XXII

<< L'amour est ...

Zoé s'accroupit face à Oën en l'éclairant de sa lampe de poche pour lui faire voir le marteau qu'elle est partie prendre, après s'être libérée de son emprise.

— Alors, une dernière fois Oën. Où est ma mère ? demande-t-elle avec sévérité, en soupesant l'outil percuteur.

Oën s'autorise à contempler cette jeune femme, qu'il a méprisé dès leur premier échange. Il se rend compte que ses actions l'ont fait monter dans son estime, bien plus qu'il n'oserait se l'imaginer. Il sait que Zoé a eu tout bon le concernant.

Elle a su me cerner. Elle a raison, on se ressemble.

Leurs points de ressemblance et de différence sont ce qui fait l'unicité de Zoé à ses yeux. Ils la différencient de ses défuntes épouses, qui étaient à ses yeux, aussi fades les unes que les autres.

Je l'aurais gardé, elle. C'est sûre.

Oën emmagasine ses dernières forces pour dire à haute voix :

— Ava explique à ton amie ce qui est arrivée à la génitrice de ce raté d'Aleck, et arrivera aussi à la tienne quand on saura ce que tu as fait.

— Désolée, mais Ava est inconsciente. Tu parles à Eva. Elle porte le fruit de son amour avec Aleck, donc un peu de respect.

— Mensonges !

— Tu l'as reconnue toi-même tout à l'heure. Ava n'imite pas Eva. La voix d'Eva tremblait parce que ses hormones de grossesse décuplent l'intensité de ses émotions. Dont la peur, la colère, et la tristesse qu'elle ressent en ce moment.

— Peu im...porte. Je m'en fous maintenant. Tu ne gagneras pas Zoé. C'est moi qui...qui gagnerai, avertit Oën en souriant de ses dents rouges de sang.

Zoé n'assimile pas où Oën veut en venir, vu qu'il vacille.  Zoé se prépare à remporter haut la main ce qu'elle croit être un défi lancé. Ceci, sans pour autant sous-estimer son adversaire.

— Je t'aime et je te hais Zoé Or...Orlan, avoue Oën en se tranchant la gorge un sourire béat étirant ses lèvres pulpeuses.

Zoé est quelque peu stupéfaite par le geste d'Oën. Elle s'attendait à tout, sauf à ce qu'Oën s'ôte la vie lui-même.

J'ai gagné s'éteint-il.

L'heure n'étant pas aux émotions chez Zoé, elle souhaite avant tout s'assurer qu'Oën soit réellement mort cette fois. Elle ne peut plus se permettre de petites surprises. Du bout de sa sneaker droite, elle frappe le corps. Rien.

Pas de soulèvement du dos pendant plus de onze secondes. Aucun souffle, aucun bruit ne vient de lui.

Oën n'existe plus. Il n'est plus qu'un cadavre, aux yeux grands ouverts tachetés par les vaisseaux sanguins, qui y ont éclatés.

Mine de rien, Zoé passe son menton sanguinolent sur une manche de son sweat-shirt, puis procède à la récupération de ses armes blanches. La première, qu'elle ramasse du sol à quelques centimètres des doigts du suicidé. La seconde, qu'elle extrait de son dos. En l'enlevant Zoé repense à cette déclaration atypique qu'Oën lui a faite.

M'aimer ? A-t-il seulement appris ce que c'est d'aimer ? Ce que cela veut dire, se demande Zoé en nettoyant les couteaux sur le devant de son haut. L'ignorant !

Toujours pensive, Zoé replace les lames à leurs places respectives. Elle a vraiment du mal à comprendre les derniers mots d'Oën. Aimer et détester. Partager ces deux émotions contraires en même temps, pour une même personne. Zoé trouve ces paroles absurdes, d'autant plus qu'ils ne se connaissaient pas.

— Moi, je n'aime que mon père et ma mère. Je hais certains. Je tolère les autres. That's all! finit-t-elle par répondre, en frottant ses mains sur son jogging.

Restée accroupie trop longtemps, Zoé a des fourmis pleins les jambes. Ses sneakers sont salis par la petite marre qui s'étend peu à peu. Sans attendre, elle se met debout. Son front percute un objet, qu'elle se presse d'attraper

Qu'est-ce que c'est que ça ? On dirait une bille high-tech. Je n'ai pas rêvé, je l'ai vue léviter. Je n'ai pas respiré assez d'air de Skueñalas pour déjà être aussi timbrée que ses habitants. Sinon d'où peut bien sortir cette bille ? Peut-être était-elle coincée entre cette poutre et cette lame de bois, investigue-t-elle en regardant la poutre.

N'aimant pas cette texture visqueuse sous ses chaussures, Zoé s'arrête pour essuyer leurs dessous sur le pantalon d'Oën. Elle range ce qu'elle pense être une simple pacotille, dans sa poche, puis ramasse son bonnet pour le remettre.

Zoé s'en va récupérer l'ancienne ceinture à outils de son père, pour y glisser son marteau. Elle la dissimule sous son haut. Zoé s'équipe aussi de la dernière feuille de boucher de sa cuisine, et d'une autre lampe.

Lorsque Zoé monte rassembler quelques uns de ses affaires, et de ceux de sa mère, elle regrette ne pas être une procrastinatrice. Elle empile chaque affaire qui lui paraît être indispensable. Elle respire le parfum d'un foulard de sa mère, en se répétant qu'il est tant de la sauver.

Zoé descend avec un bac rempli, le dépose près du hall d'entrée. Elle récupère dans un autre bac, toutes les autres objets dont elle ne peut se séparer. Elle revient avec la boîte à outils de son père, et descend rejoindre les jumelles.

Eva s'empeche de respirer lorsqu'elle entend quelqu'un ouvrir la petite porte.

— Zoé ! s'exclame-t-elle en voyant son visage.

À un moment Eva a cru que Zoé n'était plus de ce monde. Que les Foy s'en sortiraient sans payer une fois de plus. Elle se sent soulager, de revoir Zoé comme promis, malgré sa peine grandissante.

— Zoé, renifle Eva, en sortant de cet endroit qui lui a evité de mourir, elle, son enfant, et sa sœur.

Zoé la réceptionne, alors qu'elle se blottit dans ses bras, sans pour autant lui rendre son étreinte.

J'ai l'impression que les gens d'ici disent des paroles ou posent des actions étranges lorsqu'une situation les dépasse, examine Zoé.

Elle a à peine eu droit à Oën, que c'est au tour de Eva. Cette dernière pleure, et la baigne de ses larmes.

— Habille Ava, avec les vêtements que j'ai laissé dans ma chambre, chuchote-t-elle apathique. Ava m'a conseillé des endroits où chercher ma mère. J'y vais.

— Zoé... Ils vont faire subir le même traitement à ma mère. Elle souffre déjà beaucoup, elle ne pourra pas le supporter. Elle n'y arrivera pas Zoé ! Elle n'y survivra pas Zoé. Ta mère non plus, ne pourra pas. Je suis désolée Zoé. Oh, Skueñalas ! Pourquoi ? Pourquoi, einh ? Pourquoi suis-je née ici ? demande-t-elle en se tenant la nuque.

Les sourcils froncés, Zoé attrape Eva par les épaules, la secoue en la forçant à soutenir son regard. Un geste qui calme son hystérie du moment.

— Quoi ? murmure Zoé d'un ton détaché.

— La mère d'Aleck. Ce qu'ils l'ont fait, Zoé. Dans une seule et même soirée, plusieurs mâles adultes ont usé d'elles, mon paternel y compris. Elle est passée de mains en mains, jusqu'à ce qu'elle succombe entre celles d'un père et d'un fils. Ceux de la neuf. Tous ces mâles l'ont conduite sous terre, parce qu'elle a réclamé la dépouille de son fils à Lëon. Tout ce qu'Oen t'a décrit Zoé, plusieurs autres femelles, incluant la mère d'Aleck le subit, chaque année. Rares sont celles qui y survivent.

Cette déclaration tarde à être traitée, et acceptée par le cerveau de Zoé. Lorsqu'elle finit d'assimiler chaque mot, Zoé broie presque, les clavicules d'Eva.

— Aïe. Zoé, tu me fais mal, se plaint Eva en essayant de se soustraire de son emprise. Zoé, arrête je t'en supplie.

— Que sous-entends-tu, à propos de ma mère Eva ? la défie-t-elle.

— Ta mère peut être n'importe où. Chez n'importe qui. Ah ! Aïe ! Je ne fais que répéter les mêmes mots d'Oën. Des mots qui sont en réalité ce qu'il m'a ordonnée de te dire, lorsqu'il m'a demandé de t'évoquer ce qui est arrivé à la mère d'Aleck. Car ce qu'il a raconté comme réponse à ta question, est ce qui est arrivé à la mère de mon Aleck. Je ne suis fautive en rien Zoé.

Tout l'être d'Eva tremble sous les mains de Zoé. La jeune primigeste frissonne de peur en croisant son regard. Elle a le sentiment d'y voir la mort. Son interlocutrice est devenue méconnaissable. 

Zoé n'est plus la même, mais l'ombre  de sa personne. Ses traits se sont convulsés, son visage est défiguré, déformé, dénaturé.

Les parties les plus sombres et plus psychotiques, de sa personnalité refoulée, se sont totalement réveillées.

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