We wish you a night to remember

by Elesya_Angel

Je regarde par la fenêtre les rares flocons de neige qui tombent avant de s'écraser au sol, formant ainsi un fin manteau de neige pour les brindilles d'herbe. L'éclat des lampadaires à l'extérieur et les décorations lumineuses de Noël dans la rue me font sourire. Je détache mes yeux de ce joli spectacle pour observer mon reflet dans le miroir de ma penderie. Ma robe rouge épouse les formes de mon buste pour s'évaser au niveau de ma taille. Elle s'arrête à hauteur de mes genoux, par une finition en tulle noire. Étant de nature plutôt timide et discrète, voilà que je brille de mille feux pour ce soir. Les faux diamants qui ornent le tissu couleur carmin se réverbèrent à la lumière. Je baisse mon regard sur mes jambes dénudées pour contempler mes chaussures à talons hauts, des escarpins argentés. Il m'a fallu des heures avant de maîtriser ces échasses à la perfection. Sans l'aide de ma sœur, je crois que j'ai opté pour mes éternelles bottines plates. Je secoue la tête, m'imaginant dans la même tenue, mais avec ces chaussures. Une mauvaise idée, définitivement. Quelques boucles s'échappent de mon chignon avec ce signe de négation. Encore une fois, ma sœur, coiffeuse, a fait un excellent travail sur cette tignasse que je peine chaque jour à dompter.

Mon cœur bat plus fort dans ma poitrine, j'inspire et expire profondément pour décélérer le rythme. Des semaines que je me prépare pour cette soirée, j'ai peur que cette idylle que me suis créée ne se transforme en cauchemar. Je jette un rapide coup d'œil à mon téléphone. Lorsque je le verrouille, il m'indique ceci :

31 décembre

21h47

C'est bien aujourd'hui, c'est bien ce soir. La chance de bien terminer l'année et de la commencer encore mieux. Une voix venant de l'autre côté de la porte m'interpelle, c'est mon grand frère, il me demande si je suis prête, car nous devons partir. Nous allons au même endroit, à la même soirée. Il me dit que c'est parce qu'il va rejoindre une amie là-bas, mais je crois surtout que c'est d'abord une raison pour me surveiller. Je suis sa petite sœur, la prunelle de ses yeux, son petit bébé. Malgré nos six ans d'écart, nous sommes très proches. Il a toujours été là pour moi, y compris lors du divorce prématuré de mes parents, un moment que j'ai très mal vécu, puis la mort de mon père.

— Rosa ! Nous allons être en retard !

Deuxième intervention, je me dépêche de prendre ma veste et ma besace noire, puis d'y mettre mon téléphone. Je quitte ma chambre d'un pas décidé et me retrouve face à Matt, qui me jauge de la tête aux pieds.

— Je voulais passer la soirée avec Chloé, mais je pense que je ne vais pas rester trop loin non plus. Nathanaël a intérêt à bien se tenir.

Il me regarde avec son air sérieux et méfiant, toutefois je sais qu'il plaisante. À moitié.

— Nate n'est pas...

— Je sais, Rosa. Je préfère simplement te prévenir. Si jamais ça ne se passe pas bien, tu viens me voir, et on rentrera avec Chloé, d'accord ?

Je hoche la tête et nous signifions à maman que nous partons. Elle nous souhaite une bonne soirée sans oublier de mettre en garde Matt.

— Prends soin de ta petite sœur !

— Maman ! je réplique. J'ai vingt ans, plus treize !

Nous rions toutes les deux, puis je rejoins mon frère jusqu'à sa voiture. Je m'installe côté passager et remarque seulement à cet instant qu'il a mis un costume très élégant. Je hausse un sourcil pendant qu'il allume le moteur.

— « Chloé est juste une amie, blablabla » ... Mais bien sûr !

Je me moque gentiment de Matt, jamais il ne s'habille de façon si chic. Cela change de ses éternels jeans délavés, ses converses abîmées et ses vestes unies. Et puis, cela fait bien des années que Chloé et lui se tournent autour sans esquisser le moindre geste vers l'autre. On dirait que le réveillon du Nouvel An est prétexte à tout.

Le trajet me semble long, je tremble, je frissonne, malgré la veste en cuir sur mes épaules. Je ne peux mentir : je suis terrifiée à l'idée d'aller le voir, de me présenter à lui. C'est comme si les prochaines heures allaient être décisives.

Cinq minutes avant d'arriver, mon téléphone émet des vibrations. Avec un stress qui ne fait qu'augmenter, j'extirpe l'appareil de mon petit sac. J'ai reçu un message.

*Nate*

Rosaly, je t'attends au portail. À tout de suite !

Je range mon téléphone et m'affale dans le siège. Mon frère remarque mon état.

— Monsieur s'impatiente de voir sa belle ?

— Je n'en sais rien, je ne sais jamais sur quel pied danser avec lui. D'ailleurs, je ne suis même sûre de pouvoir danser cette nuit.

Je regarde mes talons avec une moue scotchée sur le visage. Dix centimètres de plus qui me permettront d'être à la bonne hauteur face à Nathanaël. Bon sang, mais qu'est-ce qui m'a pris d'accepter son invitation ? Je vais être ridicule.

— Enlève cette horreur de tes lèvres, on arrive dans trente secondes ! me lance Matt en retenant un rire.

Je ne peux plus reculer maintenant.

Le véhicule s'arrête, Matt coupe le moteur, je détache ma ceinture, puis sort de l'habitacle. Je n'ai pas le temps de respirer que mes yeux rencontrent ceux de Nate. Je fais un pas vers lui, il fait un pas vers moi. La musique forte, un air de latino, bourdonne dans mes oreilles. Je ne vois pas mon frère arriver, il se plante presque devant moi et tend sa main à Nate. Ils s'échangent une poignée et Matt s'éloigne en m'adressant un dernier regard, accompagné d'un petit sourire rassurant.

Je reporte mon attention sur l'homme qui me fait face. Il est si beau dans cette chemise rouge...

— Rosa..., souffle-t-il en attrapant le bout de mes doigts.

Il dépose un léger baiser sur le dos de ma main et m'attire vers lui. Une courte étreinte plus tard, je le remercie pour son invitation.

— Avec plaisir. Tu es superbe...

Je crois qu'il rougit, ou alors c'est simplement le froid de décembre.

— Merci... J'aime beaucoup ta chemise, enfin je veux dire... elle te va bien...

« J'aime beaucoup ta chemise », n'importe quoi ! Tu n'as pas mieux comme compliment ?

Il se racle la gorge avant de me faire signe de le suivre. Sa paume dans le bas de mon dos, il m'entraîne à l'intérieur de la maison. L'ambiance est folle, tout le monde s'amuse, la musique donne envie de danser. Les cheveux, d'ordinaire blonds, de Nate, se teintent à la lumière des stroboscopes installés dans l'immense salon. Cette villa appartient aux parents de Chloé, c'est elle l'hôte de la soirée. Je la vois d'ailleurs saluer mon frère. Elle est splendide dans sa robe de cocktail noire, fendue sur un côté, dévoilant seulement son tibia.

— Rosa...

Je sursaute à la voix de Nate.

— Tu devrais cesser de te comparer aux autres filles. Tu es unique, et tu es belle à ta façon. Autant à l'intérieur qu'à l'extérieur...

J'ai des papillons dans le ventre, je n'ose pas répondre. Ensemble, nous nous dirigeons vers le bar pour commander des boissons, sans alcool, et rejoindre un groupe d'amis. Ils nous saluent, j'ai droit à de beaux compliments de la part de Julia, ma meilleure amie.

La soirée avance, les heures défilent, je sens constamment les iris de mon frère braqués sur moi, mais aussi ceux de Nate. Nous dansons côte à côte avec Julia et notre petit groupe. Les chansons rythmées font bouger nos hanches, je ne sens même pas la douleur dans mes pieds tant je suis enivrée de bonheur. Puis j'ai un coup de folie, j'entraîne Nathanaël avec moi au milieu de la piste. Perchée sur mes escarpins, nous nous collons l'un à l'autre et dansons tout en éclatant de rire. La gêne du début de soirée est passée, comme si nous nous étions toujours connus ainsi. La proximité ne nous dérange plus.

La musique baisse d'un volume, nous entendons un micro grésiller. À l'unisson, tout le monde se retourne pour faire face à une petite estrade qui surplombe le gigantesque hall. Chloé commence un petit discours, ravie que nous ayons répondu présents pour fêter le dernier et le premier jour de l'année. Elle n'oublie pas d'appeler mon frère à la rejoindre, car il lui a été d'une grande aide pour l'organisation de cette soirée d'exception. Tous les deux forment un beau couple, c'est évident.

Puis, le décompte avant minuit commence. Dix, neuf, huit... cinq, quatre, trois, deux, un.

Un flot de « bonne année » retentit, tout le monde crie, s'enlace, s'embrasse. Je serre fort Julia dans mes bras en lui souhaitant toutes les bonnes choses du monde et que notre amitié perdure encore longtemps. Nate m'embrasse sur les deux joues, il me souhaite une bonne année au creux de mon oreille. Je lui réponds avec assurance. Au moment de rompre le contact physique, nos lèvres s'effleurent. Pile à cet instant, comme pour ajouter une note de romantisme, la lumière se tamise et les premières notes d'un slow retentissent. Mais ce n'est pas n'importe lequel. Dans mon champ de vision, je vois mon frère me faire un clin d'œil aux côtés de Chloé.

L'enfoiré, il avait cette idée depuis le début !

La musique n'est autre que Nothing is gonna change my love for you, par Glenn Medeiros, ma chanson d'amour préférée.

Sans prévenir, Nathanaël me prend par la taille pour m'emmener faire ce slow dont j'ai rêvé toute ma vie. Il me fait tournoyer, sa main descend sur mes reins, nos nez se frôlent. Je ressens une vive chaleur transpercer mon corps de toutes parts. Plaquée contre son torse, je me risque à lever les yeux vers lui, il me sourit, puis clôt les paupières. Je l'imite pour profiter de cet instant d'euphorie. La chanson est presque terminée, nos visages se rapprochent, indéniablement. À la toute dernière note, nos lèvres se touchent avec douceur.

Cette nuit, je m'en souviendrai toute ma vie.