Tombée sur l'inconnue - Chapitre 6
Quand il était enfant, Claude se cacha dans l'horloge. Personne ne le voyait. Pourtant, il voyait tout le monde à travers la vitre. Comment était-ce possible ? Peu après cet incident, il rencontra le maître sorcier pour la première fois. Celui-ci commença rapidement à l'initier à la magie. Le jeune Claude n'était pas très doué, mais selon son maître, il avait un don pour la magie. Alors il devait s'efforcer de devenir meilleur, s'entraîner sans relâche. Dans l'ombre, bien sûr. Dans cet environnement, on lui avait appris depuis toujours que c'était mal. Que les sorciers étaient des êtres mauvais. Alors si quiconque apprenait ce qu'il était, il risquait fort de ne pas vivre jusqu'à ses vingt ans.
Claude se cachait encore et toujours. Le café devint désert peu après la mort de la patronne. Claude était seul. Enfin presque, son maître était toujours à ses côtés. Son maître... Avait-il un rapport avec tout ce qui était arrivé récemment ? Ou peut-être avait-il des réponses... Il savait toujours tout sur tout.
Claude ouvrit les yeux et constata qu'il n'était même pas sous ses draps. Le jour entrait dans sa chambre, la matinée était déjà bien avancée. Quand il se leva, ses muscles tressaillaient sous les courbatures. Tel un automate, il descendit les marches et se servit un verre de jus pressé. Alith était toujours dans la pièce. Elle triturait un étrange objet que Claude n'avait jamais vu.
— Alith ? Qu'est-ce que c'est ?
— Hmm ? Oh, c'est un santemps, t'inquiète pas, c'est pas pour connaître la fin de ton monde. Enfin par contre, on va avoir un problème, le démon va sortir.
— Le... Hein ? QUOI ?
— Ah zut, désolée, je voulais pas t'effrayer... Ça va aller, si on se débrouille bien, on pourrait utiliser l'énergie de sa cage – et du démon à l'intérieur – pour ouvrir un portail vers mon monde et je pourrais rentrer... Enfin, peut-être... J'ai pas encore trouvé le moyen de faire ça, mais j'y travaille. Enfin... J'ai du mal à réfléchir...
— Bon, d'accord, je ne vais pas m'inquiéter pour l'instant... Hé mais attends, t'avais pas rendez-vous avec Sylvestre aujourd'hui ?
— Oh... Je l'avais oublié... Bon, j'y vais, ça va peut-être me vider la tête et je trouverais un moyen d'exploiter l'énergie nécessaire à l'ouverture d'un tel portail...
Une pierre, deux coups. Si Alith pensait quelque temps à autre chose et revenait avec une solution, ce serait positif. Et en l'éloignant, Claude espérait pouvoir voir son maître et lui parler. En attendant, il devrait laisser ses inquiétudes de côté. Alors que la petite blonde passait la porte, le jeune homme remarqua l'entaille sur l'acajou. Alors c'était comme ça que la cage s'ouvrait ? Il supposa – et à raison – que l'objet serait détruit dans le processus. D'ici là, il ne pouvait qu'attendre et voir la première fissure s'élargir peu à peu tandis que de nouvelles apparaîtraient tout autour de la prison du démon.
— Claude... Tu es le pire élève que j'ai eu.
— M-Maître ! Je...
— Tu te lies d'amitié avec cette démone méprisable et tu gobes ses histoires de méchant démon sur le point d'être libéré... Tu ne crois pas que c'est elle qui cause tout ça ?
— Comment elle aurait... Elle n'était même pas là ! Vous... Vous savez quelque chose, n'est-ce pas ? Les tempêtes, vous savez à quoi elles sont liées, non ?
— C'est la présence de cette fille qui provoque tout ce bazar !
— N'importe quoi ! Alith n'a rien à voir avec ça ! La tempête si étrange qu'il y a eu le soir de son arrivée, c'était justement AVANT qu'elle n'arrive ! Qu'est-ce que vous cachez ? Pourquoi vous me mentez ?!
— Ça suffit ! Un apprenti ne remet jamais son maître en question ! Je croyais que tu avais été mieux élevé que ça !
Claude s'égosillait sur son maître qui refusait d'entendre raison. Le mage gronda plus fort encore. L'apprenti perdit connaissance et s'effondra sur le plancher.
***
Alith trouva Sylvestre qui l'attendait avec un nouveau bouquet de fleurs. Décidément, il ne s'en lassait pas, d'aller cueillir tous les champs alentours... Mais cette-fois, c'était différent. Le bouquet était essentiellement composé d'anapophytilidies. Sylvestre avait cru comprendre que c'était les fleurs favorites d'Alith. La veille, il l'avait vue les observer avec grande attention quand elle avait récupéré les fleurs.
— Dis-moi Sylvain...
— Heu, c'est Sylvestre...
— Oui, Sylvestre... Tu les as trouvé où, ces fleurs ?
— Oh, ben, y en a plein partout en ce moment. D'habitude j'les trouve près d'la croix au bord de la ville...
— Attends, comment ça il y en a partout en ce moment ?
— Bah je sais pas, ça doit être la saison pour cette espèce de fleur ? Enfin, j'me souviens pas qu'il y en avait autant à cette période les années précédentes, mais j'me trompe peut-être, hein, je faisais pas trop attention... Aux fleurs...
Un silence gênant s'installa entre eux avant que Sylvestre lui propose finalement de prendre un verre. Alith accepta, un peu perdue dans ses pensées. Elle songeait qu'elle était peut-être en partie responsable de la forte présence des fleurs. Elle n'arrivait pas à mettre le doigt sur la chose qui lui donnait cette impression.
— A-Alors, Alice, d'où est-ce que tu viens ? Tu connais Claude depuis longtemps ?
— Heu... Je viens de loin. C'est très différent d'ici, carrément un autre monde. Et Claude bah... Il m'a accueillie chez lui quand je suis arrivée, c'est tout.
— Ah. Tu... Enfin, c'est pas terrible chez lui, je connais des tas d'endroits où tu serais beaucoup plus confortable... Enfin, si tu veux...
— Nan. Ça m'intéresse pas. Puis je resterai plus très longtemps...
— Attends, tu pars déjà ? Mais on vient à peine de se rencontrer ! Enfin, je veux dire, c'est dommage... On-On pourrait peut-être s'écrire ?
— Hé ! Mad'moiselle Alice ! J'allais au café, pour vot' commande !
— Ah zut. Oui, j'avais oublié... Je viens avec vous, désolée Sylvie, c'est pour... Heu, le travail, quoi.
— A-Attends ! Vous allez rouvrir le café ? J'peux vous aider, ça m'dérange pas !
— Oh ? Oui, d'accord, pourquoi pas...
Alith s'installa avec Sylvestre sur la vieille charrette encombrée de François. Ce dernier était un quarentenaire que la démone avait rencontré dans ses recherches d'aides extérieures pour la réouverture du café. Pour gagner de l'argent, pour acheter du matériel... Enfin, le programme avait changé depuis mais bon, les fournitures que François leur apportait pouvaient peut-être être utiles à autre chose qu'à la cuisine.
— Heu... Alice ? Tu m'as pas répondu... On pourra s'écrire ?
— Ah... Ça risque d'être un peu compliqué...
— Quoi, tu sais pas écrire ?
— Nan c'est juste que... Heu, on reçoit pas le courrier ? Enfin voilà, c'est vraiment loin.
— Mince alors... T-Tu... Tu reviendras un jour ?
— Non, je pense pas. J'espère pas. Enfin, c'est pas contre toi, hein, c'est juste que ça me rend malade d'être... Aussi loin de chez moi.
— Ah, je comprends... Ta famille te manque...
— Oui, voilà, ma famille...
Étrangement, les pensées de la petite blonde se tournèrent non pas vers sa famille, mais plutôt vers une personne qui avait beaucoup compté pour elle. Bien sûr, elle n'avait pas pu s'empêcher de brièvement penser à son frère Gryn et sa femme Rose, mais très vite, c'était le souvenir d'Azraelle qui lui était revenu. Elle était un peu perdue, elle aussi... Mais elle savait se débrouiller. Elle avait fini par s'en sortir et... Que ferait-elle à sa place ? Un cercle... Un cercle d'invocation...
— Nous v'là ! Enfin, c'est bien ici, hein ? J'vois pas la porte du café...
— Elle doit pas être bien loin, elle se déplace parfois...
— Hein ? Vous êtes ben drôle Mad'moiselle Alice ! Hahaha !
Elle avait répondu sans réfléchir. Heureusement que François l'avait pris pour une blague. Elle sauta à terre et repéra rapidement la fameuse porte-chantante. Haha, une porte-chantante... On n'avait jamais vu ça. Alith entra pendant que Sylvestre et François déchargeaient quelques caisses. Elle vit Claude par terre. Il se redressait péniblement en se frottant le cou.
— Claude ? T'es tombé ?
— J-Je sais pas trop ce qu'il s'est passé...
— Bien, reste assis, bouge pas, je vais te passer un verre d'eau.
Elle s'exécuta aussitôt et s'accroupit à ses côtés. Sylvestre passa la porte avec les premières caisses suivi de François. En les voyant, Claude eut l'impression d'une vision d'horreur, surtout en ce qui concernait la présence du premier. Alith remarqua la tête qu'il faisait et le rassura avant de demander aux deux livreurs s'ils pouvaient les laisser. François les salua rapidement et repartit pour d'autres livraisons mais Sylvestre souhaitait rester.
— J'peux encore vous aider, à ranger tout ça et... Et on-on pourrait passer un peu d'temps ensemble...
— ... Ça m'embête un peu de te demander ça... Et Claude ne va pas bien alors...
— Justement ! Laisse-moi faire, comme ça le nab... Comme ça il peut se reposer.
— D'accord... Je veux bien que tu mettes les caisses dans l'arrière-salle, je m'en occuperai plus tard...
— Hé... Alith... On dirait que vous vous entendez bien finalement...
— Ah ? Tu crois ? Je sais pas, il est un peu bizarre. Il veut qu'on s'écrive des lettres, quand je serai partie.
— Pfft... Ça va être compliqué !
— C'est ce que je lui ai dit... Bon, dis-moi, tu te souviens pas du tout ce qu'il t'est arrivé ?
— Je... En fait... Je parlais à mon maître...
— Tu... Quoi ? Je croyais qu'il... Comment ?
— C'est... Compliqué.
— Heu, dites, je veux pas vous déranger alors heu... J-Je vais y aller, hein ?
— Ah, Sylvestre ! Merci pour ton aide aujourd'hui. Et, heu, désolée pour... tout ça ?
— C-C'est rien ça m'a fait plaisir de... De passer un peu de temps avec toi Alice... À-À la prochaine alors... Et, heu, rétablis-toi bien Claude...
Le tortionnaire repenti sortit du café, un peu à contre-cœur. Il n'aurait jamais cru possible qu'il puisse être jaloux du nabot. Il se disait même qu'il aurait donné beaucoup pour être à sa place à cet instant. Alith se remit à fixer Claude. Qu'est-ce qu'il cachait, encore ? Son maître était dans la région, oui ou non ? Et maintenant, où était-il ?
— A-Arrête de me regarder comme ça, s'il te plaît... Ça me met mal à l'aise...
— Il est où, ton maître sorcier ?
— ... C'est très direct, comme question ça...
— Claude... S'il est en ville, il pourrait peut-être nous aider...
— Je... Je crois pas qu'il veuille nous aider...
— Quoi ? Explique-toi.
— Il... Il te fait pas confiance, je sais pas pourquoi. Il dit que tu me mens, des trucs comme ça... Depuis que t'es arrivée, ça le rend fou...
— Attends... Tu veux dire qu'il est hyper déçu que tu aies raté ton invocation ?
— Je t'avoue qu'au début, je pensais que c'était ça, mais je crois qu'il y a autre chose...
— Azraelle aussi était déçue de me voir débarquer...
— Heu... Azrael c'est pas le nom d'un démon ?
— Hmm ? Ah, si, aussi. Mais elle, elle était comme toi.
— C-Comment ça comme moi ?
— Bah, c'était un peu une apprentie sorcière... Puis elle a voulu invoquer Lilith... Et...
— ... Et elle t'a invoquée à la place... Ça me rappelle une histoire, tiens...
— Pfft, c'est amusant, non ? Je vais finir par croire que les gens préfèreraient avoir à faire à Lilith... Enfin bref, j'aimerais bien rencontrer ton maître, je pourrais peut-être le convaincre ?
— Ben en fait... Je suis le seul à pouvoir le voir...
— Qu'est-ce que tu racontes ?
— Il... Heu, il apparaît parfois et puis il me parle et... Enfin... Je sais pas trop pourquoi, désolé...
— J'aime pas trop ce que tu me racontes... J'ai un mauvais pressentiment, Claude...
— T-Tu crois que je parle avec un fantôme ?
— Non, je l'aurais vu aussi. Enfin, je pense pas que les fantômes de ton monde soient si différents de ceux du mien...
Le temps resta suspendu quelques instants, avant qu'un petit homme encapuchonné n'entre dans le café avec grands fracas. Sans attendre, il sortit une sorte de pendule orné de pierres semi-précieuses de sous sa cape et le brandit devant lui.
— Montre-toi, démon ! Montre-toi, que je te renvoie dans tes enfers ! Montre-toi, et plie-toi à mon vœu !
L'invité surprise agita ses grigris avec frénésie sous les regards hébétés d'Alith et Claude. Puis, une forme vague, floue, commença à apparaître au milieu de la pièce, comme répondant aux sommations de l'inconnu...
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