Samedi, 13h00.

— Je vous en mets combien ?

— Trois barquettes, s'il vous plaît, et trois hotteok aussi, merci.

Attendant sa commande de l'autre côté de la caisse, Hanse range son porte-monnaie tout en percevant les gargouillis bruyants de son estomac. Ce midi, ils seront enfin seuls tous les trois, sa mère, Hanbi et lui. Alors, il espère profiter de ce moment en famille, comme à l'époque, pour retrouver un peu ce lien qu'il avait avec sa mère.

Depuis que cette dernière s'est remariée, il a cette désagréable sensation que leur relation mère-fils s'efface à mesure que les mois passent, laissant place à un vide oppressant. Quand ils vivaient encore tous les trois dans leur petit appartement à Gangnam, il savait qu'il pouvait compter sur sa mère, elle était un vrai pilier dans leur famille.

À présent, c'est à peine si cette dernière prend la peine de s'intéresser à sa nouvelle vie. Constamment en désaccord avec lui, les seules fois où sa mère daigne prendre du temps pour discuter avec lui, c'est lorsqu'il s'agit de prendre la défense de Woosung durant chacune de leurs altercations.

Alors ce midi, il espère que ce moment tous les trois autour d'un bon repas sera bénéfique pour leur relation.

— Et voilà vos bibimbaps, jeune homme ! Bon appétit et bonne après-midi, à bientôt.

En récupérant sa commande, Hanse sourit en se souvenant de toutes ces fois où il a commandé une part supplémentaire pour l'offrir à Seungsik, conscient que celui-ci aurait probablement oublié de manger. Sur le court trajet qui sépare le restaurant de la maison de Woosung, il se demande comment va Seungsik et songe qu'il aurait aimé passer encore un de ses week-ends en sa compagnie.

Mais lorsqu'il aperçoit au loin, Hanbi en train de lui faire de grands signes depuis l'immense baie vitrée du salon, Hanse arrête un instant de penser à son colocataire pour concentrer à nouveau toute son attention sur sa famille.

— Les filles, le repas est prêt ! s'exclame Hanse en arrivant dans le grand salon. Princesse, tu vas chercher maman, je prépare la table.

Cette fois-ci, Hanse installe le repas sur la grande table basse devant la cheminée en pierre. Mais lorsque Siyoon et Hanbi arrivent dans le salon, il entend sa mère soupirer longuement.

— Quoi ? Qu'est-ce qui va pas encore ? râle Hanse en voyant sa mère s'approcher de lui. J'ai pas pris la viande que tu voulais pour ton bibimbap ?

— Hanse... J'ai l'impression que tu fais exprès de tout faire pour énerver Woosung. Tu sais bien qu'il ne veut pas qu'on mange ici. Imagine un peu que tu salisses le tapis.

— Dis-moi, maman... Ça t'arrives encore parfois, de te souvenir de notre vie d'avant ? Quand on mangeait tous les trois sur notre petite table basse et qu'on en avait rien à foutre de salir le sol.

— Moi je m'en souviens et même que j'adorais ça ! réponds joyeusement Hanbi en commençant déjà à manger son repas. Allez, viens, maman ! On dira rien à Woo c'est promis.

En voyant sa mère venir s'installer en tailleur près de lui, Hanse remarque que cette dernière semble de plus en plus affaiblie. Inquiet pour elle, il observe la moindre parcelle de peau apparente et observe quelques bleus. Cependant, c'est surtout son regard triste et vide qui le préoccupe.

— T'es sûr que tout va bien, maman ? murmure Hanse en posant sa main sur celle de sa mère. Je sais bien que ces derniers temps, je te déçois beaucoup et puis, je déteste toujours autant ton mec... Mais c'est moi, tu peux tout me dire. Si quelque chose ne va pas, dis-le moi s'il te plaît.

— Tout va bien, je suis juste un peu fatiguée et je pense que je suis malade. Après le repas, j'irai m'allonger. Tu vas toujours en ville avec ta sœur ?

— Mes plans n'ont pas changé, j'ai promis à ma princesse que je lui gagnerais des peluches Pokémon aux machines à pince et je tiendrais ma promesse. D'ailleurs, dépêches-toi de finir ton repas, après tu dois encore filer à la douche, alors hop hop hop, on se magne si tu veux qu'on ai le temps de tout faire, conclut Hanse en tapant des mains avant de prendre une dernière bouchée de son repas.

— Woosung devrait rentrer de son voyage d'affaire dans l'après-midi... Alors, ne traînez pas trop sur le retour.

Après avoir profité autant qu'il pouvait de son repas en compagnie de sa mère, malgré l'ambiance et les tensions palpables, Hanse s'empresse de rejoindre sa chambre en prenant avec lui son dessert. En regardant le cadran de son réveil posé près de son lit, il suppose que durant les dix prochaines minutes, il aura assez de temps pour s'isoler un instant.

Assis sur son fauteuil à roulette devant son bureau, il fait rouler sa chaise avant de la faire pivoter sur elle-même. Là, il observe un moment ses murs qu'il juge encore trop blancs et trop fades et puis soudain, il se souvient des murs de la chambre de Seungsik. Ceux-ci étaient recouverts de posters, comme l'était son ancienne chambre. Il réfléchit alors quelques secondes à ressortir ses vieux magazines de rock stockés dans son bureau.

En ouvrant le tiroir après avoir posé sa crêpe fourrée sur le côté, il tombe d'abord sur le portrait que Seungsik avait réalisé de lui pour le cours du professeur Kim. Il se souvient alors d'avoir demandé l'autorisation à son camarade de classe pour récupérer ce croquis et de l'avoir emmené chez lui avant de le ranger discrètement dans son tiroir.

Mais aujourd'hui, il n'a pas envie de le cacher, alors il le récupère et le dépose sur son bureau, avant de faire la même chose avec les posters encore pliés dans ses vieux magazines. Soudain, alors qu'il pensait le tiroir enfin vidé, sa main effleure une petite boîte en acier qu'il ramène à lui en laissant échapper un long soupir de ses lèvres.

Avant même de l'ouvrir, Hanse sait pertinemment qu'il trouvera dans cette boîte un ou plusieurs joints qu'il avait malicieusement mis de côté pour ne jamais être à court de stock. Un léger rire quitte alors ses lèvres en ouvrant la boite et quand il avance l'un des joints vers ses narines, il se rend compte que malgré la tentation, il ne ressent vraiment pas l'envie de fumer.

En prenant conscience que ce qu'il prenait pour une addiction n'était en réalité qu'un besoin de s'exprimer ou de se sentir accepté par certains groupes de personnes, Hanse se sent soudain ridicule. Aujourd'hui, il se moque pas mal de traîner avec les mecs les plus cool de la bande ou d'avoir la sensation de se rebeller en fumant. La seule chose qui l'importe à présent, c'est de se sentir bien. Et si son bonheur passe par un changement de fréquentation et d'habitudes, Hanse décide de s'en contenter avec plaisir.

Tandis qu'il mange le reste de son hotteok, il se met à repenser à Seungsik et à son rapport étrange avec la nourriture. Il allume alors rapidement son ordinateur portable et ouvre internet pour se renseigner sur les troubles alimentaires qui existent, mais avant de pouvoir cliquer sur le premier lien, il est interrompu par Hanbi qui débarque brusquement dans sa chambre en sautillant.

— C'est bon j'suis prête, Sese ! On y va ?

Face à l'enthousiasme débordant de sa petite sœur, Hanse décide de remettre tout ça à plus tard. Il aura le temps de décorer les murs de sa chambre, de jeter ce stock de joints et de se pencher un peu plus sur cette inquiétude qu'il éprouve concernant Seungsik en rentrant de leur après-midi dehors. Alors, sans plus tarder, il referme son ordinateur portable et rejoint Hanbi dans le couloir.

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Une première peluche sous le bras et un sac rempli de figurines, dans l'autre main, Hanse ne peut s'empêcher de sourire devant la joie de vivre de sa petite sœur. Après avoir essayé toutes les machines à pince de la salle d'arcades, Hanbi a expressément demandé à son grand frère de l'accompagner chanter au noraebang.

Après avoir fait le tour du répertoire Disney avec sa petite sœur, Hanse s'autorise un instant de répit pour reprendre son souffle, le temps que cette dernière choisisse sa prochaine chanson. Profitant de cette courte pause, il quitte un moment la salle de karaoké privée et laisse son regard vagabonder sur la foule venue profiter de ce samedi après-midi pour s'amuser.

Un peu plus loin, à l'écart de la foule, son regard se pose sur un jeune homme, de dos, en train d'embrasser un autre garçon. La silhouette familière et les cheveux blond foncé du jeune homme troublent Hanse, tant la ressemblance avec Seungsik est frappante. Pris d'un doute, il observe discrètement la scène avec plus d'attention, espérant naïvement s'être trompé et qu'il ne s'agisse pas, en réalité, de son colocataire.

Lorsque les deux jeunes hommes cessent enfin de s'embrasser et quittents main dans la main la salle d'arcade en passant devant lui, Hanse se retrouve soulagé de constater que cet inconnu ne soit pas Seungsik. Mais au moment de rejoindre Hanbi dans la salle de karaoké, il sent cette dernière tirer sur la manche de son sweat.

— Il est pas aussi beau que Seungsik.

— Hein ?

— Bah, le garçon que tu regardais. Il lui ressemble beaucoup, mais moi, je trouve que Seungsik est bien plus beau que lui, affirme Hanbi en souriant.

— Oui, bah ça, on avait bien compris que t'étais amoureuse de Seungsik, rétorque Hanse en pinçant la joue de sa petite sœur.

— Bah même que toi aussi, Sese ! Ça se voit !

— N'importe quoi ! Allez, arrête de m'emmerder ou je donne ton Evoli à la gamine en face.

En voyant Hanbi lui faire les yeux doux, Hanse, complètement attendris et faible face à ce visage angélique, se met à sourire. Tandis qu'elle lui réclame à présent de l'accompagner sur le tapis de danse situé au fond de la salle, il sent son téléphone sonner dans la poche de son sweat.

Même s'il doit couper court à cette conversation groupée après avoir rapidement encouragé Kino pour son rendez-vous avec Woodz, Hanse se sent rougir pour lui-même. Le simple fait d'avoir vu la photo de profil de Seungsik dans cette conversation à trois le fait bêtement sourire. Cependant, lorsqu'il verrouille son téléphone portable, il essaie de garder la face et de se concentrer à nouveau sur sa petite sœur.

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En descendant du bus avec les bras chargés de jouets, Hanse se sent comblé et particulièrement heureux de cette journée passée avec elle. Bien qu'il sache que leur après-midi s'est légèrement éternisée, il ne regrette aucun des moments qu'ils viennent de passer ensemble. Néanmoins, en arrivant chez eux, il observe Woosung les accueillir dans une ambiance froide et angoissante.

— Vous deviez rentrer pour le goûter, Hanse.

— Oui, bah écoute, désolé... On n'a pas vu le temps passer et on s'est éclatés, explique Hanse en déposant tous les cadeaux pour Hanbi sur le sofa. Pas besoin de s'énerver pour si peu, hein.

— Tu crois vraiment que tu peux agir à ta guise et t'en sortir à chaque fois comme ça ? rétorque Woosung en venant se positionner devant Hanse, lui barrant la route volontairement.

— Pardon ? C'est quoi ton problème là ? J'viens de te dire que j'étais désolé, on a rien fait de mal.

— Putain, Hanse ! Ça suffit ! J'en ai marre que tu défies mon autorité ! tempête Woosung en fronçant les sourcils.

— Hey, redescend un peu ! J'en ai rien à foutre de ton autorité, moi. Alors tu me lâches et-

Le bruit d'une gifle retentit soudain dans le salon. La violence de la claque est telle qu'Hanse entend un bourdonnement dans son oreille. La main sur sa joue encore brûlante, il recule d'un pas, choqué par ce qui vient de se produire.

— T'es complètement taré, en fait ! Où est ma mère ? demande Hanse en poussant Woosung afin d'avancer en direction des chambres.

— Laisse ta mère en dehors de ça, grogne Woosung en attrapant Hanse par le col de son sweat avant de le plaquer contre le mur. Elle se sent mal, elle est encore au lit et heureusement que je ne lui ai rien dit sur ton retard, petit con va.

Maintenu bloqué contre le mur par son beau-père, Hanse ne se laisse pas défiler et redresse la tête pour capter le regard de ce dernier.

— J'étais joignable sur mon portable, j'te signale, abrutis, poursuit Hanse en sortant son téléphone de la poche de son sweat avant de le secouer sous le nez de son beau-père. Tu vas faire quoi, hein ? Tu vas encore me frapper ? T'as pas les couilles de montrer ton vrai visage !

Un nouveau bruit sourd vient retentir dans le grand salon après que Woosung ait violemment jeté le téléphone d'Hanse au sol. L'impact est si brutal que l'écran se fissure au contact du carrelage. Mais lorsqu'Hanse, sous le choc, tente de se pencher pour récupérer ce qu'il reste de son portable, il aperçoit Woosung revenir vers lui, les traits crispés et déformés par la colère.

Alors qu'il tente vainement d'esquiver la fureur de son beau-père, qui lui assène un coup violent sur le visage, Hanbi apparaît dans le salon en courant vers Hanse.

— Laisse mon frère tranquille !

Avant qu'il n'ait le temps de réagir, Hanse voit sa petite sœur tomber en arrière dans un cri de douleur et de stupeur, ses fesses buttant violemment contre le carrelage.

— Hanbi ! Putain ! Tu touches pas à ma sœur toi !

Dans un élan de colère incontrôlable, Hanse se précipite sur Woosung et lui assène un violent coup de poing en plein visage. Les sanglots de sa petite sœur, toujours prostrée au sol, résonnent dans ses oreilles, alimentant sa rage. Incapable de se maîtriser, il frappe à nouveau son beau-père. Cette fois, Woosung vacille sous l'impact du coup reçu, reculant maladroitement avant de s'effondrer, son corps inerte glissant contre le mur du couloir.

Dans la panique, Hanse se retourne et cours vers sa petite sœur afin de s'assurer qu'elle n'a rien de cassé. En entendant son beau-père gémir de douleur derrière lui, il décide de prendre Hanbi dans ses bras et de quitter la maison précipitamment.