CHAPITRE 03

   D'abord perturbé, Willbert finit par se dire qu'il ne devrait pas autant se soucier d'un simple rêve. Il se leva, déterminé à vendre tout ce qu'il a pu dénicher la veille. Il remit ses bottes qu'il avait auparavant abandonné au pieds du lit. Son regard scruta la pièce et s'arrêta sur le miroir accroché au mur. Le reflet qu'il lui renvoyait le dégoûtait. Enfant, il s'était promis de prouver à toutes ses personnes qui le jugeaient, à quel point il était différent de ces prédécesseurs. Il fallait croire qu'à vingt ans, il avait fini par comprendre que ces n'était aussi simple. Il détourna les yeux.

   Il fouilla ses placards quasiment vide, à la recherche de quelques choses à grignoter, arrangea ses cheveux emmêlés par le sommeil, remit ses trouvailles dans son sac et quitta son sous-sol.

   Après avoir fait quelques pas dehors, il ferma les yeux pendant quelques instants et huma l'air frais de cette journée d'automne. Il se dirigea ensuite vers le grand marché. Arrivé là bas, il observait les différents marchands, jugeant celui qui serait plus facile à duper. Contrairement aux vendeurs qui exposaient leurs marchandises sur les rues, tel que celui qui l'avait réveillé le matin même, ceux du marché étaient des étrangers qui venaient de différentes régions,et donc, ne connaissaient pas sa réputation. Son regard tomba sur l'un d'eux, dont le visage exprimait une certaine naïveté. Un sourire malicieux étira les traits du noiraud.

   Il s'avançait tel un félin vers sa proie. Il se planta devant l'homme qui, tête tourné vers sa marchandise, ne le remarqua pas tout de suite. Willbert eu donc le temps de le détailler. L'homme devait avoir la quarantaine, quelques rides commençait à apparaître sur son front et les coins de ses yeux et des mèches blanchâtres se mêlaient à ses cheveux bruns. Le voleur se racla la gorge pour attirer son attention.

   Avant même de relever tête, le marchand se muni de son sourire professionnel. Mais dès qu'il croisa le regard de son client, son expression se ferma tout de suite.

   Mes yeux. Évidemment. 

   - Bien le bonjour, que puis-je faire pour vous jeune homme ? lança le quarantenaire avec un sourire forcé.

   - Bonjour, hum... J'ai quelques affaires dont j'aimerais me débarrasser, mais je ne savais pas vraiment vers qui aller alors...

   Il laissa volontairement sa phrase en suspens, et laissa apparaître un sourire innocent. Il sortait la même phrase à chaque fois.

   - Tout dépend de ce que vous avez à me proposer. Et du prix bien sûr, répondit le marchand.

   Willbert ouvrit son sac et présenta son contenu sur la table qui le séparait de son interlocuteur.

   - Un connaisseur m'a garantis que ces bijoux avait une grande valeur par ici.

   Ce qui était totalement faux, évidemment. Ces objets ne valait rien mais le marchand n'avait pas l'air de s'y connaitre, alors le noiraud continua dans sa lancée.

   - Ils pourraient vous rapporter jusqu'à vingt pièces d'Or, ajouta-t-il.

   Ils n'en valait pas plus de dix.

   - A combien comptez-vous me les vendre? demanda l'homme avec un regard méfiant.

   - Je pense que dix-sept me suffiront largement, annonça-t-il tout sourire.

   Il passa encore quelques minutes à le convaincre. L'homme finit par céder. Dès qu'il se tourna pour déposer ses achats et ramener son argent, Willbert profita de son moment d'inattention pour glisser quelques babioles dans son sac. D'une pierre deux coups.

   Une fois sortie du marché, il se décida à aller faire un tour. Les mains dans les poches de son pantalon,sa tête fièrement relevée, il arpentait les rues, jusqu'à arriver près de la galerie de l'un des nombreux peintres du village. Celui-ci était son préféré.

   En somme, il n'avait rien de spécial, même si ces talents surpassaient ceux de quelques autres, là n'était pas la raison pour laquelle Willbert l'appréciait autant. Cet artiste était le seul qui exposait ses peintures hors de sa boutique. Le mur de la ruelle qu'il occupait donnait l'impression au noiraud d'être dans un autre monde. Toute ces couleurs qui se mélangeaient, laissaient place à d'autres lueurs, qui sous la lumière de l'astre, semblait donner naissance à un univers magique. En plus de cela s'ajoutaient de nombreux tableaux fraîchement achevés disposé d'une façon qui donnait tout son charme à l'endroit.

   La peinture avait toujours fasciné Willbert. Cet art avait le don de donner vie à l'imagination et de faire passer des émotions d'une manière bouleversante. Il n'avait jamais osé entrer chez ce peintre, de peur de se faire comme toujours rejeté. Toutefois dans un monde où il n'aurait pas été condamné à la solitude, il aurait adoré être son apprenti.

   Autrefois, quelqu'un lui avait dit qu'il était vraiment doué et qu'il avait énormément de talent. Le sourire réconfortant qu'avait affiché cette personne à ce moment là lui revint en mémoire. Ces souvenirs étaient à la fois les plus heureux et les plus tristes de sa vie; ils lui rappelaient le goût de la trahison.

   Il resta quelques temps à admirer les nouvelles œuvres de l'artiste, avant de tourner les talons, prêt à rentrer chez lui. Il se remit à marcher, les rayons du soleil caressant son visage le faisant légèrement plisser des yeux. Il se sentait étrangement léger, presque comme dans son rêve. Cependant, cela ne dura pas longtemps. Il se sentit soudain fortement tiré en arrière par le col de son haut. Son dos heurta le mur sur lequel il fût poussé.

   Un léger gémissement de douleur franchit ses lèvres. Il releva doucement la tête et rouvrit les yeux, sa vision un peu cachée par les quelque mèches de cheveux qui étaient retombés sur son visage. Il réussit malgré tout à reconnaître les personnes en face de lui.

   - Encore à errer dans les rues, petit vaurien ? Souffla Oric.

   - Je ne vois pas en quoi cela vous concerne encore, répliqua Willbert.

   - Ça nous concerne temps que tu n'as pas encore réglé tes dettes avec nous.

   - Je croyais qu'on s'était mis d'accord sur le fait que ce n'était pas les miennes.

   - Et bien, il faut croire qu'on a changé d'avis, dit-il d'un air narquois.

   - Bon sang vous ne pouvez pas tenir parole ne serait-ce qu'une fois dans votre vie? Puisque je vous dis que je n'ai rien à voir avec ses histoires! Combien de fois faut il que je le répète?! lâcha-t-il avec rage, haussant légèrement la voix.

   Ses paroles résonnaient dans la ruelle déserte. Lorsqu'il passa une main dans ses cheveux, on aurait dit qu'il allait se les arracher.

   - Écoute Willbert, Eden est mort. Vous étiez toujours fourré ensemble, tu vas pas me faire croire que tu ne savais pas ce qu'il préparait, dit-il calmement mais sèchement.

   Eden est mort. Cette phrase résonnait dans sa tête. Il se retrouva incapable de répondre quoi que ce soit.

   - Je n'ai pas que ça à faire morveu, ajouta Oric face à son silence, J'attends ce qui nous est dû au plus vite.

   Quelques secondes plus tard, ils étaient déjà partis. Willbert fixa le vide un petit moment, avant de se laisser glisser sur le mur derrière lui. Seul les bruits de froissement de ses vêtements se faisaient entendre, tout était silencieux autour de lui.

   Il s'assied à même le sol, tenant ses jambes contre son torse. Dans cette position, replié sur lui-même, il avait l'air d'un enfant perdu. C'était peut-être ce qu'il était au fond. Il serrait si fort ses poings, que ces ongles pénètrent sa chère, et une douleur ce diffusa. Cependant, toute ses sensations étaient bien loin. La souffrance qu'il ressentait au plus profond de son être, dans son coeur, était bien pire.

   Revoir ces visages familiers, lui donnaient l'impression de revenir longtemps en arrière. A un moment où il aurait pu tout sacrifier par amitié. Comme lorsqu'il admirait les toiles, quelques temps plutôt, le même visage lui revint en mémoires. Le visage d'Eden. D'abord son visage ravagé par les larmes, le jour de leur rencontre. Puis ces sourires rayonnants, ses rires cristallins, sa bonne humeur contagieuse et ses yeux bleus qui lui évoquaient le ciel d'été.

   Eden avait était le frère qu'il n'a jamais eu. Sa mort a laissé un trou béant dans la poitrine de Willbert qu'il ne disparaîtra probablement jamais.

   Il resta assis là, un long moment, ses pensées naviguant sur l'océan de ses souvenirs, s'attardant sur ses années à l'orphelinat, là où ils s'étaient rencontrés. Puis il jugea qu'il s'était assez morfondu sur son sort, se leva doucement, et marcha lentement vers chez lui, son regard fixait le sol. La seule fois où il releva la tête et que ses yeux s'accrochèrent au ciel, il pensa que la lumière que renvoyaient les étoiles n'avait rien à voir avec celle de son rêve. Celle ci semblait bien fade.

   Une fois arrivé au pas de sa porte, il entra. La noirceur régnait. Il commença par allumer les bougies, pour se changer et aller directement se jeter sur son lit. Il ne pensa même pas à manger; son ventre criait famine, mais lui n'avait qu'une chose en-tête: dormir pour oublier. Il tomba dans les bras de Morphée.

   De nouveau ce même paysage. Les arbres, le ciel nocturne... Quelque part, il se sentit soulagé de pouvoir revenir. Ce rêve lui avait particulièrement plu. Comme il l'avait fait la veille, il se leva, pris la même direction, suivi le même chemin, pour arriver là où il avait croisé la jeune fille.

   Elle n'était d'ailleurs pas très loin de là, assise contre un chêne, face à un grand lac. Elle ne semblait pas l'avoir remarqué. Il continua à l'observer, pas très sûr s'il pouvait l'approcher ou pas. Mais il finit par le faire. Une fois s'être assez rapproché pour qu'elle puisse l'entendre il se lança :

   - C'est magnifique ici, dit-il doucement, presque comme un murmure.

   La jeune fille sursauta, mais se reprit vite. Elle tourna la tête vers lui, et leurs regards se rencontrèrent.

   Sérieusement ? C'est tout ce que tu trouve à dire?  pensa Willbert. C'était sorti tout seul.

   - Hum... Oui, je trouve aussi. Le reflet des étoiles dans l'eau lui donne un aspect magique, répondit-elle sur le même ton.

   Il aquisa avec un sourire et s'assit à coté d'elle.

   - je pense que l'on devrait commencer par se présenter, dit le noiraud quand le silence s'éternisa.

La brune lui sourit.

   - Je suppose, un petit sourire toujours sur son visage. Je m'appelle Aelis.

   - Willbert.

   - Votre nom est peu commun. Vos yeux aussi d'ailleurs.

   Encore et toujours mes yeux.

   - Ils vous rendent mal à l'aise n'est-ce pas? dit-il en lui jetant un regard désolé. Je vous demande pardon.

   - Hein? Elle afficha une expression surprise. Ce n'était pas une reproche, plutôt un compliment. Cette couleur est sublime.

   Ce fût à son tour d'être surpris. C'était bien la première personne à le complimenter sur ces yeux. La première à le complimenter tout court, en fait. Ses lèvres s'étirèrent timidement.

   - O-oh ... Merci, bégaya-t-il.

   - C'est si surprenant que cela? gloussa la brune.

   - Ça se voit tant que ça que je suis surpris? répondit-il sur le même ton amusé.

   - C'est votre voix qui vous a trahi.

   - Peut-être que suis-je juste timide...

   Elle tourna sa tête vers lui avec un sourire en coin.

   - Mais vous ne l'êtes pas, rétorqua-t-elle d'un air taquin.

   Un petit rire du noiraud raisonna.

   - Vous êtes étrange, annonça-t-il.

   - Vous aussi.

   - Je prends cela pour un compliment.

   Cette fois, c'est la brunette qui ria doucement.

   - C'en était un, dit-elle.

   - J'en doute, mais merci.

   De légers rires se firent encore entendre un petit moment, puis, le silence retomba. Cependant, ce silence là, contrairement au précédant, n'était pas gênant. Celui ci était apaisant. Quand quelques instants plus tard, son regard se dirigea de nouveau dans la direction d'Aelis, il croisa le sien. A ce moment là il se dit que contrairement à elle, ce n'était pas le reflet des étoiles dans le lac qu'il trouvait magique, mais plutôt celui dans ces yeux émeraudes.

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