... chestnuts and mushrooms for your lunch.

We wish you... chestnuts and mushrooms for your lunch.

by Severine75

Mes pas s'enfoncent dans la neige, dans un crissement significatif. J'avance tout doucement, afin de ne pas glisser et risquer de me faire mal.

Ce serait dommage, c'est Noël.

Aujourd'hui, comme le veut la tradition, toute ma famille est réunie chez mes parents, dans la maison familiale. Celle de mon enfance. J'ai été envoyé, par ma mère, à l'épicerie du quartier, pour des courses de dernières minutes. Maman avait, visiblement, mal évalué la quantité de châtaignes et champignons qui sont sensés accompagner la dinde. Alors une petite balade dans le froid et la neige s'est imposée.

Je n'allais tout de même pas laisser cette pauvre volaille seule dans son grand plat, sans ses fidèles compagnons, les châtaignes et les champignons.

Donc, me voilà emmitouflé comme jamais, bonnet enfoncé sur les oreilles, écharpe remontée jusqu'au nez, manteau fermé jusqu'en haut sans oublier mes gros gants en laine, à faire ce chemin tant de fois parcouru dans ma jeunesse, et encore maintenant, à certaines occasions. Le sac plastique dans lequel se trouvent mes achats se balance doucement au bout de mes doigts gelés malgré mes gants, au rythme de mes pas. Je regarde essentiellement mes pieds, faisant attention aux endroits où je peux bien les poser. Un pas après l'autre, j'avance, laissant mes empreintes dans la neige, retraçant ainsi mon périple matinal.

En relevant le regard vers le haut de la rue, où se trouve mon but, le saint graal dans lequel je pourrai enfin me mettre au chaud, auprès de la cheminée, je remarque une silhouette s'avancer dans ma direction. Grande, fine, élancée. Vêtue de la même façon que moi, manteau, bonnet, grosse écharpe. J'ai l'impression de me retrouver en face de mon propre reflet.

Alors qu'elle s'approche, je me rends compte que la personne est plus grande que moi, mieux charpentée... et toute aussi masculine.

J'avance toujours, ne faisant plus vraiment attention à mes pieds, totalement subjugué par cet homme dont la silhouette se détache parfaitement dans le paysage blanc, derrière lui.

Plus nous nous rapprochons l'un de l'autre et plus ses traits deviennent précis, je peux voir qu'il a une barbe de quelques jours, des cheveux bruns dépassant de son bonnet et des lunettes sur le nez. De belles lunettes à montures noires.

A l'instant où nous nous croisons, nos regards s'accrochent. Nos têtes se tournent l'une vers l'autre dans un même mouvement alors que nos épaules se frôlent. Sans réfléchir je laisse mes pieds avancer de deux pas et effectuer un demi tour alors que mon vis-à-vis fait la même chose. Nous nous retrouvons alors face à face, nos regards mêlés. Ses yeux sont marrons mais semblent cerclés d'or.

C'est le plus bel homme que je n'ai jamais vu. J'en perds mon souffle alors que je vois le sien s'échapper de ses lèvres, au travers d'une légère fumée blanche, due au froid ambiant.

Je ne peux rien dire, je ne contrôle rien, surtout pas mes pieds qui se mettent à reculer. Les siens aussi. Nous nous éloignons, toujours face à face, toujours les yeux dans les yeux. Il sourit légèrement, moi aussi. Comme si nous nous comprenions, sans rien dire. Mon corps amorce un nouveau virage à 360 degrés et bientôt je suis à nouveau dos à lui. En route pour la maison familiale dans laquelle je vais me réchauffer, en apparence, car quelque chose en moi restera glacé.

*

Assis au coin du feu, mon kir royal à la main, je pense. Je réfléchis. Je rêve.

Je viens régulièrement chez mes parents, je me balade souvent dans le coin. Je vais parfois, à l'épicerie du coin. Je n'avais jamais vu cet homme. Alors la question est, le reverrais-je un jour ?

Mon cœur se serre à l'idée de ne jamais le croiser à nouveau. C'est totalement fou mais, il me manque. Le connaître me manque. Découvrir qui il est, ce qu'il aime, ce qu'il pourrait m'apporter, m'offrir, me manque. Tout ce destin que j'aurais pu vivre en changeant juste une petite chose tout à l'heure, me manque. Peut-être que si j'avais su lui dire un simple bonjour, tout aurait été différent, peut-être m'aurait-il parlé à son tour, peut-être aurais-je appris son prénom, peut-être lui aurais-je avoué le mien. Peut-être aurais-je su où le trouver plu tard pour commencer ce qui ne pourra jamais commencer.

C'est avec un horrible sentiment d'acte manqué que j'accompagne ma famille jusqu'à la table magnifiquement dressée pour l'occasion. Nous mangeons, discutons, rions, fêtons ce Noël de plus autour de cette dinde énorme qui me nargue, entourée, elle, de ses fidèles compagnons, les châtaignes et les champignons...

Tout est bon, le repas, le vin, la compagnie... mais je m'ennuie. Je ne peux pas me le sortir de la tête. Je ne peux pas l'oublier ou même penser à autre chose. Je participe, un sourire de façade collé aux lèvres, à toutes les conversations qui m'arrivent aux oreilles. Je suis poli, heureux de revoir mes oncles, tantes, cousins, parents et grands-parents. Mais aujourd'hui, pour la première fois de ma vie, je me sens incomplet. J'ai conscience d'avoir la chance d'être bien entouré, heureux au milieu de cette belle famille qu'est la mienne et que beaucoup n'ont malheureusement pas cette chance. Mais je donnerais beaucoup pour pouvoir revenir en arrière et changer juste une toute petite chose. La petite chose que bousculera mon destin.

Une fois la bûche engloutie et la table débarrassée, nous servons le café. J'avale deux gorgées du mien avant de m'excuser et de sortir de table, ma tasse à la main, afin d'aller l'accompagner d'une cigarette, dans le jardin. J'enfile mes chaussures, mon manteau, mon bonnet, mon écharpe et je m'installe sur les marches de la terrasse que je prends soin de déblayer, préalablement, avec mon pied. Je pose ma tasse entre mes pieds et allume ma cigarette. La seule de la journée. Celle qui accompagne le café du déjeuner est devenue ma seule cigarette depuis plusieurs mois maintenant. Je n'arrive pas à me défaire d'elle. J'aspire doucement, puis recrache la fumée avant de reprendre une gorgée de ma boisson chaude. Je lève le visage vers le ciel aussi blanc que la neige à mes pieds, puis je ferme les yeux, me détendant complètement.

Quelques taffes, quelques gorgées, le calme, mes pensées.

Je suis bien.

Je voudrais l'être encore plus.

Je voudrais être avec lui.

C'est donc cela le coup de foudre ?

Je ne m'imaginais pas que cela puisse me rendre aussi... nostalgique. Oui c'est ça.

J'aimerais avoir la chance d'apercevoir ses yeux cerclés d'or, juste un instant, juste une fois de plus. J'aimerais connaître le son de sa voix, la douceur de sa peau, le rythme de sa respiration, le goût  de ses lèvres...

Je secoue la tête et écrase ma cigarette dans le fond de ma tasse.

Stop. Inutile de rêver, c'est finit. J'ai manqué ma chance. Je ne le reverrai plus.

Je me lève promptement, décidé à oublier, à passer à autre chose, à profiter de ma famille et de cette belle journée.

Mais je me suis levé trop vite, ma tête tourne légèrement, je suis pris d'un vertige. Je ferme les yeux et écarte légèrement les bras afin de me stabiliser.

Quelques secondes passent, pendant lesquelles je ne sais pas si je vais rester debout ou me retrouver au sol. Lorsque le malaise s'évapore, j'ouvre doucement les yeux. Mon regard tombe à mes pieds, là où ma tasse reposait encore au moment où je me suis levé.

Elle n'y est plus.

La neige est bien là mais les marches de la terrasse ont également disparues.

Je suis dans la rue, un sac de courses à la main. Lorsque je regarde à l'intérieur je remarque des boîtes de châtaignes et de champignons. Les fidèles compagnons de la dinde que nous avons mangé... ce midi ?

Je relève le visage et regarde au loin.

Une silhouette se dessine à l'horizon, sur le paysage blanc, et mon cœur s'arrête.

Je me mets en marche, doucement, pour ne pas glisser.

La personne se rapproche et je crois rêver quand je perçois les même signes caractéristiques de l'homme de... tout à l'heure ?

Sa barbe de trois jours, ses cheveux bruns dépassant de son bonnet, ses lunettes.

Nous nous croisons, nous frôlons, nous regardons, ses yeux marron cerclés d'or sont plongés  dans les miens. Mon corps avance et fait demi tour. Je suis face à lui et je recule de quelques pas.

Il me sourit.

C'est le moment, c'est là que je dois agir, c'est à cet instant que ça doit se produire.

- J'ai l'impression d'avoir déjà vécu ça. Je dis, totalement dépassé par les événements.

- Moi aussi... c'est bizarre non ?

Nous restons là, à nous observer, quelques secondes. Puis dans un même mouvement, nous  nous approchons l'un de l'autre. Nos sourires se font plus grands, nos yeux pétillent, le froid  disparaît.

Quelques minutes plus tard je reprends le chemin qui mène à la maison de mes parents. J'aime le bruit que font mes pieds en s'enfonçant dans la neige. Je fais attention à chacun de mes pas, afin de ne pas glisser et risquer de me blesser.

Çe serait dommage, c'est Noël.

De ma main droite, je serre le sac de courses dans lequel se trouve l'accompagnement si important pour lequel je suis sorti.

Je ne comprends pas ce qu'il vient de se produire. Mais je préfère ne pas y penser. Quelque chose est plus important.

Ce petit bout de papier, soigneusement glissé dans la poche arrière gauche de mon jeans, et sur lequel sont inscrits son nom et son numéro de téléphone.

Je vais donc vivre à nouveau cette belle journée de Noël, entouré de ma famille, dans cette douce atmosphère de fête, mais cette fois-ci, le cœur léger à l'idée de ce futur qui se dessine devant moi.

Et cela grâce à des châtaignes, et des champignons.

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