Chapitre 13
À la suite de leur entraînement, les noms d'Enzo, mais surtout d'Elisabeth étaient sur toutes les lèvres. Évidemment, l'un comme l'autre avaient fini à terre et à bout de force face aux deux monstres qu'ils devaient affronter, mais tous les spectateurs s'accordaient sur le fait qu'ils s'étaient bien battus.
Après les exercices aux armes, la directrice de l'académie se dit qu'ils feraient des sujets parfaits pour que ses deux élèves pratiquent leur magie blanche. Vu que Wendy avait déjà plusieurs années d'entraînement et qu'elle maîtrisait déjà les sorts requis dans une telle situation, elle laissa Ana s'exercer sur son frère et se concentra sur Elisabeth pour qu'elle puisse reprendre son poste au plus vite.
Ainsi, tandis que la néophyte des gardes royaux était debout en un claquement de doigts, le prince, lui, continuait de grimacer à chaque mouvement. Voir Ana avoir autant de mal avec un sort aussi basique, qui plus est qu'elle avait sans doute déjà abordé dans sa scolarité étonna la prétendante qui inspecta le sort de plus près.
Elle le... Faisait mal ? Ou plutôt, elle faisait exprès de mal le faire ? D'accord, ils n'arrêtaient pas de se chamailler à longueur de journée, mais prolonger ses souffrances ainsi était tout de même extrême et sadique.
— Ana, tu...
— Ana ! Tonna la directrice, interrompant par surprise le sort qu'elle maintenait. Je sais que tu es en première année, mais je sais aussi de source sûre que tu connais ce sort de soin et que tu sais très bien l'exécuter ! Que vous ayez des différents avec ton frère, je peux le comprendre, mais que tu fasse exprès de mal lancer ton sort, c'est inadmissible !
— Non... je... bafouilla la princesse en se tournant vers la duchesse.
— Ce comportement est totalement indigne du moindre mage qui se respecte un tant soit peu, tu devrais avoir honte !
Totalement paniquée, Ana ne réussit même pas à aligner deux mots cohérents. La princesse, d'habitude si sûre d'elle, ressemblait à présent à un petit animal apeuré. Elle se tournait vers chaque personne qui l'entourait et, si seule la directrice la jugeait, elle ne trouva aucun soutien chez les autres.
— Sois sûre que tes parents vont en entendre parler, continua Elisabeth.
Se redressant dans une position assise, Enzo posa ses mains sur les épaules de sa sœur et se pencha pour faire en sorte de croiser son regard. Il n'y avait aucune trace de colère ou de la moindre émotion négative sur son visage. Au contraire, malgré les contusions et la fatigue de son combat, le prince lui souriait.
— Attendez avant de la juger, tempéra-t-il. Je connais très bien ma sœur et je sais aussi les limites qu'elle ne s'autoriserait jamais à franchir. Ce dont vous l'accusez se trouve bien au-delà de ces limites.
— Tu n'es pas familier avec la magie, mais pour moi et sans aucun doute pour Wendy, il est clair que c'était intentionnel.
— Intentionnel, peut-être, mais la raison derrière n'est certainement pas ce que vous pensez. J'ai une parfaite confiance en elle. Laissez-lui au moins le bénéfice du doute et l'occasion de se défendre.
Avec des larmes qui perlaient dans ses yeux, Ana avait relevé la tête et regardait son frère avec gratitude. Ils avaient beau se chamailler à longueur de journée, il ne s'agissait que de jeux d'enfants et tous deux s'aimaient. Après ce que venait de dire Enzo, Wendy était certaine que la princesse avait une bonne explication pour justifier son geste.
— Je... Je ne cherchais pas à mal faire le sort, je cherchais à l'améliorer, avoua-t-elle. Quand je l'ai appris, il m'est venu des idées qui pourraient le rendre plus efficace et moins coûteux en énergie, mais je n'ai jamais eu l'occasion d'essayer. Je ne voulais pas te faire de mal, grand frère. Si ça prenait du temps, c'est parce que je faisais des modifications... Parce que ma première idée n'était pas aussi efficace que je l'avais pensé.
— Vous voyez ! Elle ne faisait pas ça par pure méchanceté. Au final, qu'elle réussisse ou qu'elle abandonne, elle aurait fini par me soigner.
Poussant un long soupir, la directrice reprit son calme. Ana, de son côté, avait véritablement l'air de s'en vouloir et ne cessait de s'excuser auprès de son frère qui continuait à avoir des gestes tendres et rassurants à son encontre.
— Écoute, souffla Elisabeth en s'agenouillant pour être à sa hauteur. J'ai compris que tu ne pensais pas à mal, mais il y a un temps pour tout et ça n'est pas le bon moment pour faire des expériences. Ton frère n'est pas un cobaye.
— Oui, vous avez raison, renifla-t-elle. Pardon.
— Tu es encore jeune et tu viens tout juste de mettre un pied dans la magie, continua-t-elle. Prétendante ou non, il te manque encore bien trop de connaissances pour t'essayer à l'amélioration de sort. Surtout quand le sort en question est déjà passé entre les mains de la prétendante à la vie qui t'a elle-même appris la version qu'elle avait perfectionné bien au-delà de ce qu'un archimage aurait pu faire.
— Je vais soigner Enzo avec le sort qu'on m'a appris, finit-elle par annoncer tout en s'essuyant les yeux pour chasser les larmes.
— Vous savez, moi, je n'ai pas si mal que ça et je n'ai rien de plus à faire, annonça le prince tout en se laissant retomber sur le dos. Vas-y, recommence et suis tes idées.
— Ça ne fonctionnera pas, prévint Elisabeth.
— Et alors ? Ça ne va pas empirer mon état, je ne vais pas avoir un troisième bras qui va me pousser dans le dos. Ça ne fonctionnera peut-être pas, mais en expérimentant, elle comprendra peut-être pourquoi et gagnera ainsi en savoir. Et puis, nous ne sommes pas à l'abri d'une bonne surprise. Qui sait, peut-être que Scyllia a oublié de modifier un petit bout du sort et que les tentatives d'Ana vont le corriger.
— Il faisait partie de sa thèse de fin d'études. Elle a passé des mois sur ce sort en particulier, commenta la duchesse d'un air dubitatif. Mais bon, d'accord. Si tu es volontaire, j'admets que cette expérience peut l'aider à progresser.
Pendant que le prince servait de cobaye à sa sœur et alors que les choses s'étaient enfin calmées, Wendy se tourna vers sa propre patiente qu'elle avait remise sur pied en un rien de temps. La jeune garde néophyte avait été rejointe par Ruby, sa mère, qui lui faisait un compte rendu de l'entraînement. À l'entendre, ce qu'avait fait sa fille était brouillon. Les critiques fusaient et les félicitations se faisaient rares.
Si Wendy ne savait pas que c'était Elisabeth qui lui avait demandé d'être comme ça, elle serait sans doute intervenue pour défendre son amie contre ce qui paraissait être une mère tyrannique. La néophyte ne s'offusquait d'ailleurs d'aucune critique, elle en ajoutait elle-même, supposait de ce qu'elle aurait dû faire ou demandait des conseils quand elle ne voyait pas comment changer ce qui lui était reproché.
Au final et malgré tout ce qu'elle avait pu dire, Ruby la félicita pour tous ses progrès et l'encouragea à continuer ainsi pour un jour dépasser le capitaine. Tout ceci avait redonné de la motivation à Elisabeth qui était presque prête pour une seconde séance d'entraînement tandis qu'Enzo, toujours allongé, ne put s'empêcher de râler, non pas parce qu'il souffrait, mais parce qu'il sentait qu'il serait embarqué dans cette nouvelle séance si elle avait lieu.
— Ah mais j'y compte bien ! Lança Ruby. Si l'on considère qu'il s'agissait de votre premier affrontement en duo, votre coordination m'a impressionnée. Toutes ces journées passées à vous affronter ont fait que vous vous connaissez très bien et vous avez montré aujourd'hui que vous pouviez mettre à profit cette expérience de l'autre pour faire front commun. Je vais aller en parler au roi et il sera sans aucun doute d'accord avec moi. Séparé, vous serez bientôt des combattants redoutables, mais avec l'entraînement que je compte vous faire faire, à deux, vous serez bientôt invincibles.
— Mais qu'est-ce que j'ai fait aux dieux pour mériter ça ! Chouina le prince, provoquant rires et sourires de ceux qui l'entouraient.
— Une dernière chose Eli. La prochaine fois que je t'entends dire quelque chose d'aussi vulgaire que, je cite, sauver ton cul royal, qui plus est devant presque toute la cour, je me joints à l'entraînement et je te fais regretter d'avoir choisi la voie de la garde royale.
Le fait que Ruby ait annoncé cela avec calme et, même, un ton faussement mielleux qui promettait en réalité mille tourments, faisait froid dans le dos. Sa mère était déjà partie, mais Elisabeth était comme en état de choc, horrifiée et frissonnante. Sans doute s'imaginait-elle un tel scénario se réaliser.
Pour ce genre de commentaire, Wendy n'était pas certaine que son amie ait expressément demandé à sa mère d'être ainsi avec elle. Même la lutalicienne, qui n'était pourtant pas impliquée et ne risquait rien était effrayée par cette sinistre promesse.
— Ahahah, tu t'es faite engueuler, rit Enzo, toujours allongé et servant de cobaye.
— La ferme ! Lâcha Elisabeth.
— Eh bien jeune néophyte, quel langage fleuri envers un membre de la famille royale ! Continua-t-il à la narguer. Il serait dommage que votre chère mère l'apprenne.
— Il n'y a plus que nous, relativisa-t-elle en haussant les épaules. Et elle serait capable d'être tout aussi dure avec toi pour être allé rapporter ça.
— Tu oublies que nous sommes encore en présence d'un membre ô combien important de la cour. Une duchesse, la conseillère personnelle du roi ! C'est un facteur aggravant, enchérit le prince.
Se sentant piégée, la jeune Elisabeth ne sut quoi répondre. Celle en l'honneur de qui elle avait reçu son nom ne semblait cependant pas prête à collaborer avec lui dans ses petites manigances. Au contraire, elle avait envers la garde du corps un regard et un sourire bienveillant.
— Je pense qu'Enzo n'est pas assez blessé pour que les essais d'Ana soient concluants. Si tu souhaites l'amocher un peu plus, je t'en serai reconnaissante et je fermerai évidemment les yeux sur ce qui se passera.
— C'est une conspiration ! Vous osez vous liguer pour vous en prendre à votre prince ! S'offusqua Enzo en essayant de se relever sur ses coudes.
D'une pichenette sur le front, la duchesse le renvoya à terre. Il avait choisi de jouer les cobayes, il devait assumer et ne pas bouger.
— Si tu savais le nombre de fois où j'ai frappé ton père alors qu'il était déjà roi. Il est tout à fait acceptable que celle qui porte mon nom en face de même avec le prince et reprenne le flambeau. Si tu trouves ça injuste, parles en à ton père si tu le souhaites, mais il y a de fortes chances que tout ce que tu réussisses à faire, c'est lui remonter de vieux souvenirs.
— Sorcière, grinça-t-il entre ses dents.
— C'est drôle, celui qui portait le même nom que toi et que je frappais tout autant m'appelait aussi comme ça... Avant de le regretter amèrement quand il n'arrivait pas à s'enfuir assez vite.
Après Ruby, c'était au tour d'Elisabeth de faire peur à Wendy. Mais d'un autre côté, elle avait aussi très envie d'entre entendre plus. Elle savait que la duchesse, le roi et l'ancien directeur formaient un trio légendaire, mais les anecdotes au sein de cette équipe semblaient tout aussi croustillants que les histoires sur Scyllia que Lig lui avait raconté.
Après une bonne dizaine de minutes à continuer à discuter autour d'Enzo et de Ana, la princesse finit par capituler. Comme l'avait présagé la duchesse, améliorer un sort qui avait déjà été optimisé par la réincarnation de la première déesse de la vie était loin d'être à sa portée. Malgré tout, le prince aussi avait raison. En s'essayant aux différentes variantes qu'elle avait imaginées, sa sœur avait pu comprendre certaines choses et donc progresser malgré ses échecs.
Un soin scolaire exécuté à la perfection plus tard, le prince était de nouveau sur pied. Tout le monde était reparti vers le camp à l'exception d'Enzo qui prenait un petit moment pour s'étirer ainsi que Wendy qui l'attendait.
— Décidément, tout le monde t'en fait baver, remarqua-t-elle.
— Comment ça ?
— Je ne l'avais pas trop remarqué avant, mais j'ai l'impression que presque tout ton entourage n'arrête pas de te faire des remarques. Je comprends que c'est un jeu entre notre Elisabeth et toi ou bien que ce ne sont que des chamailleries entre frère et sœur avec Ana, mais j'ai pu voir que ça ne s'arrêtait pas qu'à elles. La directrice n'a pas mis bien longtemps pour se décider et rejoindre le camp d'Elisabeth par exemple.
— Vu ce que j'ai dit avant, je n'en attendais pas moins d'elle, répondit-il en se frottant le front tandis qu'il devait se rappeler de la pichenette.
— C'est aussi arrivé pendant le voyage avec tes parents. Je sais qu'ils ne pensent pas à mal et qu'ils veulent te faire réagir pour que tout le monde en rie. J'étais la première à m'en amuser, mais... Il ne faudrait pas que ce soit au détriment de toi. Même si c'est pour rire, ces remarques peuvent être blessantes à la longue.
— Je n'y avais jamais vraiment pensé, réfléchit le prince avant de sourire largement. Disons qu'ils se vengent pour ce que moi je leur fais subir. Ne t'en fais pas, quand ça vient de mes proches, ça ne m'atteint pas. Je préfère que tout le monde rie, même si c'est de moi, plutôt que de passer des heures enfermé dans une diligence avec une ambiance morose. Quoi qu'il en soit, merci. C'est aussi réconfortant de savoir que quelqu'un s'inquiète pour moi.
Sans vraiment savoir pourquoi, Wendy sentit le rouge lui monter aux joues. Il était normal de s'inquiéter pour son ami après avoir remarqué une telle chose, rien de plus. Il n'y avait aucune raison qu'un simple remerciement la mette dans cet état-là !
— Tant mieux, ça me rassure. Allons rejoindre les autres maintenant, s'empressa-t-elle de dire tout en lui tournant le dos afin qu'il ne remarque pas son embarras illogique.
— J'ai dit quelques chose de mal ? S'étonna le prince en voyant l'empressement de la lutalicienne.
— N...Non, non. C'est juste qu'il... Qu'il commence à faire froid ! Mentit-elle.
— Ah... Si tu le dis...
De retour au camp qui avait fini d'être monté, Wendy et Enzo entrèrent dans la tente royale où ils retrouvèrent le reste de la famille du prince ainsi que Sixircun et Elisabeth qui avait repris sa place de garde du corps auprès d'Ana. Malgré ce poste qui demandait de ne pas montrer la moindre émotion, la garde néophyte sourit largement en voyant ses deux amis rentrer ensemble.
Sachant très bien à quoi elle devait penser et sentant que le rouge n'était pas redescendu de ses joues, Wendy lui lança un regard noir, ce qui semblait d'autant plus amuser Elisabeth qui tentait de réfréner un pouffement et de garder son sérieux.
Fort heureusement, personne d'autre ne fit la moindre allusion à cela et tous passèrent une agréable soirée à écouter, à la demande des enfants, les anecdotes que le roi pouvait avoir sur le trio qu'il formait avec la duchesse Emvar et l'ancien directeur de l'académie. Ils apprirent ainsi que le roi n'avait absolument aucune honte à aborder les nombreuses tapes qu'elle lui mettait derrière la tête, mais justifiait chacune d'entre elle en se posant en tant que victime, le fautif étant bien évidemment leur troisième compagnon.
Plus qu'avec quiconque, Wendy voyait dans son regard perdu que cette personne en particulier lui manquait. Sa voix tressautait parfois lorsqu'il se remémorait un souvenir qui le concernait. Il lui arrivait même d'avoir des moments d'absence en plein milieu d'une phrase.
Il avait beau le décrire comme un emmerdeur invétéré qu'il aurait dû jeter en cellule bien plus de fois qu'il ne pouvait le compter, tout le monde voyait au travers de ses mots qu'il était comme un frère pour lui, à l'image de ses enfants qui ne manquaient pas une occasion de se chamailler.
La lutalicienne savait déjà, au travers des histoires qu'on lui avait raconté sur lui, que c'était un personnage haut en couleur, mais le témoignage du roi avait ce côté authentique de celui qui l'avait le plus côtoyé et bien souvent subi qui rendait ces histoires poignantes.
Au final, les enfants regrettaient de ne pas avoir pu le connaître. Cependant, malgré les fous-rires, aucun n'insista pour veiller plus tard et entendre d'autres histoires. Ils avaient l'impression d'avoir rouvert une blessure chez le roi qui ne s'était jamais réellement refermée, même après tout ce temps. Vers la fin, la reine s'était même installée à côté de son mari et prit sa main dans les siennes pour le soutenir.
L'heure d'aller dormir arrivé, les enfants partirent se coucher tandis que le couple royal sortait de la tente pour faire le tour de celles des autres nobles avant qu'ils ne s'endorment eux aussi. Cela donna l'occasion à Wendy de discuter avec ses amis et de leur avouer qu'elle se sentait mal d'avoir réveillé de tels souvenirs.
D'après le prince et la princesse, elle n'avait pas à s'en faire. Il était toujours comme cela lorsqu'il évoquait son ami. Ana alla même jusqu'à supposer qu'il n'en avait pas réellement fini et que ses parents étaient partis rejoindre la duchesse pour continuer à parler du passé autour d'un verre.
Rassurée, Wendy finit par trouver le sommeil malgré une dernière pensée qui tournait dans sa tête. Demain, elle allait traverser le col de la chaîne de montagne qui séparait Trémiss d'Istram. Demain, elle serait de retour dans le pays qui l'avait tant vu souffrir et où elle n'aurait jamais pensé y remettre les pieds de son plein gré. Heureusement, elle savait qu'elle était bien entourée. Si ça n'avait pas été le cas, elle était certaine qu'elle aurait déjà usé d'un sort de téléportation pour retourner auprès de sa famille, à Lutalica, là où elle considérait qu'elle était à sa place.
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