Comme chaque matin depuis la reprise des cours, Kino se lève avant tout le monde et quitte les dortoirs en silence. Il doit marcher une bonne dizaine de minutes avant d'atteindre enfin la petite boulangerie qui propose les meilleurs donuts de la ville. En arrivant devant l'enseigne, Kino salue chaleureusement les employés présents en terrasse et s'approche de la gérante se tenant au niveau de la caisse.

— Je te mets la même chose que les autres matins, mon grand ? demande la vieille dame en souriant à Kino.

— S'il vous plaît, oui !

— Tu es bien mignon en tout cas, dit-elle en préparant la commande de Kino. Je me doute que malgré ton appétit, tu n'achètes pas tout ça rien que pour toi, n'est-ce pas ?

— Non, vous avez raison, madame. C'est pour offrir !

— Je ne me trompe jamais et je sais reconnaître un garçon amoureux. En tout cas, l'élue de ton cœur est sacrément chanceuse d'avoir un jeune homme aussi prévenant que toi dans sa vie !

Un peu gêné, Kino sourit timidement à la vieille dame qui lui tend à présent son sac tandis qu'en échange il lui présente un billet. Il s'incline et salue poliment les employés de la boulangerie avant de reprendre le trajet pour rejoindre le lycée.

Lorsqu'il arrive dans les dortoirs, il croise plusieurs élèves en train de s'activer, qu'il salue furtivement avant d'arriver enfin devant la chambre de Woodz et Seungsik. Cependant, il est surpris par le calme inhabituel qui règne dans la pièce.

— Ah, salut Kino, toujours aussi matinal. Tout va bien ? T'as l'air paumé.

— Euh, ouais, bah... Je cherchais Seungyoun, en fait.

— Je l'ai pas revu depuis hier soir, explique Seungsik en préparant son sac de cours. Je me suis mis au lit assez tôt et je l'ai vu partir, mais pas de nouvelles de lui depuis. Il a sûrement encore découché. On dirait pas comme ça, mais ce délégué est pire que certains rebelles du lycée.

— Super... Bon, je suppose que t'as gagné une double ration de donuts, soupire Kino en déposant la boîte remplie de viennoiserie sur le bureau de Seungsik.

— Mec, j'en prends un, parce que j'ai la dalle... Mais garde les autres pour lui. Je sais que ça te tient à cœur. Tu peux toujours les garder pour lui offrir avant le début des cours. Baisse pas les bras, d'accord ?

Devant la douceur et la compassion de son camarade de classe, Kino laisse échapper un soupir avant de lui sourire en se pinçant les lèvres.

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Après une matinée de cours plutôt ennuyante durant laquelle Kino n'a cessé de ressasser ses déceptions, il décide de se rendre au réfectoire pour rejoindre Seungyoun. Sur le chemin pour rejoindre la table, il s'efforce de sourire pour ne pas inquiéter son meilleur ami. Il espère que passer un moment à ses côtés avant de reprendre les cours lui mettra un peu de baume au cœur et l'aidera à chasser hors sa tête toutes ses idées noires qui le hantent depuis des mois.

— Viens vite nous rejoindre ! s'écrit Woodz en agitant ses bras au-dessus de la tête dans de grands mouvements. J'ai une grande annonce à faire.

En arrivant au niveau de la grande table, il observe Seungyoun se décaler pour lui laisser une place à ses côtés. Tandis qu'il sourit bêtement en déposant son plateau à côté de celui de son ami, il commence à manger tout en observant ce dernier se redresser avant de se mettre debout sur le banc.

— Les amis, j'ai enfin eu l'autorisation de mon daron pour faire une grosse soirée dans notre baraque ! Alors, vous êtes tous invités ! On a un barbecue et une piscine... J'dis ça, j'dis rien.

Alors qu'il voit Seungyoun s'asseoir à nouveau à côté de lui, Kino sourit en voyant son ami aussi joyeux à l'idée de recevoir autant de ses amis chez lui. Puis soudain, une vague d'angoisse l'assaille. Chez Seungyoun, c'est aussi chez lui, depuis que toute sa famille est partie vivre au Japon.

Leurs deux familles se connaissant depuis toujours, il n'a pas eu l'impression d'abuser en restant vivre dans la grande maison du père de Seungyoun qui le considère comme son fils. Mais habituellement, cette maison, c'est son refuge, le seul endroit où Kino peut voir le vrai Seungyoun en privé, loin de son besoin de plaire à tout le monde.

Malgré la joie de son meilleur ami, il ne peut s'empêcher d'angoisser à l'idée de partager ce refuge avec une ribambelle d'étudiants le temps d'une soirée.

— Ça t'embête pas, j'espère ? murmure Woodz en s'approchant discrètement de Kino.

— C'est chez toi, Seungyoun, j'ai pas mon mot à dire, tu sais, répond calmement Kino en posant sa main sur son genou. Mais non, ça m'embête pas du tout, je trouve ça cool au contraire, j'ai hâte.

Voyant son ami reprendre le cours de sa conversation avec les autres élèves, Kino termine son repas avant d'être interrompu par la vibration de son téléphone portable. 

— Excuse-moi Seungyoun, je dois filer, annonce Kino en rangeant son téléphone portable dans la poche de sa veste. On se voit au cours de musique tout à l'heure.

— Ouais, t'inquiète, j'te garderai une place à côté de moi, conclut Woodz avec un clin d'œil.

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En arrivant à l'arrière du bâtiment, il aperçoit son colocataire assis en tailleur au niveau du sol, des écouteurs filaires pendus à ses oreilles, en train de bouger la tête en rythme. Ce dernier ne le voit pas arriver, alors Kino lui tapote simplement l'épaule pour s'annoncer.

— Toujours aussi solitaire à ce que je vois, indique Kino en voyant son camarade se relever. Tu devrais peut-être te mêler aux autres, tu crois pas ?

— J'sais pas trop, j'me sens pas encore à l'aise ici, déclare Hanse en haussant faiblement les épaules. Toi, t'es cool, ça va.

— Merci, je sais, rétorque Kino en riant. À part moi, tu parles avec personne d'autre ?

— Si, j'ai parlé avec Serim aussi. Il m'a proposé de traîner avec lui... Merci de me dépanner d'ailleurs. Promis, j'te rembourse la semaine prochaine.

— Je te fais confiance... Par contre, si je peux me permettre, j'suis pas certain que traîner avec Serim soit une grande idée.

— Écoute, chacun sa façon de décompresser, explique Hanse en croisant les bras contre son torse. Toi, tu colles au cul de ton meilleur pote, d'autres s'envoient en l'air, certains binoclards vont faire qu'étudier, moi, je fume mon herbe.

— C'est pour ça l'argent ?

— Ouais, ça pose un problème ?

— Nan, tant que tu me rembourses, tu es libre de faire ce que tu veux. J'espère juste que tu finiras par te sentir assez bien pour ne plus avoir besoin de t'infliger ça.

— Sans vouloir t'offenser, Kino... T'as tout pour toi, t'es intelligent, riche, beau et sociable. J'suis pas certain que tu comprennes quoi que ce soit du concept de s'infliger quelque chose pour aller mieux. Donc merci pour l'argent, mais te mêle pas trop de mes choix, tu serais sympa.

— C'est noté, conclut Kino d'une voix calme. Tu viens assister au cours de musique aujourd'hui ? Comme ça, tu pourras ajouter talentueux à la liste de toutes mes qualités.

— Kino, le mec parfait. J'ai hâte de voir ça, je te suis !

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En arrivant dans l'amphithéâtre, Kino s'empresse de rejoindre au premier rang, son meilleur ami qu'il aperçoit avec déjà une guitare dans les mains et qui discute avec la professeure de chant. Cette dernière propose aujourd'hui une session rap, ce qui n'est pas pour rassurer Kino, plutôt habitué aux vocalises classiques.

Bien qu'il soit habitué à son talent, il reste cependant très admiratif en voyant Seungyoun rapper aussi bien. Songeant que sa place est sur scène, Kino ne peut s'empêcher de sourire en l'applaudissant en même temps que tout le reste de la classe. Quand vient enfin son tour, Kino ferme les yeux et commence à rapper sans grande conviction. Plutôt mal à l'aise, il accepte volontiers les critiques et les conseils bienveillants de sa professeure.

Au moment où son colocataire se met à son tour à rapper, il est surpris de voir que ce dernier se débrouille aussi bien. Il est heureux de voir son camarade être complimenté par leur professeur et espère sincèrement qu'il choisira cette option. Du moins, il espère surtout que ce dernier restera loin de Serim et des cours de théâtre.

Lorsque le cours touche à sa fin et que Cheetah, la professeure de chant, demande aux élèves de préparer un texte aux paroles fortes pour la semaine prochaine, Kino commence déjà à réfléchir aux sujets qui pourraient l'inspirer. Il espère cependant qu'il ne sera pas à nouveau trop emporté par la noirceur de ses pensées.

— Bon, les gars, on se voit au restau ce soir ! lance Woodz en rangeant sa guitare dans son étui tandis que les élèves quittent l'amphithéâtre.

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Installé en terrasse pour savourer la douceur encore chaude de cette fin d'été, Kino partage un délicieux repas en compagnie de ses camarades de l'option musique.

— Vous avez vu comment il s'est débrouillé le p'tit nouveau ? annonce Sanha en servant à ses camarades plus âgée une dernière tournée de Soju.

— J'ai été pas mal surprise, c'est clair ! répond Lisa en souriant à son petit ami. Il se donne un genre de rebelle, mais j'suis sûr qu'on peut l'attirer pour l'avoir dans notre camp ! On a besoin d'un nouveau talent pour le concert de fin d'année.

— T'en as pensé quoi, Seungyoun ? demande doucement Kino en tournant la tête dans sa direction.

Mais au lieu d'une réponse, il observe son meilleur ami, les yeux rivés sur son écran, en train de discuter sur les réseaux avec un garçon. Leur conversation semble plutôt intime, vu les photos qu'il reçoit et la manière dont Seungyoun rougit en les voyant.

— Bon, je reviens, je vais aux toilettes. Je m'occupe de régler l'addition pour tout le monde ce soir, bougez pas.

Kino s'empresse alors de rejoindre les toilettes du restaurant avant que qui que ce soit ne puisse voir les larmes qui menacent de couler sur ses joues. Enfin seul à l'abri des regards, il laisse toutes ses émotions le quitter. Devant le miroir, il ne voit qu'un lâche, un faible qui n'ose pas avouer ses sentiments à la personne qu'il aime depuis toujours.

Il voit quelqu'un de pathétique et d'invisible, quelqu'un qu'on abandonne comme la fait sa famille, quelqu'un qu'on apprécie, mais à qui on ne donne jamais d'amour.

Alors que les larmes perlent en abondance sur ses joues, Kino retrousse ses manches afin de passer un grand coup d'eau sur son visage.

Mais lorsque ses mains se reposent sur le bord du lavabo, il ne voit que ses cicatrices. Elles ont beau être légères, presque invisibles, malgré tout, il se souvient de la douleur qu'il a ressentie pour chacune d'entre elles.

Essuyant rapidement son visage avec le revers de ses manches, il s'apprête à rejoindre la table en terrasse, mais une boule d'angoisse le fige sur place, le forçant à faire demi-tour.

Isolé dans l'arrière-cour du restaurant, Kino sent à nouveau des larmes recouvrir sur ses joues déjà rouges de honte, tandis qu'il repense à Seungyoun, en train de flirter avec un parfait inconnu sur les réseaux.

— Tiens, j'ai pensé que tu en aurais besoin, annonce doucement Seungsik en tendant un mouchoir à Kino.

— Merci.

— Il n'a jamais remarqué que tu étais amoureux de lui ?

— Seungyoun ? Non, il est persuadé que je l'aime comme un meilleur ami devrait l'aimer. Mais c'est ma faute, je devrais peut-être me montrer plus entreprenant. Mais j'suis mort de trouille, putain.

— Dans ce cas, tu devrais sûrement lui dire, parce que tu te fais du mal là... Mais tu crois qu'il est gay ?

— Seungyoun aime les gens pour qui ils sont, il s'en fiche de leur orientation sexuelle. C'est pas ça le problème.

— C'est quoi alors ? demande Seungsik en venant poser sa main sur son épaule en guise de soutien.

— C'est moi... J'suis pas assez bien pour lui.

— Nan, ne dis pas ça, Kino, tu-

— Désolé, Seungsik, le coupe Kino en essuyant une dernière fois ses larmes, je dois les rejoindre. Tu veux bien m'encaisser pour le repas et ne plus te soucier de tout ça ? S'il te plait.

Observant Seungsik acquiescer sans un mot, il rejoint ce dernier au comptoir afin de régler l'addition. Avant de rejoindre ses camarades de classe, il prend bien soin d'afficher un de ses sourires habituels sur son visage afin de n'éveiller aucun soupçon.