fünfzehn
Lampe torche.
Une lampe torche. Pourquoi ? Pour quelles fins ? Est-ce que Mathéo a descendu une bouteille de vodka avant de venir ?
« Sympa, t'aurais pu picoler avec nous quand même. Qu'on puisse partager ton délire, » fais-je remarquer avec sarcasme.
J'entends Alexandre rire, ce qui ne plaît pas à son meilleur ami qui réplique, mais je ne l'écoute pas. Je suis concentrée à bidouiller la lampe torche (j'aime bien démonter puis remonter les objets, avoir quelque chose à faire avec mes mains).
Le désavantage d'être au mois de novembre, c'est qu'il fait déjà nuit à six heures de l'après-midi. Ainsi, la lampe que j'allume sans faire attention éclaire l'intérieur de la voiture, pile au niveau du visage de Mathéo qui l'éblouit.
« JENNA ! » hurle-t-il.
« Attention ! »
Le véhicule fait une embardée sur le côté pour éviter une voiture en sens inverse, puis de l'autre côté pour revenir sur la route. Les secousses m'ont fait lâcher la lampe, et je reste tétanisée. Un long silence de mort s'abat dans la voiture, jusqu'à ce que l'adrénaline redescende petit à petit. On entend juste les souffles et les battements de cœur frénétiques.
Pas qu'on vienne juste d'échapper à un accident... mais je crois qu'il est temps que je me calme sur les conneries.
« J'ai cru qu'on allait y passer, » murmure Alexandre dans un souffle. « Mais bizarrement... je me sens super bien ! »
Cette fois, c'est à Mathéo et moi d'échanger un regard perplexe dans le rétroviseur, jusqu'à ce que tout le monde se mette à rire pour faire éclater la tension.
A peine remis de nos émotions, Mathéo fait tourner le volant, et dirige la voiture sur un tout petit sentier à travers un champs. Les phares sont la seule source de lumière à des mètres à la ronde, jusqu'à ce que nous entrions dans un petit bois où les ténèbres règnent.
L'humidité rend l'adhésion des pneus au sol minime, et j'ai plus d'une fois peur que nous tombions dans un ravin. C'est pas trop l'éclate à laquelle je m'étais attendue.
« Tu es sûr qu'on n'est pas perdu ? » demande Alexandre aussi peu rassuré que moi.
« Au contraire, on est arrivé. »
Arrivé ?! Dans ce trou au milieu de nulle part ? Je préfère manger mes cheveux que de mettre un pied dehors !
Je n'ai cependant pas le temps de protester, car les garçons sont déjà sortis. Il fait beaucoup plus froid qu'en ville, et Mathéo avait raison (aussi étonnant que rare). On ne voit rien à un mètre sans lampe de poche. Et on ne sait toujours pas ce qu'on fiche ici.
« Aaaah, j'ai compris ! » je m'exclame en me frappant le front (aïe, sur ma bosse, mauvaise idée). « On cherche des farfadets ? »
Les yeux grands ouverts et la bouche en O, je m'adresse à Mathéo comme je m'adresserais à Gabriel ou Anaé. Bref, je le prends pour un crétin.
« Malheureusement pour toi, on ne cherche pas tes congénères. » (ahah, pas drôle.) « On va faire de l'urbex, » répond-t-il en pointant du menton quelque chose derrière moi.
Je ne l'avais pas vu jusqu'à présent, mais un bâtiment qui ressemble à une maison (difficile à dire dans le noir) se dresse au milieu de rien.
De l'urbex..? Je crois avoir déjà entendu ce mot quelque part. Puis ça me vient : de l'exploration urbaine, généralement dans des lieux abandonnés. Ce qui veut dire que... la maison devant moi est abandonnée ?
Si vous avez suivi assez attentivement jusque-là (n'est-ce pas ?), vous savez que je suis "fascinée par les histoires un peu glauques de bâtiments abandonnés". Petite rectification : j'aime en lire, pas les vivre.
« Non mais vous n'envisagez pas sérieusement d'entrer là-dedans ? Même si c'est abandonné, cette maison appartient à quelqu'un ! Si on entre, c'est considéré comme un délit de violation de domicile. J'ai fait un exposé dessus ce matin, je sais de quoi je parle ! »
Le ton de ma voix doit trahir ma peur, car Mathéo hausse les épaules, son éternel sourire narquois aux lèvres.
« T'as qu'à nous attendre à côté de la voiture si t'as peur. »
Qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'on va me laisser avec une gamelle d'eau aussi ? Non mais je rêve !
« Ah non mais n'importe quoi hein, rien à voir. J'ai pas peur. J'ai juste pas très envie de violer la loi avant d'avoir prêter serment pour devenir avocate. »
Les bras croisés et je reste campée sur ma position, les pieds fermement enfoncés dans la terre.
« Mh... ok. A tout à l'heure alors, » lance Mathéo qui n'en a vraiment rien à faire.
Alexandre de son côté, a déjà poussé la clôture en bois pour pénétré dans la cour. Il a manger des céréales au courage ce matin ou quoi ? Pour compter les cartes c'était y'a pas moyen, mais là on entre dans une maison sans autorisation y'a zéro problème !
Hors de question que je reste toute seule dehors, je préfère les suivre à contrecœur. Je fais attention à garder les bras serré contre mon corps comme pour me protéger, et entre en deuxième position après Alexandre dans la maison par une fenêtre ouverte. Au moins, nous n'avons rien eu à casser pour entrer.
Nous débouchons dans une petite pièce qui ressemble à une bibliothèque. A l'intérieur, ça sent l'humidité et le renfermé. Il fait d'ailleurs beaucoup plus froid qu'à l'extérieur : notre souffle se matérialise par de la fumée blanche.
Cette première pièce n'est pas accueillante du tout. J'imagine très bien la maman de Norman Bates cachée un peu plus loin dans la maison, et je prie pour qu'Alexandre ne trouve pas cela très intéressant. Qu'on puisse retourner à la voiture fissa !
Je suis Alexandre à la trace, osant à peine regarder autour de moi. Après la bibliothèque, le salon le plus grand que je n'ai jamais vu. Par terre, on trouve tout et n'importe quoi. Des magazines datant des années 90, un téléphone à cadran, une raquette de tennis... En relevant la tête, j'aperçois une cheminée, des canapés... Bien que tout appartienne à un autre temps, comme figé, l'ensemble est en bon état.
« C'est marrant, on dirait que... »
Je ne finis pas ma phrase. Personne n'est là pour l'écouter.
Merde. Je suis toute seule.
« Alexandre, tu es là ? Eh oh ? »
Pas de réponse. Putain, j'ai la boule au ventre tellement j'ai la trouille.
« REVENEZ ! »
En fait, rester au même endroit est encore plus terrifiant. Je préfère bouger, et avoir plus de chance de retrouver les garçons. Ma peur se transforme en colère. Je leur en veux d'être partis, je leur en veux de m'avoir entraîner dans cette expédition stupide.
Je me mets à parler fort, comme pour oublier le fait que je suis seule. J'espère bêtement que si maman Bates est là pour me tuer, elle n'osera pas s'approcher à cause de mon cri. C'est exactement comme se chanter une chanson pour se rassurer.
« C'est vraiment pas drôle, vous êtes où ? Ok, je l'admets, j'ai peur ! Vous êtes contents ? Maintenant fini de jouer, parce que là si je vous trouve je vous brise les tib- »
« BAH ! »
Une lumière éclaire un visage sous le menton, et sa combinaison avec le cri me fait pousser un hurlement d'horreur. Dans un réflexe, je jette ma lampe torche sur mon agresseur qui se tord de rire.
Ai-je besoin de préciser qui rigole comme une baleine ?
« T'es vraiment un tocard ! Espèce de gamin ! »
On pourrait croire que je ne peux pas plus détester Mathéo qu'avant... Mais bien sûr que si.
« C'était ça ton idée ? Te faire un petit kiff en nous faisant flipper ? Qu'est-ce que tu peux être égoïste. Tu nous faire perdre notre temps, à Alexandre et à moi, » je crache avec une furieuse envie de l'assommer.
Soudain, son rire s'évanouit, et son expression change du tout au tout. Soit il pourrait être pressenti pour gagner le César du meilleur acteur, soit je l'ai véritablement blessé.
« Premièrement, t'es avec nous uniquement parce qu'Alexandre a insisté pour que tu viennes. Si ça n'avait tenu qu'à moi, tu serais restée chez toi. Deuxièmement, je n'ai pas emmené Alexandre ici par hasard. Cette maison, c'est exactement comme son état d'esprit. Si personne ne s'en occupe, ça pourrit, ça devient froid, plus personne n'a envie d'y habiter et ça tombe dans l'oubli. Une personne dépressive est comme une maison abandonnée. Je me suis dit que s'il faisait le lien, ça lui donnerait encore plus envie de se battre pour s'en sortir. Et il l'a compris, contrairement à toi Miss-je-sais-tout. Je sais bien que tu ne m'aimes pas, et crois-moi, c'est réciproque. Mais tes préjugés sur moi alors que tu ne me connais pas, tu peux te les garder. Tout ça, j'le fais pour Alexandre. Je ne crois pas que ce soit la même chose de ton côté, je me trompe ? Tu devrais peut-être te remettre en question avant de jouer à la plus maligne. »
A ce moment, je découvre une facette de Mathéo diamétralement opposée à celles que je connaissais. En effet, je me sens honteuse de l'avoir jugé aussi vite, ce qui ne me ressemble pas d'habitude. Je m'en veux horriblement de m'être trompée à ce point, mais je suis incapable de prononcer un seul mot.
Le pire, c'est qu'il a totalement raison sur le dernier point. Depuis le début, je n'agis que dans l'optique de me faire apprécier d'Alexandre. Je n'ai jamais pensé à lui, je n'ai jamais pensé qu'il pouvait être en dépression.
Tout ce que j'ai fait, je l'ai fait pour moi.
Ce n'est pas Mathéo l'égoïste. C'est moi.
Je ne sais pas où me mettre pendant le reste de l'exploration. C'est encore pire lorsque nous retrouvons Alexandre à l'étage. J'évite son regard, me tiens à bonne distance de Mathéo et m'intéresse à tout sauf à eux. Je ne fais même plus de réflexion pour retourner à la voiture.
Pour faire passer le temps, je lis distraitement des inscriptions sur un tableau blanc Velleda :
y'a r dans cette baraque
Normal elle est abandonnée connard
La courtoisie est monnaie courante chez les urbexeurs...
Plus tard, Alexandre a fait le tour de la maison et nous demande si l'on peut sortir, car il commence à être frigorifié. En sortant, je retiens Mathéo par la manche tandis qu'Alexandre s'éloigne pour monter dans la voiture.
« Attends je... je voulais m'excuser pour tout à l'heure. Je ne l'ai pas fait sur le coup, mais je le pensais. C'était une bonne idée de venir ici en fin de compte. Je connais Alexandre depuis moins longtemps que toi, et je ne m'étais pas rendu compte qu'il était... Enfin, je sais que c'est une personne gentille, et quoi que tu penses, je veux autant l'aider que toi. Alors, je ne te propose pas qu'on devienne ami, mais on pourrait tourner la page et repartir sur de bonnes bases. Pour Alexandre. Ok ? »
« Ok, ça marche... à la condition que tu nous payes une pizza. »
De nouveau son sourire moqueur. Il ne peut pas être sérieux deux minutes ?! Je me force à sourire mais je secoue la tête en lui tapotant le bras.
« N'abuses pas trop d'accord ? Ne me fais pas regretter de t'avoir dit ça. »
« C'est pour aujourd'hui ou pour demain ? » s'impatiente Alexandre depuis la voiture, que nous rejoignons aussitôt.
Sur le chemin du retour, je me décide tout de même à nous acheter une pizza sur une aire d'autoroute, non pas parce que Mathéo avait insisté un peu plus tôt, mais pour faire plaisir à Alexandre.
Il est facile d'oublier la satisfaction que l'on tire à faire plaisir à autrui, quand on ne se concentre que sur son propre plaisir. Pourtant, rien n'est plus gratifiant que de voir un sourire se dessiner sur le visage de quelqu'un grâce à soi.
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