'être ?
— J'ai très envie de te fracasser et de t'abandonner aux charognards ; ils ne feront aucune différence entre ta chair et celle putride des carcasses du coin.
Je posai une main sur mon torse, là où je pouvais sentir les pulsations de mon cœur :
— Tu me fais de la peine, je...
— Dois-je venir pour frapper vos têtes l'une contre l'autre, bougres d'idiots ?
Je sursautai au son de la voix d'Arzhel. Ma bouche se referma presque sèchement et je cherchai mon conseiller des yeux. Comment est-ce qu'il... depuis quand il...
Mes yeux croisèrent les siens à travers la vidéo conférence qui se déroulait, totalement à mon insu et à celle de Messiah, vu sa tronche.
Lui aussi ne mouftait plus du tout. Je jetai un coup d'œil à Lothar ; comment diable s'y était-il pris pour lancer le tout sans qu'on s'en aperçoive ?
Arzhel se trouvait dans son bureau semblait-il et vu sa tête, il n'était pas content. En même temps, j'avais ignoré tous ses appels depuis que l'avion de Siobhane avait décollé, alors il y avait des circonstances atténuantes. J'étais surpris qu'il n'ait pas envoyé Risteard. Ou un autre. L'effet aurait été le même ; j'aurais été grondé comme un enfant. Trouvez l'erreur...
— Alors ?
Je déglutis et cherchai à paraître nonchalant ; mieux valait amoindrir tout ça face à Arzhel. Ou en tout cas, essayer. Ce qui n'était pas gagné.
— Bien, lâcha mon conseiller, vous êtes donc moins idiots qu'il n'y paraît.
Je pinçai mes lèvres. Est-ce que j'avais déjà dit qu'Arzhel pouvait être infantilisant ? Eh bien nous avions un parfait exemple.
— Comme vous le savez tous les deux, un accord tacite existe entre l'Empereur et certaines poches de factions de Terras. Nous ne mettons pas le nez dans vos affaires si chacun sait rester à sa place. Dans le cas contraire, l'Empereur serait habilité à agir. Après tout, il est le souverain de tous les lycans de ce pays, qu'ils le veuillent ou pas.
Au tour de Messiah de grincer des dents.
— Il n'est pas mon—
— Messiah, le coupa Arzhel d'un ton sans appel. Mettez vos griefs de côté pour le moment et concentrons-nous sur les derniers événements.
Lothar hocha la tête, non sans satisfaction. Il avait été avisé d'appeler Arzhel ; ni Messiah ni moi n'avions envie de le fâcher. On connaissait la portée de son bras et elle n'avait rien de limité nous concernant. Oh ça non. Mon propre conseiller arrivait à me foutre des sueurs froides rien qu'avec un regard.
— Nous ne sommes pour rien dans les dernières attaques, dit-il. Comme si vous ne le saviez pas.
Oui. Ce groupe-ci ne s'intéressait pas au pouvoir, pas plus qu'à une quelconque revendication. En fin de compte, les gens ici se contentaient de vivre en adéquation totale avec ce qu'ils voulaient.
— Ce que font les autres ne nous concerne pas, finit Messiah.
Arzhel secoua légèrement la tête.
— La dernière fois, une université était la cible. Haize n'était-elle pas là-bas ? Ça nous concerne tous, Isa.
Le chef du camp soupira et se passa une main sur le visage. Il resta muré dans le silence un certain temps.
Haize était sa fille. Elle suivait un cursus en ingénierie nautique et avait une bourse pour ça. Lorsqu'elle avait quitté cet endroit, elle était allée se déclarer pour que nous ayons connaissance de son existence. Elle n'avait pas complètement coupé les ponts avec son père, mais il y avait beaucoup de colère entre eux. Comment je pouvais savoir ça ? Elle était la nièce d'Arzhel, alors...
Messiah et mon conseiller ne se ressemblaient pas beaucoup ; physiquement parlant. Ils étaient même le jour et la nuit. Mais il y avait des détails qui ne trompaient pas, des mimiques, des façons de dire ou faire. Alors le doute n'était plus permis.
— Nous sommes une communauté tranquille, souffla Messiah. Nous ne demandons rien à personne et personne ne nous demande rien. C'est notre façon de vivre. Kairos a perdu la tête depuis bien longtemps, encore plus en s'en prenant à une université où il y a autant d'humains que de lycans.
Je croisai le regard de Lothar. Nous avions eu un doute concernant l'implication de Kairos, ancien Général de mon père, et Messiah venait de confirmer tout ça.
— Tous les moyens sont bons pour tenter de saper ouvertement l'autorité d'Aslander. Ce n'est pas une nouveauté ; certains ne s'arrêteront que lorsque ta tête roulera au sol.
Je hochai la tête, dans mes pensées. La stabilité de ce pays tenait surtout au fait qu'humains et lycans étaient dans une alchimie quasi parfaite. Tout le monde acceptait tout le monde et tout le pays avait été pensé de telle façon que les deux parties soient satisfaites. Bien entendu, mettre une mauvaise personne au pouvoir pourrait, à long terme, même à court terme, avoir des conséquences dramatiques. Pour tout le monde.
Kairos voulait le sang et l'horreur.
Il voulait la mort de tous ceux qui m'avaient prêtés allégeance.
Il voulait un monde ou être lycan était synonyme de haute reconnaissance. Une belle race. Mais valions-nous vraiment plus que les humains ?
Qu'est-ce qui nous plaçait au-dessus d'eux ?
Notre pseudo immortalité, faisant parfois de nous des êtres aussi vieux que le monde lui-même ?
Notre capacité à pouvoir revêtir l'apparence d'un animal ?
Cette dualité nous caractérisant ? À la fois homme et lycan ?
Je voulais comprendre.
— Ça n'arrivera pas, dis-je. Tant que mon peuple aura besoin de moi, tant qu'il jugera que je suis le mieux placé pour le représenter, je resterais là où je suis. Et je tuerais ceux qui feront du mal aux miens.
La voix de mon lycan était rauque. Grave et basse. Elle était empreinte d'une puissante qui était assise depuis des siècles. Qui pouvait douter de ça ? Qui pouvait douter de moi ?
— Il faut calmer les choses chez Thatcher avant que tout n'échappe à notre contrôle, reprit Arzhel.
Messiah opina.
— Je parlerais à Calen ; il m'écoutera.
— À force de fomenter des coups d'État, tous les Terras seront mis dans le même sac, dit Lothar. Et ça risque de vite devenir dangereux. Pour l'instant, on ne s'intéresse pas à ceux qui vivent en communauté, loin de nos yeux, mais ça viendra. Kairos n'est que la partie immergée de l'iceberg malheureusement.
Ça risquait de partir en vrille. Sans crier gare. Nous pouvions tenter de contrôler tout ça, mais ce n'était pas très probant. Y avait-il une solution ? Hormis la plus évidente ? Je n'étais pas sûr.
— Nos prochaines actions face à tout ça seront décisives. Je ne laisserais pas ces gens instiller la peur parmi les nôtres. Jamais.
J'avais juré. J'avais prêté un serment fait dans le sang et l'horreur.
J'avais promis aux miens que plus jamais il n'y aurait de morts. Plus de tueries. Plus de Purge. Quand Lothar s'était dressé entre mon père et moi, je m'étais fait la promesse que je me dresserais à mon tour contre quiconque essaierait de faire le mal.
Quiconque. Et si un jour je perdais la raison, alors je ferais ce qui serait nécessaire.
Messiah se leva et passa une main dans la broussaille qu'étaient ses cheveux.
— Vous ne pouvez partir maintenant. Il faudra attendre la nuit.
Pour ne pas se faire voir. Lothar acquiesça simplement et je sentis le regard d'Arzhel sur moi.
— Risteard est en chemin.
Je pinçai mes lèvres. Forcément qu'il était en chemin. Forcément qu'Arzhel avait agi comme un père inquiet.
— Ce n'était pas nécessaire ; Lothar est avec moi.
— Et qui est venu avec Lothar, Majesté ?
Je détestai quand il usait de ce titre pour s'adresser à moi.
Oui, bon, les Grifters de mon ami ne devaient pas être loin du tout. J'étais sûr qu'ils avaient même réussi à entrer dans le camp et à se fondre dans la masse. Et après ?
— On est assez alors, non ? minaudai-je.
— Si un Koning se déplace avec sa Garde, le Kaizer devrait être encore plus vigilant.
Est-ce que j'étais en train de me faire gronder ? Ça y ressemblait bien ! Je finis par hocher la tête ; autant s'avouer vaincu. Surtout face à un tyran pareil ! Quelle idée j'avais eu de le prendre en Conseiller, hein ?
— Je m'en souviendrais.
Il sembla content de la réponse, dit quelques mots à son frère et coupa la communication. Messiah et moi soupirâmes comme un seul homme.
— Traitre, lâchai-je à Lothar.
— Nous y serions encore si je ne l'avais pas appelé alors, dites juste merci.
— Plutôt mourir.
J'étais d'accord avec mon cher ennemi pour une fois. Messiah nous tourna le dos et s'avança vers la porte :
— Soyez sages les enfants.
Je retins un commentaire acerbe et le laissait partir.
Il n'y avait plus d'enfants. J'attrapai de quoi grignoter à mon tour.
— Si Kairos est impliqué, les autres aussi, finit par dire Lothar.
— Bien sûr ! L'unité fait la force, n'est-ce pas ?
Pour tuer des centaines de personnes, ça avait été le cas. Combien d'Earhja avions-nous perdus ? Combien d'enfants avaient péri ? D'hommes et de femmes ?
— Je suis épuisé, soupirai-je.
Le sourire de Lothar ne me dit rien qui vaille.
— Un petit voyage ne te ferait peut-être pas de mal.
J'arquai un sourcil.
— Et où voudrais-tu que j'aille ?
— Notre chère amie Siobhane est aux États-U–
— Ne commence pas. Qu'est-ce que j'irais faire chez elle ? Nous avons fait un petit bout de chemin ensemble et c'est tout.
Lothar secoua la tête en s'amusant à se balancer sur sa chaise.
— Je te connais, Ani. Tu fonctionnes à l'affect. C'est humain tu vas me dire, mais toi du moment que quelqu'un a gagné ton respect, ce n'est plus n'importe qui.
Siobhane avait-elle mon respect ?
Cette nuit que nous avions partagée avait été un cadeau. Elle qui ne pouvait plus toucher les gens sans être amenée à voir toute leur vie, j'avais voulu lui...
— Et du peu que j'en ai vu, c'est un sacré bout de femme !
Sur ça, nous étions bien d'accord. Elle n'avait pas sa langue dans sa poche, pas plus que sa main. Je crois que... qu'après tout ce temps passé ensemble, même s'il n'avait pas été question d'année, ni même de mois, je regrettais sa présence. Sa compagnie. Fallait-il une explication à ça ?
Je cherchais encore pourquoi elle pensait devoir me sauver. Rien n'était dû au hasard. Je le savais. Par expérience. La magie ne faisait pas dans le hasard. Jamais. Et si Aloysius était mêlé à tout ça alors ça voulait forcément dire quelque chose.
Alors pourquoi je l'avais laissée retourner chez elle ? Si son temps était compté – et il l'était –, j'aurais dû être plus avisé. Moins stupide peut-être même.
Je retournai au niveau des panneaux coulissants qui donnaient sur l'extérieur et croisai mes mains dans mon dos.
— Quand on côtoie les Dieux comme tu le fais, on sait que les coïncidences n'existent pas. Qu'il y a une volonté derrière chaque décision.
Qu'il y avait une raison, qu'importe alors la forme qu'elle revêtait. Elle était là et elle se suffisait à elle-même.
Pourquoi étais-je dans les visions de Siobhane ?
Pourquoi mon moi ancien figurait-il dans son esprit ?
Quelque part, des clochettes tintèrent.
— Ani !
Kara surgit derrière moi, une drôle d'expression sur le visage. De la peur ?
Un rire résonna et Lothar fut sur ses pieds, sa chaise gisant derrière lui.
Mais déjà, une main agrippa mon épaule et la magie m'enveloppa.
Tout se flouta.
Le cri de Lothar fusa.
Et je disparus.
Tout ne dura que quelques secondes. Ou peut-être plus.
Je me retrouvai dans une forêt. Il y avait des arbres à perte de vue. J'étais dans une cuve en quelque sorte. Au-dessus, il y avait des gens. Ils étaient peut-être une dizaine. Peut-être moins.
Je savais que je n'étais pas dans ma tête. Ce n'était pas une simple vision et encore moins un souvenir. C'était réel.
Je tournai sur moi-même. Cherchant un repère, un indice. Les personnes présentes me fixaient, mais j'avais l'impression qu'elles ne me voyaient pas vraiment.
Là sans être là.
Un frisson remonta le long de ma colonne vertébrale.
Quelqu'un gloussa non loin de là.
Où est-ce que j'avais été amené ? Il n'y avait aucune peur en moi, aucune réelle panique. Je n'étais pas effrayé.
— Tu devrais pourtant.
La voix résonna, sembla se multiplier, avant de disparaître. C'était une voix de garçon. Pas vingt-ans. Plus jeune.
Je le vis alors. Il n'était pas là une seconde plus tôt, de ça, j'en étais sûr. Il était nonchalamment assis sur un rocher, arborant un sourire arrogant.
C'était encore un enfant à mes yeux. Peut-être seize ans. Pourtant, son regard...
Mauvais, gronda mon lycan.
— Qui es-tu ?
Il tapa dans ses mains, l'air content. Euphorique même.
— Moi je sais qui tu es. L'Empereur ! Le Fils des Dieux. Tu es le grand et beau Aslander Valendyr.
Il sauta sur ses pieds. Son visage... ne m'était pas étranger. Seulement, je n'arrivais pas à savoir. Le connaissais-je ? L'avais-je déjà rencontré ?
Soudain, il fut devant moi. Je dû baisser la tête pour le regarder. Ce n'était qu'un enfant, et pourtant... pourtant, ce qu'il dégageait était incroyable !
Il leva le bras, prêt à me toucher, mais sembla se raviser.
— Non. Non. Pas comme ça. Je ne peux pas. Je ne...
Il recula et prit son visage entre ses mains.
— JE NE PEUX PAS !
Son cri. Une nuée d'oiseaux. Lorsqu'il me regarda de nouveau, ses yeux étaient hantés par la folie.
— On se reverra, Indra.
Le vent jaillit, venu de partout et je dus me protéger le visage des rafales. Tout prit fin et un silence effrayant m'enveloppa.
Que venait-il de se passer au juste ? Qui était ce drôle de garçon ? Mais surtout, où est-ce qu'il avait bien pu m'amener ?!
*
* *
*
Petite conversation avec le frangin d'Arzhel qui n'est pas du tout, mais alors pas du tout du côté de l'Empereur ! 🙄 Dans ce PDV, c'était le moyen de vous présenter les Terras, qui seront plus présents dans le tome 2 avec Lothar et sa future Bae 🤭
Et voici apparaître le méchant complètement fou qu'on reverra souvent au fil de Whispers... Alors, premières impressions le concernant ? 🧐
Des bisous !! ❤️
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