IV

<<Autant que -l'habit ne fait pas le moine,...

Joyeuse, Zoé s'accoude au  pick-up, après avoir rangé son petit carnet dans l'une de ses poches . Perdue dans un monde qui lui est propre, elle attend que sa mère la rejoigne.

Avec un sourire encore plus grand, plus gai que le sien, Zoé voit Aurore arriver.

Zoé la regarde effleurer du bout des doigts son visage avec une fierté, débordant ses orbites. Elle amène ses lèvres roses au front d'Aurore, pour y déposer un baiser.

Après cet échange de geste affectif, Aurore s'éloigne pour aller s'installer dans le véhicule.

En portant son regard affectueux sur sa mère, Zoé a l'impression d'être face à une télévision avec une mauvaise qualité d'image. Des pixels défectueux, des lignes verticales, des formes irrégulières, et une image de sa mère en double. La jeune fille se tape la tête à deux reprises, se frotte les paupières contre leurs globes oculaires. À l'instar d'un ancien téléviseur qui se serait mis à mieux fonctionner après quelques coups bien placés, l'image de sa mère regagne sa netteté.

Fatigue, tu auras ma peau, plaisante-t-elle.

Pour Zoé, ce n'est que la fatigue, emmagasinée par ce long trajet, qui se joue d'elle. Quel intérêt tirerait-elle à creuser plus loin que la surface qui lui est confortable ? Aucun. Mieux vaut passer à autre chose.

Elle s'affaire donc à remplir le réservoir, avec le carburant qu'il lui reste, tout en pensant à cette ville. À Skueñalas. Une ville dont elle ignore presque tout. Dont elle n'est informée que du nom du maire, et de ce qu'elle a lu sur internet. C'est à dire très peu de choses.

Zoé a parcouru la page Wikipedia la concernant, il y a plusieurs nuits de cela. Elle y a retenu et conclu qu'elle se retrouverait en plein milieu de la forêt, -sans distraction, -avec une connexion internet quasi-nulle, -avec de potentielles bestioles indésirables. Elle sera coupée du reste du monde.

Le dernier point est le seul à s'être démarqué de la liste. Il aidera Zoé à passer outre des autres moins attirants. L'isolement, que pourrait-elle demander de mieux ?

S'isoler ! Elle en a tellement rêvé.

Je serai enfin loin de ces personnes, qui ont prétendu un trop long moment être mes amis. Ces premiers qui ont pris la poudre d'escampette, au lieu d'essayer de me consoler. J'avais tellement hâte de ne plus avoir à supporter ceux-là qui ne ratent aucune occasion, de dévisager ma mère et moi. Pressée de m'isoler, pour ne plus croiser ces gens qui ne me connaissent et ne me comprennent pas, mais qui me pointent du doigt. M'écarter de ces gens qui prennent plaisir dans le malheur d'autrui.
Oui, m'isoler de tout, dans l'inconnu.

Zoé inspire...

Je ne peux pas les en vouloir éternellement. Le monde a tellement changé en cinq ans. Ils n'ont fait qu'adopter la vie de débauche que les téléréalités prônent. Les mœurs dépravés que les stations de radios glorifient. La mentalité scandaleuse que les réseaux sociaux exposent à qui veut le voir. Une dérive totale, que les autorités ne font rien pour recadrer. Les gens vivent avec leurs temps. Un temps présent avide de tout ce qui est négatif.

Sur la maison, Zoé n'a qu'une seule information : son numéro. Numérotée par le nombre dix, un assemblage de chiffre qui diffère de celui de son ancienne adresse : le 5894.

Zoé n'a ni une photo de l'extérieur, encore moins une de l'intérieur de son futur logement. Elle ne sait pas si elle est en bonne état ou non. Elle ne sait qu'une chose : que la clé de cette maison leur est apparue au meilleur moment. Comme un cadeau inespéré, lorsqu'elles étaient à deux doigts d'être au plus profond du gouffre.

Aurons-nous droit au bonheur à nouveau, en vivant là-bas ?

Zoé finit d'accomplir sa tâche, en même temps qu'elle conclut ses interrogations. Elle visse le bouchon du conduit du réservoir, puis le masque avec la trappe à carburant. Elle ferme à son tour, le jerrycan, et part le ranger à la place qui lui a été appropriée.

Avec le peu de cheveux qui veut jouer le jeu, l'adolescente se fait un chignon bas. Sa coiffure vite fait, elle libère la dernière sucrerie qu'il lui reste, de son enveloppe protectrice. Elle la dépose sur sa langue, pour faire remonter sa glycémie, en se dirigeant vers la seule portière ouverte.

Zoé ne sait pas à quoi s'attendre. Elle fonce droit vers un univers inconnu, qui elle espère de tout cœur saura égayer sa vie.

~~~*~~~

Une seule voiture arpente la route vers la petite ville occidentale.
Il commence à se faire tard. La conduite, digne de la lenteur d'un escargot, de sa conductrice, laisse à penser qu'elle ne s'en soucie guère.

Accaparée par une voix chantée, à aucun moment Zoé ne pense à accélérer. Des lustres, qu'elle ne l'a pas entendue. Elle ne veut laisser un centième de sa concentration à autre chose. Savourer la magnifique voix qui l'a bercée à son enfance, et qui aujourd'hui la berce de nouveau, voilà sa préoccupation première. Elle se permet même de fredonner pour l'accompagner, tel un instrument le ferait.

Zoé porte un regard enjoué, en direction du siège qu'a occupé sa mère dès leur départ de leur ancienne habitation. Elle est reconnaissante pour ce beau moment, rythmé par ses timbres vocaux.

Au bord du précipice émotionnel, après l'épisode du dingo, cet a cappella permet à Zoé d'évacuer ses tensions nerveuses. L'empêchant de ne pas risquer de s'écraser.

Lorsqu'enfin la jeune fille remarque un panneau de signalisation affichant " SKUEÑALAS 20 miles", un sentiment de soulagement l'envahit. Mais, les maux qu'elles refoulent depuis quelques temps déjà, de concert, l'agressent tous.

Zoé a marre de conduire. Même si elle ne se plaint pas, ses fesses sont anesthésiées par la douleur. Ses bras ont ras le bol de garder la même position sur une si longue période. Son échine la fait souffrir. Ses yeux la picotent. Son organisme, son être réclament du repos. Ils n'ont qu'une hâte, celle que Zoé se repose, pour assouvir les doléances de son âme. Un besoin qui contrebalance avec son désir d'entendre sa mère chanter encore et encore.

Ces quelques kilomètres restants lui semblent être les plus longues qui n'ont jamais existés.
À chaque kilomètre, le paysage des environs s'assombrit. Il devient de plus en plus terne. La forêt s'épaissit, alors que la route s'étrique.

En plein milieu de cette forêt, dont les arbres sont plus grands les uns plus que les autres, Zoé a l'impression d'être autant minuscule qu'insignifiante. Il lui est déjà envisageable, de songer à s'approcher de ces bois les nuits tombées.
Zoé est catégorique : jamais elle ne foulera son sol en pleine nuit. Peut-être non plus en pleine journée.

L'ambiance dérangeante incite Zoé à exercer plus de pression sur la pédale d'accélération. Elle tente de fuir la forêt.

Grâce à la lumière émise par ses phares, Zoé perçoit une nouvelle pancarte.
"Welcome to SKUEÑALAS" y est marqué en grande lettre. Elle clôture les vingt kilomètres restants pour rejoindre la ville peu connue.

En dépit du fait qu'il fasse de plus en plus sombre, Zoé s'octroie une petite pause pour l'observer. Elle arrête la voiture à quelques centimètres de la haute pancarte, pour la détailler.

À défaut de lui donner l'envie de s'y installer, le panneau rectangulaire délabré la conseille de ne pas le franchir. Son message de "bienvenue", qui se voudrait accueillant, paraît cacher autres choses avec ses lettres à demi-effacées.

Il lui suggère d'aller à l'opposé de la ville qu'il annonce. Il semble la mettre en garde vis-à-vis de Skueñalas.

Zoé jette un dernier coup d'œil au porteur de ces mots anglophones, ne s'y attarde pas plus. Et, sans un regard en arrière, elle poursuit son chemin pour enfin arriver à destination.

Il faut que j'arrête de voir le mal, le négatif partout. Ce n'est que l'usure du temps qui donne cet aspect lugubre à la vieille planche de bois. Oui, ce n'est que ma sinistre imagination , se dit-elle.

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