Chapitre 5 - Seungsik

Le service du soir est plutôt calme, il n'y a aucun étudiant attablé. Ce soir, Seungsik observe uniquement quelques habitués, pour la plupart des hommes et des femmes d'affaires encore dans leur tailleur, quittant leurs journées de travail afin de se restaurer entre collègues. Soulagé à l'idée de ne pas avoir à servir des élèves de son lycée, Seungsik s'approche en souriant de la table à laquelle se trouve le groupe de huit venant de s'installer.

— Bonsoir, vous avez déjà fait votre choix ? demande Seungsik en arrivant à leur niveau.

— On va commencer par une tournée de Soju, s'il vous plaît. C'est moi qui invite ! annonce fièrement l'un des clients.

Seungsik note la commande de la table sur le calepin qu'il tient dans ses mains, puis s'incline poliment avant de partir en direction du bar, mais il se trouve coupé dans son élan par une main posée sur son tablier, au niveau de sa hanche.

— Hey, mon joli... Si t'as un numéro de téléphone à me rapporter en plus de ma bière, je suis preneuse, murmure une cliente dans un sourire aguicheur.

— Je vous amène vos boissons, répond poliment Seungsik en se dégageant de son contact.

En arrivant au niveau du bar et pendant qu'il dispose les huit bouteilles de Soju sur son plateau, Seungsik soupire. Agacé par la remarque déplacée de la cliente, il repense à ce qui s'est passé ce matin avec Haruna. Évidemment, la situation n'a rien à voir, Seungsik sait bien qu'Haruna est sa petite amie depuis plusieurs mois, mais à bien y réfléchir, il ne comprend toujours pas pourquoi.

Pourquoi cette dernière lui a demandé de sortir avec lui ? Pourquoi est-ce qu'il a fini par accepter ? Pourquoi d'un coup, Haruna désire plus alors qu'ils avaient pourtant convenu de ne pas aller plus loin ? Pourquoi continuer à se mentir comme ça à lui-même et aux autres ?

Le souvenir de ses mains posées sur la peau de son ventre, de son contact pervers sur sa fesse et même de ses lèvres contre les siennes vient lui donner la nausée. Seungsik sait bien qu'il ne devrait pas ressentir un tel dégoût, mais les faits sont là et il ne veut plus de tout ça.

Tandis qu'il s'apprête à rejoindre la table avec son plateau, la boule au ventre et le visage fermé, son patron s'approche discrètement de lui.

— Laisse, je m'en charge. Si elle veut un numéro de téléphone, je vais lui filer celui de tes parents, ça la calmera peut-être, annonce Xiumin en prenant délicatement le plateau des mains de Seungsik. Je n'apprécie jamais quand les clients draguent mes jeunes employés. Tu veux bien prendre le relais à la plonge un instant ?

— Merci d'être aussi bon avec moi.

— Tu travailles bien et tu es poli, j'en demande pas plus, conclut Xiumin en souriant chaleureusement à Seungsik.

Après avoir pris un instant pour observer la cliente, déçue, en voyant le patron les rejoindre, Seungsik se dirige à l'arrière du restaurant pour passer à la plonge. Tout en frottant frénétiquement les bols qui se trouvent dans l'évier, il songe qu'il devrait vraiment avoir une conversation avec sa petite amie au plus vite.


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Alors que les élèves sont tous concentrés sur les croquis qu'ils réalisent sur leur chevalet, Seungsik, lui, n'arrive pas vraiment à laisser libre cours à sa créativité. Assis près d'une des fenêtres de la classe de dessin, son regard se perd un long moment dans les nuages qui se déplacent lentement.

Soudain, il sent le poids familier et léger de Luna, venir se poser sur ses genoux, lui réclamant des caresses. Le petit lévrier Italien qui ne quitte jamais son maître, sort Seungsik de ses pensées, le ramenant doucement à la réalité. Il soupire alors en observant son croquis et s'apprête à gommer ce qu'il avait déjà dessiné, mais il aperçoit son professeur arrivé à son niveau.

— Tout va bien en ce moment, Seungsik ? murmure le professeur Kim en fixant le dessin de son élève. Je trouve tes traits extrêmement sombres, comparé au semestre dernier. Il s'est passé quelque chose durant l'été ? Quelque chose dont tu voudrais me parler ?

Seungsik sourit devant la bienveillance de son professeur de dessin, qui est, sans l'ombre d'un doute, l'un de ses seuls confidents ici.

— Ça va... C'est juste un peu compliqué en ce moment, mais je vais me reprendre, professeur Kim, c'est promis, annonce faiblement Seungsik, encore perplexe devant ce vieux chêne triste, dessiné au fusain.

— Tu ne devrais pas t'isoler comme tu le fais... Tu devrais essayer de te sociabiliser davantage pour ne pas te renfermer sur toi-même, tu sais.

À ses mots, Seungsik hoche la tête de haut en bas tout en caressant la petite chienne de son professeur, encore appuyée contre ses jambes.

— Ah, tiens, voilà le nouvel élève, annonce le professeur Kim en voyant Hanse arriver dans la salle de dessin. Je vais l'accueillir, ensuite je te laisse te charger de lui expliquer rapidement comment se déroulent les cours ici, c'est bon pour toi, Seungsik ?

Après avoir acquiescé, il observe ce dernier rejoindre Hanse à l'entrée de la classe. De là où il est, il entend son professeur expliquer à son camarade le fonctionnement de son cours dans les grandes lignes, puis rapidement, il le voit s'approcher de lui, l'air grincheux.

— Salut, annonce froidement Hanse, en croisant les bras lorsqu'il arrive au niveau de Seungsik.

— Salut... Bon, alors voilà, ici tu peux te perfectionner en dessin ou en peinture en fonction de tes envies.

— Ah ouais ? Pas d'obligations à la con ?

— Non, le professeur Kim est vraiment cool. Généralement, il impose des thèmes ou des genres, mais si tu te sens plus à l'aise avec un pinceau plutôt qu'un crayon, ça reste ton choix.

Seungsik invite à présent son camarade à venir s'asseoir sur son propre tabouret afin de se familiariser avec le chevalet. Il observe ce dernier incliner légèrement la tête, avant de sourire devant son dessin.

— C'est toi qui a fait ça ?

— Oui... Enfin, j'ai essayé. Mais j'arrivais pas à me concentrer. J'allais tout effacer, en fait... Alors, si tu pouvais ne pas t'attarder dessus, je préfèrerais.

— Ça serait stupide d'effacer ça... Vous, les gosses de riches, vous avez tendance à jeter au lieu d'essayer de réparer, c'est insupportable, sermonne Hanse en soupirant sans adresser un regard à Seungsik.

— Et si t'essayais de dessiner quelque chose, au lieu de critiquer les autres ?

Il observe Hanse se retourner dans sa direction, retroussant les manches de sa veste jusqu'aux coudes, tout en lui lançant un regard rempli de défis.

— Les crayons sont dans l'un des tiroirs sous le pupitre, ajoute Seungsik en croisant les bras sur son ventre. Tu peux prendre une nouvelle feuille ou gribouiller par-dessus la mienne, ça m'est égal.

Pendant que son camarade ajoute deux corbeaux autour du vieux chêne de son dessin, Seungsik se surprend à lorgner sur son avant-bras gauche, rempli de tatouages qui le captive le temps d'un instant. Certains d'entre eux ne sont que des calligraphies, mais d'autres sont vraiment de très beaux dessins. Seungsik s'approche un peu plus de son camarade et continue de fixer le plus grand des tatouages présents, seulement là, il devine qu'il s'agit d'une sirène qu'il trouve magnifique.

Quelques minutes plus tard, après avoir observé Hanse d'un peu plus près, il voit ce dernier se redresser avant de se retourner pour lui faire face. Seungsik voit alors un sourire fier se dessiner sur son visage après qu'il ait fini de dessiner ses deux corneilles.

— C'est vraiment pas mal... T'as du talent.

— Je sais.

— Si tu passais moins de temps à fumer et à grogner sur les gens, t'aurais sûrement l'occasion de t'améliorer en dessin, déclare froidement Seungsik.

— Ouais, mais le truc tu vois, c'est que je t'emmerde en fait.

— Oui, ça, j'avais saisi.

L'alarme de la sonnerie annonce soudain la fin des cours et avant qu'il n'ait le temps d'ajouter quoi que ce soit, il voit Hanse partir en furie, sans oublier de lui adresser un dernier regard rempli de colère.

— Alors ? Tu t'es fait un nouvel ami ? demande le professeur Kim en revenant vers Seungsik tandis que la classe se vide. Fait voir un peu ce qu'il a dessiné ?

Seungsik lui tend alors la feuille contenant leurs deux dessins réunis et voit un sourire s'afficher sur le visage de son professeur.

— Il a du potentiel le petit, j'espère qu'il choisira cette spécialité. Tu devrais embarquer ce dessin dans ta mallette.

— J'aimerais mieux éviter de le voir débarquer ici, personnellement. Ce cours, c'est mon refuge.

— Tu sais... Cacher qui tu es ne te fera jamais te sentir libre. Je sais bien à quel point c'est compliqué, on en a déjà parlé, toi et moi. Mais tu ne crois pas que l'opinion des autres est moins importante que ton propre bien-être ?

— Si, bien sûr... Mais on vit dans un monde rempli d'injustice. Je le vis au quotidien avec mes deux mères.

— Je sais bien, mon grand, ajoute M. Kim en venant tapoter l'épaule de son élève. Peut-être que tu devrais commencer par arrêter de sortir avec une fille ? Personne ne t'oblige à faire ton coming out, mais mentir n'est pas la solution.

— J'y pense sérieusement depuis plusieurs jours, oui... Vous avez raison, je devrais arrêter cette relation, ça ne mène à rien.

— Fait ce qui te rend le plus heureux et qui te permet de te sentir épanoui surtout. Si tu as le moindre problème, viens me voir, d'accord ? Luna et moi, on sera toujours là pour t'écouter et te soutenir.

Seungsik adresse un dernier sourire à son professeur avant de quitter la classe, bien décidé à mettre un terme à sa relation avec Haruna. Il se souvient que cette dernière traîne toujours un peu dans le théâtre après la fin des cours, alors il part en direction de l'aile A, afin de la retrouver pour avoir une conversation avec elle.

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