Chapitre 1

      Elyne se leva de son lit en s'étirant et huma la bonne odeur de pain frais venant de la boulangerie sous son grenier. Son ventre gargouilla douloureusement et la poussa à vite troquer son vêtement de nuit contre son éternelle robe verte et grise. Elle se plaça devant le petit miroir de sa chambre et attrapa sa vieille brosse pour se battre contre sa chevelure blonde et rebelle. Elle se les natta rapidement, puis tourna un peu sa tête de droite à gauche puis de gauche à droite pour vérifier le résultat. Son air satisfait fit pétiller ses yeux brun et vert d'un bel éclat. La femme se tapota doucement les joues puis quitta son poste pour attraper la bouilloire et la placer sur sa fidèle chaudière où brûlait la dernière bûche de la veille, la préservant du froid automnal. En ce milieu d'automne les températures chutaient vite la nuit, et il n'était pas rare de retrouver des hommes, des femmes et des enfants morts de froid au petit matin, faute de quoi se réchauffer au coeur des heures les plus glaciales.

    Une fois l'eau mise à bouillir et du bois ajouté au feu, elle enfila ses petites chaussures et dévala les escaliers grinçants. Le froid lui brûla les poumons et le visage, et elle expira quelques petits nuages délicats. Elyne glissa sur une plaque de verglas mais se rattrapa au mur à temps. Elle soupira de soulagement et se redressa pour marcher à grands pas dans la petite cour. La femme fit tourner la clanche pour pénétrer dans l'enceinte chaude et réconfortante de l'arrière boutique. Un sourire éclaira son visage, et elle s'avança entre les fours pour aller saluer les propriétaires.

« Bonjour ! s'exclama-t-elle entre les fours.

- Salut Elyne, comment vas-tu ? Tu n'as pas trop froid là-haut ? »

    Un homme, la trentaine, s'approcha d'elle en s'essuyant les mains. Grand et imposant, il avait bonne mine, les cheveux un peu clairsemés, un tablier sale sur lui, voici le boulanger, M. Kauf. Il sentait bon le pain frais et le four à bois et sa voix grave inspirait la confiance et calmait les esprits. Elyne l'adorait : il la logeait et lui fournissait beaucoup de ce qu'il lui fallait contre un loyer bas et seulement quelques services.

« Je vais très bien, et votre poêle fait des merveilles ! Et vous, comment allez-vous ? Il y a des nouvelles ?

- Ah ! J'en suis ravi ! Comme tu peux le voir j'ai la forme. Et en terme de nouvelles, il y en a une qui te concerne directement... »

    Le visage grave, le propriétaire alla lui chercher une enveloppe qui portait le sceau de l'armée. Il la laissa ensuite seule en lui souhaitant une bonne journée et bonne chance. Elle sortit donc de la pièce et se dirigea vers son grenier, oubliant de quémander son petit-déjeuner. Elle ne se préoccupa pas du froid, ni du chat qui passa devant elle, et s'effondra presque sur le lit. Les mains tremblantes, elle décacheta son courrier et commença à lire la lettre, qu'elle savait d'avance lourde de sens.

    Elyne souffla en comprenant le sujet du message. On lui demandait de se rendre dès le lendemain à la caserne la plus proche pour passer des tests et confirmer quelques soucis administratifs. Elle allait sur sa seizième année, et tous passaient par là. Ici, c'était l'âge requis pour être un adulte. La femme était soulagée mais savait aussi que ces tests pouvaient signer la fin d'un être : par quelque procédé obscure on arrivait à déterminer si les jeunes gens avaient outrepassé la loi. Elle se savait honnête, bien sûr, mais un mauvais pressentiment serrait sa poitrine. Elle secoua la tête et se concentra sur la journée à venir, et son thé à boire. Elle posa le papier sur la petite table et passa à autre chose.

~~~~

    Il était dix heure déjà lorsque la jeune femme se présenta devant les gardes. En silence elle montra sa lettre et ils la laissèrent passer. Cette solennité la mettait mal à l'aise, tout comme les pierres grises et froides des murs du bâtiment, ses lourdes grilles de fer menaçantes l'invitaient plus à se retourner qu'à se sentir en sécurité. Une odeur de renfermé lui faisait froncer son petit nez et la dégoûtait. Comment les hommes pouvaient-ils travailler dans un tel endroit ? Cela lui échappait. Elyne avançait donc en observant le silence entre les murs glauques. Elle s'arrêta devant la dernière porte du couloir et toqua doucement, appréhendant le moment où quelqu'un l'accueillerait.

    Presque immédiatement un jeune soldat vint ouvrir et l'invita à entrer, sans un sourire. Elle hésita en regardant autour d'elle et finit par le suivre. La porte se referma en claquant derrière elle, la faisant sursauter. Elyne s'avança dans la pièce assez sombre.

« Asseyez-vous. »

    L'ordre de l'homme, sec et dur, la fit obéir sur le champ. Elle se retrouva sur une chaise en bois dur, légèrement humide, ce qui lui fit réprimer une grimace. Devant elle se trouvait un large bureau semblait-il, en pierre. Il n'y avait rien dessus, étrangement. La femme sentit quelque chose de froid se refermer brusquement sur ses poignets, la glaçant jusqu'aux os.

« Que se passe-t-il !? »

    Elle tira sur les menottes, effrayée.

« C'est la procédure, calmez-vous. »

    Elyne regarda le soldat, et tenta d'obéir, essayant de faire disparaître ses tremblements. Le soldat passa derrière le bureau de pierre et y posa ses paumes en regardant la prisonnière.

« Très bien, commençons. »

    La pièce fut plongée dans le noir le plus total. Elle déglutit et fut saisie d'un mauvais pressentiment, celui qui vous donne la chair de poule, vous met les larmes aux yeux, vous terrifie et vous donne envie de retourner dormir dans votre lit. Elle ferma les yeux et souffla pour éclaircir ses idées. Elle n'avait rien à craindre : elle était la citoyenne modèle, celle qui travaillait du matin au soir, payait ses impôts et son loyer, sa nourriture, son bois et ses vêtements. Elle n'était pas sorcière et donc était hors de danger ! Elyne ouvrit ensuite les yeux et regarda avec étonnement la salle qui était autour d'elle. La femme retint avec peine un cri de stupeur, elle était persuadée de ne pas avoir bougé, mais elle était à présent dans une immense pièce blanche, debout, sans liens, et vêtue d'une robe simple et noire, avec un cordon autour des hanches. Elle se pinça le bras gauche et fit un petit « aïe » de douleur. Elle ne rêvait pas. Et, comble de son étonnement, le soldat avait disparu !

    Mais une soudaine et violente claque la fit sursauter et écarquiller les yeux. Le soldat était penché au dessus d'elle, tout sourire.

« La première du mois ! Alors, comme ça on se découvre sorcière... ?

- So... balbutie-t-elle, quoi ?!

- Tu as réussi à entrer dans la Salle Blanche, tu es une sorcière. »

    Elyne cligne des yeux, sans trop comprendre. La Salle Blanche ? C'était donc ça... Son mauvais pressentiment se confirmait douloureusement. Elle irait au cachot. Et au bûcher. Une terreur sourde l'envahit et elle commence à se débattre.

« Ne me dis pas que tu ne sais pas ce que c'est ? Tes parents ne te l'ont pas dit ?

- Mes parents sont d'honnêtes gens ! protesta-t-elle vivement.

- Pourtant, si tu es une sorcière, ils le sont aussi. C'est impossible autrement, tu le sais, ça, hein ? »

    Elyne déglutit en y réfléchissant. Sa mère était partie travailler dans un marché ambulant et son père était mort dans un accident peu après sa naissance. Aucun n'avait jamais été soupçonné de trahison.

« Je vous le jure, ils ne sont pas hors-la-loi !

- Nous vérifierons cela bien vite... soupira l'homme. Bon, à présent il va falloir qu'on te transfert, je te souhaite une excellente mort ! »

    À peine eut-il fini sa phrase que deux homme entrèrent par une porte qu'elle n'avait pas remarquée et la détachèrent. Elyne eut un cri de protestation et se débattit tandis qu'ils la traînaient dehors.

« Ferme-la ! »

    L'ordre fut suivit d'un violent coup sur le crâne qui expédia la nouvelle criminelle au pays des songes.

~~~~

  Elyne se frotta les yeux en gémissant. Quel songe horrible ! Elle se redressa lentement et eut un regard étonné autour d'elle. C'était... Une cellule ? Un courant d'air frais passa entre les barreaux d'une fenêtre trop haute pour donner une vue sur la rue bruyante à côté. La femme déglutit en découvrant les murs froids, humides, le banc de bois si dur sous ses fesses, ses haillons gelés souillés par son précédent porteur. Un violent haut-le-cœur lui fit porter la main à la bouche et à son nez. Quelle odeur ! Quels relents ! C'était une infection ! Quiconque porrait y perdre son odorat, songea-t-elle. Son regard tomba sur les barreaux de sa prison. En face se trouvait un mur sur lequel une petite torche à la lueur vacillante était accrochée. Lorsqu'elle entendit des bruits de pas, la rumeur de la rue s'éteignit à ses oreilles pour laisser place aux battements de cœur affolés. Les pas résonnaient, se rapprochaient, lents et menaçants. Cette personne devait être fort grande pour avoir des foulées d'une telle ampleur !
  La jeune sorcière se leva en voyant apparaître un véritable géant. Elle dût lever la tête pour croiser le regard dur et sévère d'un homme brun aux yeux noisettes. La mâchoire carrée et le nez droit renforçaient son air autoritaire. Elyne s'approcha des barreaux sans un mot, et le geôlier, suppposa-t-elle, posa un genou à terre pour être à sa taille.

《Tu es enfin réveillée, constata-t-il avec satisfaction. Quel est ton nom, sorcière ? 》

  Quelle voix grave ! Elle allait bien à son corps impressionnant : les deux conjugués firent forte impression à la pauvre Elyne.

《Je me nomme Elyne et je ne suis pas une sorcière. 》

  L'homme fut secoué d'un puissant rire et passa sa main entre les barreaux pour tapoter la tête de la femme.

《Pauvre petite... Tu es une sorcière. Tu es allée dans la Salle Blanche. Et je suis sûr que tu es une Bête.

- Une... Quoi ?

- Une Bête. Une sorcière capable de se métamorphoser en animal. Passe ta main sous ta manche, tu vas voir. 》

  Elyne obéit et retint un cri de surprise et terreur en sentant un pelage duveteux sur son avant-bras.

《 Qu'est-ce que c'est ?!

- De la fourrure, petite, lui répondit-il amusé.

- P-pourquoi ?

- Dans la Salle Blanche tu as dû espérer obtenir une protection. Ta magie a réagi naturellement : mais tu ne peux pas te transformer sans un chapeau.

- Mais c'est impossible, balbutia-t-elle. Vous mentez !

- On ne peut pas mentir sur ça, Elyne la sorcière.》

   Elle sentit les larmes lui monter aux yeux, la panique la saisissant dans ses terribles griffes.

《Ton exécution est prévue pour demain.》

  Demain ! C'était si court ! Elle allait mourir, comme ça, sur une erreur, sa mère ne le saurait jamais et tout le monde la haïrait sans savoir que c'était une erreur...

《Mais tu as de la chance, reprit-il, l'armée te propose un nouvel examen qui pourrait bien te sauver la vie et même te donner un travail qui paye plus que correctement.

- Vraiment ?

- Je ne vais pas m'amuser à te mentir.》

  Cet homme anonyme sortit un trousseau de clefs.

《Tu vas me suivre gentiment, compris ?

- Oui, monsieur...》

  La clef tourna dans la serrure et la porte s'ouvrit dans un grincement sinistre. Il attrapa les mains d'Elyne pour passer des menottes à ses poignets, puis il la guida dans de nombreux couloirs identiques, comme un grand labyrinthe d'où les prisonniers ne pouvaient s'échapper. Elyne ne pouvait pas voir son guide : il marchait dans son dos. Enfin, ils arrivèrent devant une porte de bois

《Oh, quel malpoli je fais, je ne me suis pas présenté. Je suis le lieutenant Léor Wallenstein.》

  Sur cette rapide présentation Léor, puisque c'est son nom, poussa la porte. La lumière de midi éblouit Elyne qui essaya de se cacher les yeux avec son bras. Une fois habituée elle put regarder autour d'elle la cour. Il y avait un garde armé à chaque porte, et le lieutenant attendait la prisonnière au centre de l'endroit.

《Approche.》

  L'ordre sec fit obéir Elyne. À la droite de Léor se trouvait une table sur laquelle se trouvait un chapeau pointu. Il saisit ce dernier pour en coiffer la tête d'Elyne.

《Ferme les yeux, inspire et expire profondément.》

  Elle obéit sans comprendre le but du test, mais elle voulait vivre.

《Imagine un chat devant toi.》

  C'était un chat noir, qui s'avançait jusqu'à elle. L'endroit, les bruits et la voix avaient disparu. Seuls le chat et elle était dans une vaste pièce blanche, mais elle n'avait pas peur dans cette solitude : elle était profondément apaisée. Elle sentait un changement s'effectuer en elle, comme si elle se complétait, c'était une sensation des plus agréables pour Elyne.

《C'est une Bête, jubila l'homme !》

 Elyne ouvrit brusquement les yeux et fut étonnée d'entendre autant de bruits, de sentir autant d'odeurs et aussi de voir le sol aussi près. Elle vit ses pattes et poussa un miaulement de surprise mêlé de peur. Des pattes de chat noir ! Elle se tourna et vit une queue longue se balancer derrière elle. Les menottes étaient au sol, entre ses pattes. Léor l'attrapa par la peau du cou avec une certaine douceur pour la soulever.

《Elyne la Bête ! Magnifique ! Cela faisait si longtemps que nous n'en avions plus vues !》

  Il la posa sur la table et caressa son dos avec sa grande main.

《J'ai hâte que tu te détransformes...》

  La chatte commença à vaciller, sa vision s'obscurcit et elle tomba dans l'inconscience, ne sentant plus que la vive douleur au crâne provoquée par la douleur.

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Ce chapitre 1 est l'original, et j'espère qui vous a plu. J'ai imaginé une histoire alternative à celle-ci, et qui change réellement dès le second chapitre. Elyne n'aurait pas le même comportement, et Léor des ambitions et une nature profondément différentes. Il y aurait quelques détails qui changerait un peu dans le premier chapitre, mais ceux-ci seraient minimes.

Je vous pose donc la question : est-ce que vous voudriez voir cette histoire alternative, et si oui, de quelle manière ? En alternant ici un chapitre sur deux avec la mention "version alternative", ou alors un second livre ? À vous de voir.

Sur ce, bonne journée, bonne soirée, ou bonne nuit selon l'heure où vous lisez ces mots !

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