VIII

<< Comme on fait son lit, ...

- Une femelle. Une femelle [...]

Ava ne cesse de répéter ces mots tout en se faufilant entre les arbres. Sur le moment, elle a été choquée par cette découverte. Puis elle a été heureuse de savoir qu'elle a eu tout faux, la veille.

- Une femelle venant des grandes villes ? Donc une chance que Oën dévie ses viseurs de ma personne, saute-t-elle de joie.

Mais à mesure qu'Ava y pense, elle perd son sourire, son cœur s'alourdit. Ce raisonnement ne lui ressemble pas. Des brides de leur échange lui revenant à l'esprit, l'égoïsme d'Ava lui fouette à plein nez. Sa conscience la réprimande.

- Zoé, prononce dans le vide une Ava désolée.

Zoé n'est pas avec elle, mais son image ne déserte pas son esprit : ses grands yeux aux iris noirs qui ne laissent passer aucune émotion. Ses fines lèvres lui ont semblé être en plein milieu d'un combat entre joie et tristesse.

Ava se rappelle du moment où la chevelure brune cuivrée de Zoé a été libérée de sa capuche. Ses cheveux courts ondulés ont mis en valeur son visage ovale, au nez retroussé. Mais Zoé les a aussitôt replacés sous leur protection.
À cet instant Ava avait trouvé sa nouvelle voisine splendide et mystérieuse.

- Si seulement mon désir égoïste n'avait pas pris le dessus, j'aurais pu savoir la raison de la venue de Zoé à Skueñalas. Et, pourquoi parmi toutes les villes sur terre, avoir choisi celle-là ? Connaît-elle des gens ici ? Où se trouve son paternel ? Pourquoi n'est-il pas avec elles ? Zoé est-elle en pleine fuite avec sa mère ? À quoi ressemble cette dernière ?

Ava aimerait en apprendre plus sur Zoé. Plus que son prénom. Savoir son âge, ses passions, ses envies, ses objectifs. Savoir si Zoé est muette de naissance, et les conséquences de son mutisme sur sa vie. Le pourquoi qu'elle est vêtue de noir de la tête au pied. Savoir de quoi elle se réjouit. Ce qu'il se passe de spécial dans sa vie qui explique ce port de couleur.

Ava tempère sa curiosité. Elle prend une profonde inspiration pour se libérer du labyrinthe infernal d'interrogations dans lequel elle a été emportée. Les réponses ne viendront pas la trouver comme une fleur. Si elle les veut, elle doit les chercher, les poser.


La pression qu'elle a eu la veille est descendue au plus bas. Quand elle a su qu'il n'y a pas de mâle dans la dix, elle a cessé de s'affoler au sujet d'Eva.

De ce qu'Ava a appris, elle sait que Zoé déteste le froid. De plus, elle n'est pas habituée à de telles températures en été. D'où la raison de son besoin de s'approvisionner en bois.

L'hiver et son froid polaire ne sont plus à Skueñalas, depuis des mois. Il est la seule saison où il est nécessaire d'utiliser de quoi se réchauffer aux yeux de ses habitants.

Les bûches trouvées dans la remise de Zoé ont gardé l'humidité, et sont par conséquent inutilisables. Ava lui a alors discrètement fait don de quelques unes de celles qui n'ont pas servi lors de son dernier hiver. Elle espère donc que ce geste désintéressé servira d'ouverture pour une vraie conversation entres elles.

Ava se prélasse dans le seul endroit où elle se sent bien et en sécurité dans cette ville étouffante. Elle est sortie plus tôt, exprès pour s'y rendre. Cette source thermale est son jardin secret.

D'autres personnes l'ont découverte, en l'espionnant, mais ici les gens sont trop effrayés par l'inconnu pour s'en approcher. Ils n'oseraient même pas y tremper leur petit orteil.

Un mot ne cesse de se bousculer dans les pensées d'Ava. Un nom de trois lettres comme le sien : Zoé. Elle devine qu'elle doit s'être levée de ses deux heures de sommeil. Et qu'elle est en train de finaliser le nettoyage de sa chambre.

Ava se laisse glisser sous l'eau. Immergée dans l'eau chaude, ses tracas l'abandonnent. Son esprit est apaisé. Ceci, jusqu'à ce qu'une soudaine angoisse la gagne. Elle émerge alors sa tête de la source en panique :

- Et si mon égoïste souhait se réalisait ?

Ava sort de l'eau sans réfléchir une seconde de plus. Elle ne s'essuie que les pieds, avant de chausser ses espadrilles. Elle se vêt, ramasse son sac en tissu.

- Il faut que je l'avertisse avant qu'il ne soit trop tard. Zoé doit s'en aller et vite.

Ava court comme si sa vie en dépendait, tout en essorant ses cheveux. Elle aurait dû le lui dire dès qu'elle a su qu'elles ne sont que deux femelles, dans la maison. Bernée par son égoïsme, elle n'y avait pas pensé.

Ava reconnaît sans effort son géniteur, qui avance dans sa direction furieux.

Pourquoi je le rencontre à mi-chemin de la sortie ? Que me veut-il ? angoisse-t-elle.

Ava n'a aucun doute sur le fait qu'il en ait après elle. Il ne se serait pas rendu à cet endroit qu'il n'apprécie guère, sinon.

Ava ralentit sa cadence, elle abaisse son regard et se dirige vers lui.

- Bonjour Monsieur Wilton.

Pour toute réponse, il la gifle, et lui hurle :

- Qu'est-ce que tu es allée foutre ? Aucun des vêtements que je t'ai dit de lessiver, ne l'a été. Et tu crois avoir le droit de venir galoper ici ? Tu as cru que j'allais le faire à ta place ? [...]

Le visage, parallèle au sol, Ava ne bouge pas. Elle entend d'une oreille distraite les mots qui lui sont déblatérés.

Pourquoi avoir souhaité que quelqu'un d'autre prenne ma place auprès d'Oën ? Alors qu'au final, ce sera pareil. Je serai toujours maltraitée, quelque soit le déroulé de ma vie. Que je me marie avec Oën, ou que je vive au même endroit que mon paternel, j'encaisserai des coups, prend-t-elle conscience.

- Tu m'écoutes et me réponds quand je te parle, s'énerve le chef de famille des Wilton.

Tout acte a ses répercussions. Violentée par une gifle qui cette fois la met à terre, Ava subit celles du sien. À chaque fois que le pied de son géniteur touche son ventre, elle paye le prix de sa non-écoute et de son silence.

Les mâles ne savent pas ce qu'ils veulent. Elle aurait eu la hardiesse de répondre, ce serait aussi considéré comme un manque de respect. Elle se serait retrouvée dans cette même position.

- Sale conne, lache-t-il en lançant son pied une dernière fois.

Il n'y aura que d'infimes différences dans mon changement de vie et de demeure. -Ma vie ne durera pas entre les griffes d'Oën. Comme les autres avant moi, chaque jour de plus que je vivrai, relèvra d'un miracle non désiré. À moins que je me tue. -L'autre différence sera que j'aurai ce que je redoute le plus : des rapports sexuels. Comme je refuserai de m'y soumettre, je me ferai percer l'hymen sans mon consentement, sous l'expression de la force. Si j'ai la malchance de porter son enfant, et que je n'agis pas, alors là mon calvaire sera éternel. rumine Ava.

Si elle s'en va vivre chez Oën, Ava n'aura plus droit à la seule source de douceur qu'elle a toujours eue droit. Celle de sa mère. De même, si elle s'ôte la vie.

- T'es pitoyable, ajoute l'homme en crachant sur Ava.

Il tourne les talons, laissant une Ava allongée sur le sol, les yeux fermés, se tuant dans une myriade de réflexions.

De ce qu'a toujours cru Ava, les sources du problème, ce sont Skueñalas, et sa tête pensante : Lëon.

Zoé peut encore s'enfuir. Elle et sa mère ont encore leurs chances. Peut-être que je trouverai dans sa voiture une place où nous glisser les femelles de ma famille, et moi. Nous nous en irons loin de cette ville. Peut-être que d'autres auront aussi la chance d'être sauvées, calcule Ava.

Habituée aux coups, elle se lève sans trop de difficulté.

Ava est déterminée à parler à Zoé. Mais il faut d'abord qu'elle s'occupe des habits de son actuel bourreau. Sinon sa mère subira, elle aussi, les frais de son oubli, si ce n'est déjà le cas.

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