III

[...], ou tout simplement deux faibles.>> Bebylyly

Zoé se presse à la recherche de sa mère. Elle a entendu un cri. Celui de sa mère. Elle y a reconnu de l'effroi. Alors, avec rage, elle se fraie un chemin en arrachant les mauvaises herbes qui lui font obstacle.

Ce cri qui l'a déstabilisée, tourne en boucle dans sa tête. Il la guide à la localisation de sa provenance.
Aurore est tout ce qu'elle a dans ce monde injuste. Zoé a donc peur qu'il lui soit arrivé malheur. Cette simple pensée la bouleverse, et l'escorte à l'une de ses phobies. Celle qu'elle redoute le plus.

Zoé pleure. Elle a la crainte d'être aux portes de la concrétisation de son angoisse permanente : être privée de sa mère, comme elle l'a été de son père.

La perdre de si tôt ? Cette éventualité, lui est insoutenable.

Larmoyante, Zoé arrive à la source du son perçant. Pendant quelques secondes, elle reste interdite, face à cette image dressée sous ses yeux.
Sa mère, allongée inerte sur le sol, une de ses joues contre ce dernier, les yeux ouverts. La peau claire de sa main droite, et son chemisier sont maculés d'un liquide rougeâtre. La jeune fille avance tremblotante vers ce qu'elle souhaite être un mirage.

Les yeux de Zoé s'écarquillent de soulagement lorsqu'elle croit voir le corps de sa mère se mouvoir. À cet instant, toute logique devient secondaire.

Elle accoure aux chevets d'Aurore, lui tient l'une de ses mains et la fixe. Elle l'examine sous toutes les coutures à la recherche d'une plaie à soigner.
Elle ne trouve aucune véritable blessure qui pourrait expliquer tout ce sang qui souille sa mère. Ces quelques éraflures dispersées de part et d'autre, qui suintent peu de sang, ne sauraient en être la cause. Au contraire elles s'estompent, disparaissent, tout comme l'amas de sang colorant son haut et sa main, en rouge.

La jeune fille ne parvient pas non plus à comprendre la mine de déterré qu'Aurore affiche. Son unique larme ne lui fournit pas la moindre explication. Zoé a besoin d'information qu'Aurore ne lui communique pas.

Assise, patientant tant bien que mal face au silence de sa mère, Zoé découvre ce que les gens de son entourage peuvent parfois ressentir en l'absence de ses mots. L'espace d'une minute, Zoé pense à faire plus d'effort pour convaincre sa psyché qu'il est temps d'user de la parole comme avant. Mais elle se ravise aussi vite que l'idée lui est venue. Comme si le simple fait de l'avoir envisagé est à condamner.

Comprenant de son vécu que les mots peuvent avoir du mal à sortir, elle attend qu'Aurore se décide à cracher le morceau, de par elle-même. Alors, Zoé dirige ses pensées sur ses mitaines noires qui lui manquent. Ensuite, elle essaye d'apprécier la douce et légère brise.

Une dizaine de minutes plus tard Zoé s'intéresse au regard de sa mère. Il est posé sur le sol poussiéreux, parsemé ça et là de touffes d'adventices.

Pourquoi fixe-t-elle autant le sol ? Pour éviter mon regard ? Ou, est-ce pour se concentrer sur ses futurs mots ? se questionne Zoé. Ce qui vient de se passer a dû la traumatiser.

À aucun moment Aurore ne semble se désintéresser de ce qui paraît la captiver. Son regard ne cille pas, pas même une fois.

Zoé suit l'itinéraire de ce dernier pour découvrir ce qui s'accapare autant de l'attention de sa mère. Ce n'est qu'à cet instant, qu'elle repère les flaques de sang plus sombre que celui qu'elle a aperçu sur Aurore. Ces petites flaques d'hémoglobine zigzaguent vers une forme.

Non sans crainte, la jeune fille avance vers ce relief en saillie. À son grand désarroi, à mesure d'avancer elle finit par discerner une âme animale défigurée. Cette découverte fait faire un grand pas en arrière à la jeune fille.

Presque tout se met en place dans sa tête de première de classe. Zoé reconstitue la scène en un temps record, en omettant inconsciemment quelques faits. Elle ne tarde pas à comprendre, que ce liquide qui jonche la terre vient de l'animal. Il s'en est déversé, en titubant jusqu'au lieu où il a rendu son dernier souffle. La nausée monte Zoé petit à petit.

- C'était lui ou moi. Je n'ai pas prémédité de le tuer. Il m'a foncé dessus, prêt à me dévorer. Je n'ai fait que riposter avec une pierre. Je lui ai laminé le crâne. Il est méconnaissable. Mon acte est inhumain.

- « Ne te culpabilise pas. Comme tu l'as dit, tu n'as fait que te défendre face à un danger imminent.» s'empresse d'écrire Zoé dans son calepin, tout en l'apportant avec hâte aux yeux de sa mère.

- J'ai déversé ma rage sur lui. Ce dingo, ne méritait pas ça. Il ou elle avait peut-être une famille qui l'attendait.

Ces phrases représentent à la lettre celles que diraient sa mère. Toujours prête à se soucier de la vie de la plus petite des bestioles. Zoé tient de sa mère. Elles aiment les animaux, même si elles s'alimentent parfois de la chair de certains.

Mais l'instinct de survie a toutefois surpassé cet amour et l'incapacité à leur ôter la vie chez Aurore, lorsqu'elle a vu la sienne se défiler sous ses yeux.

- « Toi, tu aurais mérité de te faire dévorer par ce chien sauvage ? NON ! Il aurait eu le droit de retrouver sa famille, alors que toi tu laisserais ta fille, seule, pour affronter ce monde? Je n'ai plus de père. Je ne peux pas me permettre d'aussi perdre ma mère. Il t'a prise pour cible, tu as contre-attaqué. Il s'en est pris à plus forte que lui, il a perdu. C'est la loi du plus fort. Point. » couche Zoé sur l'une des feuilles.

« Oublie ça maman. Dis-toi que si j'avais été là, je l'aurais tué de sang froid pour toi. Tu sais pourquoi ? Parce que tu es ma mère. Pour moi, ta vie est plus importante que la sienne.» ajoute Zoé au dos de la feuille de papier.

Si cela avait été quelqu'un d'autre à l'origine de cet acte, Zoé n'aurait pas tenu le même discours. Elle aurait agi autrement. Elle l'aurait dévisagée horrifiée, avec dégoût, dédain. Elle serait occupée à vomir le peu de nourriture qu'elle a grignoté de la journée. Car comme l'a si bien évoqué la voix d'Aurore, le dingo est méconnaissable avec sa cervelle qui pendouille.

Zoé s'est auto-mandatée à prendre soin de sa mère. Ceci, depuis que cette dernière a commencé à chanceler vers les méandres les plus sombres de l'obscurité.
Il est donc impensable pour Zoé, de la blâmer pour une légitime auto-défense, aussi sanglante soit-elle.
La culpabilité est le dernier sentiment qu'elle veuille qu'Aurore ressente.

Hors de question que tous mes efforts s'effondrent à cause de l'impulsivité d'une sale bête.

Zoé cherche un moyen pour rassurer sa mère sur son état d'âme, et pour s'écarter de ces lieux. Elle lutte pour entretenir la lueur si singulière, qui a séduit son père dès la première fois qu'il a vu sa mère. Elle ne veut pas qu'elle s'éteigne de si tôt.

Elles ne doivent pas s'éteindre de si tôt. se motive Zoé.

Sans tarder, elle met le doigt sur une idée, qui lui apparaît telle une évidence.

L'adolescente déchire un morceau de papier, et y écrit . Elle s'abaisse au niveau de sa mère, toujours allongée, et l'embrasse sur la tempe qui lui fait face. Elle lui glisse le mot entre ses fins doigts en se levant :

« Tu ne m'attraperas pas » y est inscrit.

Un sincère sourire illumine le visage de Zoé, en se rappelant de chacun des souvenirs qu'a créé ce jeu entre elles. Ils la comblent, et la revigorent.

Zoé court pour devancer sa mère.

Pour la première fois en trois ans, elle croit entendre le rire de sa génitrice. Il résonne dans les airs, telle une suave mélodie. Un vrai rire, que Zoé n'avait plus eu la chance d'entendre, même pas une seule fois. Toujours le même, le même timbre. Aucun changement.

Le déclencheur de cet exploit donne un pincement au cœur à Zoé, mais elle essaie de l'apprécier. Alors, comme pour faire un troc, elle brise une barrière pour laisser à son tour s'échapper le sien.

Quant au rire de Zoé, il a bien changé...

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