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Avec tous ces événements matinaux, je n'ai même pas fait attention à l'heure. J'ai dix minutes de retard, ce qui n'arrive jamais d'habitude. Je n'aime pas me faire remarquer par les professeurs.

Roh ça va hein, Jenna-la-délurée a bien le droit d'arriver avec le quart d'heure de politesse !

Après avoir poussé la porte de l'amphithéâtre, toutes les têtes se tournent vers moi comme un seul homme. Même le professeur s'est arrêté de parler, une expression lasse peinte sur le visage. Ça doit être la dixième fois qu'il est interrompu par une entrée remarquée.

« Vous êtes dans mon cours ? » demande-t-il d'une voix trainante.

« Oui. »

« Rappelez-moi votre nom ? »

« Bauer. »

« Ah oui, asseyez-vous Agnès. »

« Euh.. Non moi c'est Jenna. »

« Oui bah asseyez-vous quand même. »

Son ordre ne tombe pas dans l'oreille d'un sourd ; j'obtempère en me trouvant une place de libre au second rang.

Cachée derrière l'écran de mon ordinateur, je peux commencer mes investigations sur mon bel homme. Commençons déjà par chercher Query & Mather dans le moteur de recherche.

Le premier lien me redirige vers la page d'une entreprise de publicité. Le site est très blanc, épuré voire strict. Très snob. Le titre comporterait la mention « Meilleure agence du monde entier tu peux pas test, et prout ma chère » ce serait du pareil au même.

Je trouve sans mal la section « nos équipes », sur laquelle je m'empresse de cliquer. Une série de photos portraits apparaît sur l'écran, que je fais défiler sous mon regard attentif.

Tous ces visages m'ont l'air de poupées de cire. Un sourire figé pour la photo qui n'est autre qu'un leurre à client. La seconde d'après, ces sourires disparaissent sous la cime de dossiers empilés sur des bureaux.

De toute façon, un seul de ces sourires m'intéresse. Je le retrouve dans la partie « communication ». Le voilà, mon bel homme !

Alexandre Marchal.

Il porte bien son prénom. Il est aussi majestueux que le roi de Macédoine avant lui. Alexandre, tu es bien plus beau quand tu souris.

Mes iris détaillent et décomposent les parties de son visage, avec plus d'aisance que dans sa voiture.

Ses cheveux bruns sont coupés courts. Il a le front dégagé, un peu plus grand que la normale à cause de ses yeux peut-être un peu trop bas. Sa fine bouche est entourée d'une barbe naissante, couvrant son menton pointu et sa mâchoire carrée. Son nez aquilin aurait pu être la cause d'un portrait raté, grossier, mais il se fondait particulièrement bien avec le reste.

Ses petits yeux en croissant de lune laissent à peine entrevoir leur magnifique couleur bleu lagon. Je me noyais un instant dans leur profondeur, jusqu'à ce qu'une interpellation me ramène à la réalité.

« Pas mal du tout ce mec. C'est ton cousin ? »

Cette voix doucereuse provient de mon dos, mais je n'ai pas besoin de me retourner pour savoir à qui elle appartient. Blandine Lefebvre.

On connaît tous une Blandine, insupportable sur tous les plans. Rousse, première dans la catégorie « je rejète mes longs cheveux lisses par-dessus mon épaule de manière dramatique », lèvres pulpeuses, peau parfaite, ne porte que des vêtements de marque, danseuse classique de talent, a les yeux qui crient braguette.

Par contre, si elle pouvait fermer sa gueule autant qu'elle ouvre les cuisses, elle ferait un grand don à l'humanité.

Tout ce qui sort de sa bouche n'est qu'un miasme fanant toute pensée profonde. Parfois, je me demande si elle n'a pas mangé son cerveau.

Je me retourne de trois quart pour lui faire face. Blandine a encore les yeux rivés sur mon écran, un sourire moqueur déformant les traits de son visage.

Merde, je passe pour une stalkeuse ! Ce qui n'est pas totalement faux...

Heureusement, Jenna-la-délurée a toujours une idée radicale pour se tirer des pires situations.

« Tu parles d'Alexandre ? » je demande en faisant un vague geste vers mon ordinateur, avant de secouer la tête.

« Mais pas du tout ! »

Je m'esclaffe afin d'accentuer la bêtise de sa question.

« C'est mon copain ; pour ne pas dire futur fiancé ! Il a absolument tenu à me déposer à la fac ce matin, mais son Audi a eu un problème, d'où mon retard. »

Blandine fronce les sourcils, elle ne mord pas encore à l'hameçon.

« Vraiment ? Je croyais que toi et Timothée- »

« Ah non, » je la coupe. « On était pas sur la même longueur d'onde, il était vraiment trop immature pour moi et... Oh non ! Alexandre a encore oublié son agenda ! »

Je pousse un long soupir, brandissant le petit carnet en cuir. Par Toutatis, je mérite un Oscar pour ma performance ! Je voudrais remercier mes parents pour m'avoir toujours soutenue...

Là, les yeux de Blandine s'éclairent en se posant sur l'agenda, et je sais que je l'ai dans la poche. Bingo.

« Dis donc Jenna, je ne savais pas que tu fréquentais les hommes plus âgés ! Tu m'impressionnes. Avec Romain, on va à une soirée VIP dans Paris uniquement réservée aux couples la semaine prochaine. Tu devrais venir avec Alexandre, ce serait sympa de faire une sortie à quatre ! »

Est-ce qu'elle me tend un piège ? Je le déjoue habilement en secouant négativement la tête.

« Alexandre est super fatigué par son boulot à l'agence de pub... Mais on essayera de passer, vous faire un petit coucou. »

J'imagine déjà ma soirée, emmitouflée dans un plaid à binge watcher Doctor Who et à bouffer des bonbons. Eh oui, Jenna-la-délurée a aussi le droit à des temps calme.

Enfin, Blandine hoche la tête avec compréhension et me laisse tranquille jusqu'à la fin du cours. Pour ma part, j'ouvre l'agenda d'Alexandre à la page du jour.

Il a une écriture aussi illisible que celle d'un médecin, mais il y a assez de note pour comprendre qu'il a beaucoup de rendez-vous aujourd'hui. Difficile de s'en rappeler sans cet agenda. Waw, je lui pourris vraiment sa journée de A à Z.

Mais c'est sa faute aussi ! Qui utilise encore des agenda en papier ? Il n'avait qu'à les noter dans son téléphone, comme tout le monde au XXIème siècle.

En parlant de téléphone, je remarque que le mien s'allume et affiche un message reçu à l'instant.

Timothée Fontaine : Bon... ça va ?

Je l'ai ignoré tout le reste de l'été, et c'est maintenant qu'il s'inquiète pour moi ? J'ai envie de lui répondre, et à la fois de balancer mon téléphone à travers la salle, pile dans la poubelle.

Il m'a fait beaucoup de mal, mais nous avons tous les deux nos torts dans cette histoire. Et une partie de moi a toujours envie de rester amie avec lui. Rah, pourquoi c'est toujours aussi compliqué ?!

Je suis perdue, mais je dois prendre une décision. Alors, je saisis mon téléphone.


✻ ✻ ✻


« Salut Naomi, c'est moi. Jenna quoi. Ta meilleure amie, le Yin de ton Yang, le soleil de tes jours et de tes nuits. Je te laisse un message sur ta boîte vocale pour t'adresser mes dernières prières. Je me suis trouvée un homme comme je t'en avais parlé hier, mais je ne vivrai sûrement pas assez longtemps pour qu'on puisse en rire dans vingt ans. Je lui ai comme qui dirait volé un truc... Enfin bref, souhaite-moi bon courage. Si je meurs assassinée, je te lègue ma collection de fèves et mes classeurs de feuilles Diddl que tu voulais tant en primaire. Et n'oublie pas de dire à Timothée que je l'emmerde. »

Au moment de raccrocher, je jète pour la énième fois un coup d'œil à la plaque dorée ornant la façade de l'immeuble haussmannien, qui comporte le nom Query & Mather.

Après avoir sonné, je pénètre dans le bâtiment.

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