... De bonnes retrouvailles

We Wish You... De bonnes retrouvailles.

by Angélique MALAKH


À toutes les étincelles d'ici et d'ailleurs...

La rencontre

— Monsieur Dumont, nous sommes désolés, mais nous avons fait tout ce qui était humainement possible. Il est temps que vous lui disiez au revoir, expliqua avec douceur l'oncologue, une main sur l'épaule de Benoît, le mari de sa patiente pour qui il s'était pris d'affection.

— Ne pourrions-nous pas attendre encore un peu ? Demain, c'est Noël, supplia l'homme, aux traits marqués et aux yeux azur cernés d'un violet à la limite du noir.
— Cela ne changera rien, hélas. J'ai usé de mon autorité pour la garder dans mon service. Elle aurait dû être transférée, il y a plus de trois semaines. Croyez bien que je regrette, Monsieur Dumont, mais je n'ai plus le choix. Avec les fêtes, nous sommes contraints de fermer une aile entière de l'étage et les lits sont chers...
— Dites-moi, combien cela me coûtera ? Je me moque du prix ! vociféra Benoît, au bord de l'implosion.
— Vous savez pertinemment que ce n'est pas une question de prix, voyons. (Il marqua une pause et le fixa du regard.) Je vous laisse l'annoncer à Jordan, conclut le praticien.
— Le docteur Savignac est attendu à la chambre 505 de toute urgence. Le docteur Savignac, chambre 505, hurla une voix féminine à travers des haut-parleurs.
Le médecin consulta un téléphone qu'il avait dans la poche de sa blouse.
— Pardonnez-moi, je dois y aller. Parlez avec Jordan. Je vous retrouverai dans la chambre de Claire, ordonna le docteur, dans une accolade.
Le praticien trottina vers l'ascenseur tandis que Benoît demeurait statufié au milieu du couloir. Tout était si calme. La décoration arborait les couleurs de l'automne et lui parut annonciatrice de l'hiver qui suivrait le départ de sa femme. Il bascula contre le mur et éclata en sanglots. Ses mains cachaient sa tête sur ses genoux repliés. Comment pouvait-il présenter une telle chose à son fils ? Quels mots employer pour ne pas amplifier les effets de leur sens ? Benoît défaillit, incapable de rejoindre son fils qui l'attendait dans la chambre de sa femme.
— Je refuse. Je ne suis pas prêt. Pas encore, bafouilla-t-il, entre deux spasmes de pleurs.
Sa poitrine se comprima et il peina à respirer correctement.

Jordan caressait le front de Claire. La maladie avait eu raison de la peau lumineuse et des joues rosies de sa mère. L'évolution de l'affection de Claire s'avéra foudroyante.
— Ma pauvre maman, chuchota le jeune garçon, les yeux luisants.
Les membres de sa famille avaient rassuré Jordan. « Elle s'en sortira... ta maman est forte... », s'accordaient-ils à cantonner. Le garçon les avait crus un temps. « Les adultes savent mieux que les enfants », lui répétait sans cesse papi Louis. Pourtant, lui, il l'avait pressenti. Sa maman était trop fatiguée. Lui voyait que, malgré les sourires qu'elle montrait au monde, ses yeux s'éteignaient de plus en plus. Jordan souffrait en silence, gardant sa joie de vivre en permanence. Il l'utilisait telle une arme contre la maladie. Cette dernière avait emporté petit à petit celle de sa mère, amenant au passage sa magnifique chevelure qu'il adorait toucher. Jordan était un guerrier des temps modernes. Il luttait de toutes ses forces et offrait à la vie deux fois plus de sourires. Un pour sa mère et un pour lui. Il décida que le moment de grandir était arrivé. Il aurait 7 ans dans trois mois. Il devait se montrer fort pour soutenir ses parents.
Le corps de sa mère restait sans vie. Ses doigts avaient tant minci qu'elle ne portait plus ni son alliance ni la bague qu'il avait choisie avec son père pour la fête des Mères. Il saisit sa main et l'embrassa. Sa tête pivota afin de vérifier que son père n'arrivait pas. Quand il fut rassuré, il posa sa joue dessus et s'abandonna à sa peine. Il avait compris que l'instant était grave, que sa maman allait mourir. Le docteur Savignac s'était toujours montré gentil envers lui, mais Jordan lisait sur la figure du médecin les mots qui refusaient de s'échapper de sa bouche devant lui. Les larmes du jeune garçon formèrent une auréole autour de son visage. Il se redressa pour attraper un mouchoir et sursauta en découvrant une silhouette dans la chambre.

— Mais qui êtes-vous ? proclama-t-il, contrarié d'être surpris en état de faiblesse.
— N'ai pas peur, Jordan. Je suis un ami de ta maman.
— Je ne vous ai jamais vu auparavant, le coupa-t-il, ses sourcils froncés.
— C'est normal. Je me présente quand le temps est venu, expliqua l'homme qui se tenait près de la fenêtre.
Il portait un complet anthracite avec une montre étrange qui dépassait de la poche de son blazer. Il ne ressemblait pas du tout aux copains de sa maman.
— Vous êtes là pour la tuer ? s'inquiéta Jordan, son bras au travers du corps de sa mère. L'homme le détaillait, le regard bienveillant et translucide. Il s'approcha du lit
médicalisé, les mains jointes.
— Ce n'est pas mon rôle, ajouta-t-il, d'un
ton posé et chaleureux.
— Quel est-il ?
— Tu es un petit garçon intelligent et très attentionné, Jordan.
— Je suis pas petit ! Je vais bientôt avoir sept ans, le contra l'enfant, vexé.
L'homme pouffa d'un rire cristallin.
— Tu as fait beaucoup pour ta maman. Tu l'as soulagée et tu t'es montré d'un soutien à toute épreuve pour ton père. À mon tour de t'offrir un cadeau, enfin, il sera pour tous les deux.
— Pour moi et mon père ?
— Pour toi et ta mère. Elle a souhaité de tout son cœur que tu gardes ta joie de vivre malgré sa mort et que tu ne restes pas dans la tristesse. Elle a souvent prié pour toi, tu sais. Elle t'aime énormément.
— Ma maman est la meilleure maman du monde.
— Ta maman est la maman idéale pour toi, Jordan. Nous n'avons plus beaucoup de temps devant nous. Garde sa main et prends la mienne.
— Pourquoi ?
— C'est une surprise. Ferme les yeux et inspire profondément. Pense à ta maman.
Jordan s'exécuta.


La visite

Il sentit d'abord de la chaleur sur sa peau et entendit l'écho de gouttes d'eau au loin. Ses paupières s'ouvrirent et il sauta au cou de sa maman. Elle se tenait face à lui, rayonnante et en pleine santé.
— Mon chéri, comme je t'aime, susurra Claire à l'oreille de son fils, blotti dans ses bras.
— Tu m'as manquée, Maman. Tu me manques tant, pleura Jordan, contre sa poitrine.
L'homme leur accorda un instant. Il fit quelques pas dans un jardin digne de l'Eden.
— Je regrette, mais le temps a commencé sa chute, intervint-il un peu plus tard, en présentant sa montre dans laquelle un sablier déversé des étincelles dorées.
— Je ne comprends pas. Pourquoi est-il ici ? Il n'est pas mort ? paniqua Claire, en enserrant Jordan contre elle.
— Non. Nous avons décidé de lui montrer où sera votre future demeure. Ainsi Jordan pourra poursuivre sa vie dans la sérénité de vous savoir heureuse et en paix. De grandes choses l'attendent et il aura besoin de toute son énergie et son attention pour les accomplir.
— Merci, s'exclama Claire en embrassant une nouvelle fois son fils qui ne l'avait pas lâchée.
— Nous allons visiter le domaine et je le ramènerai, conclut l'homme en rangeant sa montre.
Claire se détendit et serra la main de son fils. La magnificence de ce qui les entourait les éblouissait. Quant à Jordan, il savourait le bonheur de voir sa mère marcher, avec des cheveux et en pleine santé. Ils suivirent leur guide à travers des jardins aux couleurs chatoyantes et aux odeurs sucrées. De nombreux bosquets devant des fontaines accueillaient d'autres personnes qui rayonnaient le plaisir d'exister et d'être ensemble. Après une longue promenade, le guide se retourna. Il les observa d'un air paternaliste. Il s'approcha du jeune garçon et se positionna à sa hauteur.
— Qu'aimerai-tu faire avec ta mère ?
— Tu te sens bien, Maman ? lui demanda-t-il, avant de répondre.
— Je n'ai jamais été aussi en forme et pleine de vie, ajouta-t-elle en s'agenouillant devant lui.
L'euphorie illumina Jordan.
— Du foot, s'exclama-t-il, victorieux. J'adorerais jouer au football avec Maman, comme avant.
Claire et l'homme éclatèrent de rire en chœur.
— Si elle est d'accord... (Claire acquiesça d'un clin d'œil.) Jouons au ballon, articula-t-il, dans un souffle profond.
Le jardin sembla s'étirer et un ballon apparut au pied de Jordan, tout excité. La mère et le fils s'en donnèrent à cœur joie. Jordan dribbla et sa mère applaudit ses prouesses.
— Tu t'es vraiment amélioré, mon chéri, le félicita-t-elle, heureuse.
— T'as vu, je suis plus agile que toi, à présent, ajouta-t-il en montrant ses mouvements de jambes.
— Je suis fier de toi, s'exclama Claire en s'approchant de lui.
Le guide revint vers eux, les mains dans le dos.
— Je suis désolé, mais il est l'heure...
— D'accord. Merci pour ce magnifique cadeau, répondit Claire, un genou à terre devant son fils.
Ses doigts encerclèrent les mâchoires du garçon.
— Écoute-moi bien, mon chéri. Je veux que tu continues ta vie de petit garçon. À bientôt sept ans, on est encore un petit bonhomme. Tu auras bien le temps pour grandir et devenir sérieux. Je veux que tu sois heureux, que tu vives tes rêves sans te soucier du regard des autres. Je voudrai que tu dises à ton papa, que je n'aurais pas pu espérer un meilleur mari et un père plus génial que lui. J'ai confiance en lui et j'ai foi en vous deux. (Elle marqua une pause et déglutit avec difficulté.) Je regrette de ne pas pouvoir continuer avec vous, mais je veillerai sur vous d'ici. (Claire le couvrit de baisers.)Tu me combles, mon chéri. Tu as fait de moi la maman la plus chanceuse du monde.
Jordan ne réussit pas à contenir ses larmes et s'effondra dans ses bras aimants.
— Je t'aime, Maman. Je veux rester avec toi, bredouilla-t-il, dans son cou.
— Moi aussi, j'aurais voulu ne jamais te quitter, avoua-t-elle en l'embrassant de nouveau. Nous nous retrouverons un jour, mon chéri. Je patienterai et je serai là quand tu reviendras.
L'homme se racla la gorge, sa montre entre ses doigts laiteux.
— Jordan, nous devons partir, les coupa- t-il. Le sablier est vide.
Le garçonnet paniqua et étreignit une dernière fois sa mère en pleurs. Claire le rassura avec amour. Elle fouilla ses cheveux en bataille et le remit au guide. Connecté à l'homme, Jordan abandonna la future demeure maternelle, dans une ritournelle mentale qui lui chuchotait « Je t'aime, mon chéri. »


Le départ

Jordan rouvrit ses paupières humides, la main froide de sa mère au creux de la sienne. Le guide se décala et reprit sa place près de la fenêtre. Jordan reconnut les pas de son père dans le couloir. Avec un sourire, le guide positionna son index devant ses lèvres. Benoît s'approcha le dos voûté et la tête basse.
— Jordan, il faut... bafouilla-t-il, effondré.
Le garçon rejoignit son père et le pressa sur son cœur.
— Je t'aime, papa, et maman aussi t'aime très fort. Elle est heureuse de t'avoir comme mari et elle a confiance en nous. Elle a dit qu'elle nous surveillera de là où elle sera. Elle doit s'en aller, expliqua l'enfant, en sécurité dans l'épaule de son père.
Celui-ci le décala pour le détailler. Après quelques secondes, il enlaça de nouveau son fils, estomaqué par ses mots.
— Je t'aime tant, mon petit homme. Pardonne-moi de ne pas être à la hauteur...
— Tu es le papa idéal pour moi, le coupa Jordan.
Il fit un clin d'œil au guide qui se tenait en retrait dans l'angle de la chambre.
— Mais comment sais-tu ?
— On se moque du « comment ». Ce qui compte c'est le sens, voyons... viens, l'interrompit-il en attrapant ses doigts.
Ils s'installèrent chacun d'un côté de Claire, inconsciente et au teint de plus en plus gris-violacé. Benoît et Jordan lui prirent chacun
la main, réunis dans une dernière étreinte familiale. Le cœur de Claire eut un sursaut puis s'arrêta définitivement. Benoît se jeta sur son corps en hurlant. Son fils le regarda en silence, puis reporta son attention sur le guide. L'homme se rapprocha du lit et un petit ciseau apparut d'une de ses poches. Le guide coupa le fil doré qui reliait l'enveloppe corporelle de Claire au plafond. Il rangea l'objet, puis hocha le menton vers Jordan. Le garçonnet avait compris. C'était l'heure du dernier départ.
— Entraîne-toi en m'attendant. Ça sera long sans toi, mais je deviendrai un homme gentil et patient comme papa. Je t'aime Maman, s'exclama-t-il, les yeux vers le ciel.
La tête de Benoît se releva vers son fils et il se figea. Un halo doré englobait Jordan, qui rayonnait telle une icône angélique. Il regarda son père avec un immense sourire et ajouta :
— Elle est en paix. (Jordan tendit son bras et caressa la joue de son père.) L'amour perdure au-delà de la mort et elle veillera sur nous. À nous de la combler par nos actes, papa.
Ébloui, Benoît resta statufié à dévisager son fils aussi confiant et serein malgré l'épreuve qu'ils vivaient. Il avait tant appréhendé cet instant, craignant la réaction du garçon. Après la perte de ses repères, la réalité reprit le dessus et rattrapa Benoît.
— Mais, c'est Noël, bafouilla Benoît attristé pour son fils
— À défaut que maman guérisse, j'ai eu le plus extraordinaire des cadeaux. Je sais qu'elle est bien. Il ne tient qu'à nous d'être heureux à notre tour jusqu'à nos retrouvailles.
Le guide lui offrit son plus beau sourire. Il approcha ses doigts du torse du jeune garçon. Des faisceaux lumineux en sortirent et transpercèrent le corps de l'enfant. Jordan s'étonna de ne ressentir aucune douleur. Au contraire, sa poitrine s'emplit d'une douce chaleur bienfaitrice. Il savoura le moment, gorgé d'amour.
— Tu es et tu seras un Grand Homme, Jordan, proclama le guide, avant de disparaître dans un feu d'artifice mordoré.


Les retrouvailles

90 ans s'étaient écoulés depuis sa première et unique rencontre avec l'homme au complet gris et à la montre au sablier rempli d'étincelles. Jordan connaissait la signification. Il jubilait intérieurement dans son lit familial. Il allait revoir ses parents.
— Bonjour, Jordan. Ça fait longtemps, articula le guide en s'asseyant sur la couverture.
— Presque trop, répliqua le vieil homme. C'est encore le jour de Noël, ricana-t-il, mais je suis prêt.
— Avant de rentrer à la maison, je veux que tu saches que ton parcours m'a enthousiasmé. Tu as été le Grand Homme que tu étais destiné à devenir.
— J'ai fait de mon mieux, avoua-t-il, avec humilité.
— Tu as gardé ta béatitude et la conscience de la beauté de l'existence terrestre. Tu as partagé avec tes contemporains ta passion pour la vie et le plus important, tu as aimé sans compter.
— J'ai écouté les impulsions de mon cœur, bredouilla Jordan, que la fatigue cernait.
— Tu es un Grand Homme avec un grand cœur. Je regrette que l'heure approche, soupira le guide, en détaillant son étrange montre.
— J'ai hâte de les rejoindre. Ils seront bien là ? s'inquiéta le vieillard en prenant la main de l'homme.
Le guide l'enserra et lui sourit avec affection.
— Nous serons tous réunis, maintenant et à jamais. Tu vas regagner ta famille éternelle et baigner dans l'amour inconditionnel, mon ami.
— Et si, je n'avais pas été à la hauteur de ma tâche ? demanda-t-il, par curiosité.
— Nous t'aurions accueilli avec le même élan. Tes actes ne pondèrent pas notre amour. Tu fais partie de la Vie. Étincelle, tu étais, étincelle, tu redeviens, articula le guide, dans un souffle chaud sur le visage de Jordan. Joyeuse nativité, mon ami. Bon retour chez toi.
Jordan s'endormit définitivement dans son lit au sein de sa maison familiale le sourire aux lèvres. Il rejoignit les autres étincelles du feu divin de la Vie.


FIN


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