Tombée sur l'inconnue - Chapitre 5
— C'est ici ?
— Oui, rappelle-moi ce que tu veux savoir exactement ?
— Où il a trouvé ton horloge.
— Il a dû l'acheter en ville... C'est ridicule comme question...
— Ça m'étonnerait. Bon, tu frappes à la porte où je dois m'en occuper moi-même ?
Alith commençait à perdre patience alors Claude n'attendit pas d'avantage et frappa l'anneau de fer contre le bois dur. La maison devant laquelle ils se trouvaient était bancale. On avait peine à imaginer qu'elle puisse encore tenir debout. Des poutres dépassaient sur la façade. Une lanterne rouillée était même accrochée à l'une d'elles. Elle ne semblait plus avoir servi depuis des lustres.
L'attente que quelque chose se produise était insupportable pour la blonde. Elle commençait à se demander, à voir l'allure de la baraque, si quelqu'un vivait vraiment ici. Finalement, après quelques grincements provenant de l'intérieur, on leur ouvrit enfin. Un vieillard centenaire se présentait devant eux. Enfin, il n'était pas vraiment centenaire, mais c'était tout comme. Claude se dit qu'il n'avait jamais eu l'air aussi vieux qu'aujourd'hui. C'était comme si ce bon vieux Teddy avait pris une soixantaine d'années en l'espace de dix ans.
— Quequ'c'est, çô, lô ?
— Monsieur Bonnet ? Théodore ? C'est moi, Claude...
— Ah ? Oui, j'me souviens d'ta mère, une sacrée bonn'femme. Hé p'tit, appelle-moé Teddy, j't'ai d'jà dit. Entre don' 'vec ton amie, là. J'vous sers un verre ?
— On a pas le temps pour ça. On est là pour savoir où vous avez trouvé la comtoise.
— La quoi ? Ah, c't'horloge lô, qu'j'ai donné à sa mère ? Oh, j'sais plus trop... Ça date v'savez...
— Eh bien, essayez de vous souvenir !
— Hmm... La p'tiote blonde là, l'est pô commode, hein mon Claude ? Bon, bon... 'Tendez qu'j'me souvienne un peu...
Alith trépignait d'impatience. Elle avait rarement été aussi sur les nerfs qu'à ce moment-là. Elle songeait qu'elle avait peut-être accumulé trop de stress depuis qu'elle était arrivée dans ce monde sous-développé. Et puis, c'était bien pour ça qu'elle était partie en vacances. Trop de stress. Toutes ces fins du monde, ça rendait nerveux. Elle commençait même à être obligée de se ronger les ongles. Oui, obligée. C'était logique, chez les démons le stress a parfois d'étranges effets secondaires, comme une pousse rapide des ongles. Et dans ces cas-là, même la méthode habituelle pour les faire disparaître ne fonctionnait pas. Claude observait le comportement agité de la jeune femme. Il s'étonnait de cette nouvelle facette de sa personnalité. Elle avait été si ferme et directe avec Sylvestre. Cette histoire d'horloge avait vraiment l'air de la rendre foldingue.
— AH ! J'me souviens. C'tait, tu sais, lô. Près d'la croix. Quelqu'un 'vait dû la laisser lô, 'lors quand j'l'ai vue par terre, comme çô, j'ai j'té un œil, pis elle marchait ben, t'vois ? Du coup, j'l'ai prise. J'me suis dit qu'ça f'rait bien dans l'café, comme y'en avait pô.
— La croix à l'entrée du village ?
— Oui, celle-lô ! Hé, mais quequ'çô change, hein ? Elle marche pus, hein ?
— N-Non, elle... Elle marche très bien... C'est j-juste que...
— Tu sais où c'est, Claude ? On y va.
— Q-Quoi, maintenant ?
— Bah oui, maintenant, allez. Et merci, Théorème. Heu, Théoddy. Bref, peu importe.
— Mais c'est à l'autre bout de la ville ! C'est super loin et regarde le ciel, le temps se gâte déjà !
Alith leva les yeux au ciel. Effectivement, le temps s'assombrissait dangereusement. Elle se disait que cette petite ville d'Épinard vivait dans une bulle de climat hors saison et se demandait s'il en avait toujours été ainsi.
— Raison de plus pour se dépêcher.
La blonde s'élança d'un pas vif mais Claude passa finalement devant elle pour la guider à travers les rues les plus directes pour traverser la ville. Ils croisèrent quelques habitants qui furent, pour certains, étonnés de voir Claude accompagné d'une jeune femme et pour les autres, surpris de voir une petite blonde aussi intrigante. Ils remarquaient bien qu'il y avait quelque chose de pas net dans son regard, sans trop savoir quoi. La couleur de ses iris, sûrement.
Les premières gouttes apparurent alors que le duo s'approchait enfin de la sortie d'Epiniac. Claude se maudit intérieurement de ne rien avoir mis de plus chaud ni d'avoir pris de parapluie. Mais Alith ne laisserait pas tomber alors il devrait aller jusqu'à la croix.
De grandes plaines s'étendaient sous leurs yeux. La pluie s'était trouvé un rythme soutenu et ne semblait pas prête à s'arrêter. Les fines gouttes formaient peu à peu un brouillard qui, bientôt, séparerait la petite ville du reste du monde. En attendant que cela se produise, la fameuse croix se démarquait sur le bord de la route. Alith s'élança dans sa direction, suivie d'un Claude dont les vêtements commençaient à lui peser.
Alith s'accroupit auprès du monument et observa le sol avec attention. Entre les herbes ordinaires et autres fleurs des champs, des anapophytilidies avaient pris racine. En les regardant de plus près, elle remarqua tout de même qu'elles étaient légèrement différentes de celles qu'on trouvait là-bas. Elle en conclut aisément que la plante s'était adaptée à son nouvel environnement. Le jeune femme sortit son doïze et sonda le sol des environs.
Claude la regardait faire en grelottant. Il remarqua que l'eau incessante n'avait pas l'air de la déranger plus que ça. Ce n'est pas très normal. Enfin, elle ne l'était pas, normale. Étrangement, sa tenue à elle avait à peine l'air humide. Ou alors ses yeux lui jouaient des tours. Le rideau de pluie y était probablement pour quelque chose, aussi. La démone procédait méthodiquement et rapidement. En à peine quelques minutes, elle avait récolté suffisamment de données pour avancer quelques théories. Mais avant toutes théories, elle tenait à analyser tout ce qu'elle savait et ce qu'elle avait pu observer. Et puis, elle voulait savoir si le temps était toujours aussi changeant dans la région... Elle repensa à la présence de Claude juste derrière elle et se retourna. Le jeune homme était trempé jusqu'aux os, s'ils ne rentraient pas rapidement, il risquait de tomber gravement malade. S'il ne l'était pas déjà. Alith se redressa et entraîna Claude avec elle. Il était plus que temps de rentrer.
***
Les habits trempés avaient été posés sur les dossiers des chaises et étalés sur les tables. Claude se sentait bien plus à l'aise maintenant qu'il était changé et au sec. Il s'était assis sur un tapis molletonné auprès du poêle qui n'avait plus fonctionné depuis longtemps. Alith l'avait apparemment réparé et était parvenue à l'allumer comme par magie. Comme... Par magie... Bien sûr, elle était toujours capable de produire des étincelles... La fille aux yeux rouges s'installa à côté du jeune homme et le fixa intensément, comme si elle cherchait à lire dans son esprit. Elle avait gardé les mêmes vêtements et ceux-ci étaient déjà secs.
— Dis-moi Bertr... Claude, c'est fréquent que le temps change aussi soudainement ici ? Je veux dire, j'ai visité pas mal de mondes mais... Enfin, leur météo n'a jamais été aussi absurde.
— À vrai dire, d'aussi loin que je me souvienne, ça a toujours été comme ça... Mais ces derniers jours ont été particulièrement catastrophiques, je l'avoue.
— C'est comme ça partout dans ton monde ?
— Non... Pourquoi ? Tu crois que ça a un lien avec tes fleurs et l'horloge ?
— Il s'est sûrement passé quelque chose ici pour que le temps soit détraqué... Alors oui, je pense que ça a un rapport avec l'horloge, comme tu dis. Et pour ce qui est des fleurs... L'anapophytilidie pousse dans les cercles de Tren... En gros... C'est un peu une plante des enfers, si tu veux.
— ... Et c'est pas dangereux ?!
— Hmm ? Pourquoi ça le serait ? C'est la fleur la plus commune qu'on y trouve... Alors j'imagine bien qu'on puisse la confondre avec une fleur des champs. J'ai remarqué qu'ici, les anapophytilidies sont légèrement différentes, elles ont dû s'adapter à l'atmosphère qui règne. Et à la non-présence de Jile.
— Mais... Comment c'est possible au juste ? Je veux dire, je croyais que tu venais d'un monde complètement différent, que tu sois ici est une anomalie mais... Toutes ces fleurs ! Et quel est le rapport avec la comtoise ?
— Ah, la comtoise... Justement... Je crois que c'est ça qui a apporté des graines, c'est pour ça que les fleurs poussent près de cette croix... Je crois que c'est une cage.
Claude jeta un œil en direction de la vieille pendule.
— ... C'est une horloge.
— Pas tout à fait. C'est vrai que ça y ressemble. Mais je crois que c'est une cage qui vient d'un cercle de Tren... Les cercles, c'est un peu la prison là-bas... Enfin bref, parfois il y a des cages, et puis elles n'ont pas toutes la même forme...
— ... Il y a quelque chose enfermé dedans ? Attends... Je l'ai déjà ouverte, alors ce qui y était est peut-être sorti, non ?
— C'est pas comme ça que ça fonctionne... Et si par quelque chose tu veux dire un démon alors... Oui, y a un démon dans ton horloge. Je crois même avoir ressenti sa présence...
— Tu me fais peur, Alith... Je devrais m'en débarrasser au plus vite s'il y a vraiment un démon à l'intérieur... Enfin, je veux dire, s'il est prisonnier c'est qu'il n'est sûrement pas aussi sympa que toi !
— On pourrait en avoir besoin, et puis ça va, tant qu'il est enfermé, il n'est pas dangereux. Il peut pas interagir avec le monde physique. Écoute, tu devrais aller dormir, je vais voir ce que je peux faire de tout ça, d'accord ?
L'apprenti sorcier hocha la tête et rejoignit sa chambre en baillant. Il n'avait pas remarqué à quel point sa journée avait été éreintante. Depuis l'invocation ratée, il avait l'impression que les jours devenaient plus courts et terriblement plus épuisants qu'habituellement. Un instant seul sur son lit, il craignit que son maître ne vienne l'interroger sur l'étrange enquête de la blonde. Mais le mage n'apparut pas et Claude s'endormit tout habillé.
Toujours près du poêle, Alith s'était allongée sur le tapis moelleux et faisait défiler les données recueillies sur son doïze. Selon celles-ci, la présence des anapophytilidies remontait à quelques années seulement, ce qui coïncidait avec la soudaine apparition de la comtoise près de la croix... Il y avait cependant un élément qui la dérangeait dans tout ça. Les fleurs semblaient s'être répandues plus loin qu'elles n'auraient dû... Et à en croire les ondes résiduelles qu'elles produisaient naturellement, elles encerclaient la ville. Et d'après ses observations de la ville, non seulement c'était probablement le seul endroit du monde à vivre des anomalies météorologiques depuis autant d'années, mais en plus, le café à l'abandon où elle se trouvait se situait au centre du cercle. C'était mauvais signe. Très, très mauvais signe. Ça signifiait que soit le café était visé... Soit l'origine de tous les problèmes venait d'ici. L'une ou l'autre possibilité était mauvaise.
Un craquement soudain sortit Alith de ses pensées et elle se redressa d'un bond. Aussitôt, son regard se dirigea vers l'horloge d'acajou. Elle avait bougé. Ou elle ne bougeait plus. C'était assez incertain. La jeune femme inspira profondément pour se concentrer sur les changements. Le balancier ne bougeait plus. Puis il se remit en marche, comme si de rien n'était. Mais quelque chose avait changé. Inquiète, Alith se rapprocha de la pendule. Très vite, elle s'aperçut d'une entaille sur le rebord, comme si on y avait enfoncé une lame affûtée. Ça aussi, c'était mauvais signe. Elle observa un moment les aiguilles et finit par remarquer une nouvelle anomalie. Elles n'allaient pas dans le bon sens. Elles semblaient désormais faire un décompte. Mais pour combien de tours de cadran ? Avec une certaine appréhension, Alith régla son santemps et essaya de le synchroniser avec l'horloge démonique. Les santemps ressemblent à des montres-bracelets surmontées d'un petit cadran solaire. Ordinairement, ils servent à indiquer le temps restant avant une fin de monde. Mais ici, il ne fonctionnait pas correctement, soit parce que la fin n'avait pas encore été prévue, soit simplement parce que sa technologie n'était pas compatible avec le monde dans lequel Alith se trouvait. Si elle pouvait connaître le délai qu'il restait avant l'ouverture de la cage, ça pourrait leur être très utile, à Claude et elle.
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