cinq
Je suis étonnée de la facilité avec laquelle on me laisse entrer dans cette agence de publicité qui m'a pourtant l'air d'avoir une sacrée ampleur économique.
Après tout, je pourrais être une asiatique (ok, j'ai pas vraiment la tête de l'emploi) à la recherche de produits pour en faire des copies dans mon pays.
On avait dit Jenna-la-délurée, pas Jenna-la-raciste-aux-stéréotypes.
Je gravis les escaliers menant à l'étage indiqué par l'enseigne, et découvre une imposante porte en verre transparent. A l'entrée de l'agence, une secrétaire se tourne les pouces derrière un comptoir illuminé par des néons multicolores.
Les lieux sont à l'image de leur site internet : élégant, art design, luxueux.
En d'autres termes, je fais tache dans cet environnement, et la secrétaire ne tarde pas à le remarquer à son tour.
« Vous désirez ? » me demande-t-elle à peine ai-je eu franchi le seuil de l'agence.
Euh, un double espresso et une villa en bord de mer ? D'ailleurs, "bonjour" c'est pour les chiens ?
Du calme, on ne veut pas se mettre cette agréable personne à dos, on veut simplement qu'elle nous aide...
« Bonjour, » dis-je en appuyant chaque syllabe. « Je suis une amie d'Alexandre Marchal. Il a oublié son agenda chez moi ce matin, je suis venue le lui rendre. »
J'ai un peu exagéré le truc en disant que je suis l'amie d'Alexandre, mais je me doute bien que si j'avais dit la vérité, à savoir « Je me suis jetée sous les roues de la voiture d'Alexandre ce matin et en plus je lui ai volé son agenda, est-ce que vous pourriez lui dire que je suis là ? » la sécurité aurait débarqué illico presto.
Je sens le regard de la secrétaire qui me jauge de la tête aux pieds. Alors, pour l'encourager à faire son travail, je lui adresse un petit sourire et fixe avec insistance le téléphone disposé sur son bureau.
Allez ma cocotte, on se sort les doigts du cul et on prévient Alexandre que son précieux agenda est en ma possession !
Au bout de cinq secondes qui me paraissent une éternité, la secrétaire pousse un soupir inaudible (bah oui, c'est difficile d'appuyer sur un bouton !) et coince le combiné entre son oreille et son épaule.
« Alexandre, quelqu'un est là pour toi, » annonce-t-elle de but en blanc avant de raccrocher.
Vive la flemmardise. Au moins, elle ne lui a pas dit qu'une amie l'attendait, il aurait été bien désappointé.
J'attends encore quelques minutes dans l'entrée, faisant abstraction de la secrétaire dont les prunelles reviennent toujours sur ma personne, intriguée par ma présence.
C'est au détour d'un couloir que j'aperçois Alexandre. Son expression expectative disparaît dès que son regard croise le mien. Désormais, il à l'air à la fois déstabilisé et irrité.
Le pauvre, il pensait sûrement en avoir fini avec moi ce matin. Malheureusement, il va avoir du mal à se débarrasser de moi.
Sa bouche s'ouvre puis se referme tel un poisson hors de l'eau, puis il tourne de trois quart son visage en direction de la secrétaire. Pour une fois, elle a l'air totalement absorbée par quelque chose sur son ordinateur, mais je parie que ce n'est qu'une façade pour mieux nous écouter.
Alexandre doit en être venu à la même conclusion, car il me tire par le bras et me force à entrer dans une salle de réunion vide, et ferme la porte derrière nous.
Les volets des fenêtres sont fermés afin d'éviter que les rayons du soleil ne transforme la pièce en un sauna. Pour un jour de septembre, il fait une chaleur à crever.
Alexandre et moi sommes donc plongés dans une demi-pénombre, quelques centimètres nous séparant l'un de l'autre. De nouveau, il m'est possible d'humer son parfum délicat.
Oh, comme c'est intime...
Se rendant compte de notre soudaine proximité, Alexandre se recule un peu trop précipitamment pour que son geste passe inaperçu, puis croise les bras contre son torse. Il est clairement en position de défense.
Mais...?! Je lui fais peur ou quoi ? Mh, après réflexion, c'est très probable.
« Écoutez, si vous voulez porter plainte pour l'accident de ce matin- »
Alarmée, j'écarquille les yeux et secoue les mains devant moi, les doigts écartés.
« Non ! » je réponds si fort que mon crie résonne un instant dans la salle vide.
Je me racle la gorge, embêtée de ma réaction aussi spontanée. Je replace mécaniquement une mèche de cheveux derrière mon oreille, tandis qu'Alexandre m'inspecte en silence, les sourcils froncés.
Ses yeux m'attirent comme un aimant, et je me sens fondre. Même dans l'obscurité, je distingue le bleu de ses iris brillants. Je ne peux m'en défaire, prise au piège. Instinctivement, mon regard glisse lentement sur ses lèvres et mon rythme cardiaque s'emballe.
Dieu qu'il est sexy dans son costume...
Je dois vraiment avoir l'air d'une idiote à le dévisager de la sorte, la bouche entrouverte d'amativité. Pour un peu, je ne serais même pas étonnée si Alexandre venait à claquer des doigts devant mon visage pour me sortir de ma léthargie.
Finalement, ma raison reprend le dessus sur ma passion. Difficile de rester folle quand on se sent toute chose devant un homme.
« Je suis moi aussi responsable de cet accident. Rassurez-vous, je ne suis pas venue ici pour vous faire une scène. »
Visiblement ravi de cette réponse, les muscles tendus des épaules d'Alexandre se décontractent. Son regard même devient moins hostile. Cependant, ses bras sont toujours solidement croisés : il ne sait toujours pas pourquoi je suis venue jusqu'à son bureau.
Je me mordille la lèvre inférieure, d'une part pour essayer de l'émoustiller, d'autre part parce que je sais que je vais tout gâcher. J'étais à deux doigts de gagner sa sympathie, mais il est évident que la suite de mes propos ne vont pas lui plaire.
Un rire nerveux s'échappe de mes lèvres, et je commence à fouiller dans mon sac pour en ressortir son agenda.
« En fait, c'est vraiment une histoire marrante hein, ahah, mais hum... J'ai retrouvé ça dans mon sac en arrivant à la fac et j'ai compris que ça devait vous appartenir. Il a dû tomber dans mes affaires par erreur ! »
Avec un sourire désolé, je lui tends son agenda.
« C'est vous qui l'aviez ! Je l'ai cherché partout ! » gronde-t-il en feuilletant le carnet, vérifiant que rien ne manque.
Il me fusille quelques secondes du regard, pas vraiment dupe de cette erreur tout à fait fortuite.
Calmos l'ours en colère, j'aurais très bien pu le garder pour moi ton stupide agenda !
Mes gros yeux et mes poings sur mes hanches doivent en dire long, car Alexandre concède à s'excuser en inclinant légèrement la nuque.
« Bon ben... merci. »
Et voilà. Nous n'avons plus rien à nous dire, définitivement.
Non, ça ne peut pas se terminer comme ça ! Où est passée Jenna-la-délurée ? Trouve quelque chose pour le retenir !
« Je vous raccompagne, et je demanderai à Dana de vous ouvrir pour que vous puissiez... »
Alexandre s'interrompt au milieu de sa phrase, dans l'incompréhension la plus complète. En effet, je suis en train de glousser comme une bossue derrière ma main qui cache ma bouche.
« La secrétaire, elle s'appelle Dana ? »
Hilare, je pose mes mains sur mes cuisses, désormais pliée en deux. Décidément, Alexandre ne comprend rien à ce qu'il se passe.
« Oui... c'est son prénom... Est-ce que tout va bien ? »
Je rigole encore un bon moment avant de m'essuyer les yeux humides d'avoir trop ri. Je souffle un bon coup et hoche la tête à l'intention d'Alexandre. Il ouvre finalement la porte, et nous nous dirigeons tous deux vers la sortie.
En passant devant l'accueil, comme si de rien était et surtout sans regarder la secrétaire, je me mets à chantonner.
« Dans la vallée oh oh de Dana lalilala... Dans la vallée oh oh j'ai pu entendre les échos. Dans la vallée oh oh de Dana lalilala... Dans la vallée oh oh des chants de guerre près des tombeaux. »
Je sifflote jusqu'à atteindre les portes de verre. Lorsque je me retourne vers Alexandre, il me semble avoir vu l'ombre d'un sourire passer sur ses lèvres.
Est-ce que, par hasard, je l'aurais fait rire ?
Cette pensée me fait sourire de plus belle, mais je me souviens que je suis sur le point de partir pour ne plus jamais revoir mon cher et tendre.
Pourquoi ne pas y aller au culot ? On a rien sans rien ! Jenna-la-délurée lui demanderait son numéro fissa, sans tourner autour du pot.
Suivant mon instinct, une main toujours posée sur la poignée de la porte, je m'apprête à lui demander sans gêne s'il n'aurait pas un petit 06, mais suis coupée par une femme métis qui déboule dans l'entrée, furieuse.
« DANA ! Annule tous mes rendez-vous de ce soir. Le mannequin pour le photoshoot de dix-huit heures nous a lâchée, son agent nous a appeler pour prévenir qu'elle avait la grippe ! C'est pas croyable, il faut toujours que ça tombe au mauvais moment. Alexandre, il faut que tu appelles les clients, qu'ils nous trouvent quelqu'un d'autre ou je ne sais pas... »
Ce petit bout de femme a déclenché une vraie tornade dans les bureaux : de l'autre côté des murs, j'entends que les employés s'activent et passent tout un tas de coups de fil. Soudain, elle s'arrête pour me contempler.
« Et vous, vous êtes qui ? »
« Personne, j'allais m'en aller... » je bredouille tant cette femme m'intimide.
« Non, restez, » m'ordonne-t-elle en s'approchant.
M'attrapant par un bras (c'est une manie chez eux ?), elle me fait tourner sur moi-même comme une danseuse pour mieux m'observer.
« Elle est avec toi ? » demande-t-elle cette fois à Alexandre.
« Oui, mais ce n'est pas une professionnelle, c'est... »
« Jenna Bauer, » je réponds à sa place, un poil vexée par sa description de moi peu avantageuse.
« Jenna, tu es celle qu'il nous faut ! »
Le visage de la femme s'éclaircit instantanément, fière de sa trouvaille.
« Quoi ? » Alexandre et moi nous exclamons à l'unisson.
« Vous m'avez bien entendue, tu vas remplacer notre mannequin. »
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