XXX

<< La douleur...

Acrophobe, Zoé arrive pourtant à la falaise, déterminée. Lors de sa patrouille un peu plus tôt, elle n'a pas osé dépasser la pancarte marquée : "falaise" en grandes lettres. De plus, Zoé sait que sa mère a autant peur du vide qu'elle. Aurore n'aurait jamais de son propre chef, franchi cette clôture devant laquelle Zoé se tient.

Les jambes lourdes, Zoé longe la clôture, à la recherche d'un passage. Au bout de quelques secondes, elle en trouve un, où elle semble percevoir le parfum d'Aurore qui disparaît. Le sol du chemin menant jusqu'à lui, a plusieurs traînées de sang, qui s'étendent quatre mètres plus loin jusqu'au bord de la falaise.

Passant outre de sa phobie, Zoé emprunte le passage. Elle marche le long de la ligne discontinue, et arrive au bout. Elle éclaire vers le bas, et se rend compte, de l'impressionnante hauteur qui l'en sépare.

Mieux éclaire Zoé, mieux elle distingue des corps, des squelettes habillés, des déchets qui s'accrochent aux amas de roches. Elle voit tout ce que  la mer, au niveau peu élevé, n'a pas pu emporter. Sa lampe de poche ne lui permet pas de trouver celle qu'elle cherche. Zoé croit qu'il y a des chances que la mer l'ait enlevée. Une possibilité qu'elle préfèrerait.

Vidée de toutes expressions émotionnelles, la gorge sèche, Zoé s'assoit avec peine. La bouche grande ouverte, elle fait de son mieux pour respirer, pour ne pas se laisser étouffer par ses incontrôlables sanglots. Elle joint ses genous à sa poitrine, et les entoure de ses avant-bras en se balaçant. 

Zoé aspire une grande bouffée d'air. Elle expire en hurlant à la mort. Son visage est déformé par la souffrance qu'elle endure.

Zoé se prend à penser qu'elle a fait preuve de stupidité lorsqu'elle a clamé qu'elle aimait la douleur. Elle se griffe de sa main libre l'autre coude, en se disant que tout ceci est un complot de l'univers. Une conspiration qui a pour but de tester ses limites. Les limites de son acceptation de la douleur. Zoé se convainc de cette théorie, parce qu'elle sait que sa mère, sous ses airs d'alcoolique, est une battante. Elle ne se serait pas laissée partir si facilement. Pas sans se battre, sans leur laisser un souvenir, de son passage.

Comme elle l'a fait avec le dingo que l'on a recontré sur la route, réfléchit Zoé.

— 'Man.

<< Accepte tes torts ! Va la retrouver ! Tu auras ce que tu mérites. Sale cancrelat ! >>

À l'image d'une paranoïaque, Zoé regarde partout autour d'elle. Il n'y a persone. Pas même une ombre, rien. Zoé est seule. Elle n'arrête pas son examen des lieux, pendant qu'elle conduit mollement sa main droite à l'un de ses derniers couteaux.

<< Non ! Continue ce que tu as commencé. Venge Aurore. Ils doivent tous payer ! >>

Ne s'arrêtant pas de se balancer, Zoé observe la lame, et dépose sa lampe torche allumée. Elle vient d'entendre cette même voix, qu'elle ne connaît pas. Celle qui l'a abordée quelques temps plus tôt, pour lui conseiller d'entrer dans la remise. Cette voix est beaucoup plus douce, que celle de la précédente, et des suivantes. Que des fruits de son esprit.

<< Saute incapable ! Saute ! C'est de ta faute si elle est en bas ! >>

Ses anciennes tendances, qu'elle a rejetées, lui font de l'œil. Zoé ne se ment pas. C'est pour cette raison, qu'elle l'a pris. Ce n'est que pour cette raison qu'elle caresse de son index, son bout pointu et tranchant.

<< Oui, c'est de ta faute. Tu aurais pu la laisser se trouver une place dans un logement social, comme elle te l'avait dit Zoé.>>

Zoé ne peut s'empêcher de constater la véracité de ces propos. Ses sanglots redoublent.

<< C'est ton désir égoïste de t'isoler qui l'a amenée à sa perte Zoé ! Tu es fautive. La vérité te blesse-t-elle ? Pas assez, on dirait. >>

— Égo...ï...ste.

<< Ta petite personne en premier Zoé ? Pourquoi avoir foncé vers une maison sortie de nulle part qui te tombe du ciel ? >>

— P'quoi ? Oui. M'faute.

<< Écervelée ! >>

Zoé retrousse doucement les manches gauches de ses hauts. Elle s'insulte de ce dernier mot, que lui a craché l'une de ces nombreuses voix qui l'accablent.

<< D'après toi pourquoi tes grands-parents n'ont jamais mentionné cette ville, cette maison, dans leurs conversations ? >>

Manches retroussées plus haut que son coude, Zoé ramasse ce qui remplacera ses vieilles et habituelles lames.

<< Une enveloppe sort de nulle part et t'annonce l'héritage d'une ancienne maison, avec des clés pratiquement neuves. Tu ne te poses aucune question ? >>

Zoé croyait qu'elle ne recommencerait plus. Elle a tout fait pour arrêter. Elle y était parvenue, pour Aurore.

<< Non, elle voulait s'isoler. S'isoler de tout. De ses anciens amis. >>

On ne se débarasse pas si aisément d'une mauvaise habitude. Parfois, elle se cache, en attendant le bon moment pour t'apprivoiser de nouveau.

<< On comprend mieux pourquoi ses anciens amis l'ont abandonnée, comme une vieille chaussette. >>

Aujourd'hui c'est son grand jour. Le petit chat aux griffes bien affûtées, sort des oubliettes. Ceci sous le sourire peu joyeux de Zoé. Le chat célèbre son retour, avec une première griffure, longue mais superficielle, qui laisse suinter peu de sang.

<< Saute ! >>

Un deuxième trait, moins long, peu profond. Mais assez pour que le sang de Zoé goutte au sol.

<< C'est toi qui aurait dû mourir, pas Aurore. Tu es trop bête. >>

C'est vrai, soutient Zoé les yeux fermés, en dessinant un court trait, perpendiculaire aux précédents.

<< Saute ! Will t'a demandée de veiller sur elle. Tu lui as promis de respecter ses dernières paroles. >>

Une nouvelle ligne.

<< Mais c'est toi qui l'as tuée ! Tu as assassiné ta mère. Comment Will aurait pu-t-il se douter, qu'il confiait cette tâche, à celle qui serait la meurtrière de sa femme ? >>

D'une traite Zoé en fait plus d'une dizaine, sur son avant-bras, qui n'est plus qu'un lit de sang. Zoé hurle toute la douleur, non pas physique, mais émotionnelle, que lui inflige ces paroles.

Zoé a mal.

<< Tu as tué ta mère. Qui nous dit que ce n'est pas pareil pour ton père ? >>

C'en est trop, Zoé se relève. Elle aurait donné tout ce qu'elle possédait, pour sauver la vie de Will. Pour Zoé c'est innaceptable d'être accusée de la mort, de cet être qu'elle aime tant, mort de causes naturelles.

<< Qu'est-ce que tu attends Zoé, saute ! >>

Zoé en a assez entendu.

<< Saute ! >>

Elle veut en finir.

<< Tue les autres d'abord ! >>

La véritable raison pour laquelle Zoé est venue jusqu'au bord de la falaise, était pour se jeter dans le vide. Elle juge qu'elle n'a plus rien à protéger, plus personne à sauver.

<< Saute ! Saute pour payer ! Payer ce que tu as fait à Aurore. Assassin ! Criminelle ! >>

En larmes, Zoé se rapproche d'un petit pas du rebord, sans la moindre trace d'hésitation. Elle veut un dernier câlin, et aussi sentir une dernière fois les lèvres de sa mère contre son front.

<< Avance de trois autres pas ! Ça suffira. Tu pourras la serrer dans tes bras. Humer son odeur. Oui Zoé, oui. Plus que deux petits pas. >> lui suggère une voix aguicheuse.

<< Non Zoé ! Arrête ! Tue-les ! Tous ceux qui ont fait du mal à ta mère. Tue Lëon ! Voudrais-tu laisser son acte impuni ? Tout ce qui s'est passé, c'est de sa faute. Justice Zoé. Pense justice ! Rends justice à ta mère Zoé. Fais-toi justice. >>

— Lëon. Justice. J'tice. Justice, répète Zoé.

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