XXIII

[...] un tyran ...

Cette douleur Zoé ne l'accepte pas. Elle ne permet pas à son cerveau de l'accepter, ni de le supporter. Elle ne l'acceptera pas. Tout en elle souffre. Son cœur a mal. C'est pour elle, mille fois pire que ce qu'elle a ressenti en se prenant les coups de fouet ou la morsure.

Ce n'est pas ce type de douleur que Zoé est prête à subir, et qu'elle a conditionné son cerveau à apprécier. Non. Cette douleur est une piqûre d'adrénaline, avec laquelle Zoé envisage de remuer Skueñalas.

Ils vont tous payer maman. J'ai promis à papa de veiller sur toi. À toi, je promets que je te retrouverai, où que tu sois. Où que tu sois, jure Zoé en relâchant Eva.

D'un pas déterminé, Zoé s'éloigne des deux Wilton. Elle part sans vérifier si l'état d'Ava s'est amélioré ou détérioré. De manière inconsciente, elle a déjà engouffré les jumelles de ses pensées. Toute son attention est portée sur Aurore, et la justice dont elle s'octroie le droit de se faire soi-même.

Zoé ouvre la porte de la maison avec rage, et la referme avec autant, après en être sortie. En voyant la résidence des Foy, un frisson de dégoût lui traverse l'échine.

Lëon, nous deux, c'est pour plus tard. Patience, pense Zoé avec animosité, en se grattant le coude.

Lampe de poche allumée, Zoé court vers l'habitation numérotée neuf. D'après elle, cela pourrait être l'endroit où Lëon emmenait sa mère en la tirant.

En y entrant, puisqu'il y a déjà plusieurs sources de lumière, Zoé éteint la sienne et la range. Elle cherche sa mère partout. Elle descend consulter le sous-sol, et tombe sur un large matelas à ressort, posé sur le sol. Deux têtes endormies en dépassent. Deux filles aux visages innocents. L'une plus grande serrant la plus petite, entre ses frêles bras. Zoé les laisse, en esquissant, un air mélancolique.

Zoé monte vers l'étage où des claquements se font entendre. À chacun d'eux, un cri mélange de douleur et d'excitation s'ensuit.

Il y a cinq portes, toutes fermées, que Zoé se presse d'ouvrir. La première cache une salle de bain. La seconde, une chambre impersonnelle, dotée d'un lit, sur lequel dort un garçonnet, qui visiblement est le cadet de la fille plus âgée.

Derrière la troisième Zoé découvre un couple endormi. Le mari d'un certain âge, assez ridé, est sur le lit, sous un drap blanc. Sa femme plus jeune que lui, est couchée à son pied, recroquevillée sur un petit matelas en mousse, sans oreiller, ni couverture. Les parties visibles de son corps sont encore plus sales d'hématomes, de cicatrices que celui d'Ava. Son visage ressemble à un tableau, fait à gants de boxe, dont les seules couleurs autorisées sont les coquards, les entailles, le nez enflé, les lèvres et sourcils fendus.

Animée d'une pulsion qu'elle ne se connaissait pas, Zoé arrive à une vitesse folle auprès de l'homme. Armée de deux lames tranchantes, elle les lui plante dans le cœur, et les ressort aussitôt. Elle réitère l'action sous les yeux exorbités du septuagénaire, qui en état de choc, subit au même moment un arrêt cardiaque. Il n'arrive pas à se défendre, à réagir. Il n'y a que de faibles gémissements qui dépassent le seuil de ses lèvres.

Lui, qui a toujours été infaillible dans chacun de ses dits dressages, n'a pas vu venir cette tigresse indomptée. Une tigresse qui utilise ses griffes, pour le transpercer plus d'une vingtaine de fois.

Et dire qu'il suffisait à cette dame de lui enfoncer un objet pointu en plein cœur, pour s'éviter tout ça. Pour éviter qu'il touche ou pense à toucher ma mère, ou s'éviter soi-même un tel supplice.

Face à ce corps dont elle a accéléré la mort, et maltraité après, Zoé est froide, sans émotion. Tel un robot, elle débarasse ses lames du sang, puis tourne les talons, à la découverte de ce que cache les deux dernières portes.

Zoé perçoit un parfum, lui rappelant celle de sa mère. Elle court dans le but d'arriver à sa source, qui elle espère être sa mère en personne.

La quatrième pièce est vide de monde, meublée en une chambre, mais pourtant inoccupée. Il ne reste qu'une porte, tout au fond. La seule à ne pas avoir été encore ouverte. À mesure que Zoé avance dans l'allée, les claquements sonnent plus intensément. La tension augmente. À chaque pas, l'odeur du parfum devient plus prononcée; ce qui décuple la colère de Zoé, et la ravie à la fois.

Zoé ouvre la porte sans douceur, et balaye la grande chambre du regard. Sa mère n'est nulle part. Il n'y a qu'une croix saint-andré en bois brut mal fait, un lit, un petit matelas sale au sol, une petite table, des placards.  Un homme nu tenant un fouet, une femme luisante de sueur avec une main posée contre un mur.

Elle était là, il n'y a pas longtemps. Elle n'y est plus, se raidit Zoé frustré. Que lui a-t-il fait subir. Il va payer. Tu vas payer.

Trop pris dans ce qui représente une forme de consommation du mariage, selon leur coutume, aucun des deux ne prête attention à ce qui les entoure. Les traits neutres, Zoé détaille pourtant la scène avec dégoût.

"Fuitiiiichh". Le fouet à plusieurs lanières fend l'air, pour s'abattre contre un dos nu habité par des cicatrices proéminentes, et des plaies.

— Ah, s'époumone la femme qui enceinte, en fait accusé de réception.

"Fuitiiiichh", un suivant. Fuitiiiichh, et encore un autre.

— Oui... Oui maître Arrón.

Ce n'est qu'en s'écartant, après avoir perforé la nuque de l'homme, au ventre aussi gros que celui de son épouse, que Zoé les voit. Elle voit tout ce qu'elle n'a pas vu avant. L'autre main de la femme perdue dans son entre-jambe. Le désir, l'exitation, la soumission qui animent cette femme. Son acceptation des ecchymoses qui colorent sa peau. Elle est consentante, et y prend plaisir.

Lorsque cette dernière vole au cou de Zoé. Celle-ci ne comprend qu'à son coup de tête, que cette épouse est fanatique du système, et donc éprise de son mari.

— Laisse mon maître, s'écrie-t-elle.

Aussitôt dit, et repensant à son action la femme regrette. Car, comme tous les autres, elle croit que Zoé est un mâle.

La folle ! Elle m' a pété le nez, sourit Zoé en le remettant en place, sous les yeux horrifiés de la femme enceinte.

Au dernier moment, de s'en prendre à elle en plein ventre, les mains de Zoé se figent. Son couteau tombe au sol. Les affreux souvenirs de sa mère ayant perdu un enfant se bousculent dans sa mémoire.

Elle se souvient de la douleur qu'est d'attendre une sœur qui ne naîtra jamais. Alors la frapper, au risque de lui faire perdre son bébé, sa moelle épinière a jugé utile de l'en empêcher. Elle serait pire que ce chauffard que ses parents et elle ont tant maudit et détesté.

En voyant que Zoé reste immobile, la femme court se terrer dans un coin plus loin de la chambre. Elle implore le pardon de Zoé :

— Pardonnez-moi ! Pardonnez-moi monsieur ! Maître Arron, accordez-moi, vous aussi votre pardon, je ne voulais pas causer du tort à un mâle. Je vous aime et vous respecte maître. Je voulais vous défendre maître. J'ai agi sur un coup de tête, maître.

L'homme qui jusque là resté silencieux, pose un coude sur le sol, en chouinant, comme un enfant. Il tente en vain de retenir son liquide biologique vital, de ses autres doigts.

— Que veux-tu ? demande difficilement l'homme en regardant Zoé. Toi-là Mara, tais-toi et viens me soigner, incapable !

Son liquide sanguin coule à flot, à cause de la veine et l'artère sectionnés. Il s'en vide. Une flaque se forme au sol.

Tout en s'accroupissant, Zoé tend une main rallongée d'un nouveau couteau, en direction de la soumise. Elle lui fait comprendre sans mot que c'est une très mauvaise idée de bouger. Hésitante, Mara se ravise désolée et meurtrie, de ne pas avoir le courage de venir en aide à celui qu'elle nomme maître.

— Ma mère ! Où est-elle ? susurre Zoé proche de son oreille.

Arrón tombe de haut lorsque ses mots percutent ses tympans. La voix ne correspond pas à celui d'un mâle. Il comprend que Zoé n'est qu'une simple femelle, portant ce qui pour lui, sont des habits d'homme.

— Comment... Comment oses-tu ?

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