Chapitre 4

La pendule du salon affiche 21 heures. Jimmy n'étant toujours pas rentré, je suis toujours enfermée dans l'appartement avec désormais, le ventre qui manifeste sa faim abusivement. J'ai décidé de me plonger dans les révisions, faute de mieux. Assise à la table de la cuisine, un bouquin de 800 pages en face de moi, je planche sur un sujet en cherchant désespérément à finir mon devoir. J'attrape mon téléphone et appuie une énième fois sur la touche "appeler", correspondant au numéro de mon cher, tendre, et retardataire cousin.

"Jimmy Scott, tu a exactement 25 heures de retard, je suis enfermée dans l'appartement à cause de ton imbécile de copain qui s'amuse à jouer les kidnappeurs de film, le frigo est vide, j'ai cours demain, et encore une fois : T'es en retard. T'as 10 minutes pour rappliquer avant que j'appelle les flics pour qu'ils viennent défoncer la porte de ton cher et tendre appartement."

Je mets fin à l'appel et cherche le numéro de Nick. Après quelques bips agaçant dans le vide, sa voix grave retentit dans mes tympans.

«-Comment tu vas Becky ?

- Jonas, ramènes tes fesses ici, c'est plus drôle.

- Personnellement, je m'amuse bien.

- Nick ! »

BIP.

Il a raccroché, lâchement. De rage, j'aplatis mon téléphone avec force sur la table avant de poser mon visage dans mes mains, les coudes appuyés sur mon bouquin. Je vais les tuer, tout les deux, un par un. La souffrance, c'est mon domaine. Je rumine ma vengeance dans ma tête, imaginant la tête déconfite de mon cousin quand en rentrant, il me trouvera un couteau dans la main. A cet instant là, la porte s'ouvre sur la petite tête fatiguée de Jimmy.

« - Jimmy Scott, t'as intérêt à avoir une bonne explication et de quoi manger sinon je te refous dehors.

- Désolé désolé. Puis je pouvais pas prévoir que Nick allait t'enfermer... J'ai des chips. »

J'arrache les chips des mains de mon cousin et l'assassine du regard avant de partir rageuse, avec mes affaires de cours et le paquet de chips, en direction de ma chambre. Une fois à l'intérieur, je me jette sur mon lit, fatiguée. La journée de demain promet d'être longue, très longue.

***

« -Jimmy allez on y va, je vais être en retard ! S'il-te-plaît dépêches-toi un peu !

- Attends, je me parfume.

- Eliana ne revient que ce soir, t'as le temps de cacher ton odeur de phoque. Je vais être en retard !

- Encore une remarque et t'y vas à pied Bethy. »

Je descends les escaliers dans mon uniforme en faisant claquer mes talons sur le bois. Je n'aime pas marcher en talon, mais ils sont de rigueur dans mon école privée. J'entre dans la voiture de Jimmy et enclenche la radio, histoire de patienter le temps que ce dernier descende. Quelques minutes plus tard mon cousin entre et enclenche le contact.

« -Alors comme ça, c'est Nick qui t'as ramené samedi ?

- Oui. Il m'a même prêté sa veste.

- Tu sais, Nick a beau être un de mes meilleurs amis, avec les femmes c'est pas un modèle.

- Je comptais pas me le faire. Ou peut être juste pour une nuit. »

Cette remarque me vaut un regard mi surpris, mi assassin, mi protecteur de mon cousin. Suivi de ça, sa main s'aplatit à l'arrière de mon crâne, venant me punir d'avoir ne serait-ce que pensé passer une nuit aux côtés du bouclé. Je laisse échapper un rire avant d'attraper mon téléphone. Au même instant, un appel d'Eliana le fait vibrer.

«-Eliana ! Comment tu vas ?

- Ça va, je suis un peu fatigué et j'ai hâte de rentrer à la maison mais ça va. C'est surtout à toi qu'il faut demander ça! Alors? Comment tu vas ?

- Je... ça va. Rassure toi, je vais bien. Je te passe Jimmy. »

Je passe le téléphone à mon cousin qui me regarde tristement, ne voulant pas avoir à affronter cette habituelle conversation avec Eliana. Je plonge mes yeux dans le paysage, ne prêtant plus attention à la voix de Jimmy. Je tends l'oreille, cherchant à entendre la musique qui passe à la radio. Red de Taylor Swift vient résonner à mes oreilles.

Un soupir sort de ma bouche malgré moi. Jimmy toujours au téléphone, la voiture s'arrête. Je fait un rapide signe de la main à mon cousin en sortant et me dirige vers mon casier tandis que Jimmy démarre sous les cris des fans qui viennent de se rendre compte de son arrivée. J'ai l'habitude de vivre ça, et c'est sous des yeux jaloux, des critiques silencieuses et des regards méprisants que je prends le chemin menant à mon casier. Mes doigts habitués, tournent le code du cadenas jusqu'à tomber sur le juste. Je range quelques affaires quand des mains viennent me cacher la vue.

« -Devine qui c'est...

- Tu sais Caroline, si tu parles, je sais forcément qui tu es. Répondis-je en riant. »

Je me retourne et embrasse la joue de ma meilleure amie. Cette dernière s'apprête à ouvrir la bouche, elle m'observe et plonge ses yeux foncés dans les miens, s'apprêtant à poser la question qui je m'en doute, sera posée beaucoup de fois aujourd'hui. Elle referme la bouche, se résigne, et baisse les yeux.

« - Bon, on y va ? On va être en retard en philo.»

Je secoue la tête en entrant en salle de philosophie. Je pars m'asseoir près du radiateur. A mes côtés, mon meilleur ami Aaron est censé s'asseoir. Appuyée contre le mur, je fais tourner mon stylo autour de mes doigts en fixant la porte, à l'affût de l'arrivée d'Aaron. Lorsqu'une tête brune entre en riant avec quelques garçons, je ne peux m'empêcher d'esquisser un sourire. Ses yeux bleus clairs croisèrent les miens, et une moue triste s'affiche.

« -Tu... Tu y vas après les cours ?

- Comme chaque année...

-Tu veux que je t'accompagne ou... ?

- Vas-y. Je te rejoins. »

Après les cours, Aaron m'accompagne entre les marbres sombres d'un cimetière que je ne connais que beaucoup trop bien. J'inspire profondément, prenant soin de renouveler mon air avant de m'avancer à mon tour entre les tombes lugubres. Je m'arrête face à deux croix noires, côte à côte, entourées chacunes de roses rouges. Les roses rouges, d'après ma tante, étaient les fleurs préférées de ma mère. Je me penche pour retirer certaines fleurs fanées et les jete derrière moi. Je soupire face aux deux photos de mes parents, trônant devant chacune des croix. Aujourd'hui, nous sommes le jour de l'anniversaire de leur mort.

«-Bon anniversaire papa et maman. Je ne suis pas revenue, depuis l'an dernier. Il s'en est passé des choses en un an. J'habite avec Jimmy maintenant. Je suis sûre que vous n'auriez jamais voulu que je quitte le domicile avant ma majorité, mais avec Jimmy je ne crains rien. Ou plutôt, Jimmy ne craint rien avec moi. J'ai réussi mes examens aussi. Puis, j'ai rompu avec James. C'était un naze en fait. J'ai rencontré un garçon récemment. Un ami de Jimmy. Je suis sûre maman, que si tu le voyais tu me tuerais pour envisager quoi que ce soit avec un crétin pareil, mais il est marrant. Ouai, j'm'amuse bien avec lui, parce qu'après tout c'est qu'un jeu. Bon, je vais vous laisser...Vous me manquez. »

Je ne pleure pas, à quoi bon pleurer sur des gens qu'on a jamais connu, qu'on aimerai juste avoir une fois devant sois. En soupirant, les mains dans les poches de ma veste d'uniforme je rejoins Aaron. Je m'apprête à m'en aller lorsque le vibreur de mon téléphone se déclenche dans ma poche. L'écran affiche en son centre le prénom de mon pire cauchemar.

«- Que me veux- tu aujourd'hui Jonas ?

- Savoir comment tu vas sûrement.

- C'est vraiment pas le moment.

- Ce soir, 22H Bethy.

-Ne m'appelles pas Bethy, et non, pas ce soir. Ni jamais d'ailleurs. »

Je raccroche mon cellulaire et l'enfourne dans ma veste avant de me retourner. A l'instant même où je tourne la tête, Aaron m'attrape la main et, les yeux dans le vide face à lui, m'entraîne vers la sortie à toute allure. Le trajet du retour se fait dans un profond silence. Arrivés au portail de la maison d'Aaron, il s'appuie sur la barrière et m'observe du haut de son mètre quatre vingts.

« -Je comprendrai jamais comment tu fais.

- Je regarde la vérité en face, je ne me défile pas.

Aaron embrasse ma joue rentre à l'intérieur de sa maison, me laissant seule dans la rue. Je soupire, enfonce mes écouteurs dans mes oreilles et continue à marcher en direction de mon propre chez moi. Une fois arrivée devant la porte de l'appartement de Jimmy, je suis surprise d'entendre un rire féminin. Un rire que je ne connais que trop bien. J'entre à toute vitesse, pose mon sac en plein milieu du couloir, et cours en direction d'Eliana.

« -Mais Eli, tu devais pas arriver que ce soir ?

- J'ai pris un vol plus tôt, j'en pouvais plus.

- Et l'idée de m'appeler ne t'as pas effleuré ?

- Tu devais être au cimetière à cette heure là, si tu n'as pas changé tes habitudes. »

Je baisse les yeux appréciant soudainement le noir de mes escarpins. Je tire sur la manche de ma veste pour y cacher mes mains et après avoir embrassé la joue de celle que je considère déjà comme ma belle sœur, monte en courant les escaliers pour me réfugier dans ma chambre. Une fois à l'intérieur, je m'allonge sur son lit et observe tristement son plafond.

***

On dit souvent qu'un enfant n'a aucun souvenir des trois premières années de sa vie, pourtant Kayleen, elle, se souvenait de chaque détail de cet accident.
Assise à l'arrière d'une range rover noire dans un siège auto spécialisé pour les enfants en bas- âges, les pupilles claires de Kayleen étaient noyées de larmes tandis que ses cris retentissaient dans tout le véhicule. Sa mère, totalement affolée d'entendre son enfant pleurer, se détacha et se retourna pour consoler sa fille. Après plusieurs minutes, et la petite pleurant encore, son père tourna la tête vers l'arrière pour aider sa compagne. S' il n'avait pas tourné la tête, il aurait vu cette voix de chemin de fer. S' il n'avait pas tourné la tête, il se serait arrêté.

***

Comme Jimmy me l'a si souvent répété, avec des "si" on peut refaire un monde. J'aimerai le refaire, mon monde, et me lever dans une maison sentant bon le café et les tartines le matin. Avoir une mère à qui raconter toutes mes histoires de cœur, et un père avec qui je jouerais comme avec un ami. J'aurais aimé récupérer ce que la vie m'a arraché si jeune. Je m'apprête à fermer les yeux lorsque des dizaines de caillous viennent s'écraser contre ma fenêtre, la fissurant de part en part.. Je sursaute et me lève en vitesse. Surprise et énervée, je sors sur la terrasse prête à faire passer un sale quart d'heure au voyou qui a osé détruire ma fenêtre et troubler, par la même occasion, le calme qui s'était installé. La surprise est de taille lorsque, en bas de ma fenêtre, je découvre une tête bouclée, les mains dans les poches.

« -Jonas, ça fait peut-être du 4-4, mais tu me dois une vitre.

- Il est 22 heures, t'as exactement moins de 5 minutes pour descendre.

- Tu m'énerves. Si je viens, tu m'fous la paix?

- Tu serais prête à prendre le risque que je te laisse tranquille ?

- Je suis là dans 5 Minutes. »

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