Chapitre 14 : Ballade entre les statues


Le matin, Alec ne mettait que cinq minutes à se choisir une tenue, et encore moins de temps lorsqu'il allait travailler puisqu'il portait son uniforme d'ambulancier. Cinq minutes. Pour choisir une tenue à Magnus, il avait fallu multiplier cette période de temps par dix, au moins. Près d'une heure pour que, finalement, le danseur ressorte de son dressing habillé de ses bottes noires à talons rouges, d'un pantalon cargo en satin doré, ainsi que d'un pull à grosses mailles rouge coquelicot qui dévoilait l'une de ses épaule à la peau caramel. Il avait mis un nombre infinit de collier, de bagues et de boucles d'oreilles, ainsi que de l'eye liner noir et doré dans le style egyptien pour souligner ses yeux ambrés poudrés de rouge-rosé. Bien qu'il ne l'avouerai sans doute pas de vive voix, Alec le trouvait magnifique et un sourire confiant et épanouis vint fleurir ses lèvres et rosir très légèrement ses joues. Magnus, lui, se dandinait encore comme s'il se trouvait sur le podium d'un défilé de mode. Et c'était le cas, quelque part, puisque son parrain venait de relever les yeux de son livre, qui avait depuis longtemps remplacé son journal du matin, abandonné sur le canapé du salon. Le libraire sourit en hochant la tête fièrement, assurant son approbation silencieusement et il fit un clin d'œil à son filleul en se levant pour le prendre dans ses bras en lui ébouriffant les cheveux. Dans ses bras, Magnus soupira de confort. L'Indonésien se sentait toujours protégé et en sécurité dans le giron de son Pembi, son parrain qui avait toujours fait tout ce qui était en son pouvoir pour améliorer sa vie et transformer la grisaille en véritable rêve enchanté. Alec les observa avec tendresse, un pincement lui enserrant le cœur. Lui-même connaissait cette relation presque fusionnelle avec son oncle Jem qu'il adorait comme un père, mais le regret d'avoir perdu son père biologique était toujours là, et la culpabilité n'avait de cesse de le ronger. Détournant le regard pour leur laisser un peu d'intimité, l'ambulancier observa l'appartement avec attention. C'était un endroit petit mais chaleureux, un endroit parfait pour élever un enfant dans l'amour et la compréhension, et il ne doutait pas que Magnus avait dû s'épanouir ici. Alors qu'il laissait son sourire revenir lentement, Alec se retourna vers son nouvel ami qui se trouvait à présent en grande discussion avec son parrain.

- Je t'ai mis de quoi boire, manger, ton MP3, tes écouteurs, un chargeur et une batterie de secours, et aussi une veste si jamais tu as froid en sortant de là, énuméra le libraire avec patience. Les billets pour le musée sont dans la pochette de devant et je t'ai mis un peu de liquide pour te dépanner: tu as trente dollars si tu as besoin, c'est d'accord pour toi ?

- Merci Pembi, sourit Magnus en enfilant le sac...qu'il délaissa deux minutes plus tard pour aller dire au revoir au Président Miaou qui passait par là.

- Magnus, vous allez vraiment être en retard, lui rappela Ragnor en secouant la tête, conservant cependant son ton de bienveillance. Et pour l'amour du ciel s'il te plait ne perd pas ton téléphone, d'accord ? Je ne peux pas me permettre de t'en acheter un tous les deux mois.

Le danseur lui promis de faire attention et laissa son aîné l'aider à enfiler son sac à dos et lui recoiffer rapidement les cheveux. Le plus vieux laissa ensuite son filleul partir avec Alec en faisant promettre à ce dernier de veiller sur lui. Le noiraud lui fit un dernier signe d'au revoir et quitta l'immeuble avec Magnus pour qu'ils puissent rejoindre la voiture du plus vieux. L'Indonésien, bien emmitouflé dans son manteau, aurait voulu pouvoir avoir ses écouteurs, mais ces derniers étaient dans son sac et il n'avait pas envie de forcer Alec à s'arrêter en pleine rue pour les chercher. Alors qu'un camion de pompier passait, les sirènes hurlant à fond leur chant strident, le jeune homme à la peau caramel lâcha un gémissement appreuré et douloureux et, comme un réflexe, Alec posa ses mains sur ses oreilles pour atténuer le bruit. Il n'en fallut pas plus à Magnus pour se détendre et rouvrir les yeux, à la fois surpris et reconnaissant par l'attention de son aîné. Alec ne retira ses mains que lorsqu'il fut certain que son ami ne ferait pas de crise et ce dernier osa, contre toute attente, nouer sa main à la sienne pour terminer le trajet jusqu'à la voiture de l'ambulancier.

Le trajet jusqu'au musée d'art moderne se déroula sans encombre, dans un silence reposant et agréable qui détendit les deux hommes. Alec s'amusa à regarder Magnus observer la ville à travers sa vitre. Le danseur se sentait invincible, profitant de la vue sans se sentir vulnérable au bruit. Pour une fois, c'était réellement agréable. Lorsqu'ils sortirent du véhicule, le plus jeune laissa son aîné reprendre sa main, lui qui fuyait normalement les contacts physiques, et ils s'engagèrent dans l'immense bâtiment pour se diriger vers la salle réservée à l'exposition temporaire sur la danse. Alec sortit les billets du sac de Magnus, ainsi que ses écouteurs et un paquet de guimauve que Ragnor avait placé là à leur intention pour profiter de leur visite avec une dose supplémentaire de douceur. Arrivés devant la salle, ils eurent cependant la déception de constater que toutes les lumières étaient éteintes et que le passage était barré d'un panneau interdit. Alec fronça les sourcils et s'approcha d'un vigile qui traînait là.

- Bonjour, excusez moi, nous avons des billets pour l'exposition sur la danse mais la salle est close, qu'est-ce qu'il se passe ?

- On a subi des dégradations il y a deux jours, beaucoup d'œuvres de cette exposition ont été abîmées et le musée à décider de la clôturer plus tôt que prévu pour éviter d'autres dommages.

- On ne peut pas rentrer ? Demanda piteusement Magnus qui sentait son angoisse monter. Non, c'est pas possible, Pembi les a pris des mois à l'avance pour mon anniversaire, on devait y aller aujourd'hui et pouvoir la voir...

- Je comprends bien, monsieur, et j'en suis désolé mais je ne peux rien faire pour vous, rétorqua le vigile avec un haussement d'épaule. Essayez d'aller voir à l'accueil pour un remboursement mais moi je ne peux rien.

Magnus ne répondit rien, se contentant de baisser les yeux et de fondre en larme piteusement comme un enfant à qui on aurait volé son doudou. La mâchoire d'Alec se serra et il fusilla le vigile du regard qui haussa un sourcil incompréhensif avant de secouer la tête. L'ambulancier guida son cadet sur un banc de marbre et s'agenouilla à sa hauteur. Après lui avoir installé ses écouteurs pour qu'il ait un fond de musique apaisante dans les oreilles et lui avoir fourré une ou deux guimauves dans la bouche, il se rendit au guichet d'accueil en se promettant de faire de son mieux pour que Magnus profite au maximum de leur rendez-vous ensemble. Cela lui prit plus de temps que prévu mais, au bout d'une vingtaine de minute, il rejoignit Magnus le souffle court mais le sourire aux lèvres. S'agenouilla de nouveau face à lui, il tapota son genoux pour attirer son attention et le danseur retira ses écouteurs en reniflant piteusement, son paquet de guimauve vide gisant à ses pieds.

- Regarde ce que j'ai, annonça fièrement le noiraud en lui montrant deux nouveaux billets.

- Qu'est-ce que c'est ? S'enquit timidement l'asiatique.

- Des billets pour l'exposition de danse au musée Guggenheim ! s'enthousiasma le noiraud en souriant jusqu'aux oreilles. J'ai réussi à échanger nos billets contre ceux-là, ce ne sera pas l'exposition prévue mais c'est toujours dans le domaine de la danse, on peut y aller maintenant, je les ai appelé immédiatement et la salle est ouverte !

Très vite, les larmes devinrent sourire et Magnus applaudit joyeusement des mains en courant vers la voiture d'Alec pour rejoindre le musée. Le noiraud secoua la tête, amusé, et récupéra le sac abandonné par le plus jeune en levant les yeux au ciel. Heureusement qu'il était là, où Ragnor aurait dû acheter un nouveau téléphone à son filleul. Retournant à la voiture et vérifiant qu'aucun d'eux n'avait rien oublier, l'ambulancier démarra et les conduisit au musée Guggenheim en moins de quelques minutes. Coup du sort ou destin, ils n'en savaient rien mais le reste de la journée se passa comme un conte de fée : Alec trouva rapidement une place où se garer, juste devant le musée, on les accueillit à bras ouverts et, chance pour eux, la salle était pratiquement vide de visiteurs : personne pour faire trop de bruits ou les faire se sentir pris au piège. Magnus sourit tout du long comme un petit garçon émerveillé, et Alec, lui, s'émerveilla de son côté de l'innocence pure de cet homme qui lui faisait voir le monde avec des yeux d'enfants vivant un rêve éveillé. L'Indonésien admira chaque œuvre, chaque statue, chaque tableau avec passion et il dansa parfois entre deux salles, plongé dans un monde de musique et de danse. L'après-midi se déroula en un éclair, et tout ce dont Alec se souvint, lorsqu'il retourna à la voiture, c'était le sourire de son compagnon. Il était totalement incapable de dire ce qu'il avait pu voir au musée, tout ce qu'il retenait était le bonheur de Magnus et son sourire si beau, si doux, épanouis. A dix-neuf heures, le noiraud ramena, comme promis, le plus jeune à son appartement. Devant la porte ouverte, tous deux sur le palier, l'ambulancier pouvait voir Ragnor dans le canapé qui attendait avec impatience que son filleul parle, désirant sincèrement un rapprochement entre ces deux-là. Visiblement, constata Alec, il était leur fan numéro un alors qu'ils n'étaient même pas en couple. Sans doute Magnus ne devait-il pas connaître grand monde à part lui.

- J'ai adoré cette après-midi avec toi, brisa-t-il alors la glace en premier.

- Moi aussi, sourit Magnus en se tordant nerveusement les mains. C'est gentil ce que tu as fait pour le musée. Pour moi.

- Je ne pouvais pas te voir aussi triste, tu méritait de voir l'exposition que tu voulais, plaida simplement le plus vieux.

- Je suis désolé d'avoir fait une crise, soupira malgré tout l'asiatique. Je...Si tu ne veux plus passer de temps avec moi je...

- En fait, j'aimerais beaucoup te revoir, si tu es d'accord évidemment ? Espéra-t-il sincèrement.

Le danseur ouvrit grand la bouche avec espoir et se tourna vers son parrain qui leva ses deux pouces en l'air en hochant la tête pour lui donner son approbation pleine et entière. Il se retourna ensuite vers Alec qui se mordait la lèvre pour ne pas rire tant cette scène était adorable.

- On peut se voir à la galerie d'Art, samedi prochain si ça te dit. C'est sur les livres anciens, parrain va faire partie des exposants on pourra avoir des places ! C'est en nocturne !

- Ce sera avec plaisir, Magnus, assura Alec en serrant une dernière fois ses doigts avant de lui souhaiter une bonne nuit. A samedi alors.

Le plus jeune sourit et sautilla joyeusement en refermant la porte sous les rires émus de son parrain. Il avait rendez-vous avec Alec Lightwood, et c'était la chose la plus merveilleuse du monde. 

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