Chapitre 6 - Seungsik

D'un pas déterminé, Seungsik se dirige vers le théâtre situé à proximité de l'aile B. Essayant de formuler dans sa tête la manière la plus délicate pour rompre avec Haruna, il se répète en boucle des phrases pour ne pas la blesser.

En longeant les couloirs qui séparent les deux ailes de l'établissement, son regard se pose sur un petit groupe d'élèves réunis dans la cour extérieure. Des rires se font entendre jusqu'ici, ainsi qu'une mélodie provenant de la guitare de son colocataire. Son visage se décrispe un instant, juste assez pour laisser se dessiner un sourire sur ses lèvres, lorsqu'il voit Kino applaudir son ami comme s'il était en concert.

Un peu plus détendu, il arrive enfin et pénètre à l'intérieur du théâtre par l'entrée principale. Le bruit de ses pas résonne dans la salle de spectacle tant le silence est omniprésent, signalant à Seungsik que sa petite amie doit se trouver au niveau des loges, à l'arrière de la scène.

Tandis qu'il s'avance entre les allées de fauteuils rouges, Seungsik songe qu'il n'aurait jamais réussi à se sentir à sa place dans un endroit si grand et si démesuré, où tous les regards sont constamment braqués sur la scène. Discrètement, il se faufile derrière l'imposant rideau en velour rouge pour rejoindre les coulisses, mais il découvre une scène qu'il était loin d'imaginer.

Devant lui se trouve sa petite amie, assise à califourchon sur les cuisses de Serim. La jupe de son uniforme est remontée jusqu'au milieu de son dos et son chemisier est ouvert, laissant une de ses épaules dénudées. Seungsik reste figé un instant, encore sous le choc, tandis qu'il observe Serim embrasser langoureusement la jeune fille, passant ses mains sous sa jupe et dans son soutien-gorge.

S'apprêtant à quitter le théâtre, Seungsik se retourne, cognant malencontreusement sur un escabeau posé là.

— Merde, Seungsik ! Qu'est-ce que tu fais ici ? s'écrit Haruna, en s'empressant de se rhabiller.

— Je voulais te parler. Mais je vois que tu es trop occupée pour m'écouter.

— Hey, joue pas les connards, Seungsik, ajoute Serim en s'approchant d'eux à son tour. Si tu voulais pas qu'un autre s'occupe de ta nana, fallait réagir avant.

— Ça dure depuis longtemps ? demande calmement Seungsik en s'adressant directement à Haruna.

— Et toi, ça fait longtemps que t'as décidé d'être un trouillard de puceau ? ajoute Serim en venant se positionner devant Haruna.

— Écoute, j'suis pas là pour me battre avec toi. Je voulais juste mettre un terme à ma relation avec Haruna.

— J'suis désolée, Seungsik... Mais j'en avais marre de me sentir délaissée.

— C'est moi qui m'excuse, j'aurais pas dû accepter de sortir avec toi, et encore moins continuer en me mentant à moi-même.

— Oh, merde... Je crois que j'ai compris, putain ! s'exclame Serim en tapant dans ses mains. Tu préfères les queues, c'est ça ? Pas étonnant que tu sois gay, tu vis avec des putains de lesbiennes.

Serrant les poings et la mâchoire après que Serim ait osé parler de ses mères de la sorte, c'est autour de la jeune femme de riposter en déversant sa haine au visage de Seungsik.

— Ah putain, sérieux ? Je sortais avec une tapette ? Merde, la honte ! Faut surtout pas que ça se sache.

— Toi et moi, c'est fini, c'est tout ce que tu as à savoir, Haruna.

Alors qu'il s'apprête à partir, il voit Serim avancer afin de venir se placer devant lui, lui barrant le chemin un instant.

— J'te préviens, si tu racontes à quelqu'un ce que tu viens de voir, j'te défonce.

— Soit pas ridicule, j'ai vraiment pas que ça à faire.

— Les connards dans ton genre, je m'en méfie. Allez, vas-y tu me dégoutes, espèce de suceur. Casse-toi avant que je m'énerve, termine-t-il en poussant brusquement Seungsik, avant d'aller rejoindre Haruna.

Quittant avec empressement le théâtre afin de se rendre dans sa chambre, Seungsik profite du trajet de retour pour réfléchir à ce qui vient de se produire. Il ressent alors un tourbillon d'émotions contradictoires, si puissantes qu'il peine à y mettre des mots. La première est la surprise, un choc presque déconcertant, face à la trahison de celle qu'il appelait jusque-là sa petite amie. Mais très rapidement, il se rend compte que cette douleur n'a pas l'intensité qu'elle devrait avoir. Ce n'est pas une vraie colère qu'il éprouve, mais plutôt un vide étrange, comme si cette trahison reflétait des angoisses plus profondes.

Et puis, au milieu de ce chaos, une vérité vient le ramener à la réalité. Il n'a jamais éprouvé de sentiment amoureux pour Haruna. Ce n'était pas elle le problème, mais lui, incapable de ressentir ce qu'il pensait être naturel. Et maintenant, tout devient plus clair dans son esprit. Seungsik se sent à la fois soulagé et terrifié. Soulagé parce qu'il met enfin des mots sur ce qu'il ressent depuis si longtemps et terrifié parce que cette vérité le pousse hors de la zone de confort qu'il s'était construite.

La trahison de sa petite amie devient alors secondaire. Il se sent perdu, mais au fond, une petite flamme de liberté commence à naître. La possibilité d'être lui-même, même si cette route semble effrayante et semée d'embûches.

Par réflexe, Seungsik sort son téléphone portable de sa poche et vadrouille sur les réseaux pour se changer les idées. Soudain, les conseils de son professeur de dessin reviennent tourner dans sa tête. Il décide alors d'installer l'application du lycée afin de créer son profil une bonne fois pour toutes.

Peu soucieux du regard des autres, il utilise la photo de classe basique en guise de photo de profil, ajoute quelques informations et dans la section vie privée, il se sent bêtement soulagé de pouvoir préciser célibataire, comme s'il se libérait d'un poids qu'il portait depuis trop longtemps.

Après avoir complété son profil, il parcourt rapidement ceux de ses camarades, en évitant volontairement de s'attarder sur celui de Serim, puis ses yeux se posent sur le profil d'Hanse.

Inconsciemment, il ouvre sa photo et zoome pour examiner de plus près les détails du style du nouvel élève. Fasciné par l'aura et le charisme qui émanent de l'image, il continue d'agrandir la photo à l'aide de ses doigts, jusqu'à ce que son regard s'arrête sur ce tatouage représentant une sirène sur son avant-bras, se remémorant à quel point ce dessin l'avait déjà captivé plus tôt dans la journée.

Sans vraiment s'en rendre compte, il se redresse vivement et quitte son lit pour aller s'installer à son bureau situé juste en face. Il sort alors une feuille vierge de son tiroir, ainsi qu'un fusain et un cutter de son étui. Après avoir préparé sa tige de charbon, il commence à redessiner cette sirène de mémoire.

La manière dont des traits grossiers et brouillons ont été volontairement ajoutés par-dessus le dessin donne un aspect encore plus énigmatique à cette sirène dont les cheveux recouvrent une grande partie de son visage.

Quelques minutes plus tard, le dessin terminé et du charbon plein les mains, c'est l'esprit plus léger que Seungsik s'adosse à sa chaise tandis que son colocataire entre en trombe dans leur chambre.

— Mec ! s'écrit Woodz en venant poser ses fesses sur le bureau de Seungsik. J'vais demander à mon père si je peux organiser une soirée à la baraque le week-end prochain, tu viendras ?

— J'sais pas trop, merci de proposer... Mais je ne pense pas que je viendrais, annonce Seungsik en retirant le charbon de ses mains à l'aide d'un chiffon.

— C'est dommage, ça serait vraiment cool que tu sois là... Ça apaiserait peut-être les tensions qu'il y a en ce moment au lycée. Je compte inviter aussi des élèves d'autres classes. Réfléchis-y quand même, d'accord ?

— Promis, conclut Seungsik en souriant chaleureusement à son colocataire.

— Qu'est-ce que tu dessinais ? Pardon si je t'ai coupé avec mon entrée fracassante.

— Euh, nan je dessinais rien d'intéressant, t'inquiète... Tu faisais encore un concert privé à Kino, alors ? interroge Seungsik pour détourner subtilement l'attention de Woodz.

— Ouais, il adore ça ! Et puis, tu sais bien, à la fin du semestre, chaque spécialité aura son heure de gloire. Yejun et toi, vous allez pouvoir afficher vos œuvres. Serim et les filles pourront interpréter une scène, et puis avec Kino, Sanha et Lisa, on aura en l'occasion de faire un petit concert. Donc j'me prépare pour être au top ce jour-là.

— T'es toujours à fond dans tout ce que tu fais de toute façon, ajoute Seungsik en quittant sa chaise avant de taper amicalement l'épaule de son colocataire. Bon, je vais profiter de ne pas avoir à travailler ce soir pour dormir un peu plus tôt.

— Ça marche, bonne nuit, Seungsik

De retour dans son petit matelas, Seungsik déverrouille une dernière fois son téléphone, mais s'étonne de voir apparaître sur l'écran une notification provenant de l'application. Il fronce les sourcils, un peu perdu, en remarquant qu'Hanse vient de liker sa photo de profil, alors même que ce dernier ne lui décroche que des regards chargés de colère à la moindre occasion. 

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