— Quel imbécile ! Tu as mal dit Lilith ! Et voilà qu'une gamine est apparue...

— Heu... Vous êtes bien un démon ?...

— Bah ouais, j'm'appelle Alith, et toi, c'est quoi ton nom ?

— Claude, enchanté Alice...

— Imbécile ! Ne donne jamais ton nom à un démon qui sait ce qu'il pourrait en faire ?!

— Heu, je veux dire, je m'appelle Bertrand !

— ... Tu sais pas ton nom ?

— Non c'est pas... Enfin c'est juste que...

— Ah oui, la règle de soumission par le nom... Non mais elle est bidon comme règle, hein. C'est juste pour moins effrayer les humains et que du coup, de temps en temps, ils nous invoquent en pensant avoir le contrôle, tout ça...

Claude regardait l'étrange petite blonde, stupéfait. Mais sur quel genre de démon il était tombé ? Il allait s'attirer des ennuis... Évidemment que cet orage était un mauvais présage, il aurait mieux fait d'écouter son instinct de survie plutôt que d'obéir à son maître sorcier... Alith tapait une obscure plaque du bout de l'index. Le jeune sorcier voyait de lumineux symboles inconnus se dessiner sur la surface lisse.

— Qu'est-ce que c'est, cette... pierre ?

— C'est... Un doïze... D'habitude je peux savoir où je suis mais là, ça marche pas... Du coup, c'est où ici ?

— Ben... On est à Epiniac... En France ?...

— Attends un peu...

Alith se mit à tapoter frénétiquement son doïze, faisant défiler les symboles de plus en plus vite, jusqu'à voir apparaître un message d'erreur. Napsica Jileis. Pas de Source. Inquiète, la blondinette pressa son pouce contre son index, faisant jaillir une petite flamme rougeoyante. Celle-ci vacilla quelques instants avant qu'Alith ne l'éteigne d'elle-même. Claude la regardait avec une profonde curiosité. Aucun doute, cette fille, démone ou pas, avait bel et bien des pouvoirs. Bon, ce n'était pas une boule de feu qu'elle venait de faire mais quand même, elle l'avait fait sans aucun effort !

— Mais c'est quoi ce monde ?!

— Ce pays, vous voulez dire ?...

— Raaaahhh ! Comment je vais pouvoir rentrer chez moi après avoir accompli ce pour quoi tu m'as appelée... D'ailleurs, si c'est pas pour une fin du monde, qu'est-ce que tu veux ?

— Heu... Je voudrais devenir un grand et puissant sorcier !

— T'es sérieux ? Tu sais, il y a pas de solution miracle pour ça, c'est du travail. Genre, beaucoup de travail... Tu crois sincèrement qu'en un claquement de doigt, paf, tu peux obtenir tout le savoir magique que tu veux et tout ? En plus, apparemment ma magie est pas trop trop compatible avec ce monde alors c'est vraiment la misère... Pff... T'aurais pas un truc à boire ? Je meurs de soif avec toute cette chaleur... On dirait une sorte de bar, non ?

— Heu, c'était le café de ma mère... Mais vous êtes sûre que vous n'avez pas froid plutôt ? Votre tenue est vraiment... Super légère... Et courte... Et vous n'avez même pas de chaussures... C'est pas du sable, ça ?

— ... J'étais en vacances sur une île déserte, c'était le rêve !

Dépitée de repenser à sa merveilleuse plage, Alith s'installa au comptoir tandis que Claude lui servait un grand verre d'eau. Après ça, le jeune homme entreprit d'éteindre sa presque centaine de bougies. Il n'avait pas envie que sa maison brûle. On ne sait jamais. Dans un coin de la pièce, le vieux mage observait la scène en silence. Il lançait de temps à autre un regard noir en direction de l'étrangère. Décidément, son apprenti n'était qu'un bon à rien. S'il l'avait choisi, c'était bien parce qu'il était le seul à pouvoir le voir. Il avait cru que ça faisait de lui quelqu'un d'exceptionnel et finalement... Finalement, pas tellement.

— Hé... Alith... Comme vous ne pouvez pas faire de moi un grand sorcier avec vos pouvoirs, je me disais que vous pourriez peut-être m'aider ? Genre m'apprendre avec ce livre...

Il se gardait bien de lui dire qu'il ne savait pas le lire, elle se serait posée des questions sur le rituel qu'il venait d'accomplir. Perplexe, la blonde prit le grimoire qu'on lui tendait et l'ouvrit. Elle tournait lentement les pages, appréciant le contenu de l'ouvrage.

— Il y a... Des choses intéressantes là-dedans... Tu es un genre d'apprenti sorcier, c'est ça ?

— Oui madame ! Enfin, je veux dire... J'ai toujours eu un don pour la magie et je... J'ai eu un maître mais... Enfin vous savez, c'est pas très bien vu ici, d'être sorcier alors je préfère le cacher aux gens...

— Et quoi, ton maître t'a abandonné ? Ou alors il est mort ? Je sais que quelque part les gens magiques étaient mis au bûcher, mais... Enfin, ils ont tendance à pas brûler, pour la plupart... Enfin, à condition de connaître la bonne phrase de protection... Et pourquoi tu veux être un puissant sorcier si c'est pour le cacher, c'est absurde !

— Mon maître est... Heu, c'est compliqué. Enfin, il peut pas trop m'apprendre et je peux pas encore me débrouiller... Et quand je serai un puissant sorcier, j'aurai plus à craindre les gens et je montrerai à tous l'étendu de mes pouvoirs ! Je serai invincible !

— Attends un peu... Tu veux devenir une sorte de maître du monde ? Tu sais qu'en général, ça finit mal ce genre d'histoire ? Bah tiens justement, j'en parlais plus tôt, ça fait partie des prémices de fin du monde, quand un type prend l'ascendant sur sa planète...

Les yeux de Claude papillonnèrent. Comment cette fille pouvait-elle parler de fin du monde si calmement ? Comme si c'était son quotidien ? Cette journée devenait affreusement longue et il ne parvint à réprimer un immensément long bâillement. Alith ne put faire autrement que de le remarquer.

— Tu devrais aller dormir, monsieur le futur maître du monde !

— Oui... Et... Vous ? Je peux vous donner une couverture mais je n'ai pas de lit... Les démons dorment ?

— T'en fais pas pour moi, j'en ai pas tellement besoin.

Le jeune homme salua la petite démone et monta dans sa chambre. Une fois seul, son maître apparut, l'air grave. Sa colère se lisait dans ses rides.

— Elle cherche à te détourner de ton objectif. Ne lui fais pas confiance. Tu devrais même la renvoyer dans les limbes dès que tu auras récupéré des forces !

— Elle est un peu bizarre mais elle est plutôt sympa... Puis si elle m'apprend des trucs avec le grimoire, ça pourrait être bien non ?

— Je peux lire le grimoire pour toi ! Je peux tout t'apprendre ! Tu n'as pas besoin de cette espèce de sous-démone !

— Je vous trouve un peu dur avec elle, elle a l'air un peu perdue, c'est tout...

L'apprenti sorcier bâilla une énième fois avant de se glisser sous ses couvertures. Il s'endormit quasi instantanément. Le mage retourna dans la salle d'en bas afin de s'assurer que l'invitée ne présentait aucun danger pour son protégé.

Alith feuilletait le livre de sorcellerie avec grande attention. Bien qu'au départ, elle ne sembla pas remarquer la présence du grand mage, elle finit par se retourner vers lui. Sans le voir pour autant, elle plissa les yeux dans l'obscurité de la petite pièce.

— ... Il y a quelqu'un ? Bertrand ? Ou alors c'était heu... Bartholdi ? Zut, les noms c'est vraiment pas mon fort...

Elle se leva de sa chaise et fit un tour dans le café sombre. Alors qu'elle frôlait le maître de Claude, elle ressentit un frisson qui la fit se retourner aussitôt en direction du sorcier invisible. Elle semblait un instant regarder le fantôme puis tendit une main en avant. L'invisible disparut de la pièce et Alith soupira. Elle avait senti un changement si soudain dans l'atmosphère qu'elle commençait à se demander comment elle n'avait pas remarqué plus tôt la lourdeur des lieux. Elle finit par hausser les épaules et retourner à sa lecture.

***

Le lendemain matin, Claude se leva comme à son habitude, dès que les premiers rayons du soleil traversèrent sa chambre. Le temps était particulièrement radieux, éclipsant totalement le souvenir de la tempête de la veille. Le beau temps mettait le jeune homme de bonne humeur, jusqu'à ce que son maître ne se mette à lui parler.

— Tu as beaucoup à faire aujourd'hui.

— Maître ? De quoi parlez-vous ?

— Je te rappelle que tu as une démone à renvoyer dans les limbes avant qu'elle ne fiche en l'air nos projets !

— Oh... Je l'avais complètement oubliée...

Sa précédente journée avait été si dingue que Claude avait peine à réaliser que tous ces étranges événements s'étaient réellement produits. En soupirant, il attrapa un cercle d'osier tressé et descendit dans la salle principale. Alith était toujours bel et bien présente. Elle releva la tête vers lui en entendant le grincement des marches. Le jeune sorcier leva son anneau face à elle avant de prononcer son incantation.

— Alice, démon venu sur Terre, je te révoque dans l'enfer dont tu viens !

S'ensuivit un long blanc. Vraiment très très long. Claude commençait à se demander s'il avait utilisé les bons mots. Son regard passa de son cercle à la blonde toujours plantée là, sans comprendre. Il répéta sa phrase. Ça ne marchait pas. Alith était encore devant lui. Lasse de ce petit jeu, elle soupira.

— Bon. Vu que visiblement tu n'arrives pas à me renvoyer là-bas, tu pourrais arrêter de t'agiter comme ça ? C'est assez ridicule et ça me fait de la peine. Écoute bien, je suis un peu une anomalie ici, tu vois ? Du coup je suppose que... En plus d'avoir une magie qui peine, la magie d'ici, bah elle marche pas sur moi... Alors oui, tu as bien réussi à me convoquer ici, mais c'était peut-être juste un coup de chance. Ou alors il y avait une sorte de faille, comme un ortan surpuissant... Ou alors c'est que ton invocation a hyper mal fonctionné... Enfin bref, il va falloir trouver autre chose pour me faire partir... Mais en attendant, je croyais que tu voulais devenir un vrai mage ? Je peux toujours t'apprendre avec ce livre, c'est une vraie mine d'informations sur ton monde. Bon y a sûrement des trucs complètement faux mais c'est une bonne base.

Claude se sentait bête. Vraiment très très bête. Il avait cherché à se débarrasser d'elle et elle n'avait pas du tout l'air de lui en vouloir. Elle était toujours prête à l'aider. C'était sûr, son maître l'avait mal jugée. Cette Alice était un démon sympa. Comment était-ce possible qu'un démon puisse exhaler la sympathie ? Ou alors elle jouait très bien son rôle de bonne amie... Ou de bonne fée marraine ? Mince, pas moyen de savoir. À moins d'entrer dans sa tête ?...

... Alith était déçue. D'accord, elle ne s'était pas tellement attendue à ce que ce gamin essaie de la renvoyer d'où elle venait comme ça, au petit matin. Mais bon, elle n'avait strictement rien à faire ici, et elle aurait bien aimé retourner sur sa plage, à ses vacances... Ou même être appelée pour une fin du monde, c'était redondant mais ça au moins, elle savait gérer ! Enfin bref, puisqu'elle était là, autant qu'elle se rende un peu utile, non ? Elle pouvait l'aider à en apprendre plus sur ses pouvoirs et peut-être qu'ils parviendraient, ensemble, à la renvoyer dans son monde ? Après, qu'il devienne maître du monde, c'était pas très cool... Mais bon, il n'avait lui-même pas l'air de vraiment savoir ce qu'il ferait, une fois au sommet. Comme s'il avait dit ça comme ça. Comme les plans d'avenir où tu n'as aucune idée de ce que tu veux faire quand on te pose la question alors tu dis "devenir maître du monde"... C'est, certes, ambitieux mais pas tellement réalisable. C'est assez bancale comme projet... Puis les gérants de l'Équilibre n'aiment pas trop quand ça arrive, ça fout un bazar monstre. Mais ils n'avaient peut-être pas d'équivalent dans ce monde alors ce n'était peut-être pas si grave qu'un jeune sorcier gouverne l'univers.

— Bon alors, j'ai noté sur un papier qui traînait une liste de choses qui pourraient être utiles pour les sortilèges et rituels les plus simples... J'ai pas regardé dans tes placards mais je suppose que t'auras pas tout, comment ça marche le commerce ici ?

— Heu bah... On peut acheter des choses avec de l'argent... Mais il y a des trucs qu'on peut peut-être trouver autrement. Mais ça, là, l'anapophytilidie, j'en ai jamais entendu parler...

— Hmm... Tu penses pouvoir acheter ou trouver les premiers trucs de la liste ? C'est vraiment la base, jusqu'ici.

— Heeeuuu... Comment dire...

— ... T'auras pas assez d'argent ?

— ... Vraiment pas assez...

— Et tu comptes devenir le plus puissant sorcier avec... Rien ?

— Je... Je peux travailler pour gagner de l'argent... Est-ce que vous pensez que vous pourriez... M'aider ?...

— À gagner de l'argent ? En travaillant ? J'ai aucune idée du genre de travail qu'on trouve ici, mais heu, ouais, j'ai rien d'autre à faire, de toute façon.

— J'y pense comme ça mais... Il va falloir vous trouver des vêtements plus... Appropriés...

— Ah... J'avais oublié que l'apparence compte beaucoup pour les humains... Ouais, d'accord, mais ça coûte aussi de l'argent non ? Enfin... Tu pourrais me trouver un truc ?

— J'ai de vieux habits de ma mère... Ça risque d'être un peu trop grand mais on pourra toujours ajuster !

Sur ces mots, le jeune homme disparut dans les escaliers. Alors qu'il fouillait les placards ayant autrefois appartenu à sa mère, son maître vint le sermonner sur son comportement. Claude l'ignora et apporta quelques tenues à Alith. Après plusieurs heures d'essayage et de couture, la jeune démone était fin prête à explorer ce nouveau monde.