Chapitre 1 - Woodz


Des silhouettes floues passent à tour de rôle devant lui, des mains viennent chaleureusement se poser sur son épaule,des gens versent des larmes durant d'interminables condoléances, mais Woodz ne voit rien, n'entend rien et ne ressent rien.

Dans son esprit, ne reste à présent plus qu'un silence oppressant, terrifiant et une phrase qui tourne inlassablement en boucle : 

" Votre père a fait une crise cardiaque, nous sommes sincèrement désolé. "

Une crise cardiaque.

Infarctus du myocarde.

Le sang ne parvient plus au cœur, privées d'oxygène, les cellules de cette partie du muscle cardiaque meurent peu à peu.

Tandis que la cérémonie funéraire se déroule lentement, Woodz repense aux cours qu'il a suivis au lycée, ressassant sans relâche cette définition brute et protocolaire, dans l'espoir de comprendre ce qui est arrivé à son père.

Moonbin se portait bien, il était en bonne santé et rien ne laissait présager qu'il allait mourir si brusquement.

Figé par l'incompréhension et plongé dans un mutisme incontrôlable, Woodz continue de répéter sans cesse ces mots, dans un douloureux désordre angoissant.

Infarctus, oxygène, mort, cellules, crise cardiaque, myocarde, douleur.

Une vive pression sur sa main parvient tout de même à le sortir de ses tourments. Doucement, Woodz tourne la tête et dépose son regard sur sa main afin d'observer celle qui s'accroche fermement à la sienne. Il n'a pas la force, il n'a pas l'envie, il n'a pas non plus le courage de relever la tête pour savoir à qui cette main peut bien appartenir. La seule chose dont il est sûr, c'est que la chaleur de cette paume qui maintient captive ses doigts lui procure une brève sensation d'apaisement.

Au moment où une silhouette s'approche de lui, Woodz comprend qu'il doit se lever, s'avancer, et affronter le regard de toutes ces personnes en deuil qui attendent de lui un discours. Il s'approche alors lentement du cercueil ouvert, observe son père durant quelques secondes avant de rejoindre le micro disposé sur ce haut pupitre.

Aucun mot, aucune larme, rien, juste le néant et l'angoisse.

Inerte devant le pupitre, il sent alors quelqu'un venir doucement le prendre par le bras afin de le raccompagner à son siège. Toujours incapable d'affronter un quelconque regard, Woodz se laisse simplement guider tout au long de cette cérémonie. Pendant que des images de son défunt père défilent sur un écran au fond de la salle, il se souvient de chaque détail, de chaque souvenir, de chaque moment passé avec lui.

**

— Je sais, fiston... Je sais bien que ça te fait de la peine, mais c'est comme ça.

— J'ai pas envie qu'il parte à l'autre bout du pays, papa ! Ne le laisse pas y aller.

— Ton frère a le droit de faire ses propres choix. S'il veut aller faire ses études de sport à Busan, on doit juste l'accepter et l'encourager à réaliser ses rêves.

— Ouais, mais j'ai pas envie de me retrouver seul... En plus, Kino va bientôt partir au Japon... Tout le monde m'abandonne.

— Tu ne seras jamais seul, je serai toujours là, moi. Concernant Kino, si tu ne veux vraiment pas te retrouver loin de lui, j'ai une petite idée...

— Tu veux qu'on le suive avec sa famille là-bas ?

— Je pensais plutôt à l'inverse. Tu crois qu'il voudrait bien rester vivre avec nous ici ? Tu sais, je l'aime comme je vous aime ton frère et toi... Alors pourquoi pas ?

— T'es sérieux là ? Tu accepterais de faire ça ?

— Je ferais toujours ce qui est en mon pouvoir pour rendre mes fils heureux. Alors, si accueillir officiellement ton meilleur ami au sein de notre foyer te permet de garder le sourire, je n'hésiterais pas une seconde, fiston.

**

Plusieurs minutes ou peut-être bien plusieurs heures plus tard, il observe en silence, figé par l'angoisse, le cercueil qui descend lentement sous terre. Mais tandis que des cris et des larmes se font entendre dans le cimetière, Woodz lui, ne parvient toujours pas à ressentir ou à exprimer la moindre émotion.

Dans la voiture qui le ramène chez lui, il se demande à quoi pourrait bien ressembler cette immense maison, sans la présence réconfortante de la seule figure parentale qu'il ait jamais connue. Le regard perdu sur le paysage qui défile devant lui, ce paysage qui lui semble tellement fade, tellement insipide, tellement monotone, il sent à nouveau la chaleur de cette paume venir se poser sur sa cuisse avant de replonger dans ses souvenirs.

**

— Papa, je peux te parler d'un truc qui me perturbe un peu ?

— Bien sûr, fiston. Tu peux tout me dire, tu sais bien.

— Je crois bien que j'aime aussi les mecs...

— C'est bien de reconnaître qu'on est bisexuel. Comment tu l'as su ?

— En fait, je pense que c'est bien plus que ça... C'est pas juste, les mecs ou les filles, j'aime les gens pour qui ils sont... Ça fait pas de moi quelqu'un de trop bizarre ? Ou d'incertain ?

— Tu es sûrement pansexuel alors, mais tu n'as pas besoin de te mettre d'étiquettes, tu sais. Tu as le droit d'aimer qui tu veux pour les raisons que tu veux et de la manière que tu veux.

— Merci papa... Merci de ne pas être ce genre de père homophobe ou fermé d'esprit.

— Je veux juste ton bonheur, fiston. Peu importe avec qui tu décides de le partager.

— Prends pas trop la grosse tête, mais sache que je me sens reconnaissant de t'avoir comme père.

— Allez, viens dans mes bras, mon grand !

— Ha non, papa, arrête ! J'suis plus un gamin !

**

Le crissement des pneus sur l'allée gravillonnée de leur grande maison tire doucement Woodz de ses songes. Ses souvenirs heureux, d'un temps où tout allait bien et où son père lui offrait encore son amour et son soutien, ne sont désormais plus que des réminiscences douloureuses.

En descendant de la voiture de son oncle, Woodz ressent que, pas à pas, les bruits et les conversations autour de lui se transforment enfin en autre chose qu'un murmure lointain et indistinct.

— J'ai mis mon appartement en vente ce matin, annonce doucement Jinjin en entrant dans le salon. Je vous dépose juste, je vais retourner chez moi pour récupérer quelques vêtements.

— Tu as besoin de mon aide ? Où je peux rester là et m'occuper de Seungyoun ? demande Kino d'une voix douce.

— Non non, reste avec lui surtout, conclut Jinjin en posant sa main sur l'épaule de Kino. Je me dépêche et je ramènerai le repas... Même si personne n'a d'appétit, je ne peux pas vous laisser comme ça.

Lorsque la porte d'entrée se referme derrière le départ de son oncle, Woodz sent un lourd silence oppressant s'installer, envahissant chaque recoin de la maison. Du temps où Moonbin était encore en vie, la musique résonnait toujours entre ces murs. Ni son père ni lui ne supportaient le silence. Pourtant, Woodz a l'impression qu'il ne pourra désormais plus jamais écouter la moindre note de musique, ni prononcer un seul mot.

Son regard se pose lentement sur un des cadres photo posés sur la commode de l'entrée. En regardant longuement cette image, il se souvient de ce jour où son père et son oncle les avaient forcés, lui, son frère jumeau et Kino, à les accompagner pêcher. Il fixe alors Moonbin, tenant fièrement dans ses bras un énorme poisson fraîchement pêché et se rappelle à quel point il avait pu râler ce jour-là.

Aujourd'hui, il donnerait tout pour retourner à cet endroit qu'il trouvait si ennuyant, à cette époque précise, rejoindre ce bonheur et cette insouciance qu'ils éprouvaient tous. En marchant silencieusement en direction de sa chambre située à l'étage, il continue de poser ses yeux sur les autres cadres photos présents sur les murs, avant de plonger à nouveau dans ses pensées.

**

Dans leur maison, il sait que Moonbin a toujours tenu à afficher un maximum de photos de famille sur les murs ou sur les étagères. Bien qu'il n'ait jamais eu la chance de connaître leur mère, décédée durant l'accouchement, Woodz se sent proche d'elle à sa façon grâce à tous ces clichés présents ici.

Moonbin n'a jamais cessé de lui parler d'elle, alors Woodz sait qu'elle était l'amour de sa vie et qu'elle l'a comblé de bonheur durant de longues années avant de disparaître. Heureusement pour son père, quand il s'est retrouvé seul à devoir élever ses jumeaux, son oncle Jinjin est venu habiter tout près de leur maison, prenant de ce fait un rôle plus qu'important dans leur vie.

**


꧁ '❀ ••-••-•• ❀' ꧂


Une vaste pièce déserte, faiblement éclairée par la lueur vacillante de quelques bougies dont la cire s'écoule lentement. Un silence inquiétant, oppressant. Au loin, la silhouette de Moonbin se dessine, immobile et soudain, le vide l'engloutit. 

Une chute vertigineuse. Une chute sans fin.

— Chut, calme-toi, Seungyoun, respire, murmure Kino en venant poser sa main sur la joue de Woodz. Je suis là, tout va bien, respire doucement, ça va aller, d'accord ?

Après avoir pris un moment pour se remettre de ce cauchemar et calmer son rythme cardiaque, Woodz se retourne sur le matelas en direction de son meilleur ami. Il n'a pas le souvenir de s'être mis au lit, ni même de s'être endormi. Il ne comprend pas pourquoi ce dernier se trouve à ses côtés sur le matelas, mais il vient instinctivement blottir son visage contre son torse chaud.

Il peut sentir les bras de Kino l'enlacer tendrement et sa main venir caresser ses cheveux dans un geste lent et apaisant. Les battements de son cœur parviennent à ses oreilles et soudain, les mots qu'il se répétait en boucle durant la cérémonie reviennent à son esprit.

Cœur, infarctus, oxygène, mort.

— Ton cœur, murmure Woodz. Ton cœur bat tellement fort...

— Putain Seungyoun, ça me fait tellement du bien d'entendre à nouveau le son de ta voix, annonce Kino, la voix tremblante d'émotions. Ça fait quatre jours, je m'inquiétais tellement pour toi. Tu étais là sans être là, alors quand tu es allé t'allonger seul dans ton lit, je n'ai pas eu le cœur de te laisser affronter cette nuit tout seul...

Alors qu'il sent les bras de Kino l'enlacer encore plus fermement, Woodz se met enfin à ressentir une émotion, mais il ressent surtout une immense vague d'angoisse monter du creux de son ventre pour enfin se bloquer au niveau de sa gorge. Ses mains commencent à trembler contre le torse de son ami et soudain, ses yeux se remplissent inexorablement de larmes.

— Son cœur ne bat plus, Kino, c'est fini ! s'écrit Woodz dans un hurlement douloureux avant de s'effondrer en larmes dans les bras de son meilleur ami.

— Je suis là, Seungyoun, pleure autant que tu en as besoin, je ne bougerai pas, chuchote Kino en caressant toujours calmement les cheveux de Woodz. Laisse-toi aller, pleure, hurle. Je suis là, ça va aller.

À mesure que ses larmes continuent de glisser sur ses joues avant de tomber sur le pyjama de Kino, Woodz sent la pression de cette horrible journée retomber. Ses muscles, eux, cessent enfin de se contracter et sa respiration redevient un peu plus normale.

— J'sais pas si je vais y arriver, Kino...

— Je serai à tes côtés... Pour toujours. N'aie pas peur, on va tous être là pour toi, ajoute Kino en invitant Woodz à s'allonger plus confortablement contre son torse. Tu devrais essayer de te rendormir maintenant.

— Ne pars pas, reste près de moi, chuchote Woodz dans un demi-sommeil tandis que sa main se pose au niveau du cœur de Kino.

— Je ne pars pas, murmure Kino en voyant son meilleur ami s'endormir doucement contre lui. Je t'aime.

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