I

<<Rien ne dit qu'il doit forcément avoir un plus fort et un faible......


Suite à un rapide coup d'œil à l'intention de sa mère avachie sur le siège passager, Zoé se reconcentre sur la route. Mines froncées, ses doigts tapent en une synchronisation parfaite le volant du pick-up qu'elle conduit, depuis trois interminables jours.

La logique voudrait que ce soit la mère qui conduise, non pas sa fille de dix-sept ans. Mais, après avoir ingurgité autant de verres d'alcool la veille, Aurore n'est pas en état.

Sa mère est la seule famille qui lui reste. Zoé se sent incapable de lui en vouloir. D'autre part, elle ne peut s'empêcher d'imaginer ce que leur vie serait sans la disparition de son père. 
  

Si Will était encore en vie, Aurore ne serait pas devenue alcoolique. Cette dernière aurait un sourire niais sur le visage en regardant son mari se trémousser le corps, en pleine activité de bricolage.

Zoé ne souffrirait pas de mutisme total. Elle serait en train de partager à voix haute ses textes poétiques, existentiels, ou spirituels avec lui.

Elles n'auraient pas eu à tout vendre, pour aller s'installer dans cette maison qu'a reçue Will en héritage. Elles dîneraient avec lui, autour de la table basse qu'il avait confectionnée, dont il était si fière. 
 
 
Trois longues années se sont déjà écoulées depuis son décès. Rien n'a su guérir cette douleur que leur a infligée ce cancer. Cette détestable maladie qui a emporté un mari pour l'une, un père pour l'autre.

Une première perle d'eau salée, suivie de près par un flot de larmes s'échappent de ses yeux. Zoé les laisse couler, sourit en imaginant comment son père se serait accouru à son chevet pour les lui essuyer.

S'il était là...

Zoé entrouvre la bouche pour chanter dans un murmure à peine audible, la chanson qu'elle a écrite il y a deux ans. Celle qu'elle a composée en pensant à lui, et en voyant, interdite, sa mère sombrer dans l'alcoolisme  :
"

**Tout est devenu plus sombre
**Tu étais ma lumière, papa.
**Tu étais ma merveilleuse étoile,
**Le meilleur père de tous les temps.

**Ça fait mal de vivre dans le noir.
**Qui va m'aider à sortir du pénombre de ma vie. "

Zoé sanglote en chantant chacun de ces mots. Jusqu'à ce jour, il n'y a que pour son père qu'elle ose aligner autant de mots consécutifs.

Aussi innocentes qu'elles puissent paraître, ces paroles lui déchirent le cœur. Comme à chaque fois, elles la brisent en la faisant confronter la réalité qu'elle rejette. Elles lui rappellent que son père n'est plus, qu'il est six pieds sous terre. 

Remémorant tous les moments de complicité partager avec Will dans la maison de son enfance, qu'elle vient d'abandonner, Zoé continue de chanter :

**Tu étais tout pour moi :
**Ma joie, mon protecteur, mon modèle.
**Ton absence me détruit,
**Un peu plus chaque jour, papa.

**I'm afraid that our best memories,
(  J'ai peur que nos meilleurs souvenirs)
**Will be erased from my memory.
(   Disparaissent de ma mémoire.)

**Tu ne m'as pas apprise comment vivre  sans toi.
**It's hard to smile and laugh without you.
(   C'est dur de sourire, et de rire sans toi.)
**It's hard to talk and shine without you.
(   C'est difficile de parler et de briller sans toi.)
**It's too hard to live without you.
(   C'est si dur de vivre sans toi.)

**It  hurts too much, Dad,
(   Ça fait trop mal,)
**To think that you will never comeback.
(   De me dire que tu ne reviendras plus jamais, papa.)

**I'm afraid that our best memories,
(   J'ai peur que nos meilleurs souvenirs)
**Will be erased from my memory.
(   Disparaissent de ma mémoire.)

**Ça fait mal de vivre dans le noir.
**Qui va m'aider à sortir du pénombre de ma vie. 

**It hurts too much, Dad,
(    Ça fait trop mal,)
**To think that you will never comeback.
(    De me dire que tu ne reviendras plus jamais, papa.")

L'adolescente se laisse submerger par ses tristes émotions, son désarroi, et sa colère. Elle serre le volant, contracte sa mâchoire, et cogne sa tête contre ce dernier avec frénésie.

Enfonçant la pédale d'accélération, elle répète la dernière phrase en boucle :
"It hurts too much, Dad,
To think that you will never comeback."

Tout lui paraît flou lorsqu'elle se décide à relever la tête pour regarder la route. Ce geste lui fait voir à temps le gros rocher dans lequel elle fonce à toute vitesse.

Zoé freine sèchement, tout en faisant une manipulation rapide du volant. La voiture crisse avant de s'arrêter, évitant de justesse l'accident mortel.

Haletante et encore sous le choc Zoé s'assure que sa mère n'a rien eu.

Sa ceinture de sécurité est toujours bien attachée.  Mis à part des plaintes qui se noient dans sa gorge, Aurore continue de dormir, ignorant qu'elle vient de frôler une mort, certaine.

Zoé se presse ensuite de sortir, de la voiture. Elle amène ses doigts à ses cheveux, et les tire pour se calmer.

Bordel ! Bordel ! Calme-toi Zoé. Ce n'est rien ! La moins que rien que je suis, a seulement failli tuer la seule famille qu'il me reste, et moi aussi par la même occasion. Bordel ! Calme-toi. Calme-toi Zoé. Ce n'est pas arrivé ! Nous allons bien.

Cannette d'eau à la main, tel un automate Zoé s'exécute à faire les cent pas. Elle s'arrête un instant pour prendre de grandes bouffées d'air.

Inhala... Exhala...

Elle se rafraîchit la gorge, et le visage. Après une dernière grande inspiration, elle s'assoit à même le sol. Adossée à la remorque fourgon, elle expire pour chasser son stress -en ajustant la capuche de son sweatshirt sur sa tête.

Ses genoux à hauteur de sa poitrine, sont rejoints par ses avant-bras croisés. Lasse, Zoé y repose sa tête, les paupières closes. Une soudaine somnolence la gagne. Elle ne lutte pas, mais se laisse aller. Elle se détend.

Le klaxon d'une voiture extirpe Zoé de son moment de repos improvisé. Ses yeux mi-clos cherchent la provenance du son, et tombent sur un vieux  pick up chargé. L'homme d'une vingtaine d'années au volant du véhicule lui répète une seconde fois :

—  "Ta voiture est tombée en panne ?" Tu as un problème auditif ou quoi ? ajoute-t-il.

Zoé secoue la tête de droite à gauche pour signifier que non.

— Tu as perdu ta langue, ou es-tu juste extrêmement mal éduqué ?

Entendre cet inconnu dire qu'elle est mal élevée, lui hérisse les poils. Ce jugement remet en cause l'éducation, remplie d'amour que ses parents lui ont offerte. Cela l'insupporte. Mais Zoé refoule son ressenti, préférant porter son attention sur la chaussée à laquelle elle accorde plus de valeur que son interlocuteur.

— Tu es un mâle ou une femelle ? tonne la voix de l'homme, en disant presqu'avec dédain le dernier mot.

Mâle ou femelle ? Qui parle encore de cette manière, de nos jours, se demande Zoé en toisant le jeune homme.

Pour toute réponse Zoé abaisse sa capuche, pour libérer ses cheveux cuivrés mi-courts, ondulés. Elle bombe le torse puis plonge son regard haineux dans le sien.

— Tout s'explique. Pas facile à dresser, quand on ne s'y prend pas bien crache-t-il d'un air hautain, en faisant tourner le moteur de son véhicule. 

Zoé ne comprend, ni ne cherche à comprendre ce qu'il insinue. Elle se contente de porter son mépris sur la voiture de l'inconnu qui la devance à une vitesse folle, sur le seul chemin qui mène à Skueñalas...

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