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Parler de mes fesses ! Non mais c'est quoi ce genre de SMS graveleux ? Allô, on est au XXIème siècle, les femmes ne sont plus obligées de tolérer le sexisme ! Comment il réagirait lui, si je lui proposais d'ouvrir un débat sur la taille de son p...!

Je n'ai pas pris la peine de répondre à son SMS, car je compte bien lui répondre de vive voix. Aucun de ses arguments en béton ne seront capable d'arrêter ma tempête de reproches, contrairement au loup et son pauvre soufflet contre les trois petits cochons.

Et ça, Alexandre, pour être un petit cochon...! La comparaison est on ne peut mieux choisie.

J'en avais plus qu'assez de me faire marcher sur les pieds, de me faire rabaisser au rang de moins que rien par des hommes. Mon idée de devenir folle était née à cause de ce sentiment, et encore aujourd'hui, malgré mes efforts, ce sentiment persistait.

Il fallait que ça change, une bonne fois pour toute.

Je n'étais pas assez bête pour croire qu'Alexandre allait changer (parce que personne ne change vraiment), mais il fallait bien que quelqu'un lui dise ses quatre vérités, histoire qu'il se remette en question.

Et ses paroles de vendredi soir, au café, ça n'avait été que du vent ? "J'ai mal réagi, gneugneugneu, je m'excuse, gneugneugneu". Mais où était le comportement qui accompagnait ses dires ? Je ne remerciais pas les dessins animés Disney de m'avoir fait croire au prince charmant : ça n'était qu'un mythe.

Qu'est-ce que j'avais pu être naïve de prendre son discours comme parole d'évangile. On ne m'y reprendrait plus.

Au lieu de rentrer directement chez moi, j'avais suivi le trajet proposé par le GPS pour me rendre chez Alexandre. Il n'habitait qu'à quelques kilomètres de chez moi, d'où le fait que je puisse régulièrement croiser son Audi grise les matins de semaine.

Par chance, quelqu'un sort de l'immeuble au moment où je me pointe devant la porte, ce qui me permet de pénétrer dans la cour intérieure. Je repère le nom d'Alexandre sur les boîtes aux lettres, et monte à l'étage correspondant à son appartement.

Devant la porte, je me retiens de frapper contre le bois avec violence jusqu'à ce que quelqu'un vienne m'ouvrir. Au contraire, dans le but de maintenir l'effet de surprise, je toque trois petits coups secs.

Comme je m'y attendais, la porte s'ouvre sur Alexandre. La première chose qui me saute aux yeux sont ses vêtements, car je ne l'ai jamais vu porter autre chose qu'un costard.

Il est vêtu d'un t-shirt noir et d'un jean, tout ce qu'il y a de plus basique. Pourtant, le fait que ce soit lui qui porte ces vêtements rend la tenue bien plus élégante.

Jenna, on est pas venu pour jouer les Cristina Córdula !

...et encore moins pour se dire que ses vêtements seraient bien mieux sur son plancher plutôt que sur lui !

Je secoue vivement la tête comme pour reprendre mes esprits. Alexandre, les sourcils froncés, à l'air très surpris de me voir.

Pff, quel comédien !

« Je ne savais pas que tu- » commence-t-il.

Rien que d'entendre sa voix me met hors de moi. Pour le faire taire, je n'ai trouvé qu'une solution : abattre mon poing fermé sur son épaule.

Dommage que je ne porte pas de bagues. Ça aurait été largement plus douloureux pour lui que pour moi.

En effet, Alexandre porta instantanément sa main à son épaule meurtrie après avoir laissé échappé à jappement minable, tandis que je coinçais ma main entre mes jambes, les dents serrées.

Je ne m'étais pas attendue à ce que mes jointures craquent aussi douloureusement, me laissant avec des larmes aux coins des yeux. Mon gémissement s'est joint au sien, et nous sommes désormais deux à souffrir.

Je sens mon pouls battre dans ma main, ravivant la douleur à chaque fois.

« Qu'est-ce qui te prend ? T'es complètement hystérique ! » crie Alexandre.

Il se tient déjà droit, ne s'occupant plus du tout de son épaule. En fait, je n'ai réussi qu'à me blesser moi-même. Bien joué Jenna !

« Ah bah bravo, on en vient au cliché des femmes hystériques ! Quoi, tu vas m'enfermer à la Salpêtrière* ?! J'suis une Suffragette** moi ! » je siffle entre mes dents.

Pourtant, je sais que je ne suis pas du tout crédible avec me visage rouge et ma main en compote plaquée contre mon ventre.

« A cause de toi, je ne pourrai pas participer à la nouvelle pub de Florence ! J'espère que tu es fier de toi ! Et d'ailleurs, mes fesses ne regardent que moi, compris ?! T'es vraiment qu'un sale- »

« Quoi ? Quelle nouvelle pub ? De quoi est-ce que tu parles ?! »

« De tes SMS, abruti ! »

Si j'avais été en mesure de me servir de mes deux mains, je lui aurait flanqué l'écran de mon téléphone sous les yeux.

Soudain, l'expression d'Alexandre se fait très sérieuse, et une lueur d'incompréhension anime son regard. Mais je n'ai pas dit de bêtises... si ?

« Jenna, je ne t'ai jamais envoyé de SMS. »

Sa phrase me laisse coite. Et elle a tendance à me vexer aussi (ça veut dire qu'il n'avait jamais eu l'intention de me recontacter...?).

Je commence à bredouiller, plus très sûre de moi.

« M-mais si ! C'était il y a une heure environ, tu... Je ne mens pas ! Regarde toi-même ton téléphone ! »

J'ai beau être Jenna-la-délurée, je ne le suis pas au point de devoir douter de ma santé mentale. Alexandre obtempère, et va vérifier ses messages.

Au départ sûr de lui, il se fige en voyant distinctement ces SMS irrespectueux, envoyé depuis son téléphone. Il relève ses prunelles vers moi.

« Je te jure que je découvre ces messages à l'instant, je n'y suis pour rien, » dit-il d'un ton calme, prenant garde à ne pas chatouiller le dragon qui dort.

On dirait franchement une excuse bidon, mais va savoir pourquoi, je le crois. Il a l'air véritablement sincère, alors je lui accorde le bénéfice du doute.

« Tu vas me dire que tu t'es fait hacker par le FBI ? » je demande avec sarcasme.

« Non. Mais je pense savoir par qui... » soupire-t-il.

Alexandre s'écarte de l'encadrement de la porte afin de me laisser entrer. Il referme la porte derrière moi, et nous conduit à son salon (enfin, je crois que je dois le suivre).

« C'était qui ? » demande un Mathéo avachi sur le canapé, une manette de console entre les mains.

Ses yeux quittent l'écran de télévision pour se poser sur moi, et son visage s'éclaire.

« Eh, mais si c'est pas notre Jenna nationale ! Qu'est-ce que tu fais là ? »

« Je crois que tu le sais très bien Mat. Ces SMS, c'était toi ? »

Tout s'éclaire, et je comprends petit à petit la situation. Bordel de...

Mathéo prend un air offusqué, pointant son visage du doigt. Mais son numéro ne dure pas très longtemps, parce qu'il ne peut pas s'empêcher de pouffer de rire. Il pose la manette sur la table basse et se lève du canapé pour faire face à Alexandre.

Je ne sais pas si c'est parce que je suis très petite, mais ils m'ont l'air de géants tous les deux.

« Roh allez, c'était pour rigoler ! » Il se tourne vers moi : « T'y as quand même pas cru ? Crois-moi, c'est pas le genre d'Alexandre. Ou alors, peut-être que t'es déçue que ce ne soit pas lui ? »

ENFOIRÉ !

Oubliant totalement ma main invalide, je grimpe au-dessus de la table basse qui nous sépare pour lui arracher les yeux, littéralement.

J'vais m'le faire j'vais m'le faire j'vais m'le faire !

Afin d'éviter le massacre, Alexandre est obligé de me retenir par la taille et me soulève sans mal du sol. Ainsi mise à bonne distance de Mathéo, qui a tout de même eu un mouvement de recul, mon preux chevalier me relâche.

« T'es vraiment un gamin parfois ! » tonne Alexandre.

« Ça va ça va, je m'excuse ! Ecoute, je voulais juste qu'on s'amuse un peu- »

« C'est vrai que j'm'amuse beaucoup là, j'suis à mon maximum ! » je râle en fusillant Mathéo du regard.

« -et j'avais besoin que Jenna soit là. Je pense qu'elle peut nous être d'une aide précieuse. »

« OUAIS ET BEN-! » je commence à m'énerver, avant de me rendre compte qu'il vient de me faire un compliment, curieusement.

Je m'arrête net, penaude. La situation a emprunté un virage tout à fait inattendu, et je me méfie d'un nouveau piège de Mathéo. Mais il affiche un sérieux inébranlable, ce qui change radicalement de son sourire narquois habituel.

Pourquoi a-t-il besoin de moi, et que manigance-t-il ?


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*L'Hôpital de la Salpêtrière se compose de l'hôpital mais aussi de l'Ecole de la Salpêtrière, où des scientifiques étudiaient l'hypnose et l'hystérie au XIXème siècle. Pour plus d'infos, confère Wikipédia.

**Militantes britanniques revendiquant le droit de vote des femmes au Royaume-Uni au début du XXème siècle, dont les actions pouvaient relevées du vandalisme à différent degré de violence. Pour plus d'infos, confère Wikipédia.

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